Traité:L’évangélisation actuelle
Lettre à un frèreH. Rossier
- Cher frère,
Après avoir pris connaissance de ma lettre sur « la cène et la table du Seigneur », destinée à combattre certaines vues relâchées qui ont été émises parmi nous, vous m’écrivez avec raison que dans notre jeune génération actuelle il y a tendance d’aller d’une exagération à l’autre, comme un pendule avant d’arriver à l’équilibre.
Je ne doute pas de la justesse de votre remarque ; cependant je voudrais y ajouter ceci : Il y a sans doute des cas où, ayant à combattre un principe étroit et dangereux, on est obligé de mettre beaucoup de poids et d’accent sur un autre principe juste qui le condamne. Combien de fois n’avons-nous pas été obligés de combattre le légalisme qui insistait sur la responsabilité, en insistant, à notre tour, sur la grâce qui abolit la responsabilité légale. Quoique ce jeu de contrepoids ait ses dangers, il est cependant légitime, seulement il exige beaucoup de sagesse, de modération et d’équilibre doctrinal. Mais ce n’est point de cela qu’il s’agit dans le cas dont nous parlons, où nous voyons combattre une erreur d’étroitesse par une erreur de relâchement. Agir ainsi, c’est se condamner à ne jamais retrouver son équilibre, tandis que la Parole de Dieu toute seule nous le fait trouver et maintenir d’emblée, sans que nous ayons besoin d’osciller comme un pendule. Nous ne sommes pas excusables de ne pas chercher immédiatement dans les Écritures l’aimant qui fixe l’aiguille de notre boussole. Et, remarquez-le, tout relâchement quant aux principes élémentaires du témoignage chrétien nous associe de nouveau aux principes de ce présent siècle mauvais dont la grâce nous avait retirés. Le fait est que l’ardeur de la combativité et le désir de triompher d’un adversaire semblent avoir parfois plus d’importance que l’humble dépendance de la Parole de Dieu.
Vous invoquez, avec beaucoup d’amour, comme excuse à cet état de choses, le grand zèle qui pousse les jeunes chrétiens à l’évangélisation. Permettez-moi de vous rappeler votre phrase à ce sujet :
« Toutes ces questions sont à l’ordre du jour parce que nous sommes entourés de chrétiens fervents et dévoués de toutes les nuances, ecclésiastique ou autres, et ils sont très nombreux. En outre, les barrières qui ont existé disparaissent à mesure, parce que les efforts communs pour répandre l’évangile — plus nécessaires que jamais dans ces temps de déclin — rapprochent des enfants de Dieu qui se sont peu (ou point) connus auparavant ».
Cette phrase pose très clairement et nettement le sujet dont j’ai à cœur de vous entretenir — mais avant de l’aborder, je me permets une remarque.
Vous dites que les barrières qui existaient disparaissent à mesure et vous attribuez ce résultat aux efforts communs pour répandre l’évangile. Je vous étonnerai peut-être en disant que si telle était la cause de ce rapprochement, très réel du reste, je le regretterais sincèrement, car c’est une toute autre cause qui me semble l’avoir provoqué autour de moi : Instruits par d’humiliantes expériences, suite de leur confiance en eux-mêmes, bon nombre de frères ont compris qu’une soi-disant supériorité, acquise par une connaissance plus exacte des Écritures, ne valait pas autant que la fidélité pratique de leurs frères, associés aux systèmes religieux actuels. Si ce n’est pas cela qui leur a fait rechercher la communion de leurs frères, tout en désirant les voir affranchis, j’estimerais les frères dont vous parlez, bien à plaindre. Le fait est que, dans le cercle relativement restreint où il m’est donné d’agir, c’est — je le constate avec joie — la vraie humiliation quant à notre état, qui nous a fait chercher à réaliser davantage l’unité de l’Esprit avec nos frères, où qu’ils se trouvent, qui a gagné les cœurs de plusieurs d’entre eux et leur a fait apprécier en quelque mesure la valeur de la vérité que nous avons à leur présenter. De là à nous placer sur leur terrain, il y a une distance immense.
C’est cependant cette distance que cherche à supprimer une jeune génération, préoccupée exclusivement de l’évangélisation et pensant qu’il est bon que « les barrières qui ont existé disparaissent ». Ces jeunes chrétiens ne voient pas qu’en parlant ainsi d’ôter les barrières, ils entrent dans un chemin de relâchement et d’indifférence à la vérité. Les barrières qui doivent tomber, ou qui plutôt n’auraient jamais dû exister, c’est le manque d’amour, l’orgueil spirituel, l’étroitesse sectaire, le sentiment de sa supériorité et l’esprit agressif qui en résulte — les barrières qui doivent subsister, c’est l’obéissance à la Parole et l’humble dépendance des Écritures, qui nous séparent des fausses doctrines, d’un enseignement déshonorant pour le nom de Christ, de la négation pratique du Saint Esprit, du cléricalisme sous toutes ses formes, du mélange de la famille de Dieu avec le monde. N’est-ce pas, cher frère, vous ne voudriez pas faire tomber ces barrières-là ?
Quand nous nous trouvons en rapport avec « des chrétiens fervents et dévoués de toutes nuances, ecclésiastique ou autres », tout notre cœur se porte vers eux ; nous nous appliquons, à leur insu peut-être, à garder avec eux l’unité de l’Esprit, les traitant comme faisant partie du même corps et basant sur ce fait toutes nos relations avec eux en toute humilité et douceur, dans le lien de la paix. C’est là l’unité de l’Esprit, si souvent invoquée aujourd’hui par des chrétiens qui en ignorent absolument le sens et la portée.
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Tout cela, cher frère, m’amène au sujet que j’ai depuis longtemps sur le cœur, celui de l’évangélisation, auquel votre phrase servira de thème.
Nous avons donc bien établi, me semble-t-il, que les barrières qui nous séparent des diverses sectes de la chrétienté doivent exister sans porter atteinte à l’amour, inséparable de la vérité dans les relations fraternelles. Or c’est sur ce terrain de l’évangélisation que je vois la jeune génération ne pas tenir compte des barrières nécessaires dont je parle. Certes je me réjouirais s’il ne s’agissait que de rapports fraternels et d’une large reconnaissance des heureux résultats du dévouement et de la fidélité de frères dont nous sommes séparés par notre témoignage. Mais il n’en est point ainsi, et je chercherai à le prouver. Je prétends que le déclin — notez-le bien, j’insiste particulièrement là-dessus — se montre aussi bien aujourd’hui dans la manière d’évangéliser que dans l’abandon des principes élémentaires du rassemblement des enfants de Dieu.
Que le Seigneur, quels que soient Ses instruments, agisse d’une manière toute spéciale dans ces temps de la fin pour amener des âmes à la connaissance de l’évangile et pour rassembler Ses bien-aimés en vue de la prochaine venue de Christ, cela est incontestable et cela remplit de joie tout cœur attaché à Christ et à Son Église. Cependant j’ai quelque scrupule à exprimer cette vérité avec vos paroles : « Que les efforts communs pour répandre l’évangile sont plus nécessaires que jamais dans ces temps de ruine ». Il s’agit ici beaucoup moins de nos efforts et surtout de nos efforts communs avec ceux dont notre marche nous sépare, que de l’action du Seigneur Lui-même en vue de rassembler les âmes pour Sa venue. C’est ce dernier caractère de l’évangélisation sur lequel nous ne pouvons assez insister. Il est un des traits particuliers du témoignage de Philadelphie, et partout où se rencontreront de vrais philadelphiens, ils verront, dans leur extrême faiblesse, se réaliser cette parole encourageante du Seigneur : « Voici, j’ai mis devant toi une porte ouverte ». Mais souvenons-nous que la porte ouverte est un seul des traits composant l’ensemble de ceux qui caractérisent Philadelphie. Philadelphie a peu de force, elle a gardé la parole du Véritable, elle n’a pas renié le nom du Saint. Et plus encore, elle a son point de départ et sa raison d’être dans son nom même : « l’amour des frères » ; enfin elle attend le Seigneur. Partout où je rencontre ces caractères réunis, même chez des chrétiens isolés, je reconnais des philadelphiens et je compte pour eux sur la « porte ouverte ». Remarquez qu’il ne s’agit pas là, comme vous le dites, « d’efforts en commun », mais d’un état moral qui conduit à ce résultat, parce que, Philadelphie ayant peu de force, le Seigneur se met à sa disposition, comme Celui qui a « la clef de David ». Il est peut-être bon d’ajouter que lorsque ces fidèles réalisent ces caractères, tôt où tard « la synagogue de Satan » les désavoue et les rejette.
Une telle position est très humble, mais très bénie par le fait que l’œuvre provient directement du Seigneur. Sans doute ce n’est plus la réalisation de ce qui se montra au commencement de l’Église, dans ses jours de jeunesse et de force : Tenant ferme « dans un seul et même esprit, combattant ensemble d’une même âme » (Phil. 1, 27, 28). Cependant cette réalisation commune peut avoir lieu, quoique bien plus partiellement qu’autrefois, du moment que le caractère philadelphien des individus les a réunis dans un même témoignage.
Maintenant, je vous demande si c’est là le simple et heureux tableau que nous avons actuellement sous les yeux ? Ce tableau ressemble-t-il même en aucune façon à l’évangélisation de Pierre, de Paul et de leurs compagnons ? La manière dont ces derniers procédaient (car ce n’est pas du sujet de l’évangile que je parle ici) en diffère du tout au tout. Mais interrogeons d’abord les Écritures, pour nous en rendre compte.
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Au commencement de la prédication de l’évangile, soit parmi les Juifs, soit parmi les nations, le miracle la précède d’habitude et lui sert pour ainsi dire de thème. Nous laisserons donc ces cas de côté comme différent, pour la manière de procéder, de l’évangélisation actuelle. D’autres cas cependant n’ont pas le même caractère. Si Philippe évangélise les Samaritains sur le pied du miracle, il est aussi envoyé directement par le Seigneur — il est vrai, par un message angélique — auprès de l’eunuque. D’autre part les frères, chassés par la persécution, vont çà et là, évangélisant (Act. 8, 4 ; 11, 19), et ce dernier cas correspondrait davantage à l’évangélisation de nos jours.
La prédication de Paul parmi les nations est bien moins souvent accompagnée du miracle, quoique ce fut par exemple le cas à Lystre. Au chapitre 13, Paul et Barnabas sont envoyés par l’Esprit Saint. Serge Paul demande à entendre la Parole, et le miracle n’a lieu que pour ôter l’obstacle qu’Élymas oppose à l’évangile (Act. 13, 7-12). Le même fait se reproduit à Philippes (Act. 16, 18), mais c’est là que l’on voit aussi, d’une manière bien intéressante, comment l’apôtre procédait dans sa mission. Il séjourne « quelques jours » à Philippes, là, comme du reste en général, sans rien faire que de s’attendre à Dieu. Il se sert des lieux de rassemblement usités pour annoncer la Parole. À Philippes, c’est au bord du fleuve où l’on a coutume de faire la prière ; partout ailleurs dans les synagogues où, « selon sa coutume » il annonce d’abord l’évangile aux Juifs ; à Athènes enfin, dans l’Aréopage quand des curieux l’y mènent. Partout, profitant des coutumes et des circonstances, il accomplit son service sans bruit, s’attendant au Seigneur. À Corinthe, il fait des tentes et discourt dans la synagogue, puis se retire dans la maison de Juste, attendant la manifestation du « grand peuple » que son Maître lui dit avoir dans cette ville. À Éphèse, rejeté par la synagogue, il parle dans l’école de Tyrannus et sépare les disciples, les retirant d’avec les Juifs hostiles et incrédules. Partout nous retrouvons chez lui le calme, exempt de toute agitation et de toute recherche de nouveauté, d’un vrai serviteur tout entier à son affaire, saisissant l’occasion sans la provoquer, mais certain que Dieu la lui fournira. Je ne parle pas de la manière si profondément instructive dont Paul adapte sa prédication au milieu dans lequel il se trouve et aux personnes auxquelles il s’adresse, car je ne veux que faire ressortir ceci : Aucune recherche, aucun moyen humain de publicité, mais une dépendance absolue de la direction divine au milieu de circonstances que Dieu Lui-même a ordonnées ou préparées. Plusieurs jours à ne rien faire, sinon à s’attendre au Seigneur ; simples conversations, vaquer à son travail manuel ; prêcher devant un auditoire restreint ; parfois s’adresser aux foules.
Paul recherche-t-il les foules ? Quand Dieu les lui envoie, comme à Lystre ou à Corinthe, il s’en réjouit et agit en conséquence. Philippe agit de même dans la Samarie, Pierre de même à Jérusalem. Quand Dieu adresse un eunuque à Philippe, un Serge Paul, un Félix, un Agrippa, ou bien une famille comme Lydie et le geôlier, à Paul, comme Corneille et ses voisins à Pierre, tous ces hommes ne souhaitent pas autre chose, ne parlent pas « d’efforts communs à accomplir » pour répandre l’évangile, car pour eux c’est le Seigneur qui l’étend Lui-même. Aucune préparation que ce que Dieu leur prépare.
Tels sont les procédés de l’apôtre. Voyons maintenant l’œuvre en commun, et à qui, pour l’évangélisation, Paul donnait la main d’association. À Barnabas d’abord, spécialement désigné pour ce service par l’Esprit de Dieu. Mais quand Barnabas, cédant à des liens de famille, voulut introduire dans l’action commune « un homme qui n’était pas allé à l’œuvre avec eux », Paul se sépara de lui. Il choisit alors Silas et d’autres compagnons d’œuvre dont le cœur était entier, et en pleine communion avec lui dans le service. Paul était très scrupuleux sur le choix de ceux auxquels il donnait la main d’association ; il pouvait se réjouir de ce que Christ était annoncé, même si ce n’était pas « purement », mais vous le représentez-vous s’associant à ceux qui, tout en prêchant Christ (peut-être avec beaucoup de ferveur et de dévouement), le faisaient par esprit de parti ?
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Je crois en avoir dit assez sur cet important sujet pour montrer comment la Parole l’envisage. Nous allons maintenant examiner les caractères de l’évangélisation actuelle. Mais avant de le faire, je tiens à répéter, en insistant beaucoup sur ce point, que le Seigneur agit où Il veut et comme Il l’entend, et que je n’ai à critiquer ni les instruments qu’Il emploie, ni les résultats qu’il Lui plaît de leur accorder, car ce serait Le critiquer Lui-même. Mais la question ne se pose pas ainsi pour celui qui désire rester fidèle à la Parole. Un frère respecté que l’on cherchait à engager à un « effort commun » dans une œuvre d’évangélisation remarquable répondit par cette courte phrase : « L’Esprit souffle où Il veut, mais moi, je dois obéir ».
Or je vous le demande, trouve-t-on le caractère de cette obéissance dans la manière dont l’évangélisation se pratique aujourd’hui ?
Désirant éviter autant que possible toute accusation de critique, je passerai sous silence toutes les réunions empreintes plus ou moins de principes et de pratiques cléricales. Mais, uniquement dans le but de me faire comprendre, je concentrerai dans un petit tableau les traits épars de ce qui se passe souvent aujourd’hui : Un évangéliste se rend dans une ville. Ses amis louent pour lui une vaste salle. Les journaux locaux annoncent la séance. Des affiches sont posées où il est dit que M. X., car son nom s’y trouve, annoncera l’évangile le soir. Le sujet même y est donné ; le titre accrocheur excite la curiosité. Des cartes d’invitation sont distribuées dans les boîtes aux lettres de toutes les maisons. Les procédés publicitaires, usités pour les spectacles, sont mis en œuvre et transportés dans le domaine des choses de Dieu. Appelez-vous vraiment cela de la ferveur, du dévouement ou de la dépendance de Dieu ? Non, sans doute, n’est-ce pas ? Mais le fait est que le résultat visé est atteint : la salle est comble.
Ce n’est pas tout. Dans le cas que je viens de citer et où aucune influence cléricale ne se fait sentir, une fois l’auditoire réuni, que se passe-t-il ? Le plus souvent une prédication propre à émotionner plutôt qu’à atteindre la conscience. Plusieurs, me direz-vous, n’agissent pas ainsi. Je n’en doute pas, et je ne puis que les recommander à toute la sympathie des vrais enfants de Dieu, mais je décris un état de choses qui appartient à cette méthode et se renouvelle fréquemment. Un cantique chanté en sourdine par un chœur en uniforme et repris par l’assistance. Prière à ceux qui ont « reçu le salut » ce jour-là de lever la main ou de s’avancer. On les compte ; on enregistre aujourd’hui quinze, demain vingt conversions. Émotion qui, comme souvent chez les foules, est communicative. Sur les cent conversions proclamées, au bout de quelques jours, pas une souvent ne reste, et dans tout ce grand mouvement qu’y a-t-il eu pour le Seigneur ? Ah ! combien, dans ce cas, il eût été plus profitable à l’évangéliste d’aller s’asseoir au puits de Sichar, comme son divin Maître ! Et combien, d’autre part, est différente la prédication aux foules, comme nous la voyons dans les Actes, quand c’est la puissance du Saint Esprit qui agit !
Mais, me direz-vous, il faut bien cependant rassembler les âmes. Oui, j’affirme hautement avec vous que cela est nécessaire, mais pas du tout avec les moyens dont je viens de parler. Dans les localités où se trouve une assemblée de chrétiens, ce devoir leur incombe, et c’est de ce côté-là que le zèle, hélas ! fait si souvent défaut d’une manière très humiliante, et que nous pouvons voir un des symptômes affligeants du déclin. Est-ce donc à l’évangéliste d’annoncer qu’il parlera ce soir, ou est-ce que l’assemblée, sachant que l’évangile est annoncé tel jour dans son local, ne doit pas plutôt imiter les esclaves qui, avec l’insistance de l’Esprit, invitent les âmes à venir au grand souper ? Et fallût-il, comme je l’ai dit souvent, quatre hommes pour apporter un paralytique aux pieds de Jésus, n’en vaudrait-il pas la peine ? Là donc est un des plus tristes manquements parmi les enfants de Dieu, à l’égard de l’évangélisation. Bien plus, outre cette activité de la foi, nous avons encore une autre ressource qui nous éloigne de toute publicité mondaine : la prière. Soyez certain que là où il y a beaucoup de prières individuelles et collectives à ce sujet, on trouve aussi beaucoup de résultats quant au nombre et à la conversion des assistants. Tel était le cas des Philippiens : ils combattaient avec l’apôtre (Phil. 1, 27 ; 4, 3), et l’on voit dans les Colossiens (2, 1 ; 4, 12) en quoi consistait ce combat.
Là donc où nous trouvons un vrai développement de la vie de Dieu, l’on ne sera nullement tenté de recourir aux efforts humains, accompagnement habituel de l’évangélisation moderne, mais on aura recours au zèle selon la foi et à la prière.
Je n’oublie point, en disant ces choses, que le travail d’un évangéliste est un travail tout spécial. Le filet jeté dans la mer et tiré sur le rivage rassemble des poissons de toute sorte et le cas de Philippe à Samarie nous montre qu’il en fut ainsi dès le début. Mais il y a ensuite un travail calme et réfléchi pour juger de ce qu’est un bon et un mauvais poisson, de ce qui doit être mis dans les vaisseaux ou jeté dehors. À ce travail doivent s’occuper avec persévérance tous ceux qui se sont employés à tirer le filet (Matt. 13, 48). Est-ce donc ce que l’on voit de nos jours ? Cette hâte de déclarer bons de mauvais poissons caractérise généralement le travail actuel. Il est même certains milieux où, après avoir amené sur le rivage les bons poissons on les rejette à la mer d’où le filet de l’évangile les avait sortis ! Hélas ! une pareille manière risque bien de ne rencontrer aucune opposition même de la part des bons poissons rendus ainsi à leur élément naturel, et confondus de nouveau avec les mauvais ; mais quelle perte pour eux ! Quelle perte pour les pêcheurs !
Grâce à Dieu, je ne parle ici ni à vous, cher frère, ni à tout chrétien éclairé, mais je constate une pratique courante chez les chrétiens « fervents et dévoués » à l’égard desquels on serait tenté de laisser tomber, comme étant une chose fâcheuse, les barrières qui nous séparent.
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J’en viens maintenant aux tristes conséquences des faits que je viens de signaler.
Je vois d’abord dans la recherche des grands auditoires un grave danger pour le jeune évangéliste. Pensez-vous, disait l’un d’entre eux à une assemblée très restreinte, que je sois venu de si loin pour ne parler qu’à deux ou trois personnes ? Je ne pense pas que le Seigneur eût dit cela à la Samaritaine, ni Philippe à l’eunuque, ni Paul au proconsul. Et peut-être Dieu, dirais-je à ce frère, vous destinait-il à cet humble service, de peur que vous ne tombiez « dans la faute du diable ». Mais si, dans Sa grâce, Il rassemble de grands auditoires pour leur faire, par vous, entendre l’évangile, parlez hardiment, ne craignez pas. Il veillera sur vous et vous évitera le danger de vous élever en vous tenant dans l’humilité et dans la crainte. Si votre travail procède le moins du monde de vous, vous acquerrez de l’importance à vos propres yeux et vous vous préparerez des déceptions ou des chutes.
Il y a ensuite, dans les faits que j’ai décrits, un grand danger pour les âmes : convaincues dans un moment d’émotion et sans travail de conscience, elles se détournent bien vite. D’autres assistent de sang-froid à ces séances, jugent fausse la religion qui emploie de tels moyens, la méprisent et s’en vont. D’autres enfin, converties réellement, gardent peut-être toute leur vie l’empreinte fâcheuse de l’impression reçue au début de leur carrière.
Il y a enfin un grand danger pour les assemblées qui s’associent à cette forme de l’évangélisation. Courant aux nouveautés, les jeunes gens, avides d’émotions, trouvent fade la vie ordinaire de la foi. Ils recherchent la puissance ou ce qui en a l’apparence, là où l’Esprit de sobre bon sens leur eût été bien plus nécessaire. Les vérités qui sont la vie de l’assemblée sont négligées, perdues de vue ; et quand on voit enfin les évangélistes qui devraient maintenir les barrières dans le sens que nous avons indiqué, les faire tomber en vue « d’efforts communs » avec d’autres chrétiens, l’assemblée perd sa position de séparation, perd son témoignage, perd, comme nous l’avons constaté récemment, jusqu’à la notion des vérités élémentaires qui la constituent.
Je n’ai pas besoin de vous le dire, cher frère : Évitons soigneusement ces dangers-là. Évitons surtout, en donnant la main à l’évangélisme moderne, d’affaiblir le témoignage que Dieu a confié aux siens pour les temps de la fin. Ce témoignage existe, et si la grande infidélité commise en certains pays par des divisions scandaleuses l’a ruiné partout, car nous sommes solidaires les uns des autres, ne pensez pas qu’on y remédie en disant que « les efforts communs pour répandre l’évangile sont plus nécessaires que jamais dans un temps de ruine ». Non, ils ne sont pas plus nécessaires que de revenir « à la loi et au témoignage » si douloureusement outragés. Non, il ne s’agit pas d’efforts communs avec des chrétiens fervents et dévoués pour annoncer l’évangile. Il s’agit avant tout d’être laissés là, comme un peuple affligé et abaissé qui se confie au nom de l’Éternel. Et au lieu de relever la tête, en pensant que, peut-être, dans le champ de l’évangile, on acquerra une meilleure réputation que celle qu’on a perdue, il faut confesser qu’on est sans force, et ne pas se faire illusion par des efforts en commun, mais compter sur le Seigneur qui, vu notre bas état, mettra Lui-même devant nous « une porte ouverte ».
Agir autrement est, sans qu’on s’en doute, entrer dans le grand courant de l’esprit laodicéen, où par l’énergie de l’homme, ou même le savoir-faire de Jacob, on cherche à acquérir ce que, par pure grâce, le Seigneur veut nous donner.
N’oublions pas que les chrétiens tiennent à ces pratiques antiscripturaires parce que l’expérience leur a appris qu’elles produisent certains effets. Depuis le méthodisme jusqu’à l’Armée du salut, nous voyons préconiser ces procédés à cause de leurs résultats. Ces derniers, nous n’avons pas mission de les mettre en question, mais notre seul devoir est de nous en tenir à la Parole et à la pratique qu’elle nous enseigne. Alors nos résultats, direz-vous, seront moindres ? Peut-être, mais nous nous trouverons être des philadelphiens, gardant la Parole et ayant peu de force, et je ne souhaite rien d’autre pour les enfants de Dieu dans ces temps de la fin. Ces petits résultats, Élie même les ignorait complètement quand il disait : « Je suis resté, moi seul ». Beaucoup de nos frères en Christ s’imaginent être « restés seuls » parce que, à un moment donné, Dieu a manifesté Sa puissance par leur moyen ! Ils se trompent. Il y avait en Israël beaucoup plus d’âmes converties sans Élie, que ne croyait celui-ci, mais c’était un peuple affligé et abaissé qui, au lieu de l’approbation du prophète, avait celle de Dieu. Il fallut qu’Élie apprît sous le genêt qu’il était plus faible que le plus faible de ces méprisés, mais cette leçon même lui profita peu jusqu’à ce que Dieu l’obligeât à résigner son ministère.
* *
Cher frère, quelques mots encore pour conclure cette trop longue épître en considérant le mouvement évangélique actuel en rapport avec le témoignage donné et répandu dans le monde le siècle dernier. Dans ce témoignage il y eut, dès le début, corrélation entre ces deux choses : la libre action du Saint Esprit dans l’Église et Sa libre action au-dehors, dans le monde. Comme faisait l’apôtre Paul dans son ministère, nous devons maintenir fidèlement ces deux actions sans jamais les disjoindre, et nous garder de nous associer à ceux qui voudraient bien d’une action du Saint Esprit dans le monde, tout en la rejetant dans l’Église. Les chrétiens dont je parle ont, par le fait de leurs associations ecclésiastiques, ajouté à l’évangélisation, seul service qu’ils reconnaissent, les procédés que nous déplorons et dont nous avons signalé un petit nombre. S’associer à cela, quelque légères que soient souvent les différences, c’est s’associer à la mondanisation de l’Église ; c’est affadir l’évangile et lui ôter son caractère de simplicité selon Dieu ; c’est entrer dans un mouvement qui cherche la puissance dans l’effort et qui ne dit pas : « Écouter est meilleur que sacrifice ». Quant à nous, suivons le chemin que nous enseigne la Parole. Elle suffit pour tous les temps et nous donne le modèle parfait de ce que doit être l’évangélisation selon Dieu.
Réjouissons-nous de tout notre cœur de voir en certains pays des foules se convertir, que ce soit par le moyen de frères réellement séparés du monde ou de frères qui « prophétisent dans le camp », ou bien qui « ne nous suivent pas » (Marc 9, 38) ; et ne nous exposons pas par notre étroitesse d’esprit et de cœur, à la réprimande que le Seigneur adresse à Ses disciples à ce sujet, mais ne les suivons pas et ne retournons pas dans le camp pour prophétiser avec eux. Partout où nous voyons des évangélistes fervents et dévoués annoncer la Parole selon les lumières qu’ils ont reçues, prions pour eux, si nous ne pouvons pratiquement nous associer avec eux. Prions pour les âmes que leur prédication met en rapport avec la vérité, afin qu’ils puissent « revenir avec chants de joie, portant leurs gerbes ». Associons-nous, d’autre part, par notre collaboration, notre activité et nos prières, à l’œuvre de nos frères qui poursuivent leur humble service, service auquel le Seigneur donne par moments, une extension remarquable, et qui s’accomplit encore aujourd’hui sans aucune des pratiques en vogue sur lesquelles j’ai appelé votre attention. Mais ne nous enorgueillissons pas de ces succès et n’oublions jamais que « Dieu donne la grâce aux humbles ».
Il est très certain, cher frère, que parmi les frères évangélistes que je désire exhorter, il s’en trouve qui adoptent les pratiques relâchées ou teintées d’influences cléricales dont je parle. Ces frères, tout chrétien sobre les blâme, ou, tout au moins, ne les approuve pas. Plus d’un a refusé d’écouter l’exhortation. Mais si leur refus, tant qu’il ne prend pas un caractère de révolte, ne peut ni ne doit nous séparer d’eux, nous ne doutons pas qu’il prive leur ministère de beaucoup de ses meilleurs résultats et devienne un piège pour les simples.
Ces questions sont, croyez-le bien, à l’ordre du jour partout, mais ce qui permet de les résoudre, ce n’est pas le mouvement du pendule dont nous parlions, mais son arrêt définitif sur la Parole.
Je termine ici cette lettre, cher frère, avec le désir que ces pages rendent la jeune génération attentive aux dangers qui la menacent dans les jours périlleux que nous traversons.
Votre très affectionné frère en Christ.