Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/La proclamation de Jonas

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« Après cela la parole de l’Éternel fut adressée de nouveau à Jonas en ces mots : Lève-toi, va à Ninive, cette grande ville, pour y publier ce que je te commande. Aussitôt Jonas se leva et s’en alla à Ninive, suivant l’ordre de l’Éternel. — Or, Ninive était une ville d’une grandeur prodigieuse ; son circuit était de trois journées de chemin. — Jonas y étant entré commença à y marcher pendant un jour, en criant à haute voix : Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! ».

Dans l’imposant tableau que déroule sous nos yeux le chapitre que nous commençons, trois faits principaux attireront successivement nos regards : la proclamation du prophète, la repentance de Ninive et le pardon de Dieu. En premier lieu, la proclamation du prophète.

Quoique le livre ne dise pas si Jonas se rendit à Jérusalem avant d’aller à Ninive, il est cependant naturel de le supposer, et que ce fut dans la cité de Dieu que lui fut renouvelé le message qui lui avait été précédemment donné pour la ville des nations. Nous aimons donc à nous représenter le prophète, le cœur plein des grâces qu’il venait de recevoir, accélérant sa marche vers la cité sainte, entrant dans le temple pour s’y prosterner avant tout devant l’Éternel et accomplir ses vœux, prêt à faire ensuite tout ce que Dieu lui prescrirait : trop heureux s’il se voyait réhabilité dans le beau ministère auquel il avait si honteusement forfait ! Ce fut aussi, nous nous plaisons à le croire, dans cette heureuse disposition que le trouva le commandement de Dieu. « Après cela, la parole de l’Éternel fut adressée de nouveau à Jonas en ces mots : Lève-toi, va à Ninive, cette grande ville, pour y publier ce que je te commande ».

« La parole » de l’Éternel « fut » adressée de nouveau « à Jonas ». Ici, comme au chapitre premier, verset 1, l’original dit : « La parole de l’Éternel » ou « la parole l’Éternel » fut ou s’adressa « de nouveau à Jonas » ; c’est-à-dire, que le Fils de Dieu, le Verbe éternel, lui transmit l’ordre que rapporte ici l’auteur sacré.

« Lève-toi », lui dit-Il, « va à Ninive, cette grande ville, pour y publier ce que je te commande ». La voilà donc, cette parole que sans doute il désirait ouïr ; la voilà cette occasion qu’il attendait de prouver, par son obéissance, la réalité de son repentir et la sincérité de sa gratitude ! Comme son cœur est agréablement ému en entendant la voix de Dieu lui répéter le même message (car c’est bien le même, chap. 1, 1). L’Éternel eût justement pu lui dire, comme nous le ferions à un serviteur infidèle : « Je ne déploierai pas envers toi mes rigueurs, mais je te retire ma confiance ». Mais, non, toujours clément, le Seigneur ne lui tient point ce langage ; après lui avoir gratuitement remis son offense et l’avoir tiré de son noir cachot, Il le rétablit dans le même ministère et, replaçant devant lui le même devoir, lui fournit l’occasion de réparer son tort. Cependant Il sait bien que Jonas va dans peu de jours L’offenser tout de nouveau. Ah ! c’est qu’Il ne pardonne pas à demi ; c’est qu’Il ne reçoit pas en grâce le rebelle sans lui rendre en même temps dans sa famille la place qu’il y occupait avant sa chute (Luc 15). Reconnaissons encore ici le Seigneur de Pierre, le Maître débonnaire, qui assure Ses disciples de toute la tendresse de Son amour au moment même où celui-là va Le renier et ceux-ci L’abandonner ; qui, avant leur faute, déjà accomplie à Ses yeux, leur dit : « Vous êtes tous nets » ; — « ne soyez point alarmés » ; — « je ne vous laisserai point orphelins » ; et qui ne les aborde, après leur chute, que pour les saluer du nom de frères, de ce doux nom qu’Il ne leur avait point encore donné ; que pour leur dire : « La paix soit avec vous ! » ; que pour fournir à Pierre, en particulier, l’occasion de réparer son triple reniement par une triple protestation d’amour, et leur confier à tous les bonnes nouvelles du salut pour les publier dans tout le monde. Il est éternellement le même, toujours prêt, dès que nous retournons à Lui, à nous rendre Sa pleine bénédiction, à replacer devant nous l’occasion de réparer les torts de notre légèreté, de notre égoïsme ou de notre lâcheté.

Avec Sa faveur, l’Éternel a donc rendu à Jonas Sa confiance et la mission dont Il l’avait primitivement chargé. Le prophète se retrouve en présence de la tâche qu’il avait cru fuir. De là pour nous cette importante leçon, que le chemin de la désobéissance est, pour le fidèle, un chemin fermé, muré, sans issue. Tôt ou tard, il faut qu’il revienne sur ses pas, qu’il retourne à l’œuvre abandonnée, au poste déserté. Décidément, le Seigneur veut être obéi, parce qu’Il ne prescrit rien qui ne soit parfaitement bon et parfaitement sage ; et, si nous ne déférons à Son amour, il faudra bien que nous cédions à Ses châtiments ; jamais Il ne modifiera Ses desseins ou Ses ordres pour les accommoder à nos caprices ; Il a parlé : toute excuse est vaine, tout prétexte superflu ; et si le serviteur refuse d’aller par terre à Ninive, un monstre marin l’y conduira comme à travers les eaux.

Notre texte nous fournit encore une autre instruction. L’Éternel, comme on le voit, ne laisse, ni maintenant ni précédemment, Jonas libre de parler à Ninive selon les inspirations de son propre cœur, mais lui donne le message qu’il y doit proclamer. Il ne nous permet pas non plus de parler à notre prochain selon nos sentiments personnels, mais nous prescrit ce que nous avons à lui dire dans l’humilité et dans l’amour. « Si vous ne vous convertissez vous périrez certainement » : telle est, entre beaucoup d’autres, la solennelle déclaration que, sous des formes diverses, Sa divine Parole adresse jusqu’à cent soixante-deux fois (ce chiffre a son éloquence) aux hommes irrégénérés, et que doivent leur répéter les disciples du Seigneur Jésus et notamment Ses serviteurs. Malheur au ministre qui change ou modifie le message céleste pour l’adapter à ses propres théories, ou l’accommoder au goût dépravé de ses auditeurs ! Malheur à celui qui dit : Paix ! quand le Seigneur ne dit pas paix ! Une chose, au moins, m’intéresse en Jonas, même au sein de sa révolte, c’est que plutôt que d’altérer ou d’affaiblir la parole qui lui avait été donnée pour Ninive, il avait mieux aimé se dépouiller du ministère de prophète ; et, une fois revenu à Dieu, il n’accepte de nouveau le message divin que pour le rendre tel qu’il l’avait primitivement reçu. Malheur enfin, trois fois malheur à celui qui abuse du titre sacré de ministre de la Parole de Dieu pour prêcher à ses semblables les visions de son propre cœur ! Il vaudrait mille fois mieux pour un tel homme que, avec le fils d’Amitthaï, il délaissât son ministère, plutôt que de le garder avec le fils d’Iscariote, pour périr éternellement comme lui.

« Aussitôt Jonas se leva », continue le récit inspiré, « et s’en alla à Ninive suivant l’ordre de l’Éternel ». S’il l’eût fait dès l’origine, que de douleurs il se fût épargnées ! Jamais, encore une fois, non jamais le commandement de Dieu ne se pliera aux exigences de notre volonté ; c’est, au contraire, notre volonté qui doit céder au commandement de Dieu. Jusque-là faisons notre compte de souffrir. Nul point n’est plus clair et plus généralement admis en théorie ; aucun peut-être n’est moins compris dans la pratique. Tout en répétant chaque jour : « Ta volonté soit faite ! », chaque jour nous contestons avec cette volonté sainte, dès qu’elle ne s’accorde pas avec la nôtre. Vouloir ce que Dieu veut et ne vouloir autre chose, c’est pourtant le secret du bonheur ; mais ce secret, qui nous l’enseignera ? — Ta seule grâce, ô mon Dieu !…

Elle l’enseigne actuellement à Jonas. En lui la volonté propre est enfin soumise, le péché dominant décidément maîtrisé ; ce joug que naguère il repoussait, taureau indompté — le voici maintenant qui l’accepte de bon cœur, obéissant à Dieu sans nulle discussion, sans nul retard, et comprenant enfin qu’il n’est plus à lui-même, mais à Celui qui l’a racheté.

L’obéissance est la marque d’un vrai repentir. En même temps elle est le fruit de l’épreuve. Si, par l’affliction, Dieu ne prenait soin de nous purifier, nous demeurerions comme « figés sur nos lies » (Soph. 1). L’épreuve, bénie d’en haut, nous rappelle ou nous retient auprès de Lui. Elle fut bonne à Jonas et bonne à beaucoup d’autres. Si Lazare, par exemple, eût reçu la permission de s’asseoir à la table du riche, peut-être eût-il perdu sa place à celle du Seigneur. La discipline du Père nous est tout aussi nécessaire que Son instruction ; pendant que celle-ci nous montre le chemin, celle-là nous y fait marcher. Un jeune homme peut apprendre à l’école militaire les règles de la guerre ; il ne sera pourtant pas soldat avant d’avoir été sur le champ de bataille. Jonas avait appris la religion dans le temple ; peut-être ne devint-il bien décidément religieux que dans le ventre du poisson. Appréciateurs plus judicieux du châtiment paternel, demandons plus encore à Dieu de le sanctifier pour nos âmes que de l’éloigner de nous, et que, sous l’épreuve, le cri de notre cœur soit principalement, soit avant tout : Seigneur, « enseigne-nous à profiter » (És. 48) !

Jonas se lève donc pour « s’en aller à Ninive ». Oui, cette fois, à Ninive et non plus à Tarsis. Il ne voit plus maintenant les fatigues du voyage (et, de fait, que sont trois semaines ou même trois mois d’une longue et pénible route, auprès de trois jours passés dans le ventre du grand poisson ?) ; il ne calcule plus les périls de sa mission ; il ne regarde plus à son insignifiance personnelle. Dieu lui a dit intérieurement : « Très fort et vaillant homme, l’Éternel est avec toi » (Jug. 6) ; il n’écoute plus ni sa pusillanimité naturelle, ni les inspirations de sa sagesse ou de sa jalousie, ni ses pensées ou ses antipathies judaïques. L’Éternel a parlé, ce lui est assez. Répugnances, appréhensions, difficultés, raisonnements, tout a disparu devant la reconnaissance et devant la foi. « Bien loin de me rejeter, Seigneur ! Tu me reprends à ton service, scellant un pardon magnifique d’une grâce qui ne l’est pas moins. Tu m’appelles. Jonas, me dis-tu , lève-toi ! — Me voici, mon Dieu ! prêt à aller où tu m’envoies ; si tu es pour le fils d’Amitthaï, qui sera contre lui ? » — Et, prenant le bâton de pèlerin, il s’achemine en paix, sous la haute sauvegarde du Dieu de Jacob, vers l’antique et glorieuse cité d’Assur.

Le prophète nous donne un exemple que nous ferons bien de suivre. Après avoir pardonné nos désobéissances, le Seigneur replace-t-Il devant nous les mêmes devoirs, levons-nous à l’instant pour les accomplir dans Sa force ; faisons à la première sommation ce qu’Il nous commande, sans attendre une nouvelle occasion, un appel nouveau qui pourrait bien ne se présenter jamais. Au lieu de prêter l’oreille à Satan qui nous dit : «  Il est trop tard pour recommencer l’obéissance ; après quelques essais inutiles, tu retomberais d’ailleurs dans les mêmes fautes » ; au lieu d’écouter le menteur, écoutons plutôt le Témoin fidèle qui nous crie : « Ne crains point, ma grâce le suffit ! ». Si l’œuvre à laquelle Il nous appelle est grande, plus grand encore sera Son secours.

Cependant, après bien des jours de marche, le héraut de Dieu est enfin parvenu en vue de Ninive ; quel chemin il a fait pour s’y rendre ! La voilà donc enfin, devant lui, la cité qu’il avait voulu fuir et où le bras de l’Éternel le ramène ; la cité qui remonte aux premiers âges de l’histoire, l’illustre métropole de l’Assyrie — nœud brillant du riche Orient et de l’industrieux Occident, centre de tout le commerce de la terre, réservoir immense, dit le prophète, où les eaux arrivent de toutes parts (Nah. 2) ! La voilà, la grande Ninive, la merveille du monde, avec le beau fleuve qui lui sert de rempart, avec ses innombrables et somptueux édifices, ses riches comptoirs, ses mille palais et ses mille temples ; ceinte de ses gigantesques murailles de cent pieds de haut, et de ses cent cinquante tours colossales qui s’élèvent jusqu’aux nues ! La voilà, la ville qui compte plus de marchands qu’il n’y a d’étoiles au firmament, ville de sang et de violence, ville de mensonge, de rapines et d’iniquités (Nah. 3), qui séduit les nations, les tribus et les langues, les enivrant du vin de sa prostitution : plus grande encore, avons-nous dit, par le nombre et l’énormité de ses crimes, que par l’éclat de son nom, la magnificence de ses monuments ou la puissance de ses armes, et toute retentissante enfin de chants de joie et d’allégresse, auxquels succèderont dans peu d’instants les pleurs, les gémissements et les lamentations !

Un homme sans éclat, sans renom, sans appui visible, visitant d’un genre tout nouveau, va pénétrer dans l’enceinte de la grande cité. Ce n’est pas le commerce qui l’y attire ; de plus hauts intérêts le préoccupent. Il vient dans ses murs, couvert d’un vêtement plus que simple (apparemment du grossier manteau des prophètes), non pour y chercher des trésors dont il n’a que faire, lui qui connaît et possède le Dieu vivant et vrai ; mais pour y apporter de fait le seul vrai trésor, celui qu’on chercherait en vain parmi toutes les richesses de l’opulente cité. À son aspect, la riche, l’élégante et voluptueuse Ninive sourira peut-être ; mais quelques moments se seront à peine écoulés que du mépris elle aura passé à la vénération et du dédain à la terreur. À la voix de l’humble messager du ciel, la dominatrice des nations s’abattra jusque dans la poudre, en présence du Roi des rois : elle méprisera ses idoles et rendra gloire à Celui qui donne l’empire du monde et qui l’ôte. En même temps elle renoncera, pour le moment du moins, aux projets d’asservissement qu’elle nourrissait déjà dans son cœur relativement à la « terre d’Emmanuel ».

C’était le but prochain de l’envoi du prophète. Cependant sa mission devait servir encore à d’autres fins. D’abord elle devait proclamer cette grande vérité que publie toute la Bible et que confirme toute l’histoire, nous voulons dire la souveraineté de Dieu. Il savait, Lui qui connaît toutes choses, Il savait que si Sodome et Gomorrhe, Tyr et Sidon, eussent eu les mêmes appels que Ninive, comme elle, elles se fussent repenties en se couvrant du sac et en s’asseyant sur la cendre ; Il le savait et toutefois Il ne les leur accorda point ! Toujours libre dans la distribution de Ses faveurs dont Ses créatures humaines sont toutes également indignes, Il les dispense à qui bon Lui semble ; Il les donne à celui-ci, les refuse à celui-là, sans jamais écouter autre chose que Son bon plaisir.

La mission du prophète avait encore d’autres buts. Rappelons-nous ce qui a été dit plus d’une fois sur le sens prophétique du livre et le caractère symbolique du personnage qui y joue le principal rôle. Eh bien, dans la pensée divine, l’envoi de l’Israélite Jonas auprès de la païenne Ninive avait sûrement aussi pour objet de faire pressentir la destination future du peuple juif, de ce peuple à qui Dieu réservait le privilège d’être Son messager auprès des nations. La mission de Jonas était également destinée à faire pressentir la vocation future et la conversion des Gentils.

Poursuivons notre récit. « Or Ninive était une ville d’une grandeur prodigieuse ; son circuit était de trois journées de chemin » ; — pour un homme, ajouterons-nous, qui marchait (comme dut le faire le prophète) d’un pas grave et mesuré, et s’arrêtant de distance en distance, pour répéter d’une voix lente et solennelle le message de Dieu. Au reste, Ninive était la plus vaste cité du monde, sans excepter Babylone la grande, qu’elle surpassait en étendue ; le nombre total de ses habitants était de près de deux millions. Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que, à population égale, les villes d’Orient, par le mode de construction de leurs édifices, comme aussi par la multitude des jardins qui les embellissent, occupent un espace beaucoup plus considérable que celles d’Occident.

Avant de pénétrer dans son enceinte, le prophète s’arrête peut-être ; il hésite un instant… Ninive écoutera-t-elle l’étranger, l’inconnu, qui vient lui dénoncer les jugements du ciel ?… Puis, regardant à Celui qui a dit à Son messager : « Va, dis-leur tout ce que je te commanderai ; ne crains point, car je t’ai aujourd’hui établi contre eux comme une ville forte, comme une colonne de fer, comme une muraille d’airain ». Puis, regardant au Dieu fort, et se réfugiant sous Ses bras éternels, Jonas franchit résolument les murs de Ninive. Il pénètre ensuite dans l’intérieur de la ville où il « marche pendant un jour » ; et, sans s’y arrêter nulle part pour s’y délasser des fatigues d’un si long voyage, bien moins encore pour en contempler les somptueux édifices, ou pour en admirer la grandeur, il se met incontinent à proclamer, d’une voix ferme et retentissante, le message de mort : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite » !

Le livre n’entre à cet égard dans aucun détail. Il ne dit pas dans quelle langue Jonas délivra le sinistre message ; mais naturellement ce dut être dans celle que parlaient les peuples de la Mésopotamie, c’est-à-dire dans la langue syriaque ou araméenne (ainsi nommée d’Aram fils de Sem, Gen. 10). Les troupes de Sankhérib, l’un des successeurs de Pul, parlaient araméen (aramit, 2 Rois 18 ; És. 36), et les officiers d’Ézéchias, roi de Juda, disaient comprendre ce dialecte. Jonas devait l’entendre également. Le livre ne dit pas non plus s’il se borna à répéter la proclamation sans y rien ajouter ; mais il n’est pas moins naturel de supposer qu’en même temps il tonna contre Ninive et replaça sous les yeux de ses habitants le tableau des iniquités, des crimes et des débordements qui appelaient sur eux une si éclatante et si prochaine destruction. Enfin, la relation ne dit pas davantage de quelle manière Ninive devait être renversée ; mais il nous suffit de savoir que tous les éléments sont aux ordres du Très-haut et se disputent l’honneur d’accomplir Ses jugements comme Ses gratuités.

« Encore quarante jours et Ninive sera détruite ! » va donc répéter de rue en rue et de place en place l’envoyé de Dieu. Sermon court mais saisissant ! Parole terrible ! Éclat soudain de tonnerre, au bruit duquel se réveille comme en sursaut la grande cité plongée dans le sommeil de l’iniquité ! Juste châtiment de Dieu sur elle et solennelle leçon pour nous ! C’est quand les pécheurs disent : Paix, paix et sûreté ! qu’une ruine inattendue éclate sur eux ; c’est au moment où Babylone, dans le délire de son orgueil, s’écrie : « Je suis reine, je ne verrai point le deuil ! » qu’une main mystérieuse trace sur la muraille l’irrévocable arrêt de sa condamnation.

« Encore quarante jours et Ninive sera détruite » ! Il faut bien que la reine du monde apprenne enfin qu’il est au ciel un Dieu qui règne sur les nations, et qui rend à chacun selon ses œuvres ; il faut que la méchante Ninive sache que la perversité des peuples les mûrit lentement pour le jour de leur ruine, et que les grandes cités tombent dès que le grand Dieu se lève pour compter avec elles.

Quel sanglant affront d’ailleurs pour la royale cité qu’une pareille menace dans la bouche d’un pareil homme, d’un simple Israélite à l’extérieur chétif et méprisable ! Pour le mieux sentir, transportons-nous par la pensée dans ces temps-là, et figurons-nous, d’une part, la prospérité d’une capitale plus vaste que ne l’est aujourd’hui Paris ou même Londres, et de l’autre, la faiblesse d’un peuple tel que celui d’Éphraïm que la superbe Ninive méprisait en son cœur, et qu’elle venait de rendre tributaire en attendant de le rendre esclave.

Et quelle humiliation surtout pour les dieux de la grande cité qu’une telle proclamation ! « Ninive détruite au bout de quarante jours ». Mais, Ninive n’a-t-elle pas ses divinités tutélaires, ses patrons, ses dieux qui la couvrent de leur impénétrable bouclier ? Bel, Nebo ne sont-ils pas là qui la gardent ? Lève-toi donc, Bel ; Nebo, lève-toi ! Défendez-vous contre Jéhovah ! Protégez votre ville, garantissez ses enfants, paraissez et montrez que vous êtes dieux ! — Mais, pauvres Ninivites ! que pourraient maintenant pour vous les dieux d’or et d’argent vers lesquels se sont au premier instant dirigés tous vos regards ? Ils ne paraissent point… ils se taisent… ils vous abandonnent et vous trahissent au jour du péril ; et, comme les mariniers de Japho, après les avoir longtemps implorés, vous reconnaissez enfin, mais trop tard, qu’eux aussi ne sont que de sourdes et muettes idoles, des vanités trompeuses qui, loin de vous sauver, vont périr avec vous.

Nous ferons encore une remarque sur le message de Jonas. Quoique tout empreint de la justice vengeresse de Dieu, il laissait néanmoins entrevoir les richesses de Sa longanimité. Car, enfin, Ninive sera détruite. Mais, quand le sera-t-elle ?… Dans quarante jours… Et pourquoi ce délai ?… Sûrement pour donner à la grande ville le temps de détourner d’elle, par la repentance, les traits ardents du courroux divin. Oh ! mon Dieu, Dieu de patience et de longue attente ! Tu menaces le coupable ; mais entre la menace et son exécution tu mets de l’intervalle, parce que « tu ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse à toi et qu’il vive » !

Il y a ici un enseignement pour tous ; pour toi surtout, pauvre âme inconvertie ! qui n’ayant pas encore reçu le Sauveur, demeures jusqu’ici sous l’anathème de Dieu (Jean 3, 36). Considère tour à tour la « bonté du Seigneur et sa sévérité » (Rom. 11) ; « sa sévérité » qui te dit : « Si tu ne t’amendes, tu périras » certainement, et « sa bonté » qui te donne le temps nécessaire pour retourner à Lui. Ce temps, Il n’en fixe pas, il est vrai, la durée ; Il ne te dit pas comme à Ninive : Encore quarante jours ! Il ne précise pas le nombre de jours que te laisse encore Sa longue tolérance ; mais nécessairement ce nombre est limité ; c’est peut-être beaucoup plus que quarante jours, mais peut-être aussi beaucoup moins. « Aujourd’hui que tu entends sa voix, n’endurcis point ton cœur »… Quoi ! tu pleurerais, tu te désolerais peut-être si tu savais pour sûr que Dieu ne t’accorde plus qu’un mois de vie, et tu folâtres quand tu ne peux compter sur un jour ! Ah ! si, rebelle à la voix de Jonas, qui n’était pourtant qu’un serviteur dans la maison de Dieu, Ninive, la païenne Ninive, eût infailliblement péri, de quel châtiment, pauvre âme, ne serais-tu pas jugée digne, toi qui jouis de toutes les lumières de la révélation, si jusqu’à la fin tu refusais d’écouter le Fils Lui-même, le Seigneur de la maison, qui te convie personnellement à la repentance et te presse avec tant d’amour de venir à Lui pour avoir la vie !

Plus qu’un mot sur la menace du prophète. La repentance de Ninive, comme on le sait, en ajourna l’accomplissement qui n’eut lieu que longtemps après. Or Ninive, avons-nous dit, préfigurait la gentilité, et le sort de la grande ville, celui qui est réservé à la chrétienté rebelle. De grands jugements vont éclater sur le monde christianisé. Le Livre de Dieu n’en fixe pas l’heure, mais sûrement cette heure n’est plus éloignée. Tout ce magnifique développement des arts, des sciences, du commerce, de l’industrie, ce progrès qui fascine tous les yeux, caresse tous les amours-propres ; toute cette brillante fantasmagorie de civilisation va prochainement aboutir, selon les divins oracles, à une effroyable catastrophe. « Le jour assigné par l’Éternel » contre toutes les fausses gloires d’ici-bas, contre tout ce que le monde adore ; le jour assigné contre tout orgueil et toute hauteur, « contre les cèdres du Liban, les chênes de Basan, les fortes murailles, les hautes tours, les navires de Tarsis, les peintures de plaisance » (És. 2), « la grande et illustre journée » du Seigneur approche. La coupe de l’iniquité des nations achève rapidement de se remplir ; bientôt elle débordera, et les châtiments du ciel éclateront. Dieu, qui jadis termina, par d’effroyables jugements, l’économie légale, qui renversa Jérusalem de fond en comble, moissonna ses enfants par l’épée ou par la famine, ou les dispersa parmi les nations ; Dieu, par des jugements bien autrement terribles, va clore enfin l’économie sous laquelle nous vivons, celle des Gentils (Daniel, Apocalypse), pour introduire le règne millénial de Sa gloire et mettre toutes les tribus humaines en pleine possession de la bénédiction promise à Abraham. Malheur aux « hommes des derniers temps », qui ont « l’apparence de la piété », mais en ont « renié la force » ! qui, sous les dehors de la dévotion, font la guerre à Dieu, cachant des cœurs païens sous des formes chrétiennes ! Malheur, malheur à la chrétienté qui se corrompt de plus en plus sous l’influence maudite du « mystère d’iniquité », de ce mystère qui va tout à l’heure atteindre, dans l’apparition de l’inique, sa plus haute expression, le terme final de son développement !… Ah ! veuille le Seigneur la réveiller par Ses avertissements ! Et puissent de nouveaux Jonas lui crier de Sa part de « fuir arrière de la colère qui vient » ! Puissent en même temps de nouveaux Jean sommer le peuple de Dieu, qui demeure dans la mystique Babylone, de sortir sans délai du milieu d’elle, de peur que, en « participant à ses péchés », il ne « participe de même à sa condamnation » (2 Tim. 3 ; 2 Thess. 2 ; Éph. 4 ; Apoc. 18) !