Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 45
- Mon cher M…
Je suis beaucoup occupée dernièrement du plus doux de tous les sujets, de notre union avec Jésus. C’est un sujet bien mystérieux ; mais puisque Celui qui nous enseigne est aussi Celui qui sonde les choses profondes de Dieu, nous pouvons, sous Sa conduite, nous hasarder à pénétrer dans tout ce qui nous est révélé, et à aller en avant, en considérant tout ce que nous voyons comme notre demeure, et tout ce que nous y trouvons comme notre propriété. Tout ce qui nous parle de l’identification de Jésus avec nous, nous parle aussi de notre identification avec Lui. Il fut à tous égards placé sous la discipline ; Il fut enseigné par l’Esprit ; Il fut conduit dans le sentier de la foi. Nous avons un intérêt en Sa personne aussi bien qu’en tout ce qu’Il a fait pour nous. Nous devons vivre en Dieu, respirer en Lui ; car nous ne pouvons Le connaître que par ce qui émane de Lui. Que notre marche serait sainte ; comme nous répandrions tout autour de nous l’atmosphère du ciel, si notre habitation ordinaire était le lieu secret où réside le Très-haut ! Quel champ de jouissances nous ouvre la perspective de notre ressemblance avec Jésus, et l’attente du moment où nous serons mis en possession de toutes les richesses de Celui qui est Dieu, richesses précieuses en elles-mêmes, mais doublement précieuses en ce qu’elles sont à Lui ! Mais nous avons aussi des privilèges actuels ; car, quelque misérable que soit la condition présente du croyant, Christ le considère comme l’un de Ses frères, comme Lui étant uni. Je ne veux pas parler ici de Jésus notre Seigneur, comme « Dieu sur toutes choses », comme « la Parole qui était au commencement avec Dieu, et par laquelle toutes choses ont été faites », comme Celui qui est venu du Père pour rendre témoignage de ce qu’Il avait vu et entendu ; mais bien plutôt de cette union dont, comme Jésus de Nazareth, Il jouissait avec le Père quand, « oint du Saint Esprit et de puissance, Il allait de lieu en lieu faisant du bien et guérissant tous ceux qui étaient sous la puissance du démon, parce que Dieu était avec lui », union qu’Il me semble exprimer dans ces paroles : « Moi et le Père sommes un ». « Le Père est en moi et moi en lui ». « En lui toute la plénitude a bien voulu habiter » ; « en lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité », et c’est cette unité qu’Il déclare que nous connaîtrons en ce jour-là (Jean 14, 20). Quelle que puisse être cette union, elle est à nous ; « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui ». Si quelqu’un garde Ses commandements, confesse que Jésus est le Fils de Dieu, demeure dans l’amour, aime son frère, « Dieu demeure en lui, et lui en Dieu ». « Nous viendrons à lui, et nous ferons demeure avec lui ». « Christ en vous ». « En ce jour-là vous connaîtrez que je suis en mon Père, et vous en moi, et moi en vous » ! Toutes les autres bénédictions me paraissent découler de cette union ; nous sommes les membres de Son corps, étant de Sa chair et de Ses os ; nous sommes unis au Seigneur, et par cela même « un seul esprit avec lui ». Les choses qui sont vraies en Dieu sont aussi vraies en nous, qui sommes de Christ. Oh ! quel monde de gloire pour nous dans ces paroles : « Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui » (Cant. 2, 16) !
Rien ne peut nous séparer de Jésus. Rien ne peut ôter Jésus de la coupe qui nous est présentée. Il se trouve dans chaque événement, aussi l’amour s’y trouve-t-il toujours en abondance, quoique peut-être sous un déguisement. Il nous donne à boire de Sa propre coupe de bénédiction et de gloire. Il est le grain de blé qui, tombé dans la terre, a pris racine dans les profondeurs de l’enfer, et c’est en Lui que nous avons germé et crû. Si, comme Lui, nous sommes exposés aux orages, nous jouissons de la même rosée rafraîchissante et du même soleil vivifiant que Lui. Participants de Sa nature, l’attouchement du péché produit sur nous le même effet que l’attouchement de l’homme sur la sensitive. Nous élevant avec Lui par la foi jusque dans les cieux mêmes, nous faisons tomber dans la main de notre Père les grappes délicates de Son « cep exquis ». « Toutes mes sources seront en toi » (Ps. 87, 7).
Ce que vous me dites de l’état des chrétiens à … est déplorable ; qu’il est triste que les membres ressemblent si peu à la tête ! Et cela n’est, hélas ! que trop vrai de nous tous. Quoique l’œuvre de l’Esprit soit parfaite dans l’Église, c’est à peine si on peut la discerner au travers du voile de chair qui la recouvre. La puissance de Christ agit si faiblement dans le corps, il y a si peu de fruits de Son Esprit dans les membres, que nous pourrions demander : l’Esprit du Seigneur s’est-Il amoindri ? A-t-Il été épuisé ? Où est-Il ? Les querelles qui s’élèvent parmi les enfants de Dieu, ne sont-elles pas le résultat naturel du manque de communion entre eux ? La religion de Jésus a pour but de produire et de cultiver l’union entre les membres du corps, tandis que les pièges de Satan semblent réussir à les disperser. On en est presque venu à nier le principe même de l’union chrétienne ; le christianisme n’est plus qu’une affaire entre Dieu et l’âme, et l’union des chrétiens n’est en général qu’une union de secte. N’est-il donc pas nécessaire de cultiver avec soin les grâces qui sont le fruit de l’amour ? « L’amour use de patience ; il use de bonté ; l’amour ne porte pas envie ; l’amour ne se vante pas, etc. ». Sous ce rapport Satan a triomphé au milieu des catholiques romains. Chacun fait séparément sa prière, sans paraître même savoir ce que c’est que l’union dans la prière. J’ai entendu dire l’autre jour à un ministre, qu’il pensait que son affaire était de convertir des âmes. D’après l’Écriture, il me semble que l’occupation principale du ministre commence lorsqu’une âme est amenée à la vie, et combien ne faut-il pas plus pour cela que les services publics ! Cependant, pour les âmes encore dans la mort, la tempête vaut mieux que le calme. Le mal ne vient pas autant de la différence des opinions, qui est un résultat inévitable de l’accroissement de la lumière, que de la difficulté que nous avons à consentir à ce qu’un autre voie les choses autrement que nous.
Si nous ne recevons pas des blessures de la part des hommes sous la forme de la persécution, nous en recevrons de quelque autre part. La chair combat contre l’Esprit, et l’Esprit contre la chair, parce qu’ils sont toujours contraires l’un à l’autre ; et si nous sommes dans l’Esprit, nous sentirons qu’il en est ainsi, par les blessures que nous recevrons du dehors ou du dedans. Les blessures les plus douloureuses sont celles qui nous sont faites par un frère ou par une sœur que nous aimons particulièrement ; mais elles nous donnent l’occasion de montrer que notre chair est subjuguée, en aimant et en persévérant à aimer, quoiqu’il nous arrive. Si, dans de telles circonstances, nous pensions sérieusement à empêcher que la gloire de Christ n’en reçoive aucune atteinte, nous déjouerions assurément les pièges de Satan à l’égard de notre frère. Et nous supporterions le mal avec bien plus de facilité, si, au lieu de le recevoir comme venant de telle sœur ou de tel frère, nous le recevions comme venant de la chair, notre ennemi commun. Les blessures que nous nous faisons réciproquement semblent devoir constituer maintenant l’épreuve de notre foi plus que la persécution ouverte, et si nous n’avions pas ce genre de douleurs, nous oublierions que nous sommes dans le combat, et nous jetterions bas les armes. Lors donc que nous recevons de telles blessures, ne nous étonnons pas, « comme s’il nous arrivait quelque chose d’étrange », mais réjouissons-nous de ce qu’en quelque manière que ce soit, nous participons aux souffrances de Christ. Si cette dispensation tout entière n’était pas pour l’Église un jour de jeûne, de tentation et de souffrance, comment pourrait-elle s’approprier les promesses de la gloire d’un Sauveur crucifié ? Souffrir avec Lui et être glorifié avec Lui, paraissent deux choses étroitement unies. On éprouve de la douceur à être émondé par une main qui a été elle-même blessée ; et lorsque nous sentons l’appesantissement de notre cœur, notre penchant à nous éloigner de Christ, ou à nous tenir à distance de Lui, ne devons-nous pas être profondément reconnaissants de ce qu’en nous dispensant des épreuves, Il nous montre qu’Il est jaloux de notre affection, qu’Il veut nous donner le vrai bonheur en dépit de nous-mêmes, qu’Il veut nous contraindre à recourir à Sa puissance, à vivre de Ses promesses, et à reposer notre tête sur Son sein ? Il n’est point satisfait si Ses enfants éprouvés ne sont que des chrétiens ordinaires ; Il veut que nous expérimentions ce qu’Il est, afin qu’Il puisse nous introduire dans les appartements les plus secrets de Sa fidélité. Il se pourrait que dans peu de temps nous passassions par de plus grandes souffrances, car la persécution est comme l’élément du chrétien, et l’épreuve est son triomphe. C’est dans le feu que nous sommes appelés à glorifier le Seigneur, et rien n’est plus beau pour nous que d’être trouvés dignes de porter Son opprobre. Quel est le soldat qui penserait à s’enfuir du combat, lorsque son capitaine est en avant, au front même de la mêlée ? Serait-il un soldat de Christ celui qui, bien qu’assuré de la victoire et de la gloire, regarderait comme un privilège de se trouver hors du champ de bataille ? Ne sommes-nous pas appelés à souffrir ? N’avons-nous pas été choisis pour être témoins de Sa résurrection en supportant victorieusement les douleurs de la vie ? Préparons-nous donc à une suite d’épreuves et de souffrances, et à aller de tribulation en tribulation. En notre Dieu, nous pouvons tout supporter. De même que l’esprit de prière combat pour être entendu et que l’esprit d’actions de grâces éclate en chant d’allégresse, de même aussi l’esprit du martyre prend plaisir à être en activité. Nous sommes au-dessus du pouvoir de la mort, qui, elle-même, reconnaîtra notre résurrection. Nous avons vaincu le tombeau, et nous sommes assis avec Christ notre Seigneur, dans la gloire du Très-haut. Combien nous devrions nous montrer jaloux de manifester les richesses de Sa grâce, tandis que nous sommes laissés sur un terrain ennemi ! Ce n’est que pour cela qu’il vaut la peine de vivre. Le désir de me dépenser davantage et de mieux souffrir pour mon bien-aimé Maître, sur le théâtre de Son humiliation, est la seule chose qui puisse me faire hésiter dans mon ardent désir d’être avec Lui, qui est et qui a été si puissamment avec moi. Mais nous sommes des créatures telles, que Dieu ne peut accomplir Sa volonté à notre égard, ou nous accorder les désirs de nos cœurs, sans une discipline sévère. Chaque jour il faut qu’Il travaille contre notre égoïsme. Il faut que notre vieil homme soit sans cesse maté et subjugué pour que nous puissions être remplis de la plénitude de Dieu. Oh ! s’il nous était possible de nous séparer à toujours du moi qui nous tourmente ! Si nous pouvions n’être à nos propres yeux que comme un rien ! C’est là l’idée que je me fais de notre plus grande gloire. Dans les secrets replis de notre cœur, nous cherchons sans cesse à dérober à Christ l’honneur qui Lui est dû, sans penser que la robe de gloire ne fut jamais faite pour nous ici-bas, et que nous ne saurions comment la porter. Nous croyons être quelque chose, et nous nous rendons parfaitement ridicules.
Dans ces jours difficiles, je craindrais beaucoup pour moi-même, si je ne pouvais pas embrasser fortement la promesse du chapitre premier de Jacques : « Si quelqu’un de vous manque de sagesse, etc. ». Je ne puis croire que, lorsque je Lui demande du pain, Il veuille me donner une pierre. Si je ne savais pas que mon Maître est aussi fidèle qu’Il est infaillible, il n’y aurait point de livre que je redoutasse autant de prendre entre mes mains que le livre de Dieu ; et si j’étais quelque peu laissée à moi-même, je me serais bientôt plongée dans un océan d’erreurs. L’esprit humain renferme un poison si dangereux, qu’il faut toute la sagesse et toute l’énergie de la toute-puissance pour empêcher que ce qui doit faire notre salut ne devienne notre destruction. Puissions-nous être remplis d’ardeur ; puissions-nous vraiment vivre pendant que nous traversons cette vie ; puissions-nous posséder davantage de cet amour qui, tout en couvrant les fautes d’un frère, aime à les porter au trône de la grâce, qui sait discerner avec reconnaissance la grâce de Dieu dans un frère ou dans une sœur, qui est aussi fidèle à reprendre ceux qui pèchent, qu’il est zélé pour la défense de ceux qu’on accuse injustement ! Puisse la poutre disparaître de plus en plus de notre œil, afin que nous voyions toujours moins de brins de paille dans l’œil de notre frère !
- Votre fidèle et affectionnée
T.A. Powerscourt