Livre:Voyage du chrétien vers l’éternité bienheureuse/Chapitre 31
— Maintenant je vous demande, continua le Chrétien, comment en êtes-vous venu à entreprendre le voyage que vous poursuivez à présent ?
L’Espérant. — J’ai vécu longtemps dans la recherche des choses visibles qui étaient exposées en vente dans notre foire, et qui m’auraient infailliblement précipité dans une perdition éternelle si je m’y fusse arrêté plus longtemps.
Le Chrétien. — Quelles étaient donc ces choses ?
L’Espérant. — C’étaient les trésors et les richesses du monde. J’ai aussi pris plaisir à l’ivrognerie, à la gourmandise, au mensonge et à la corruption. Mais enfin, je remarquai, par l’ouïe et la méditation des choses divines que j’entendis, tant de votre bouche que de celle de votre cher frère le Fidèle (qui a été mis à mort dans la Foire de la vanité à cause de sa foi), que la fin de toutes ces choses est la mort (Rom. 6, 21, 23), et qu’à cause d’elles la colère de Dieu vient sur les enfants de rébellion (Éph. 5, 6).
Le Chrétien. — Mais cette conviction eut-elle assez de force pour vous retirer entièrement du péché ?
L’Espérant. — Nullement ; je ne tardai pas à reconnaître la malice qui est cachée dans le péché, et la malédiction qui en est la suite ; mais dans les premières agitations et les premières frayeurs que la Parole excitait en mon âme, je tâchais de fermer les yeux à cette lumière.
Le Chrétien. — D’où vient que vous résistiez de la sorte aux premières opérations de l’Esprit de Dieu ?
L’Espérant. — Ma résistance provenait de plusieurs causes : 1° J’ignorais que ce fût là une œuvre de Dieu en moi. Je n’aurais jamais pensé que Dieu eût commencé l’œuvre de la conversion du pécheur par la conviction de son péché. 2° Le péché était encore doux à ma chair, et je n’avais aucun penchant à le quitter. 3° Je ne savais comment faire pour rompre avec mes anciennes compagnies. Leurs conversations et leurs manières avaient encore pour moi quelque chose d’attrayant. 4° Les moments où je ressentais ces convictions m’étaient très fâcheux et insupportables, tellement que je ne pouvais pas y passer.
Le Chrétien. — Je crois pourtant que vous aviez quelque intervalle dans vos tristesses et dans votre agitation ?
L’Espérant. — Il est vrai ; mais elles revenaient avec la même violence et même toujours plus rudement.
Le Chrétien. — Mais qui est-ce qui vous remettait ainsi vos péchés devant les yeux ?
L’Espérant. — Plusieurs choses ; entre autres :
1° Lorsque je rencontrais un homme de bien dans les rues ;
2° Lorsque j’entendais lire la Bible ;
3° Lorsque j’avais même la plus petite indisposition, un mal de tête, etc. ;
4° Lorsqu’on me disait qu’un de mes voisins était tombé malade ;
5° Lorsque j’entendais sonner les cloches pour un mort ;
6° Lorsque je venais à penser à ma fin ;
7° Lorsque j’apprenais que quelqu’un était mort subitement ;
8° Principalement, lorsque je pensais en moi-même que bientôt je viendrais en jugement.
Le Chrétien. — Pouviez-vous facilement éloigner de vous ce souvenir amer de vos péchés, lorsqu’il se présentait à vous à l’occasion d’une de ces choses ?
L’Espérant. — Non ; car il s’attachait trop fortement à ma conscience, et lorsqu’il me venait seulement à la pensée de retourner à mes péchés précédents, c’était pour moi un double martyre.
Le Chrétien. — Comment donc vous y prîtes-vous ?
L’Espérant. — Il me semblait que je devais travailler à changer de vie, qu’autrement je serais certainement damné.
Le Chrétien. — Mais fîtes-vous tous vos efforts pour exécuter ce projet ?
L’Espérant. — Oui, et non seulement je m’abstins de tous mes péchés précédents, mais je fuyais même la compagnie des pécheurs que j’avais fréquentés. Je m’adonnais à des occupations pieuses, telles que sont la prière, la lecture, la considération de mes péchés. Je pleurais sur mes fautes, je m’appliquais à parler en vérité avec tous mes alentours et à d’autres choses semblables qu’il me serait trop long de réciter.
Le Chrétien. — Ne vous imaginiez-vous pas alors d’être en bien bon état ?
L’Espérant. — Oui ; mais cela ne dura pas longtemps, car enfin mes inquiétudes revinrent, même au sujet de mon amendement.
Le Chrétien. — Comment cela se pouvait-il, s’il était vrai que vous vous fussiez amendé ?
L’Espérant. — Plusieurs choses me causaient ces inquiétudes, particulièrement certains passages de l’Écriture, tels que sont ceux-ci : Toutes nos justices sont comme un vêtement souillé (És. 64, 6). Personne ne sera justifié par les œuvres de la loi (Gal. 2, 16). Quand vous aurez fait toutes les choses qui vous sont commandées, dires : Nous sommes des serviteurs inutiles, car nous n’avons fait que ce que nous étions obligés de faire (Luc 17, 10), et d’autres semblables, d’où je tirais ces conséquences : Si toutes mes justices sont comme un vêtement souillé, si personne ne peut être justifié par les œuvres de la loi, si nous sommes des serviteurs inutiles, lors même que nous aurions fait tout ce que nous étions tenus de faire, c’est évidemment une folie que de s’imaginer que j’aurai quelque part au ciel par mon obéissance à la loi. Je pensais encore en moi-même : Si quelqu’un était débiteur de cent écus à un marchand et qu’il se bornât à lui payer exactement depuis un certain jour tout ce qu’il lui achèterait à partir de cette époque, cesserait-il pour cela d’être son débiteur pour les cent écus précédents ? Le marchand n’aurait-il pas toujours le droit de le poursuivre et même de le faire mettre en prison pour sa vieille dette jusqu’à ce qu’il l’eût payée ?
Le Chrétien. — Comment vous appliquiez-vous cela ?
L’Espérant. — Voici comment je raisonnais en moi-même : J’ai contracté une grosse dette par mes péchés sur les livres de Dieu, et mon amendement présent ne peut effacer cette obligation passée. Ainsi, il me reste toujours à chercher comment je pourrais être délivré de la condamnation que j’ai attirée sur moi par mes iniquités précédentes.
Le Chrétien. — Voilà une bonne application ; continuez, cher ami.
L’Espérant. — Il y avait encore autre chose qui me travaillait, même après ma conversion ; car lorsque j’observais d’un peu de près mes meilleures œuvres, j’y découvrais de nouveaux péchés qui se mêlaient à ce que je faisais de meilleur : de sorte que j’étais obligé de conclure que j’avais commis assez de péchés, même en pratiquant mes devoirs, pour mériter la condamnation, lors même que ma vie aurait été sans tache à d’autres égards.
Le Chrétien. — Que fîtes-vous alors ?
L’Espérant. — Je ne savais plus que faire jusqu’à ce qu’enfin je découvris l’angoisse de mon esprit au Fidèle, car nous étions très liés, et il me dit que si je ne pouvais mettre en avant pour moi la justice d’un répondant qui n’eût jamais péché, je ne serais jamais à couvert du jugement, ni par ma propre justice, ni par celle de tous les hommes ensemble.
Le Chrétien. — Crûtes-vous bien qu’il vous disait la vérité ?
L’Espérant. — S’il m’avait dit cela lorsque je m’applaudissais à moi-même et que j’étais si content de mon amendement, je l’aurais traité de fou pour le récompenser de toute la peine qu’il prenait. Mais, après avoir appris à connaître toutes mes faiblesses et les péchés qui étaient attachés à mes meilleures actions, j’ai compris et reçu avidement ce qu’il me dit à ce sujet…
Le Chrétien. — Mais, lorsqu’il vous en parla pour la première fois, pouviez-vous bien vous imaginer qu’il pût se trouver, parmi les hommes, un homme dont on pût dire, avec vérité, qu’il n’a jamais commis de péché ?
L’Espérant. — Il faut que je vous avoue que cela me parut d’abord étrange ; mais, après quelques conversations que j’eus encore avec lui, j’en demeurai pleinement convaincu.
Le Chrétien. — Ne lui demandâtes-vous pas quel était cet homme et comment il pourrait se faire que sa justice vous fût imputée ?
L’Espérant. — Oui ; et il me dit que cet homme était le Seigneur Jésus qui est assis à la droite de Dieu (Héb. 1, 3). Et voici, ajouta-t-il, comment vous devez être justifié par lui : c’est par la confiance en lui (Rom. 4, 23, 24), en Sa vie méritoire et en Sa mort sur la croix. Je lui demandai encore comment il pouvait se faire que la justice d’un homme en pût justifier un autre devant Dieu. Il me répondit que nous ne pourrions résoudre cette question et beaucoup d’autres semblables que lorsque nous aurions résolu celle sur l’union de Dieu avec un homme dans la personne de Jésus Christ ; mais que, sans rechercher curieusement toutes ces choses, nous pouvions espérer en cette parole du Sauveur : Je me sanctifie moi-même pour eux (Jean 17, 19).
Le Chrétien. — Eûtes-vous d’abord assez de confiance et de simplicité de cœur pour embrasser par la foi ces consolantes vérités ?
L’Espérant. — Je fis d’abord beaucoup d’objections ; mais le Fidèle me recommanda de m’adresser, par la pensée, à Jésus Christ, ce Sauveur des hommes, qui assurait le salut à tous ceux qui croyaient en Lui, et de ne regarder qu’à Lui. Je pensais que c’était une témérité : mais lui, il assurait que non ; « car », disait-il, « vous êtes appelés à venir à Lui ». Il me donna aussi un livre qui contenait plusieurs invitations de Jésus pour m’encourager à aller à Lui avec plus de confiance, m’assurant qu’un seul point de ce livre était plus ferme que le ciel et la terre (Matt. 5, 18). Je lui demandai encore ce que je devais faire quand j’irais à Lui ? Il répondit que je devais prier le Père de tout mon cœur à genoux pour qu’Il voulût bien manifester Son Fils en moi. « Vous le trouverez », me dit-il, « assis sur son trône de grâce (Ex. 25, 22 ; Héb. 4, 16), où Il se tient pendant toute l’année pour absoudre tous ceux qui vont à Lui pour obtenir miséricorde ». Je lui objectai encore que je ne savais pas ce que je devais dire. Il me répondit : « Dites seulement : Ô Dieu ! sois apaisé envers moi, qui suis un grand pécheur, et donne-moi de connaître ton Fils et de croire en Lui ; car je vois que sans Sa justice et sans la foi en cette justice, je suis perdu sans ressource. Seigneur ! je crois que tu es un Dieu miséricordieux, et que tu as donné ton Fils Jésus Christ pour être le Sauveur du monde ; que tu l’as donné pour sauver les pauvres pécheurs, dont je suis le premier ».
Le Chrétien. — Fîtes-vous comme il vous l’avait commandé ?
L’Espérant. — Oui, vraiment, et non pas une fois ou deux, mais sans relâche.
Le Chrétien. — Dieu vous donna-t-Il aussitôt la clarté et l’assurance que vous Lui demandiez ?
L’Espérant. — Non pas la première fois ni la seconde fois, ni la vingtième fois.
Le Chrétien. — Que fîtes-vous donc ?
L’Espérant. — Je ne savais ce que je devais faire.
Le Chrétien. — Ne vous vint-il pas dans la pensée d’abandonner la prière ?
L’Espérant. — Oui, plus de cent fois.
Le Chrétien. — D’où vient que vous ne le fîtes pas ?
L’Espérant. — Je crus que ce qui m’avait été dit était vrai, savoir : que sans la justice de Christ, je ne pourrais jamais être sauvé. C’est pourquoi je pensais en moi-même que, lors même que je cesserais de prier, je n’en mourrais pas moins, et que dans tous les cas j’aimerais bien mieux mourir devant le trône de grâce qu’autrement. Outre cela il me souvint de ce passage : Bien qu’il tarde, attends-le. Il viendra certainement, et ne tardera point (Hab. 2, 3). Ainsi je persistai dans ma prière jusqu’à ce que le Père manifesta Son Fils en moi.
Le Chrétien. — Comment cela se fit-il ?
L’Espérant. — Je ne le vis pas de mes yeux corporels, mais des yeux de mon entendement, et cela se passa de cette manière. J’étais un jour fort triste et plus triste même, ce me semble, que je ne l’avais été de toute ma vie. Cette tristesse m’était venue à la vue de la grandeur et de l’énormité de mes péchés ; je ne voyais autre chose devant moi que l’enfer et la damnation éternelle. Alors il me sembla que le Seigneur Jésus venait du ciel vers moi, et me disait : Crois au Seigneur Jésus Christ, et tu seras sauvé (Act. 16, 30, 31). Mais, Seigneur, Lui dis-je, je suis un si grand pécheur ! À quoi Il répondit : Ma grâce te suffit (2 Cor. 12, 9). Et comme je Lui demandai : Seigneur, qu’est-ce que la foi ? je compris par Sa réponse : Celui qui vient à moi n’aura plus faim ; et celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif (Jean 6, 35), que croire et aller à Lui est la même chose, et que celui qui va à Jésus Christ de cœur et par ses désirs pour être sauvé par Lui croit véritablement en Lui, et que, par conséquent, il est sauvé. Alors mes yeux se remplirent de larmes, et je Lui demandai en outre : Seigneur, un aussi grand pécheur que je suis peut-il bien être reçu de toi ? Et j’entendis ces paroles : Je ne rejette point celui qui vient à moi (Jean 6, 37). Là-dessus je Lui demandai encore : Mais, Seigneur, comment dois-je te considérer lorsque je viens à toi, afin que ma foi en toi soit suffisamment affermie ? Il me dit : Jésus Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs (1 Tim. 1, 15). Il est la fin de la loi pour être la justice de tout homme qui croit (Rom. 10, 4). Il a été livré pour nos offenses et il est ressuscité pour notre justification (Rom. 4, 25). Il nous a aimés, et il nous a lavés de nos péchés par son sang (Apoc. 1, 5). Il est le médiateur entre Dieu et les hommes, toujours vivant et intercédant pour nous (1 Tim. 2, 5). De toutes ces choses, je tirai la conclusion que je devais chercher et voir toute ma justice en Sa personne, et que je ne pouvais trouver satisfaction pour tous mes péchés qu’en Son sang ; que tout ce qu’Il a fait en obéissant à la loi de Son Père, et en se soumettant aux peines qu’elle inflige, Il ne l’avait pas fait pour Lui-même, mais pour les pécheurs repentants qui recourent à Lui, qui L’embrassent et qui Le suivent. Sur cela mon cœur se trouva rempli de joie, mes yeux furent baignés de larmes, et toutes les facultés de mon âme furent remplies d’un amour ardent pour le nom, pour le peuple et pour les voies de Jésus Christ.
Le Chrétien. — C’était là vraiment une manifestation de Jésus à votre âme. Mais, je vous prie, dites-moi plus particulièrement quel effet cela produisit dans votre esprit ?
L’Espérant. — Cela me fit voir que tout le monde avec toute sa justice était néanmoins dans un état de damnation. Je compris encore que, puisque Dieu le Père est juste, Il peut justifier d’une manière digne de Lui le pécheur qui vient à Lui. Cela me rendit fort confus de l’abomination de ma vie précédente, et je fus saisi de frayeur quand je réfléchis à mon ignorance passée ; car jamais jusqu’alors je n’avais si bien compris et senti dans mon cœur la beauté et la douceur de Jésus Christ. Cela me fit aimer la sainteté de la vie, et me remplit d’un désir véhément de faire quelque chose à l’honneur et pour la gloire de Christ. En un mot, il me semblait que si j’avais mille vies, je les donnerais volontiers toutes pour l’amour du Seigneur Jésus.