Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/L’abri miraculeux
« Puis Jonas sortit de la ville et s’assit dans un lieu situé à l’orient de la ville. Là il se fit une cabane sous laquelle il pût se reposer à l’ombre, jusqu’à ce qu’il eût vu ce qui arriverait à la ville. Alors l’Éternel Dieu fit germer un kikajon qui s’étant élevé au-dessus de Jonas fit ombre sur sa tête, et le délivra de la souffrance que lui causait la chaleur ; et Jonas se réjouit extrêmement au sujet du kikajon ».
Le reproche si paternel que Dieu venait d’adresser à Jonas n’avait pu le ramener à de meilleurs sentiments. Il garde le silence et cède à sa passion. Après l’avoir jeté déjà dans bien des écarts, elle va l’entraîner à de nouvelles fautes. Elle le pousse à quitter Ninive. Le quarantième jour révolu, Jonas sort de la ville. Quoi ! va-t-elle donc périr sous les feux du ciel ou sous les eaux d’un nouveau déluge ? Ce sont plutôt les eaux de la miséricorde qui coulent sur elle à pleins flots. Le sombre nuage qui pesait sur la cité d’Assur s’est dissipé ; le ciel sourit à Ninive et Ninive sourit au ciel. La colère ne trouve plus de place que dans le cœur de Jonas ; seul, il marche silencieux et en deuil au sein de l’allégresse générale. Prophète du Seigneur, est-ce donc le moment de t’affliger ? Si ton Seigneur s’est approché de la grande ville, qui es-tu, toi, pour t’en éloigner ? Et quand Il l’aime, oses-tu bien la haïr ?
Nouvelle leçon pour nous, frères, et puissant appel à la vigilance ! Le péché qui habite en nous peut dormir à cette heure ; mais craignons qu’à son réveil il ne remplisse également notre vie de fautes et de regrets. Il en est de lui comme de la nuée qu’Élie aperçut au loin de la cime du Carmel ; peut-être à ce moment nous apparaît-il comme un nuage imperceptible ; mais, prenons-y garde, ce nuage porte en soi la tempête.
Nous avons dit que le péché conduit l’homme de fautes en fautes. Nous devons ajouter qu’il le conduit de même de privations en privations et de douleurs en douleurs. Que de maux Jonas a déjà rencontrés sur sa route ! Il n’est pourtant pas au bout de ses peines, parce qu’il n’est pas non plus au bout de ses erreurs. En suivant sa pente naturelle, il va se priver de bien nombreuses et de bien douces jouissances. Nul doute, en effet, que, demeuré dans Ninive, il n’eût pu y continuer utilement un ministère dont le début avait été si étonnamment béni ; chaque habitant de la ville eût voulu le recevoir dans sa maison ; et le roi sûrement n’eût cédé à personne l’honneur de posséder dans sa demeure l’envoyé du Roi des rois. Mais de telles pensées ne l’abordent point ; un sentiment unique l’absorbe, fausse son jugement, séduit sa conscience, maîtrise sa volonté. Peut-être aussi, pusillanime de sa nature, craint-il que l’honneur dont il jouit à présent ne soit pas de longue durée, et qu’une fois le premier ébranlement passé, la sécurité publique rétablie et la réflexion venue, une réaction puissante, égale à la terrible commotion qui venait de remuer la ville entière, ne le livre en peu de temps aux défiances, à la dérision, et qui sait ? à la colère de tout un peuple qui reprendrait rapidement le chemin de l’orgueil, de la licence et de l’iniquité.
Jonas a donc quitté Ninive. Il l’a quittée monument éternel des compassions de Dieu ; il eût voulu la quitter monument éternel de Sa colère. L’air morne et abattu, le regard triste et le cœur oppressé, il va s’asseoir, solitaire et rêveur, dans un lieu situé à l’orient de Ninive et d’où son regard puisse l’embrasser tout entière. Il demeure là jusqu’à ce qu’il ait vu ce qui arrivera à la ville. Toujours possédé de la même idée fixe : « Ninive doit périr (se dit à lui-même le monomane), car tel est le message que j’ai reçu pour elle ». Tenace dans ses antipathies autant qu’opiniâtre dans ses vœux, il semble espérer encore et toujours que quelque grand jugement du ciel, en frappant inopinément la ville, sauvera le crédit du prophète et l’honneur d’Israël et de son Dieu ; peut-être même n’est-il sorti de Ninive que pour ne point se trouver dans ses murs quand elle périra.
Nous ne pouvons nous empêcher ici de nous rappeler un coup d’œil bien différent, jeté par un juste sur une autre ville où, loin d’avoir été écouté, comme Jonas le fut à Ninive, Il n’avait, au contraire, éprouvé que mépris, inimitié, maltraitements, et où bientôt Il allait trouver la mort. Cette ville c’était Jérusalem, Jérusalem plus coupable que Ninive ; et ce juste, c’était le Fils de Dieu. « Voyant la ville », dit l’évangéliste, « il pleura sur elle » et s’écria : « Oh ! si tu avais connu les choses qui appartiennent à ta paix ! ».
Ninive avait du moins commencé de connaître les choses qui appartenaient à la sienne… Et c’est de quoi Jonas s’afflige. Sa malice continue de le châtier. Le soleil, dans une journée très chaude, frappe à plomb sur sa tête ; et, au lieu de l’abri commode que lui eussent indubitablement procuré tant d’agréables habitations de Ninive, il n’a, pour se garantir des feux de l’Assyrie, que le misérable asile qu’il s’est donné : sorte de cabane ou de pavillon, fait apparemment de quelques branches d’arbres ou de quelques feuillages. Sous ce grossier asile, rapidement ébauché, vont bientôt recommencer ses plaintes et ses gémissements. Puisqu’il n’a pas voulu de la demeure que Dieu sûrement lui avait préparée, eh bien, qu’il s’accommode de celle que sa faible industrie a construite à la hâte ; qu’il accepte et subisse la situation de son choix. Au reste, toujours ingénieux à se créer des incommodités, les esprits inquiets, mécontents, semblent aussi prendre plaisir à le faire, et, comme ils sont résolus à se plaindre toujours, ils veulent, au moins, en avoir quelque sujet.
Toutefois la passion de Jonas le châtiait encore plus sévèrement que tout le reste. Si elle avait répandu la tristesse dans Ninive, elle le faisait souffrir, lui, plus que pas un habitant de la cité. Telle est la constitution morale de notre être : chaque penchant vicieux de notre âme porte en soi sa punition. Il n’est pas de maître dur, pas de bourreau cruel, comme une passion que nous laissons régner sur nous : c’est l’enfer anticipé, comme la sanctification est le ciel sur la terre. Ainsi, par exemple, l’esprit volontaire, l’humeur égoïste et mécontente, empoisonne toute la vie du malheureux qui s’y livre et le rend semblable au malade que la fièvre dévore ou que la goutte torture ; où que ce soit que vous le placiez, dans un palais comme sous le chaume, partout il porte avec soi la verge qui le fouette. C’est l’état de l’âme, non la position, qui fait le bonheur ; tel est heureux dans toutes les situations de la vie, qui aime le Seigneur et accepte avec plaisir Sa volonté ; tel autre n’est à l’aise nulle part, qui ne fait ni l’un ni l’autre : tandis que Joseph, Paul et Silas chantent dans leurs prisons, Saül, Achab et Hérode se désolent sur leurs trônes.
Ce que nous venons de dire de l’humeur chagrine et volontaire, nous voudrions le répéter au sujet du dépit et de l’irritation. L’esprit colère ne châtie pas moins rudement le malheureux qui s’y abandonne ; aussi la sainte Écriture dit-elle que « le dépit réside dans le sein du fou » (Eccl. 7). Il n’y a, en effet, qu’un insensé qui puisse lui donner asile dans son cœur. La colère remplit l’âme de fiel et d’absinthe ; elle enchaîne la raison, obscurcit l’entendement, tyrannise la volonté, trouble la conscience et entraîne non seulement à l’injustice et à la cruauté envers les hommes, mais à la révolte contre Dieu. Voulons-nous, frères ! jouir de quelque repos ici-bas, combattons de toutes nos forces ce penchant et tous ceux qu’on vient de nommer ; luttons corps à corps avec le péché qui habite en nous, sous quelque forme qu’il se manifeste ; si nous ne le tenons asservi, il nous gouvernera en despote et n’aura pas plus pitié de nous que Satan ; plus nous lui laisserons de place dans notre cœur, plus il nous y mettra à l’étroit ; et, cruels envers ceux dont le bonheur nous avait été confié, nous ne le serons cependant pour personne autant que pour nous-mêmes.
À ces réflexions suggérées par le verset cinquième, ajoutons-en d’un autre genre. Nul doute, disions-nous plus haut, que le roi et ses princes n’eussent reçu Jonas dans leurs palais avec tous les honneurs dus à son caractère de prophète et d’ambassadeur de Dieu ; mais, à l’agréable retraite qu’il eût trouvée dans la royale demeure, Jonas a préféré la chétive habitation qu’il vient de se construire en peu d’instants. Eh bien, l’asile du prophète nous apparaît comme un emblème de tous les faux appuis et de toutes les vaines jouissances d’ici-bas ; pauvres refuges, cabanes d’un jour, impuissantes à nous abriter des ardeurs brûlantes du soleil de la tribulation, que sont-elles auprès de la douce et parfaite sécurité, auprès des joies pures et célestes que l’âme chrétienne trouve dans la communion de son Rédempteur !
Nous voyons également dans le pavillon du prophète une image de toutes les vaines religions du monde, de leur justice mensongère, de leurs espérances fallacieuses. Adam, ayant écouté le démon, perdit la robe d’innocence dont Dieu l’avait paré, et demeura nu ; vainement essaya-t-il ensuite de se couvrir lui-même à l’aide de quelques feuilles de figuier : triste manière de remplacer le beau vêtement dont il venait de se dépouiller ! Autant dénués de sagesse que leur père, les fils, hélas ! rejettent le radieux manteau de justice qu’Emmanuel leur présente pour se couvrir des haillons souillés de leur justice personnelle. Méprisant la sûre retraite que Dieu nous a préparée en Son Bien-aimé, ils se créent, par leur travail propre, un asile de leur invention. Pauvres humains abusés ! votre cabane vous garantirait-elle au jour de Sa colère ? « Votre retraite de mensonge » tiendrait-elle contre le torrent débordé de Son indignation (És. 28) ? Ou votre ceinture de feuilles de figuier couvrirait-elle votre nudité devant Celui qui vient pour juger le monde, et dont « les yeux sont comme une flamme de feu » ?
La position de Jonas était intenable. Dieu le voit. Aussi fait-Il croître et monter au-dessus de la cabane du prophète une plante pour l’ombrager, ce dont Jonas ressentit une vive joie. Il venait de décrire magnifiquement la bonté de Dieu, et maintenant il en reçoit une nouvelle démonstration. « Alors l’Éternel Dieu fit germer un kikajon qui s’étant élevé au-dessus de Jonas fit ombre sur sa tête, et le délivra de la souffrance » que lui causait la chaleur ; et « Jonas se réjouit extrêmement au sujet du kikajon ».
Kikajon : c’est le mot de l’original hébreu. On s’est beaucoup occupé de cette plante et l’on a fort désiré de savoir au juste ce qu’elle était. De là maintes disputes et force querelles. Le croirait-on ? Toute la chrétienté s’émut un jour à ce sujet. En valait-il bien la peine ? nous direz-vous. Non, certainement ; mais ainsi est fait l’esprit humain ; sur quel point de la Parole de vie n’a-t-il pas déployé cette vaine affectation de science et cette funeste manie de controverse ? Ordinairement préoccupé de l’écorce des Écritures, l’homme irrégénéré néglige habituellement de se nourrir de leur moelle, tandis que le fidèle se laisse trop facilement envahir par des points secondaires. Mais laissant les questions curieuses à ceux qui les aiment, poursuivons « l’édification de Dieu, laquelle est en la foi » (1 Tim. 1) ; et ce que d’autres croient trouver dans le « vent impétueux » des discussions humaines, cherchons-le plutôt « dans le son doux et subtil » d’une foi simple et d’une charité sans feintise.
Au reste, sur le kikajon de Jonas, un mot doit suffire. C’était apparemment quelque plante à la tige légère et au feuillage abondant, éminemment propre à donner, en peu de temps, un frais et complet ombrage. On suppose assez généralement que c’était le ricin ou palma christi, connu chez les Arabes sous le nom de kiki, nom qui a beaucoup d’analogie avec celui de l’original. La tige de cette plante, creuse comme celle du roseau, présente plusieurs nœuds, de chacun desquels jaillissent de larges feuilles qui projettent une ombre précieuse. Entre les feuilles et la tige s’épanouissent des fleurs jaunes dont les graines contiennent une huile purgative. Le ricin s’élève rapidement à la hauteur d’un petit arbre. On assure que cette plante, ou quelque autre de la même famille, croît encore de nos jours, près des ruines de l’antique Ninive. L’Éternel fit donc germer en une nuit l’arbuste bienfaisant destiné à garantir le prophète ; ce qui nous fournit l’occasion de signaler en passant l’un des caractères généraux de Ses miracles : Il les fait pour l’ordinaire aussi naturels, si l’on peut ainsi dire, aussi simples, et à aussi peu de frais que possible ; en ce cas particulier, Il se borna probablement, comme on le voit, à activer le développement d’une plante dont la croissance naturelle est déjà si rapide.
Mais c’en est assez sur le kikajon ; de l’arbuste élevons-nous à Celui qui l’a fait croître, et admirons encore Sa puissance et Son amour.
Sa puissance : en peu de moments Il prépare un frais et commode asile à Jonas que sa chétive cabane ne suffisait plus à abriter.
Son amour : Il voit la douleur de Jonas ; et devançant les vœux d’un fils ingrat, d’un ministre prévaricateur, Il le délivre miraculeusement. « Méchant Jonas ! eussions-nous dit peut-être ; s’il n’a pour abri qu’un chétif pavillon, qu’il s’en prenne à lui seul ; qu’il défaille et qu’il expire sous cet asile de sa façon ! ». Mais « les pensées » de Dieu « ne sont pas nos pensées » : la même voix qui avait commandé à un poisson de recevoir dans ses flancs le prophète et de le garantir de la fureur des flots, ordonne maintenant à une plante de le protéger contre les rayons brûlants du soleil oriental ; et bientôt un vaste et riche parasol recouvre la cabane de Jonas et l’ombrage agréablement.
Lisez et relisez cette belle page du saint Livre, vous, fils et filles de l’affliction. Le Dieu de Jonas n’est-Il pas aussi votre Dieu ? Tout-puissant pour vous soulager, et, s’Il le veut, pour vous délivrer tout à fait, il ne Lui faut qu’un moment pour créer un abri sûr et un doux ombrage à votre âme pèlerine, traversant, fatiguée, l’aride désert de la vie, sous le soleil ardent de l’épreuve et de l’adversité ; pour y faire surgir, au-dessus de votre tête, un riant kikajon dans toute l’exubérance de son feuillage et dans toute la fraîcheur de son ombre. Son cœur de père s’émeut aisément de nos douleurs ; Il sympathise à toutes nos peines, même à celles qui sont l’inévitable conséquence de nos folies ; Il compte nos soupirs, Il recueille nos larmes dans Ses vaisseaux. Que j’aime à suivre, dans la sainte Parole, les traces de mon Sauveur ; à Le retrouver avec nous dans toutes nos tribulations : avec Jacob dans sa fuite, avec Joseph dans sa prison, avec les jeunes gens dans la fournaise ; avec Marthe et Marie dans leur deuil ; à Le rencontrer, enfin, partout où il y a quelque larme à essuyer, quelque plaie à panser, quelque délivrance à accomplir !
Outre la puissance et l’amour du Seigneur, admirons encore Sa sagesse.
Il donne à ceux qui L’invoquent la chose même dont ils ont actuellement besoin : à Noé une arche pour s’y retirer avec sa famille ; à Agar au désert, une source d’eau pour y boire avec son fils ; à Lot, un refuge dans Tsoar ; aux cinq mille, du pain ; à l’aveugle, la vue ; au sourd, l’ouïe ; au muet, une langue pour publier Sa charité ; à Jonas, un abri contre la chaleur.
Il donne à propos. Jonas souffre ; le kikajon s’élève couronné de son feuillage et calme la douleur du prophète. La mer s’ouvre devant Israël au moment où, serré de près par les Égyptiens, il croyait déjà voir son tombeau dans la mer Rouge ; la manne tombe du ciel au désert pour le nourrir, et l’eau coule du rocher pour le désaltérer.
Le Seigneur aide lorsque personne ne le peut faire. Jonas est seul et nul être au monde n’a vu son angoisse ; mais, ému de compassion, Dieu l’assiste. « Je n’ai personne qui m’aide », disait à Jésus le paralytique de Béthesda, et le Seigneur lui rend l’usage de ses membres. « Tous m’ont abandonné ! » s’écriait Paul traduit devant Néron ; « toutefois », ajoutait-il, « le Seigneur m’a assisté et m’a fortifié ».
Il secourt quand toute notre sagesse nous fait défaut. Il a vu l’impuissance de Jonas à se former un abri suffisant, et Il lui en crée un tout à la fois agréable et sûr. Les Juifs captifs en Perse allaient périr ; déjà leur arrêt de mort était signé, quand Il envoie Esther et les délivre. La femme de l’évangile, après avoir inutilement donné tout son argent aux médecins, recourt à Jésus, et le Seigneur la guérit.
Ajoutez que le secours de Dieu nous vient souvent du côté d’où nous l’attendions le moins. Élie semblait près de mourir de faim lorsque les corbeaux dévorants couvrent sa table des mets du ciel. Les enfants d’Israël allaient disparaître jusqu’au dernier sous la main cruelle de Pharaon, quand la fille de ce prince recueille et élève dans son palais celui qui devait être leur libérateur. Et c’est au moment où Jonas va périr de chaleur qu’une plante crue en une nuit l’abrite et le met en sûreté.
Le Seigneur, enfin, vient à notre aide en temps opportun ; si, parfois, Il se fait attendre, jamais Il n’arrive trop tard. Il arrête Abraham à l’instant où, déjà levé, le bras du patriarche allait frapper Isaac. Il ne restait plus à la pauvre veuve de Sarepta qu’une poignée de farine pour en faire un gâteau, le manger avec son fils et mourir, quand Dieu survient et les provisions abondent. Encore quelques heures, et la vie de Jonas est en péril ; l’Éternel se montre, et Jonas est sauvé.
Le kikajon du prophète éveille encore en nous des pensées d’un autre ordre. Mal abrité sous la cabane qu’il s’était faite, le prophète n’est, ainsi qu’on l’a vu, bien protégé que par le kikajon que le Seigneur avait fait germer pour ombrager sa tête. Que veut dire ceci, cher lecteur ? Apparemment que, dans l’épreuve, il n’est pour nous d’abri sûr qu’en la miséricorde de Dieu. Vainement chercherions-nous à nous en procurer d’autres par notre industrie ; nous n’y serions pas plus en sûreté que Jonas sous son pavillon. Ah ! demandons plutôt à Dieu qu’Il nous crée Lui-même un asile et nous fasse la grâce d’en jouir avec reconnaissance, mais sans y attacher notre cœur ; et, soit qu’Il ne juge pas à propos de le donner, ou que, après l’avoir créé, Il trouve bon de le détruire, apprenons à dire, dans le premier cas : « La volonté du Seigneur soit faite ! » (Act. 21, 14). Et dans le second : « L’Éternel l’avait donné, l’Éternel l’a ôté, le nom de l’Éternel soit béni ! » (Job 1, 21). Lui-même ne demeure-t-Il pas à toujours notre kikajon, notre sûr asile, « la bonne part qui ne nous sera jamais ravie » (Luc 10, 42) ?
Nous avons dit plus haut que la cabane du prophète était un emblème frappant des vaines jouissances et des faux abris d’ici-bas. Nous voudrions ajouter maintenant que le kikajon de Dieu est, au contraire, une image non moins vive des consolations qu’Il répand sur les siens dans l’épreuve, de la protection, des soins paternels dont Sa bonté les entoure. Heureuse « à l’ombre du Tout-puissant », l’âme fidèle Lui dit : « Tu es ma forteresse, et mon Dieu en qui je m’assure ». Le Rocher de Jacob est pour elle comme « une source d’eau dans un pays sec et comme l’ombre d’un gros rocher dans une terre altérée ».
Nous avons dit, en outre, que le pavillon de Jonas était un emblème des vaines religions de la terre, de leur justice mensongère et de leurs trompeuses espérances. Il est doux, au contraire, de voir, dans le kikajon qui couvrit le prophète et le garantit, une riante image de la grâce qui est en Jésus, de l’entière sécurité dont jouit l’âme qui se retire sous l’aile du Rédempteur, du plein repos, dirons-nous, et de la délicieuse fraîcheur, qu’elle trouve à Son ombre. Jésus est pour elle comme un « abri » sûr « contre le vent, comme un asile contre la tempête » ; cachée avec la colombe du Cantique dans les fentes du rocher, elle ne craint plus les ardeurs dévorantes du jour de la colère à venir.
Le kikajon de Jonas rappelle également cette belle promesse du Seigneur contenue en Ézéchiel (chap. 34) : « Je susciterai à mes brebis une plante de renom ; elles ne mourront plus de faim sur la terre, et elles ne porteront plus l’opprobre des nations ». Qui sont les brebis dont parle le Seigneur ?… Les enfants d’Israël et de Juda. Et la plante de renom ?… Le grand Rédempteur qui doit les mettre un jour à couvert de l’opprobre des peuples et les garantir des jugements de Dieu ; le souverain Berger qui doit « les ramener et les faire habiter sûrement en leur terre », les « paître sous sa houlette » et les « combler de ses biens ». — Hâte les temps, Seigneur ! et que bientôt le peuple de ton élection vienne à la plante de renom, et se tienne assis à l’ombre de Celui qui lui sera comme le sapin toujours vert !
Mais le Messie, dans le règne de Sa gloire, ne serait-Il donc un asile que pour Israël dispersé, errant et fatigué ? Il le sera pareillement pour toutes les familles de la terre. « Je planterai, dit le Seigneur, un rameau pris de la cime du haut cèdre ; je le planterai sur la haute montagne d’Israël, il deviendra lui-même un cèdre excellent, et des oiseaux de tout plumage habiteront sous l’ombre de ses branches » (Éz. 17). Quel repos, quel bonheur que celui que goûteront, à l’ombre du « rejeton d’Isaï », du « Germe de l’Éternel plein de noblesse et de gloire », toutes les tribus et toutes les familles humaines, lorsque, après tant de siècles d’égarements, de crimes et de tribulations, « seront » enfin « venus les jours de rafraîchissement par la présence du Seigneur » ! Ah ! si nous aimons vraiment les hommes, si nous désirons sincèrement que le monde se repose enfin, dans un long sabbat, de ses longs travaux et de ses longues douleurs, si notre cœur éprouve le besoin de voir le Seigneur glorifié sur cette terre que Ses mains ont faite et Son sang arrosée, avec quelle ardeur ne nous écrierons-nous pas : Viens, Jésus ! Viens bientôt !
Mais quel effet produisit sur Jonas la vue du kikajon ?… « Jonas se réjouit extrêmement au sujet » de la plante miraculeuse… « Quoi ! dirons-nous, après tout ce qui vient de se passer, se réjouir, et se réjouir extrêmement, au lieu de s’humilier ! Malheureux Jonas ! ». — Disons plutôt : Malheureux cœur humain ! Car c’est lui, c’est encore lui, que nous prenons ici sur le fait. Jonas qui le personnifie ne pense jamais qu’à soi ; qu’il soit bien logé ; que, commodément assis sous sa cabane et agréablement ombragé de son kikajon, il puisse contempler plus à l’aise la ruine toujours désirée, et toujours espérée, de la grande ville : tel est le point unique qui le préoccupe ; tout le reste l’intéresse assez peu. Le cœur ne saigne-t-il pas à le voir assis là, solitaire, se réjouissant extrêmement de la petite addition faite à son bien-être matériel par le subit accroissement d’une plante, pendant qu’il s’attriste, du plus intime de son âme, de l’étonnante transformation et du salut de Ninive ?
« Jonas se réjouit extrêmement ». Homme à imagination, peu de chose le remplit d’allégresse ou de chagrin. Il en est ainsi de toutes les âmes ardentes et passionnées : une bagatelle les attriste et une bagatelle les console, comme un joujou apaise un enfant qui crie. Mais la grâce vient-elle régner dans un cœur, elle y apporte avec elle la mesure, la sérénité, la possession de soi ; elle tempère la douleur par le sentiment de l’amour de Dieu, et la joie par celui de notre misère spirituelle ; elle nous montre toutes les choses d’ici-bas comme de petites choses, renfermées dans d’étroites limites de temps et d’espace, et ne méritant, de notre part, ni beaucoup de joie, ni beaucoup de douleur. La grâce nous fait chercher notre bonheur, non dans la jouissance passagère d’un frêle kikajon, abri d’un jour, mais dans la ferme attente de cette « maison éternelle » que nous avons « dans les cieux » ; la grâce, enfin, nous enseigne à ne nous affliger extrêmement que d’une chose, savoir de nos transgressions (et encore y a-t-il un terme à cette douleur, puisque le Seigneur est miséricordieux, et qu’Il ôte le péché) — et à ne nous réjouir non plus extrêmement que d’une chose, savoir de Son amour éternel et du salut qu’Il nous a donné en Jésus Christ.
« Jonas se réjouit extrêmement ». Quoi ! de ce qu’il possède un kikajon ! — C’était peu de chose, il est vrai, qu’un kikajon ; mais c’était précisément ce dont Jonas avait besoin dans ce moment. Une petite chose venant à propos est de fait une grande bénédiction ; un faible arbuste peut, selon le cas, nous rendre le même service qu’un cèdre ou qu’un chêne ; l’opportunité ajoute beaucoup à la valeur des objets. Nous comprenons donc au fond la joie du prophète, et cela d’autant mieux que, à cette heure, il eût pu se croire rejeté de Dieu ; mais, à la vue du kikajon, il dut se dire : L’Éternel a pourtant soin de moi !. Peut-être aussi prit-il cette miraculeuse intervention du ciel comme un témoignage que, malgré tout ce qui venait de se passer, Jonas était toujours l’objet spécial de Sa faveur. Qui sait même si, tout préoccupé qu’il était encore de ses affreuses espérances, il n’alla pas jusqu’à voir, dans la création surnaturelle de l’arbuste, comme un gage du prochain accomplissement de ses vœux ! Jonas, s’il en est ainsi, oh ! que tu prends mal les bienfaits de Dieu, et comme ton cœur calomnie le sien !
Plus qu’un mot sur l’arbuste. Après nous avoir dit que Jonas « se réjouit extrêmement au sujet du kikajon », j’eusse désiré, pour l’honneur du prophète, que la relation sacrée eût pu ajouter : « À peine, aux premières lueurs de l’aurore, eût-il aperçu l’abri inespéré que, pénétré de reconnaissance, il rendit grâces à Celui qui, loin de le punir, lui donnait ce nouveau témoignage de sa fidèle bonté ». Mais il n’en est point ainsi. Jonas se réjouit, il se réjouit même extrêmement ; mais Jonas ne bénit pas. De la plante il ne sut pas s’élever à Celui qui l’avait faite. C’est très bien de se réjouir des grâces de Dieu, mais il faut savoir aussi L’en remercier ; Il délivre pour qu’on Le loue. De la joie à la gratitude, la distance est donc énorme : Jonas nous le montre bien. Mais ce qu’il ne fait pas à cette heure, espérons qu’il le fera bientôt, et que, revenu enfin à lui-même, on l’entendra s’écrier : « Mon âme, bénis l’Éternel ; car c’est lui qui te pardonne toutes les iniquités et qui guérit toutes tes infirmités ; il garantit ta vie de la fosse et le couronne de gratuité et de compassion ».