Livre:Croître dans la grâce/Chapitre 1

De mipe
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« L’Éternel ouvre les yeux des aveugles ; l’Éternel relève ceux qui sont courbés ;… l’Éternel garde les étrangers ; il affermit l’orphelin et la veuve ».

Le premier verset de Ruth situe les événements de ce livre « dans les jours où les juges jugeaient » (v. 1). Le dernier verset du livre précédent nous apprend que l’époque des juges était caractérisée par deux traits. Premièrement, « en ces jours-là, il n’y avait pas de roi en Israël ». Deuxièmement, « chacun faisait ce qui était bon à ses yeux ».

Bien sérieuse en effet est la condition d’un pays où chacun fait ce qui est bon à ses propres yeux,… de sorte que finalement rien de bon ne se fait ! Cela aboutit au règne de la volonté propre, au rejet de toute limite et à la tolérance de tous les débordements. Telle était la condition à laquelle le peuple de Dieu était réduit au temps des juges. Hélas ! sous de très nombreux aspects, cette triste situation se retrouve dans le monde d’aujourd’hui et dans la chrétienté professante. Les mêmes principes sont en vigueur, produisant les mêmes résultats. La volonté propre de l’homme, jugeant toute contrainte insupportable, rejette toujours plus l’autorité, quelle qu’en soit la forme… Il en résulte que le système mondial dans son ensemble est en voie de démoralisation et tombe rapidement dans la ruine et le chaos.

Mais bien plus grave encore, ces mêmes principes qui sèment la confusion dans le monde agissent au sein du peuple de Dieu avec les mêmes conséquences désastreuses. C’est pourquoi nous le voyons, lui aussi, divisé, dispersé, sans que cesse le processus de désintégration. L’exercice de la volonté propre exclut l’autorité du Seigneur et refuse à la Tête Sa fonction directrice. Comme le monde, la grande masse des chrétiens fait ce qui est bon à ses propres yeux. Ces principes étaient même déjà actifs au temps de l’apôtre Paul, puisqu’il doit avertir les saints de prendre garde à tenir ferme le Chef (Col. 2, 19), et qu’il constate avec douleur que « tous cherchent leurs propres intérêts, non pas ceux de Jésus Christ » (Phil. 2, 21).

Dès l’instant où nous cessons de puiser toutes nos ressources en Christ, la Tête exaltée de l’Église, Son corps, dès que nous n’agissons plus sous la direction du Seigneur et sous le contrôle du Saint Esprit, nous nous mettons à faire ce qui est bon à nos propres yeux. Il est fort possible que moralement nous ne commettions rien de mal aux yeux du monde ; nous pouvons même être très zélés dans les bonnes œuvres, et parfaitement sincères ; mais si, dans nos activités, les droits du Seigneur et la direction de la Tête sont ignorés, c’est tout simplement notre propre volonté qui agit et fait ce qui est bon à ses propres yeux.

La triste conséquence de l’état misérable d’Israël est dépeinte dans le premier verset de notre chapitre. « Il y eut une famine dans le pays ». Dans le pays qui aurait dû être le lieu d’abondance par excellence sur cette terre — un pays découlant de lait et de miel — il n’y avait plus assez pour répondre aux besoins du peuple de Dieu.

Hélas ! les mêmes maux ont produit des conséquences similaires dans la chrétienté. Les chrétiens, ne tenant plus ferme le Chef, et ne donnant plus au Seigneur la place d’autorité qui Lui revient, ont fait ce qui semblait être le meilleur à leurs yeux, et ont formé d’innombrables sectes dans lesquelles le peuple de Dieu demeure affamé faute de nourriture spirituelle. La maison de Dieu, qui aurait dû être un lieu d’abondance, est devenue entre les mains des hommes un lieu de famine.

I

Une période de famine est une période de mise à l’épreuve pour le croyant sur le plan individuel. La famine teste notre foi. Élimélec habitait dans le pays que Dieu avait attribué à Israël. Là se trouvaient le tabernacle, les sacrificateurs et l’autel, mais dans les voies gouvernementales de Dieu, la famine aussi. L’épreuve pour Élimélec consistait en ceci : pourrait-il mettre sa confiance en Dieu pendant la famine et rester dans le chemin tracé par Dieu en dépit de celle-ci ? Cet homme de Bethléhem n’était malheureusement pas à la hauteur du test. Il voulait bien habiter dans le pays choisi par Dieu dans la séparation des nations environnantes pendant les temps d’abondance, mais sous la pression de la famine, il l’abandonne.

De même, dans l’histoire de l’Église, beaucoup se montrèrent heureux d’être liés au peuple de Dieu et au témoignage du Seigneur lorsque, par milliers, les incrédules se convertissaient, lorsque tous ceux qui croyaient étaient un cœur et une âme, lorsqu’une « grande grâce » et une « grande puissance » reposaient sur tous. Mais lorsque les chrétiens professants se mirent à faire ce qui était bon à leurs propres yeux, que tous cherchèrent leurs propres intérêts, que Paul le grand apôtre se retrouva en prison et l’évangile, dans l’affliction, alors la famine apparut. Avec la famine vint le temps de la mise à l’épreuve, et sous la pression qui s’ensuivit, la foi de plusieurs fut ébranlée, puisque Paul doit dire : « tous ceux qui sont en Asie m’ont abandonné », et « tous cherchent leurs propres intérêts, et non pas ceux de Jésus Christ ».

Nous n’échappons pas davantage au test de la famine aujourd’hui. Dieu, dans Sa miséricorde, a encore une fois éclairé de nombreux croyants au sujet du vrai terrain du rassemblement pour Son peuple, et beaucoup, attirés par le ministère de la Parole, ont accepté avec joie le sentier de la séparation. Mais lorsque survient la mise à l’épreuve, que le nombre diminue, que la faiblesse extérieure est manifeste, et que l’apport spirituel s’amenuise, alors ils estiment que ce terrain est trop étroit pour eux, la faiblesse trop éprouvante, la lutte trop rude. Sous la pression des circonstances, ils abandonnent la place et s’égarent dans un lieu de leur propre choix, dans lequel ils espèrent trouver une échappatoire à l’épreuve et un répit du combat.

Tel est le cas d’Élimélec. Fait révélateur, son nom signifie : « dont Dieu est le roi ». Peut-être ses parents étaient-ils des personnes pieuses qui, réalisant qu’il n’y avait pas de roi en Israël, désiraient que Dieu soit roi dans la vie de leur fils. Mais hélas ! comme si souvent, nous démentons notre propre nom. Lorsque l’épreuve survient, Élimélec manque de rendre obéissance à son roi. Pourtant, si Dieu est roi, Il peut entretenir les siens aussi bien dans les jours de famine que dans les jours d’abondance ; mais la foi d’Élimélec n’est pas à la hauteur de ce que professe son nom, et ne peut donc résister à la pression des circonstances. Sa femme et ses deux fils, de façon bien naturelle, le suivent.

Ayant abandonné le pays de l’Éternel, il arrive dans le pays de son propre choix. Pire encore, une fois parvenu dans les champs de Moab, il « demeure là ». Il est en effet plus facile de persister dans une fausse position que de rester dans une position juste. L’endroit choisi par Élimélec est significatif. Les pays qui entourent la terre promise typifient, sans aucun doute, le monde sous ses différentes formes. L’Égypte représente le monde avec ses trésors et ses plaisirs coupables, et surtout l’asservissement à Satan, qu’entraîne nécessairement la poursuite du plaisir. Babylone symbolise le monde dans sa corruption religieuse. Moab présente encore un autre aspect du monde. Le prophète Jérémie nous donne une clé de sa signification spirituelle au chapitre 48, verset 11 : « Moab a été à son aise dès sa jeunesse, et tranquille sur sa lie ; il n’a pas été versé de vase en vase ». Moab évoque donc une vie de facilité, qui s’écoule sans grand mouvement ni changement, où l’on cherche à protéger sa tranquillité de toute forme d’intrusion. Pour reprendre le langage figuré du prophète, il n’y a là aucun transvasement.

Ni l’Égypte avec ses plaisirs grossiers, ni Babylone avec sa religion corrompue, n’ont attiré Élimélec. Mais Moab, avec ses aises et la confortable retraite qu’il offre, a exercé sur lui un attrait considérable, comme moyen d’échapper aux luttes et aux épreuves. Lorsque sévit la famine, Moab constitue aujourd’hui encore un piège redoutable pour ceux qui ont un jour accepté le terrain choisi par Dieu pour Son peuple. En période de famine, ceux-ci peuvent trouver trop pénible le combat pour maintenir un chemin de séparation, trop éprouvant le mouvement constant dans le chemin, et ils sont tentés d’abandonner le bon combat de la foi pour s’installer tranquillement dans quelque vallée retirée de Moab, afin de ne plus subir de transvasement et de stagner ainsi dans leurs propres affaires. Mais comme Élimélec, nous devons, souvent au travers d’expériences douloureuses, apprendre à connaître les amères conséquences de la désertion.

Nous l’avons vu, Élimélec non seulement se rendit au pays de Moab avec sa femme et ses fils, mais « ils demeurèrent là ». Il n’y eut pas de restauration pour Élimélec. Le pays de Moab devint pour lui la vallée de l’ombre de la mort. Il avait cherché à échapper à l’étreinte mortelle de la famine, mais c’était pour se jeter dans les bras de la mort dans le pays de Moab. Les mesures mêmes qu’il avait prises pour éviter l’issue fatale l’y conduisirent. Une fausse démarche, au lieu de nous épargner les troubles, nous plonge directement dans les problèmes que nous cherchons à éviter. De plus, chercher du repos dans le monde, même dans les choses qui ne sont pas moralement mauvaises en elles-mêmes, c’est chercher son repos dans des objets que la mort peut nous arracher, ou auxquels la mort peut nous enlever. Sur les plus belles scènes de cette terre plane l’ombre de la mort. Mais Christ est ressuscité, la mort n’a plus de pouvoir sur Lui, et il vaut mille fois mieux subir la famine, avec le Christ ressuscité, que de se trouver environné de l’abondance du monde, en compagnie de la mort.

Élimélec meurt. Les tristes conséquences de son faux pas ne se limitent toutefois pas à lui-même. À l’instar de Naomi, son épouse, ses deux fils l’ont suivi en Moab. Ces derniers s’allient par mariage à des femmes de Moab et transgressent ainsi la loi de l’Éternel. Dix ans passent, puis la mort revendique les deux fils, et Naomi, privée de mari et d’enfants, se retrouve veuve et esseulée dans un pays étranger. L’Éternel l’a certes abattue et affligée, mais Il ne l’a pas abandonnée. La main qui a frappé cette femme si douloureusement accables est mue par un cœur qui l’aime. La discipline du Seigneur prépare le chemin de sa restauration.

II

Si Élimélec illustre le chemin de la chute, en Naomi nous voyons celui de la restauration. Loin du pays de l’Éternel pendant dix longues années, elle avait cherché ses aises dans le pays de Moab et n’avait trouvé que l’affliction. Mais finalement la discipline du Seigneur atteint son but, car nous lisons au verset 6 : « Elle se leva, elle et ses belles-filles, et s’en revint des champs de Moab ». Qu’est-ce qui la pousse à revenir ? Sont-ce les souffrances endurées et les peines éprouvées ? Non point. C’est la bonne nouvelle de la grâce du Seigneur qui la ramène. C’est lorsqu’elle entend dire que « l’Éternel avait visité son peuple pour leur donner du pain » qu’elle se lève pour revenir au pays.

Les peines ne nous inciteront pas à revenir à Dieu, bien qu’elles puissent nous apprendre combien il est amer de s’éloigner, et ainsi préparer nos cœurs à recevoir les bonnes nouvelles concernant le Seigneur et Sa grâce envers les siens. Ce ne sont pas la misère et les privations, l’asservissement cruel, les gousses et la faim endurées dans le pays éloigné, qui ont ramené le fils prodigue au foyer paternel, mais bien le souvenir de l’abondance de la maison et de la grâce du cœur de son père qui l’ont conduit à dire : « Je me lèverai et je m’en irai vers mon père ». Ce n’est pas la misère du pays éloigné qui l’a repoussé, mais la grâce du cœur du père qui l’a attiré de nouveau à la maison. Il en est de même de Naomi : dans le pays de Moab où tout lui a été repris, elle entend parler du pays de Juda et de ce que l’Éternel donne là à Son peuple. Et parce qu’elle a devant les yeux l’Éternel, elle peut s’élever au-dessus de tous ses manquements, et se mettre en route pour retourner dans son pays.

Son premier pas dans le sentier du retour est de se dégager entièrement de ses fausses associations avec Moab. « Et elle partit du lieu où elle était » (v. 7). Cet acte éminemment pratique a un effet immédiat sur d’autres. Ses deux belles-filles partent « avec elle ». Témoigner contre une position fausse tout en y restant n’aura aucune influence sur autrui. Si la position est fausse, la première chose à faire est de s’en séparer.

C’est ce que fait Naomi. Elle revient, elle et ses deux belles-filles. Elles rompent avec leurs mauvaises associations, et ont devant elles le juste but, car « elles se mirent en chemin pour retourner dans le pays de Juda ».

III

Toutefois se séparer d’une position erronée et envisager de revenir à une position juste ne prouve pas nécessairement un exercice réel dans le cœur de tous ceux qui font ce pas. Des trois femmes, Naomi est une sainte égarée mais sur le chemin de la restauration ; Ruth est le témoin de la grâce souveraine de Dieu et se caractérise par la foi et une affection dévouée, tandis qu’Orpa se contente d’une profession de belle apparence, mais vide, et n’atteindra jamais la terre promise.

Orpa et Ruth font toutes deux profession de dévouement à l’égard de Naomi. Tant l’une que l’autre déclarent vouloir quitter le pays de leurs pères, et les deux tournent leur face du côté du pays de l’Éternel. Mais, comme toujours, la profession est mise à l’épreuve. Naomi déclare : « Allez, retournez chacune dans la maison de sa mère » (v. 8). L’occasion leur est offerte de revenir sur leurs pas. Ce test va démontrer si le fond de leur pensée est en accord avec ce qu’elles professent. Si elles se souviennent du pays d’où elles sont sorties, elles ont maintenant la possibilité d’y retourner (cf. Héb. 11, 15). L’esprit d’Orpa se trahit sur-le-champ. Son cœur est resté attaché au pays de sa naissance. Ruth, au contraire, désire « une patrie meilleure » comme nous le verrons. Certes, Orpa fait une belle profession, mais elle en reste là. Elle est profondément émue, au point même d’élever sa voix et de pleurer (v. 9). Ses affections sont touchées, puisqu’elle baise sa belle-mère (v. 14), et ses paroles ne manquent pas de beauté : « Non, mais nous retournerons avec toi vers ton peuple » (v. 10). Mais il est significatif que seule Ruth mentionne le Dieu de Naomi ; Orpa, quant à elle, se contente de parler de Naomi et du peuple de Naomi. C’est ainsi qu’en dépit de toutes ses protestations, de ses larmes et de ses baisers, elle tourne le dos à Naomi, au Dieu de Naomi et au pays de la bénédiction, pour revenir à « son peuple », à « ses dieux », et au pays de l’ombre de la mort.

IV

Combien différente est l’histoire de Ruth ! Cette jeune femme va être le témoin de la grâce de Dieu. Comme Orpa, Ruth fait une profession remarquable. Elle exprime elle aussi de belles paroles, et se montre tout aussi émue que sa belle-sœur, car elle élève sa voix et pleure avec elle. Mais chez Ruth, il y a plus. En elle se trouvent les « choses… qui tiennent au salut », la foi, l’amour et l’espérance (Héb. 6, 9-12).

Chez Orpa, l’amour se réduit à une simple manifestation extérieure d’affection. Elle peut embrasser Naomi pour prendre congé d’elle tout comme plus tard Judas donnerait un baiser au Seigneur pour Le trahir. La Bible ne nous dit pas que Ruth embrasse sa belle-mère ; mais si l’expression extérieure fait défaut, la réalité n’en est pas moins là, car il nous est dit que « Ruth s’attacha à elle » (v. 14). L’amour réel ne peut renoncer à son objet, et la compagnie de la personne aimée lui est indispensable. C’est pourquoi Ruth ajoute : « Ne me prie pas de te laisser, pour que je m’en retourne d’avec toi » (v. 16).

En outre, la foi de Ruth est à la hauteur de ses affections. L’énergie de la foi la rend capable de vaincre l’attrait exercé par son pays natal, la maison de sa mère, son peuple et ses dieux. Ruth emprunte délibérément le chemin du pèlerin, puisqu’elle déclare : « où tu iras, j’irai ». Elle accepte de subir le sort de l’étranger, en disant : « où tu demeureras, je demeurerai ». Elle s’identifie au peuple de Dieu par ces mots : « ton peuple sera mon peuple ». Finalement, et surtout, elle met sa confiance dans le vrai Dieu, car non seulement elle fait sien le peuple de Naomi, mais elle ajoute : « ton Dieu sera mon Dieu ». Même la mort ne peut la faire revenir en arrière, puisqu’elle s’exclame : « Là où tu mourras, je mourrai et j’y serai enterrée ». Dans la mort comme dans la vie, elle s’identifie à Naomi, et revendique par conséquent pour elle-même le peuple et le Dieu de Naomi. Et tout cela quand, à vue humaine, elle n’avait devant elle qu’une vieille femme brisée. Comme quelqu’un l’a dit, Ruth a uni sa destinée à celle de Naomi « à l’heure de son veuvage, de son exil et de sa pauvreté ».

Pour l’homme avisé de ce monde, le choix de Ruth est insensé. Quitter les aises de Moab, la douceur de son foyer et son pays natal, pour entreprendre un voyage à travers de sauvages contrées dont on ignore tout, pour gagner un pays qu’on n’a jamais vu, avec pour seule compagnie une veuve indigente, semble être le comble de la folie. Mais ce n’est là que le début de l’histoire. La fin ne peut être discernée à ce stade. Ce que Ruth va devenir n’est pas « encore manifesté » (cf. 1 Jean 3, 2). La foi peut être conduite à faire son premier pas dans un contexte de faiblesse et d’indigence, mais à la fin elle sera justifiée, et recevra sa brillante récompense, dans des circonstances de puissance et de gloire. Au début de notre récit, Ruth s’identifie de tout cœur à une femme âgée et désolée ; à la fin, elle est présentée à tous comme l’épouse du puissant Boaz ; plus encore, son nom, enchâssé dans la généalogie du Seigneur, sera transmis à toutes les générations futures.

À son époque, Moïse, doté de tous les avantages que la nature peut conférer, avec toutes les gloires du monde à sa portée, avait été lui aussi un brillant exemple de cette même foi. Tournant le dos aux délices du péché et à l’opulence des pharaons, « estimant l’opprobre du Christ un plus grand trésor que les richesses de l’Égypte », il avait quitté le monde et toutes ses gloires pour se retrouver dans le désert avec un peuple pauvre et souffrant. Quelle folie aux yeux du monde ! Mais la foi pouvait vraiment dire à ce moment-là : « ce qu’il sera n’a pas encore été manifesté ». La foi doit attendre seize siècles avant d’avoir un premier aperçu de ce que sera Moïse : c’est alors qu’il lui est permis de voir ce serviteur de Dieu apparaître en gloire sur la montagne de la transfiguration en compagnie du Fils de l’homme — vision éphémère d’une gloire qui ne passera jamais. Et lorsque enfin Moïse entrera dans les gloires du royaume à venir en compagnie du Roi des rois, alors il sera évident à tous que les gloires du monde refusées par lui étaient bien dérisoires comparées au poids éternel de gloire qu’il aura obtenu.

Il n’en est pas autrement aujourd’hui. Le chemin de la foi peut sembler le comble de l’inconscience aux yeux de ce monde. Refuser la gloire qu’il nous offre, s’identifier au peuple de Dieu pauvre et méprisé, sortir vers Christ hors du camp, portant Son opprobre, peut paraître à la raison humaine, à la vue naturelle, de la pure folie. Mais la foi répète : « Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ». La foi estime que « notre légère tribulation d’un moment opère pour nous, en mesure surabondante, un poids éternel de gloire » (2 Cor. 4, 17). Et la foi recevra sa récompense, car lorsque enfin poindra le jour de la gloire, et que la foi sera changée en vue, lorsque le grand jour des noces de l’Agneau sera venu, alors Ses saints, aujourd’hui pauvres et méprisés, paraîtront avec Lui et semblables à Lui, comme « l’épouse, la femme de l’Agneau ».

De plus, si les choses qui tiennent au salut — la foi, l’amour et l’espérance — sont actives en nous, il en résultera une profonde résolution dans nos cœurs. Il en était ainsi de Ruth. Sans égard pour le pays qu’elle quittait, libre de tout vain regret, elle était « résolue » d’aller avec Naomi. C’est ainsi qu’elles « marchèrent les deux jusqu’à ce qu’elles arrivèrent à Bethléhem ». Quel bénéfice pour nous si à notre tour, animés par la foi, l’amour et l’espérance, nous oublions les choses qui sont derrière et tendons avec effort vers celles qui sont devant, pour courir droit au but pour le prix de l’appel céleste de Dieu dans le Christ Jésus.

V

Cette partie de l’histoire de Ruth se termine tout naturellement sur l’accueil de l’âme restaurée. Nous avons vu comment l’amertume empoisonne le sentier du cœur égaré, et comment le Seigneur le restaure dans Sa grâce. Il nous faut apprendre maintenant que la juste réponse à un travail de restauration opéré par le Seigneur est la réception de l’âme restaurée au sein du peuple de Dieu. Leurs faces dirigées vers le pays et le peuple de l’Éternel, la croyante restaurée et la jeune convertie poursuivirent leur route « jusqu’à ce qu’elles arrivèrent à Bethléhem ». « Et il arriva que, comme elles entraient dans Bethléhem, toute la ville s’émut à leur sujet ». Hélas ! nous devons reconnaître qu’il y a aujourd’hui peu de puissance de restauration parmi nous ; la raison ne serait-elle pas que nous manquons de compassion envers ceux qui tombent ? Un saint peut chuter, le mal être jugé, et le coupable traité comme il convient, sans que nous soyons « émus » à son sujet, de sorte qu’il est bien rare que l’âme égarée retrouve sa place parmi le peuple de Dieu. Le monde est rempli de cœurs tristes et brisés, de chrétiens en errance ; combien peu souvent ils sont restaurés et combien peu souvent nous sommes émus à leur sujet !

Rien ne peut mieux parfaire le travail de restauration dans une âme que la compassion des saints. Tel fut le cas pour Naomi. L’amour avec lequel elle fut reçue permit à son cœur de s’ouvrir et d’exprimer une confession remarquable, qui atteste de la réalité de sa restauration.

1. Elle reconnaît que le Seigneur ne l’a jamais abandonnée, quels qu’aient été ses manquements. À propos de ses années d’égarement, elle confesse que le Tout-puissant l’a remplie d’amertume, admettant par là implicitement qu’Il n’a cessé de s’occuper d’elle. Nous pouvons cesser de nous soucier de Dieu, mais Lui nous aime trop pour ne plus s’occuper de nous. Et c’est heureux ainsi, car comme nous dit l’apôtre : « Vous endurez des peines comme discipline : Dieu agit envers vous comme envers des fils… Mais si vous êtes sans la discipline à laquelle tous participent, alors vous êtes des bâtards et non pas des fils » (Héb. 12, 7, 8).

2. Par cette confession, Naomi montre encore que si le Seigneur s’occupe des siens égarés, Sa manière d’agir sera ressentie comme très amère. L’apôtre nous le rappelle aussi : « Or aucune discipline, pour le présent, ne semble être un sujet de joie, mais de tristesse » (Héb. 12, 11).

3. Il faut ensuite relever la belle attitude de Naomi, qui prend sur elle toute la responsabilité de son égarement. Elle déclare : « Je m’en allai… ». Au début du chapitre, nous avions pourtant lu : « un homme s’en alla de Bethléhem de Juda, pour séjourner aux champs de Moab ». Naomi ne fait aucun reproche à son mari. Elle ne rejette pas la faute sur autrui pour s’excuser elle-même.

4. Si d’une part Naomi endosse l’entière responsabilité de son éloignement, d’autre part, elle attribue à juste titre tout le crédit de sa restauration à l’Éternel. Elle peut dire : « l’Éternel me ramène ». C’est moi qui suis partie, mais c’est l’Éternel qui me ramène. Dans un état d’esprit similaire, David peut déclarer au psaume 23, verset 3 : « Il restaure mon âme ». Il peut y avoir des moments où, enflés de propre suffisance et de confiance en nous-mêmes, nous pensons pouvoir revenir au Seigneur quand bon nous semblera ; mais en réalité, pas une âme égarée ne reviendrait jamais au Seigneur s’Il ne prenait l’initiative de la restaurer. C’est la prière du Seigneur en faveur de Pierre avant qu’il ne tombe, et le regard du Seigneur au moment de sa faute, qui ont brisé le cœur du disciple et conduit à sa restauration. Pierre avait suivi de loin, puis Pierre avait chuté ; mais c’est le Seigneur qui l’a ramené.

5. De plus, Naomi ne dit pas simplement que l’Éternel l’a ramenée, mais qu’Il l’a ramenée, ou fait revenir, « à la maison »[1]. Lorsque le Seigneur restaure une âme, Il la ramène toujours à la chaleur et à l’amour du cercle familial. Que fait le Berger une fois qu’Il a retrouvé la brebis perdue ? Il la ramène dans Sa propre maison. Il nous semble l’entendre dire : « Rien de moindre ne saurait convenir à ma brebis ».

6. De manière touchante, Naomi doit reconnaître encore que si l’Éternel l’a fait revenir à la maison, Il l’a ramenée « à vide ». Aussi longtemps que nous sommes éloignés du Seigneur, nous ne faisons aucun progrès spirituel. Le Seigneur peut très bien, dans Sa discipline, nous dépouiller de nombreuses choses qui empêchent nos âmes de progresser. Faisant écho à Naomi, nous avons à confesser : « Je m’en allai comblée, et l’Éternel me ramène à vide ». Comme tous ceux qui s’éloignent, Naomi doit goûter à la souffrance. C’est vrai, elle connaît une restauration bénie, elle revient à la maison, au peuple et au pays de l’Éternel ; mais elle ne retrouvera jamais son mari et ses fils. Ils s’en sont allés pour toujours. Elle avait recherché ses aises et voulu éviter les luttes et les exercices, mais elle n’a trouvé que la mort et le dépouillement. Elle est ramenée à vide.

7. Mais si le Seigneur nous ramène à vide, Il veut nous faire revenir dans un lieu d’abondance. Ainsi, c’était le « commencement de la moisson des orges » lorsque Naomi revint à Bethléhem.

Quelle consolation pour nos cœurs de savoir que si nous manquons de compassions les uns pour les autres, le Seigneur ne fait jamais défaut. Dans peu de temps, le Seigneur ramènera Ses pauvres brebis égarées à la maison, et il n’en manquera aucune. Alors, dans l’amour de la maison éternelle, nous jouirons de la moisson céleste — ce sera le « commencement » d’une moisson de joie et de bénédiction qui ne prendra jamais fin.



  1. D’après la version anglaise de J.N. Darby.