Traité:La force

De mipe
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H. Rossier

Il arrive souvent, dans notre vie chrétienne, qu’après avoir éprouvé les effets de la force de Dieu avec nous, soit dans nos circonstances journalières, soit dans l’exercice de notre ministère, nous traversions des temps d’incapacité et de faiblesse. Ceux qui n’ont jamais fait l’expérience de la force divine ou n’en ont joui qu’à de rares intervalles, se préoccupent médiocrement de son absence. Ils poursuivent le train ordinaire de leur vie, correcte peut-être dans leurs habitudes chrétiennes et donnant par leur conduite peu de prise aux reproches de frères plus spirituels qu’eux. Comme ils ne se préoccupent d’habitude ni de leur force ni de leur faiblesse, parce que leurs pensées se meuvent parmi les choses de la terre, ils souffrent peu. Occupés à faire leur chemin dans le monde, ils sentent peu le besoin des choses d’en haut et se contentent généralement de faire appel à la force de l’homme pour réussir et faire aboutir leurs desseins. Ceux qui ont joui parfois de la force qui est en Dieu ne peuvent se contenter si aisément et se contenteront toujours moins s’ils en ont souvent fait l’expérience. Ils se demanderont pourquoi cette lassitude morale, cette sécheresse spirituelle et ce qui a bien pu la causer, avec d’autant plus d’angoisse que leurs cœurs sont familiers avec la force qui est en Dieu. En plus d’un cas ils auront conscience de quelque faute qui a interrompu la communion et les a séparés de la source où ils puisaient la force. Ils ne peuvent plus dire : « Bienheureux celui dont la force est en toi ! » parce que leur faute les a éloignés de la « fontaine de vie » qui est en Christ. Qu’ont-ils à faire en cas pareil ? — Venir au Père pour confesser leurs péchés. « Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute iniquité ». Quelle assurance cela donne ! Il est fidèle aux promesses qu’Il nous a faites et n’y manquera jamais ! Il est juste envers Celui qui a accompli l’œuvre de notre rédemption ! Nous avons la certitude d’un pardon basé sur Sa fidélité et Sa justice, mais, plus encore que cela, d’une purification si absolue que la communion avec Dieu est retrouvée et par conséquent notre force rétablie en son entier.

Cependant il n’en est pas toujours ainsi. Dans bien des cas, tout en sentant le malaise et la faiblesse spirituelle, le chrétien, n’ayant pas conscience d’un manquement spécial, ne saurait immédiatement découvrir la cause de son état. Dans ce cas, sa seule ressource est de s’adresser à Dieu qui ne manquera pas de l’éclairer. « Sonde-moi », dira-t-il, « ô Dieu ! et connais mon cœur ; éprouve-moi, et connais mes pensées. Et regarde s’il y a en moi quelque voie de chagrin, et conduis-moi dans la voie éternelle » (Ps. 139, 23-24). Alors Dieu répondra certainement à sa demande ; il sera amené au jugement de lui-même, jugement bien plus profond que celui de ses fautes, et son pied se tiendra de nouveau au « chemin uni » où il aura retrouvé la force qui est en Dieu (Ps. 26, 12 ; 84, 5).

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S’agit-il des principes essentiels qui sont à la base du manque de force chez le chrétien, la Parole de Dieu désigne clairement ce qui nous en prive. Deux choses dans ce monde sont pour nous une cause de faiblesse absolue : « l’orgueil de la vie » et « les convoitises ». Ces choses, à elles seules, résument tout ce que le monde contient pour nous d’occasions de chute et notre danger constant est de nous laisser gagner par elles.

Quant à l’orgueil, n’oublions pas qu’il est abominable aux yeux de Dieu qui dit : « Je hais l’orgueil et la hauteur » ; « Dieu résiste aux orgueilleux » ; « Il est puissant pour abaisser ceux qui marchent avec orgueil » ; « l’orgueil va devant la ruine ». L’orgueil est le caractère de Satan, de l’Antichrist, enfin de l’homme qui considère comme « un objet à ravir d’être égal à Dieu ». Ainsi aucun péché n’est plus foncièrement puni. Dieu écrase tout ce qui s’élève contre Lui ; Christ brise la tête du serpent ; Dieu brisera bientôt Satan sous nos pieds. Cet orgueil, on le rencontre partout dans les milieux qui sont étrangers à Dieu. Laodicée, se fiant à sa propre force, dit dans son orgueil : « Je n’ai besoin de rien » quand elle est « misérable, pauvre, aveugle et nue ». Aussi est-elle vomie de la bouche de Christ (Apoc. 3, 16-17).

Pour le chrétien, l’orgueil revêt un caractère beaucoup moins accentué que pour le monde, parce qu’un enfant de Dieu a la connaissance de la grâce et que la grâce humilie l’homme naturel. On ne pourrait dire du chrétien : « L’orgueil l’entoure comme un collier » (Ps. 73, 6), mais le fait que l’orgueil est atténué le rend d’autant plus dangereux pour l’enfant de Dieu, car il prend facilement le caractère subtil de satisfaction de soi-même. Le chrétien orgueilleux s’estime supérieur à ses frères ; il se donne de l’importance, que ce soit dans son ministère, que ce soit au milieu de l’assemblée chrétienne dont il a, pour ainsi dire, fait son monde. Souvent cet orgueil revêtira chez le chrétien les formes les plus humbles ; mais toujours il attribuera, plus ou moins, à sa valeur personnelle les dons qu’il a reçus du Seigneur ; une critique est pour lui un outrage ; une louange un dû. Il ne ressemble guère à ce frère éminent par ses dons et bien connu pour son humilité qui répondait à une louange féminine exaltée au sujet d’une de ses méditations : « Ce que vous me dites, Satan me l’avait déjà soufflé à l’oreille ».

Quand cette satisfaction de soi-même se rencontre chez le chrétien, il ne saurait dire : « Bienheureux l’homme dont la force est en toi ! ». De plus, l’importance qu’il s’attribue le conduit nécessairement à une chute. Pierre en est un exemple. Son énergie était mêlée de confiance en lui-même et par conséquent du sentiment de sa supériorité sur ses frères : « Si tous étaient scandalisés en toi, moi, je ne serai jamais scandalisé en toi ». « Je laisserai ma vie pour toi ». Alors Dieu permet que toute l’importance qu’il s’attribue s’effondre devant une remarque faite par une simple servante !

Même les plus grands saints sont en danger d’orgueil. Paul aurait pu s’enorgueillir à cause de l’extraordinaire des révélations qui lui étaient faites. Aussi le Seigneur exerce envers Son serviteur une discipline préventive : « un ange de Satan pour le souffleter ». Le voilà humilié ! « Ma grâce te suffit », dit le Seigneur, « ma puissance s’accomplit dans l’infirmité ». Maintenant l’apôtre est capable de dire : « Bienheureux l’homme dont la force est en toi ! » ou bien, comme il s’exprime en 2 Corinthiens 12 : « Je me glorifierai dans mes infirmités, afin que la puissance de Christ demeure sur moi ». Où est désormais pour lui le danger d’orgueil ? « Je suis moins », dit-il, « que le moindre de tous les saints ». S’il est « dans la faiblesse » parmi les saints, il y est aussi en « démonstration de puissance ». — Toujours la force sort de l’humilité ou de l’humiliation, jamais de l’orgueil, sous quelque forme qu’il se manifeste. Gédéon se dit le plus petit de la maison de son père. « Va avec la force que tu as », lui dit l’ange de l’Éternel ; « elle est en moi pour toi ». « Bienheureux », peut-il dire, « l’homme dont la force est en toi ! ». — Jérémie dit : « Ah ! Seigneur Éternel ! voici, je ne sais pas parler ; car je suis un enfant ». L’Éternel répond : « Je t’établis aujourd’hui comme une ville forte et comme une colonne de fer, et comme des murailles d’airain… ils combattront contre toi, mais ils ne prévaudront pas sur toi, car moi je suis avec toi ». L’orgueil nous affaiblit ; dans l’humiliation nous apprenons que la force est en Lui, mais nous apprenons en même temps qu’elle est en Lui pour nous. Alors nous puisons librement à cette source inépuisable : « Ils marchent de force en force pour paraître devant Dieu en Sion ».

L’Écriture abonde en expressions de joie pour ceux qui ont trouvé la force en Lui : « Jah est ma force et mon cantique ». « Tu as guidé ce peuple par ta force jusqu’à la demeure de ta sainteté » (Ex. 15, 2, 13). « Éternel, le roi se réjouira en ta force » (Ps. 21, 1). « L’Éternel est ma force ; l’Éternel est leur force » (Ps. 28, 7, 8). « Dieu est notre refuge et notre force » (Ps. 46, 1). « Le rocher de ma force est en Dieu » (Ps. 62, 7). « Ton Dieu a commandé ta force. Établis en force, ô Dieu, ce que tu as fait pour nous ». « Attribuez la force à Dieu ». Dieu « la donne à son peuple » (Ps. 68, 28, 34, 35). Cette force est en Christ, comme elle est en Dieu (Ps. 110, 2).

Comme nous l’avons dit, l’orgueil s’attribue toujours la force, qu’il s’agisse du monde ou du chrétien ; seulement, chez ce dernier, l’orgueil est infiniment plus haïssable. Cela se voit dans la prédication. La force de l’Esprit de Dieu s’est-elle manifestée en nous, tout de suite notre chair s’élève et attribue à ses dons naturels tout ou partie des résultats obtenus. Qu’arrive-t-il alors ? Dieu retient la bénédiction ; et, l’Esprit étant frustré, Son travail reste sans fruit. Il se peut aussi que Dieu ne permette pas, en usant d’une mesure préventive contre notre orgueil, que nous remportions le fruit de notre travail, et qu’Il confie la récolte à d’autres. Quand Samson est avec l’Éternel, il tue et déchire le lion, et de ce combat sort le rayon de miel qu’il prend dans ses mains et mange en chemin, en sorte qu’il goûte du fruit de sa victoire. Quand la force de Dieu l’abandonne, il est plus faible qu’une femme et devient la proie de ses ennemis ; quand, enfin, par la miséricorde de Dieu et sous l’affliction, la force lui revient, il brise les colonnes du temple de Dagon.

Les convoitises sont la seconde chose qui nous prive de la force. Le chrétien ne se laisse que trop souvent gagner par les diverses séductions du monde. Elles pénètrent en lui par les yeux ou par les besoins tyranniques de la chair qui veut être satisfaite. Toutes ces convoitises sont multiples et Satan sait les adapter aux penchants de chacune de ses victimes. Ce qui tente l’un sera très indifférent à l’autre. Chaque chrétien est donc obligé de veiller sur soi-même. Telle convoitise grossière soulèvera son indignation, tandis qu’il aura laissé telle autre convoitise subtile, à laquelle le monde donnerait peut-être des titres de noblesse, s’insinuer dans son cœur et y établir finalement son domicile. Il serait impossible d’énumérer les convoitises, car elles embrassent le monde tout entier et la Parole nous dit à leur sujet : « Tout ce qui est dans le monde » (1 Jean 2, 16). Samson se laisse enlacer par Delila et lui livre le secret de sa force ; le roi Lemuel est mis en garde de ne pas « donner sa force aux femmes » (Prov. 31, 3). D’autres sont « forts pour boire du vin » (És. 5, 22) ; d’autres se laissent séduire par les richesses ; d’autres convoitent la science qui fut, avec l’orgueil, le péché méprisable du premier homme. Mais ne poussons pas plus loin cette énumération. Que chacun de nous dise : « Sonde-moi », afin d’être à même d’éliminer journellement de sa vie chrétienne toute cause de faiblesse pour jouir sans interruption de la force qui est en Dieu.

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La force du serviteur de Christ, qu’il puise continuellement à la source, ressemble à l’électricité par laquelle aujourd’hui de si grands résultats sont obtenus. Une usine centrale produit cette force et les fils conducteurs la transmettent. Quand ces fils subissent une détérioration, la courant est interrompu sans que pour cela la puissance de l’usine soit diminuée. Ceux qui, par le moyen des fils, reçoivent la lumière ou l’énergie ne s’aperçoivent de cette détérioration que lorsqu’ils sont subitement plongés dans la nuit ou que leurs machines cessent de fonctionner. Souvent le serviteur lui-même est le dernier à s’apercevoir de cette interruption. Il peut comme Samson avoir perdu sa force sans savoir que depuis longtemps « l’Éternel s’est retiré de lui ». Combien donc il est nécessaire de veiller continuellement sur nous-mêmes pour que l’ennemi ne s’empare pas de nous par ses ruses !

Mais, outre la force qui est en Dieu et à laquelle nous avons continuellement à puiser, il est encore, comme nous l’avons dit plus haut, une force que Dieu donne et dont nous avons à faire provision[1]. Nous sommes engagés ici-bas dans une marche qui doit nous conduite à un but déterminé ; dans un travail qui a pour objet la maison de Dieu ; et dans un combat qui doit nous faire surmonter les obstacles que l’ennemi nous oppose. Or Dieu nous donne une provision de force pour l’une ou l’autre de ces alternatives et souvent pour deux à la fois. Le pauvre résidu de Juda sous Néhémie, avait dans une main truelle et marteau pour bâtir la muraille, tandis que l’autre tenait une arme. Abraham s’appuyait d’une main sur le bâton du pèlerin et de l’autre tenait l’épée qui remporta la victoire sur les rois. Caleb persévérait à marcher (Dieu veillant à sa chaussure), aussi dispos à la fin qu’au commencement du voyage, aussi prêt à combattre pour s’emparer de Hébron que pour traverser le désert. Je suis, dit-il, « encore aujourd’hui fort comme le jour où Moïse m’envoya ; telle que ma force était alors, telle ma force est maintenant pour la guerre, et pour sortir et entrer » (Jos. 14, 11).

La force donnée au croyant est susceptible d’augmenter, de rester stationnaire, ou de diminuer, suivant qu’il néglige de renouveler ses provisions, ou laisse son épée s’émousser pour ne pas en avoir aiguisé le tranchant (Eccl. 10, 10). Dans ce cas il retrouvera sa force par l’humiliation et par la méditation assidue de la Parole de Dieu.

L’état normal, et pourtant, hélas ! si peu fréquent, du chrétien, est de « marcher de force en force ». Nous avons vu ce qu’il faut pour réaliser cela : rester en rapport continuel avec la source de la force, « se conserver pur du monde », persévérer dans le service, la marche et le combat de la foi. Ajoutons qu’une dernière chose est encore nécessaire : « Avoir les chemins frayés dans son cœur » (Ps. 84, 5). Le chrétien rencontre constamment des sentiers qui l’égarent sous prétexte de lui éviter de la fatigue, de lui raccourcir la route, ou de lui rendre le voyage plus agréable. Tels sont les chemins du monde dont ceux qui en reviennent peuvent dire : « Nous nous sommes tournés chacun vers son propre chemin ». On perd toute force à suivre des chemins non frayés. Il y a dans nos montagnes un sentier que l’on a nommé « le tombeau des étrangers ». Il paraît, à première vue, beaucoup plus attrayant que le chemin ordinaire. Malheur à celui qui s’y engage ! Ce sentier conduit au précipice. Les avertissements n’ont pas manqué à ces malheureux égarés. Chaque année une nouvelle catastrophe vient avertir les grimpeurs téméraires du danger de n’avoir pas eu à cœur les chemins frayés.

Les chemins de Dieu sont les chemins frayés. On y reconnaît les pas des fidèles qui montent à la maison de Dieu pour célébrer les « fêtes solennelles ». Ce sont les chemins du sanctuaire. Les pèlerins s’y encouragent mutuellement à atteindre le but. Quand le cœur est aux chemins frayés on ne perd pas ses forces. L’espérance les soutient. On peut rencontrer une vallée de Baca à traverser ; les pèlerins s’y engagent sans crainte, car ils y reconnaissent le chemin frayé que d’autres ont suivi avant eux et qui les a conduits au but. Ne craignons pas les chemins frayés, chemins de bonheur et de joie, dans lesquels nos forces s’accroissent, au lieu de diminuer à mesure que nous en faisons usage ! Ces chemins aboutissent à la maison de l’Éternel sur la montagne de Sion, sur la montagne, siège de la grâce et de la puissance royale de notre Seigneur Jésus Christ !



  1. Le mot hébreu employé pour la force qui est en Dieu (Oz) (Ps. 84, 5) diffère de celui qui est employé pour la force que Dieu donne (Chayil) (Ps. 84, 7). Il en est de même en d’autres passages : Au psaume 93, 1, Dieu s’est ceint de force (Oz). Au psaume 18, 32, 39, Dieu me ceint de force (Chayil). Au psaume 78, 61, « Dieu livra à la captivité sa force » (Oz). De même au psaume 132, 8, « l’arche de ta force » (Oz). Au psaume 86, 16, « Il donne sa force à son serviteur » (Chayil).