Traité:Quelques pensées sur les trois dernières églises de l’Apocalypse
H. Rossier
Parmi les traits qui séparent les assemblées de Sardes, Philadelphie et Laodicée, des quatre premières églises, il en est un sur lequel on ne peut assez insister. Dans les épîtres à Éphèse, à Smyrne, à Pergame et à Thyatire, le Seigneur se présente avec les caractères, pour ainsi dire officiels, sous lesquels il Lui avait plu d’apparaître au premier chapitre. Ces caractères sont ceux d’un juge qui prend connaissance de l’état de l’Église dans les développements successifs qu’elle a subis, comme Église professante et responsable. Ces mots signifient que ce n’est pas l’Église, telle que Dieu l’a instituée à la Pentecôte, qui est jugée dans l’Apocalypse. Dieu ne peut pas plus juger l’Église au moment où elle sort parfaite de Ses mains, qu’Il ne pouvait juger la création au moment où, l’ayant tirée du chaos, Il vit qu’elle était « très bonne ». Mais, lorsque l’Église est livrée à la responsabilité de se maintenir dans l’état où la grâce de Dieu l’avait placée, nous assistons aux divers développements du mal dans son sein. Nous exceptons ici, dans une mesure, le cas de Smyrne qui doit être considérée comme un effort du Seigneur pour ramener, par les persécutions, Son Église à l’état initial du « premier amour » que son infidélité lui avait fait perdre. Hélas ! si les persécutions ont été abondamment bénies pour les âmes individuellement et en ont fait de puissants témoins de Christ au milieu d’un monde méchant, elles n’ont point ralenti le déclin. Le mal s’est accentué de plus en plus, jusqu’à ce qu’il ait atteint le plein développement de la corruption romaine dont l’épître à Thyatire est le tableau.
Ces remarques, à dessein fort incomplètes, nous amènent aux trois dernières églises. On les a appelées des églises de résidus, assez justement si l’on entend par là qu’elles sont la suite d’une œuvre partielle de restauration pour retirer du sein de l’église romaine les fidèles appelés « les autres qui sont à Thyatire » (2, 24), et pour en former le noyau d’un nouveau témoignage. Ce témoignage partiel va désormais, dans la bouche de Christ, porter le nom d’église. Seulement, comme il s’agit ici de l’église professante et responsable, Dieu ne nous entretient pas du tout de l’œuvre éclatante accomplie par Son Esprit au début de ce qu’on appelle la Réformation, mais Il nous parle de son déclin, relativement très rapide, lorsque, sous cette forme nouvelle, l’église fut livrée à la responsabilité de se maintenir dans les bénédictions reçues.
Les trois dernières églises, Sardes, Philadelphie et Laodicée, font partie du tableau d’ensemble qui nous représente, dans les sept églises, la suite du déclin de l’Église, dans son caractère historique d’église responsable. En effet, depuis l’abandon du premier amour (Éphèse), jusqu’au moment où l’église est vomie de la bouche du Seigneur (Laodicée), le déclin se précipite vers la ruine irrémédiable. Cependant les trois dernières églises offrent, je n’en doute pas, un autre caractère qui, pour avoir été souvent ignoré, a conduit à de fausses interprétations au sujet de Philadelphie : je veux parler du fait que, malgré leur suite historique indéniable, ces trois églises représentent beaucoup plus certaines phases, ou certains états caractéristiques de l’Église dans les derniers jours. La suite de cet article nous montrera l’importance de cette remarque au point de vue pratique.
Ce qui distingue en premier lieu Sardes, Philadelphie et Laodicée et fournit la preuve péremptoire qu’elles ne sont plus seulement, comme les quatre premières églises, le développement historique du mal dans l’église professante, ce sont les titres que le Seigneur y prend. Ces titres n’ont plus rien de commun avec ce que, pour me faire comprendre, j’ai appelé des titres officiels. J’en excepte cependant un seul titre, par lequel l’Esprit relie évidemment les trois dernières églises avec les quatre premières. Ce titre, nous le trouvons dans l’adresse à Sardes, où le Seigneur se présente comme « Celui qui a les sept étoiles ». Cependant Il ne dit pas, comme à Éphèse : « Celui qui tient les sept étoiles dans sa main droite ». Cette parole : « dans sa main droite », signifie que les églises, ou les anges qui les personnifient, possédaient une autorité, nullement indépendante il est vrai, mais subordonnée à celle de Christ et ne pouvant subsister que par Lui.
À Sardes, cette autorité de l’Église, même subordonnée, a entièrement disparu. Nous la voyons concentrée en Christ ; elle appartient à Lui seul : « Il a les sept étoiles ». L’autorité de l’Église s’est, pour ainsi dire, réfugiée en Lui. Lui la possède et ne la transmettra à nul autre. Or tel est le bonheur et la sécurité du chrétien en un temps de ruine.
La mention que le Seigneur a les sept étoiles est en même temps le lien qui rattache historiquement la deuxième section des sept églises à la première. Toutes deux vont ensemble, si j’ose m’exprimer ainsi, sous la même invocation. Cependant, comme nous l’avons dit, la liaison, tout en étant réelle, de manière à faire de Sardes une suite de Thyatire, n’a plus du tout la même valeur historique que dans les églises de la première section. Quoique la succession existe, soit de l’une à l’autre, soit, dans leur rapport avec Thyatire qui les précède, les trois dernières églises sont sans doute plutôt contemporaines que successives.
À part cet attribut que le Seigneur ne partage désormais avec personne, tous les autres attributs de Christ, mentionnés dans les trois dernières églises, sont entièrement nouveaux. Ils Lui appartiennent à Lui seul, mais le point capital, c’est que tout fidèle peut les posséder en les cherchant, non pas dans l’Église, mais uniquement en Lui. Tel est le cas, à Sardes, pour les sept esprits de Dieu, que le Seigneur seul possède. La plénitude de l’Esprit se trouve en Lui. Quand l’Église fut instituée, elle avait reçu cette plénitude de la part d’un Christ monté dans la gloire, et chaque membre du corps l’avait aussi en partage. L’Esprit, en personne, avait « rempli toute la maison », et « tous étaient remplis de l’Esprit Saint » (Act. 2, 2-4). Mais, si le don du Saint Esprit n’a pas changé, où est maintenant Sa manifestation et Sa puissance ? Elle demeure invariablement en Christ.
Sardes place devant nous l’état auquel la Réforme, si belle à l’origine, a abouti : un état de mort spirituelle. Il n’est pas question ici de ce qu’il peut y avoir de bon dans le protestantisme dégénéré, mais de la condition que ce protestantisme a présenté aux yeux de Christ à une époque déterminée qui n’a pas encore entièrement pris fin. Je le répète, il s’agit d’une condition déterminée comme caractérisant, à un certain moment, l’église professante, ou le protestantisme, aux yeux de Christ. C’est cet état qui compte pour Lui. Livrés à notre propre jugement, nous pourrions l’estimer tout différemment, mais le Seigneur nous révèle comment Lui l’envisage ; cet état, Il l’estime absolument mauvais. Nous allons voir pourquoi Il envisage comme absolument bon l’état de Philadelphie.
Or notez que l’appréciation de Christ au sujet de l’état des églises est toujours en rapport avec les bénédictions premières qu’Il leur avait accordées. Dieu juge toujours de l’état de Son peuple selon les privilèges dans lesquels Il l’avait primitivement établi et non selon le bien partiel qui peut s’y rencontrer, quoique cela ne Lui échappe pas non plus. C’est ce dont l’histoire d’Israël est la preuve et ce que toute la prophétie de l’Ancien Testament nous fait connaître. Le même principe prévaut dans l’histoire de l’Église. L’épître à Sardes nous montre cela d’une manière très claire. Sardes, la chrétienté protestante, que Dieu avait sortie et séparée du monde, à laquelle Il avait confié tant de vérités précieuses, est traitée selon les lumières qui lui avaient été confiées, et assimilée au monde sur lequel le Seigneur viendra comme un voleur ; mais elle n’est pas traitée d’après les quelques noms qui s’y trouvent et qui n’ont pas souillé leurs vêtements.
S’il est vrai que l’état de Sardes, comme celui de Thyatire, se perpétuera jusqu’au jugement final, la Parole, par contre, nous encourage beaucoup par la description de l’état de Philadelphie. À un moment donné, dans la période actuelle de l’histoire de l’Église, le Seigneur s’est suscité un témoignage au milieu de l’indifférence générale. Pour être reconnu de Lui, ce témoignage devait être dépourvu de toute prétention. Les prétentions, nous les rencontrerons à Laodicée ; elles sont étrangères à Philadelphie, qui non seulement a peu de force, mais en a conscience et y est approuvée et encouragée par le Seigneur Lui-même. On a si souvent parlé de Philadelphie qu’il semblerait presque inutile d’y revenir, et cependant il est particulièrement profitable d’y insister de nouveau dans le jour actuel.
Qu’est-ce donc que cette église de Philadelphie, contre laquelle le Seigneur n’articule aucun reproche et qu’Il approuve au contraire sur tous les points, même sur son peu de force ? Forme-t-elle un corps compact et visible ? Souvent, de nos jours, des chrétiens ont eu la prétention de revendiquer à leur profit le nom de Philadelphie. Or Philadelphie, comme nous l’avons déjà fait pressentir, n’est un développement historique de l’Église que dans une faible mesure et, de fait, seulement en un point, c’est que son existence ne précède pas celle de Sardes. Philadelphie, nous le répétons, comme Sardes qui l’a précédée et comme Laodicée qui la suit, est la description d’un état, assez important aux yeux du Seigneur pour recevoir de Lui le nom d’assemblée. La différence est que Sardes est la description très réelle d’un état des plus fâcheux, manifesté particulièrement à une certaine époque ; Philadelphie, la description tout aussi réelle d’un état approuvé du Seigneur et manifesté dès l’époque suivante. Il l’approuve parce que Philadelphie a pleine conscience de sa faiblesse, ce qui l’encourage à chercher sa force et ses ressources en Christ seul. Les éléments vivants de l’Église ont été représentés à un moment donné, et le sont encore, par l’état philadelphien. Ils y demeurent ; cependant, s’il ne s’agit que de la condition historique de Philadelphie, cet état n’a pas duré tel qu’il nous est présenté ici. Mais au contraire de ce qui est arrivé à Sardes, le Seigneur continue à voir ces éléments tels qu’Il les a suscités au début. La raison de ce phénomène, unique dans les épîtres aux sept églises, il faut la chercher dans les faits suivants : D’abord le Seigneur aime tendrement Philadelphie parce que, ayant pleinement conscience de sa faiblesse, elle dit comme Gédéon : « Moi, je suis le plus petit dans la maison de mon père ». Ensuite, parce qu’elle a une confiance implicite en Sa puissance, comme un faible enfant dans le bras de sa mère. Enfin, parce que le Seigneur est tout pour elle, le seul digne d’être écouté et suivi. Mais allons plus loin : À Philadelphie, le nom du Seigneur a pris, dès le commencement, une telle importance qu’elle le maintient au milieu de l’infidélité générale. Ce nom est celui du Saint, d’un Christ qui, personnellement, est séparé de tout mal. Il s’agit, pour Philadelphie, de ne pas le renier, c’est-à-dire de réaliser, à l’exemple du Maître, une sainte séparation du milieu moral dans lequel le monde est plongé. Mais le nom du Seigneur est aussi : le Véritable. Il est en rapport avec la Parole, car elle est la vérité. La sainteté de la personne de Christ, ayant été révélée à Philadelphie, la Parole a pris tout à coup pour elle une importance immense, car elle a révélé cette personne au cœur de ce faible résidu.
La Parole avait été jadis mise en lumière à la Réformation, mais il est remarquable, quand on lit les écrits des réformateurs, de voir combien l’œuvre de la justification par la foi y prend plus de place que la personne qui l’a accomplie ; le salut, plus que le Sauveur. Ici, la Parole a mis pleinement en lumière cette personne bénie qui s’est emparée du cœur de Philadelphie : « Je suis le Véritable » et « tu as gardé ma Parole ». Enfin Philadelphie, comme nous l’avons vu, ne prétend pas à la puissance ; elle n’en a point, mais elle l’a trouvée tout entière en Celui qui a la clef de David et qui met cette puissance à la disposition de Ses bien-aimés pour leur ouvrir la porte du service.
La porte est comptée à Philadelphie comme ouverte pour elle, alors même que d’autres peuvent largement profiter de cette liberté du service. N’arrive-t-il pas aujourd’hui que beaucoup de chrétiens profitent de la porte ouverte sans être attachés de cœur aux principes qui dirigent la marche de Philadelphie ? Nous trouvons ici, en effet, une période de l’histoire de l’Église où la porte est ouverte, et cela, à cause d’un pauvre et faible témoignage à la Parole et au nom de Christ.
Il y a donc, actuellement, pour l’Église, aux yeux du Seigneur, une période de témoignage à Sa personne, à Son caractère, à Sa Parole. Ce témoignage a pour conséquence, avant tout, la prédication de l’évangile, dans la plus vaste acception de ce mot, au milieu du monde. Le Seigneur répand largement cet évangile, comme approbation du témoignage qu’Il a suscité, témoignage que, ni le monde, ni la synagogue de Satan, la religion légale, ne connaissent, auquel bien plutôt ils s’opposent, mais que les yeux et le cœur seuls du Seigneur discernent et apprécient. Il peut être reconnu à l’extension de la bonne nouvelle et du service de la Parole que le Seigneur suscite à la suite de ce témoignage. Cette extension a pour point de départ l’approbation que le Seigneur donne au témoignage de Philadelphie et elle en portera la marque jusqu’au bout. Or tous ceux auxquels il peut dire, dans la conscience qu’ils ont de leur faiblesse : « Tu as gardé ma Parole et tu n’as pas renié mon nom », en font partie.
Le Seigneur ajoute encore : « Tu as gardé la parole de ma patience ». Or il est de toute importance de ne pas oublier ce dernier caractère du portrait de Philadelphie. Tout vrai philadelphien le porte aujourd’hui. Il s’agit d’attendre la venue du Seigneur avec la même patience qu’Il met Lui-même à voir enfin tout ce que Son cœur désire, l’ensemble de Ses rachetés, Son Épouse chérie, réunie à Lui pour toujours.
Aussi, quel encouragement pour Philadelphie d’entendre cette parole : « Je viens bientôt » et d’être exhortée par elle à tenir ferme et à ne pas se laisser enlever sa récompense. Cette venue du Seigneur, d’autres chrétiens peuvent la mettre en doute, mais elle fait partie aujourd’hui du témoignage de Philadelphie, tel que Lui le reconnaît.
Les chrétiens qui ont le privilège de savoir en quoi consiste le témoignage de Philadelphie sont, comme nous l’avons dit, en danger de prétendre être eux-mêmes ce témoignage, à l’exclusion d’autres chrétiens. Ils oublient que Philadelphie est un état d’ensemble que le Seigneur apprécie et auquel Il fait l’honneur de donner le nom d’église au milieu du mal qui l’entoure, malgré son insignifiance apparente et son peu de force, pleinement reconnus par ceux qui en font partie. De cet état, il est important de le retenir, le Seigneur nous fait un tableau d’ensemble, comme Il l’a fait pour Sardes, et va le faire pour Laodicée. À Philadelphie, Il réunit en un les traits du témoignage pendant une période donnée, où la valeur de Sa personne est remise en lumière comme au commencement. Ce témoignage touche Son cœur. La joie d’être personnellement, quoique faiblement, compris, Le touche plus que toute autre manifestation. Quand Il dit à Ses disciples : « Vous êtes ceux qui avez persévéré avec moi dans mes tentations », alors que, de fait, leurs cœurs étaient bien plus occupés d’eux-mêmes que de Lui ; quand Il dit : « Je suis glorifié en eux » ; « Vous m’avez aimé » ; on voit quelle réponse un peu d’amour — et si peu ! — de notre part pour Lui trouve dans ce cœur où une sensibilité parfaite se joint à un amour parfait !
Le tableau tracé par le Seigneur n’est mêlé d’aucun blâme et exprime toute Son approbation, parce que, au milieu du mal qui prédomine de toutes parts et de la faiblesse que les fidèles acceptent et reconnaissent, Jésus constate une connaissance réelle de Sa personne, un attachement à Son nom en Son absence, une communion avec Lui, qui, jusqu’à ce jour, n’était plus réalisée, une espérance patiente de Sa venue, la force en Lui, l’amour en Lui, l’espérance en Lui, toutes ces choses réalisées au milieu d’une faiblesse qui caractérise les temps de la fin.
Lui seul se réserve de connaître l’activité de Philadelphie. Il dit : « Je connais tes œuvres », sans autre addition comme dans les églises précédentes, alors que Philadelphie ne pourrait ni ne voudrait les énumérer elle-même. Se parer du nom de Philadelphie ne serait qu’une fausse prétention, une parure extérieure contredite par la réalité. Qui de nous oserait dire : Par ma conduite je n’ai pas renié le nom du Saint ? ou bien : J’ai gardé la parole de Sa patience ? Laissons donc au Seigneur le soin d’apprécier si cette condition est la nôtre. Lui seul est compétent pour le faire et toujours Il l’apprécie bien au-delà de ce qu’elle peut être en réalité.
Cet état de Philadelphie est sorti d’un réveil que Lui seul a provoqué, dont Lui seul est capable de découvrir les premières origines dans le passé, comme Il est seul capable de déterminer dans le présent ceux qui en font partie. Ce réveil a des caractères très distincts : il est le réveil de la fin. L’étoile du matin n’a pas été nommée dans les trois premières églises ; elle n’est promise, dans l’épître à Thyatire (2, 28), qu’à ceux qui auront finalement remporté la victoire. À Sardes, le Seigneur ne vient que comme juge. À Philadelphie, l’espérance actuelle de Sa venue en grâce, comme Sauveur, est proclamée pour la première fois.
Nous pouvons constater depuis bien des années la présence de ce réveil et l’activité dans le service qui en est la conséquence immédiate ; et notre plus grand désir doit être d’y participer et d’en réaliser les caractères, sinon nous n’y appartiendrions pas. Or c’est ici qu’il est important, comme nous l’avons dit plus haut, de se souvenir que Philadelphie est un tableau d’ensemble, dans lequel rentrent tous les individus qui réalisent les caractères énumérés, alors que beaucoup de ceux qui sembleraient appartenir extérieurement au témoignage actuel pourraient en être finalement exclus comme n’y ayant aucun droit.
De même qu’à Sardes les yeux de Christ ne voient que la mort, ils ne voient à Philadelphie que l’amour, la vie, la communion et l’espérance. L’état de mort et d’indifférence du monde est ici comme dissocié de Philadelphie et concentré sur Sardes et Laodicée. De même le témoignage est concentré sur Philadelphie, comme si le Seigneur avait voulu qu’aucun de ses rayons ne se perdît et les avait réunis en un faisceau de lumière dès leur origine, n’en laissant rien, ni pour Sardes, ni pour Laodicée qui précèdent ou suivent cette ère bénie. Tout cela confirme ce que nous avons dit plus haut, c’est que Philadelphie est plutôt un tableau de la condition du témoignage dans une période donnée, que le développement historique de ce qui se passe pendant cette période. C’est cette condition qui compte pour le Seigneur, et cela se comprend, parce que Sa personne est tout pour cette faible assemblée. La récompense de ce témoignage pratique à l’intégrité absolue de la Parole et à la sainte séparation du mal, séparation dont le modèle est en Christ, cette récompense, Philadelphie la reçoit par une porte désormais ouverte à sa faiblesse pour la prédication de la Parole. Ce service n’est pas, comme le disent aujourd’hui beaucoup de chrétiens qui renient le témoignage de Philadelphie tout en prétendant aux privilèges qui en sont la conséquence, ce service, disons-nous, n’est pas ce qui caractérise Philadelphie elle-même, mais ce que le Seigneur donne et accorde à son peu de force et à son affection pour Lui.
Le réveil de Philadelphie est de fait peu apparent en présence de la sphère beaucoup plus étendue de mort et d’indifférence où Sardes et Laodicée sont plongées, mais c’est précisément pourquoi le Seigneur a soin de le mettre si remarquablement en évidence, afin que tous connaissent que Son appréciation est diamétralement opposée à celle des hommes et quelle valeur Lui attribue à un témoignage qui n’a pour objet que Lui-même : « Ils connaîtront que moi je t’ai aimé ». Et si même ce réveil était très apparent, on peut dire qu’il ne correspondrait pas aux pensées de Christ : « Tu as peu de force », voilà ce qu’Il loue en premier lieu, et : « une porte ouverte », voilà ce qu’Il donne. Considérée de cette manière, Philadelphie nous apparaît comme une oasis au milieu du désert, entourée entièrement des sables arides de Sardes et de Laodicée ; n’étant de fait qu’une oasis de peu d’étendue, mais attirant d’autant plus les regards que rien, en dehors d’elle, ne porte ni fleurs, ni fruits, ni verdure pour le cultivateur.
Il est encore un trait distinctif de Philadelphie. Nous l’avons gardé pour la fin parce qu’il découle de tous les autres et les domine : c’est la communion avec le Seigneur.
La première épître de Jean nous montre que la vie éternelle a été communiquée aux apôtres, pour avoir vu, entendu, contemplé et touché la parole de vie manifestée en Christ. Ceux-ci l’ont fait connaître à d’autres ; elle est devenue, comme don de Dieu accordé à la foi, la part de tous les croyants. Elle nous a été communiquée afin que nous ayons communion avec le Père et le Fils, puis avec tous les saints. La communion est une part et une jouissance communes dans tout ce qu’est le Père pour le Fils, le Fils pour le Père, et les croyants pour l’un et pour l’autre. Le résultat est une joie parfaite goûtée par tous. Cette merveilleuse communion nous est donnée afin que nous ne péchions pas, car le péché est, sous quelque forme que ce soit, la chose qui trouble, détruit absolument la communion. L’apôtre nous montre que, pour qu’elle puisse être maintenue et ne soit pas détruite par le péché, trois choses sont nécessaires : 1° le sang de Jésus Christ qui purifie une fois pour toutes de tout péché ; 2° la confession de nos péchés au Père qui est fidèle à Ses promesses envers nous pour nous pardonner, et qui est juste envers Christ pour nous purifier de toute iniquité ; 3° l’office d’Avocat auprès du Père, Jésus Christ intercédant en notre faveur et nous lavant les pieds par Sa Parole pour que nous puissions avoir part avec Lui.
Cette communion, Philadelphie la possède. Elle l’a rencontrée dans toute la marche de Christ comme homme ici-bas. Elle L’a vu traverser le monde en toute faiblesse extérieure ; elle L’a vu garder chaque iota de la Parole de Dieu pour l’accomplir ; elle L’a vu marcher dans une séparation absolue de tout mal, correspondant à Son nom de « Saint » ; elle L’a vu souffrir patiemment pour atteindre le but d’amour que le Père Lui avait proposé ; elle Le voit encore attendant avec patience le moment où Il sera réuni à Son Épouse. Philadelphie elle-même a marché pas à pas sur Ses traces, consciente de son extrême faiblesse. En L’imitant, elle a trouvé la communion avec Lui, son modèle parfait, et la même part commune avec tous les témoins de Christ. Elle peut dire : « Nous avons communion les uns avec les autres ».
L’état de Philadelphie est ce qui caractérise l’Église aux yeux de Christ à une période de son existence. Cet état, nous n’en doutons pas, durera jusqu’à la fin, puisque Philadelphie est exhortée à retenir ferme ce qu’elle a jusqu’à ce que le Seigneur vienne. Toujours donc le chrétien pourra trouver la communion collective des saints en attendant le jour des récompenses, mais, ne craignons pas de le dire, cet état, aussi bien à Philadelphie que dans toute autre assemblée, est sujet au déclin. De là l’exhortation qui lui est adressée de « tenir ferme ce qu’elle a, afin que personne ne prenne sa couronne ».
Si nous considérons les trois dernières églises, non pas à leur point de vue historique, mais comme représentant les traits moraux des derniers jours, nous voyons Sardes, le milieu d’où le témoignage philadelphien est sorti, se joindre à Laodicée, mais cette dernière, ayant des caractères infiniment aggravés. Dans l’une et dans l’autre il reste, comme éléments fidèles, un petit noyau à Sardes, des individus isolés à Laodicée, mais l’état moral de ces quelques-uns ne caractérise ni l’une, ni l’autre de ces deux églises. Ce qui les caractérise, c’est d’une part la mort, de l’autre la tiédeur orgueilleuse qui s’attribue de la force. Entre les deux paraît Philadelphie, un très faible témoignage ne tirant sa valeur, au milieu de la ruine, que de l’attachement à la personne de Christ, à Sa Parole, et de l’attente de Sa venue. Remarquez que l’indifférence générale à la vérité, propre à Sardes et à Laodicée, est la même dans le milieu qui entoure Philadelphie. On y trouve la mention de « ceux qui habitent sur la terre » (v. 10), terme familier à l’Apocalypse pour désigner les hommes qui ont détourné les yeux des choses du ciel et ont élu leur domicile ici-bas. C’est là le caractère général que revêt le monde aux derniers jours ; mais on y trouve aussi « la synagogue de Satan », le formalisme légal et judaïque dont Satan se sert pour détourner les âmes de Christ.
Non, ce à quoi le Seigneur donne Son nom, ce qu’Il estime, ce qu’Il aime et recommande, c’est un état qui, quelque méprisé qu’il soit par la synagogue de Satan ou par ceux qui habitent sur la terre, a pour tout premier caractère d’être faible, d’en avoir conscience, de ne pas sortir de cette condition. Si Philadelphie en sortait, elle s’attribuerait quelque mérite et suivrait le courant de Laodicée, tandis que son témoignage même est d’attribuer à Christ seul tout mérite et toute gloire.
Par contre, en Laodicée, dernière période et de l’histoire, et de l’état de l’Église, il n’y a plus, ni témoignage à Christ, ni communion avec Lui, ni porte ouverte ; ou plutôt nous y trouvons une porte largement ouverte au vieil homme, mais entièrement fermée à Christ. Il est obligé d’y frapper pour être admis. Philadelphie ne s’attribue rien, ne prétend à rien, pas même à être Philadelphie, mais n’a pas d’autre objet que de marcher humblement dans la communion avec son Seigneur. À Laodicée, le témoignage n’étant plus collectif, la communion n’est plus qu’individuelle, mais, précisément à cause de cela, cette communion est très intime et peut avoir lieu sans être troublée, comme l’est ici-bas toute communion collective, par quelque élément étranger à cette communion. Ce dernier cas n’est pas mentionné à Philadelphie, parce qu’elle est un tableau d’ensemble. Cependant le Seigneur envisage la possibilité que Philadelphie ne tienne pas « ferme ce qu’elle a ».
Envisagée historiquement, l’église de Philadelphie s’est affaiblie comme toute autre, mais il n’en est pas ainsi quand nous la voyons avec les yeux de Christ comme un ensemble moral auquel il ne manque que la puissance. Cet état, la communion dans la puissance, elle ne l’atteindra qu’après être entrée dans la gloire. Elle en a déjà la merveilleuse promesse, adressée à celui qui vaincra (3, 12).
Mais, ne l’oublions pas, l’état de Philadelphie n’est pas le dernier de l’Église responsable. Laodicée y fait suite, car nous ne pouvons assez le répéter, la suite historique des trois dernières églises, tout en n’étant pas le tableau principal, doit être maintenue comme pour les quatre premières. Or un nouvel état d’ensemble de l’Église, une dernière forme qu’elle revêt aux yeux de Christ, est, non seulement près de se développer, mais se développe rapidement aujourd’hui. Cette condition finira par être prédominante dans le monde, si elle ne l’est pas déjà. Elle est caractérisée par l’abandon de tout témoignage. Jésus reste seul : seul l’Amen, l’accomplissement de tous les conseils de Dieu ; seul, le témoin fidèle et véritable ; seul, le commencement, en résurrection de la création de Dieu, de la nouvelle création. Laodicée est un témoignage exclusif que l’ancienne création déchue se rend à elle-même, et ce témoignage est plus que louangeur. Elle a l’audace de proclamer cela en présence d’une condition qui l’a laissée malheureuse, misérable, pauvre, aveugle et nue !
Lorsque le croyant est rejeté par le milieu qui l’entoure, il ne trouvera souvent d’accueil qu’auprès de Christ seul ; il peut arriver même qu’il soit séparé pour un temps de la communion de ses frères. Les divisions dans la famille de Dieu en ont fourni plus d’une fois la preuve. Ce que nous voyons aujourd’hui de la Philadelphie historique ne correspond pas à la description qui nous en est faite, mais il reste une chose : l’état de Philadelphie fait toujours règle aux yeux de Christ. Il la voit comme Lui l’a faite et non pas comme les hommes l’ont faite. Heureux celui qui, la considérant avec les yeux du Seigneur, règle son témoignage sur ce modèle !
Mais il peut arriver, selon des circonstances locales, que, devant la prédominance du mal dans la maison de Dieu, le chrétien soit contraint de marcher seul. J’ai connu un éminent serviteur de Dieu qui, aux prises avec le mal dominant dans le témoignage du Seigneur, se trouva dans l’obligation ou de marcher seul ou de s’expatrier. Le Seigneur eut soin, par la suite, de remédier à cette terrible alternative, mais dans son isolement, ce chrétien avait trouvé une communion individuelle avec le Seigneur d’autant plus profonde et précieuse qu’il avait Jésus pour unique compagnon. Cette communion individuelle, un chrétien, séparé par la maladie de toute communication avec ses frères, peut en jouir aussi sous un régime qui, comme circonstances, pourrait rappeler l’isolement du fidèle à Laodicée, et, quand il a trouvé cette communion au milieu d’un tel isolement, nécessaire ou imposé, il pourra seul nous dire si elle est inférieure en joie et en intimité à la communion collective que des éléments terrestres viennent si souvent interrompre ou entraver. Il va sans dire que la communion dans la gloire reste toujours le modèle parfait de la communion collective aussi bien que de la communion individuelle. C’est de cette dernière, ici-bas, que jouit le pauvre isolé de Laodicée quand le Seigneur dit : « J’entrerai chez lui et je souperai avec lui et lui avec moi ». C’est aussi de cette dernière dans la gloire que jouit le vainqueur, dont le Seigneur dit : « Je le ferai une colonne dans le temple de mon Dieu, et il ne sortira plus jamais dehors ; et j’écrirai sur lui le nom de mon Dieu, et le nom de la cité de mon Dieu, de la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, et mon nouveau nom ! ».