Livre:Voyage du chrétien vers l’éternité bienheureuse/Chapitre 19
Après avoir chanté leur cantique, nos pèlerins continuèrent leur voyage en s’entretenant toujours des choses qui leur étaient arrivées dans la route ; ce qui leur était un grand soulagement à cette époque de leur voyage, qui aurait pu leur être fort ennuyeux sans cela ; car ils avaient alors un désert à passer[1].
Le Chrétien et le Fidèle avaient presque achevé de passer ce désert, lorsqu’ils aperçurent derrière eux quelqu’un qui les suivait de fort près.
— Ah ! dit le Chrétien, qui le reconnut d’abord, c’est l’Évangéliste, mon bon ami !
— Et le mien aussi, dit le Fidèle, car c’est lui qui m’a mis dans le chemin de la porte.
Cependant l’Évangéliste se trouva tout près d’eux et les salua en disant : — Paix vous soit, et à tous ceux qui sont avec vous !
Le Chrétien. — Bienvenue, bienvenue, mon cher Évangéliste ! Votre présence réveille en moi le souvenir de notre ancienne amitié, et des soins infatigables que vous avez pris pour mon salut éternel.
— Bienvenue mille et mille fois ! dit le Fidèle : que votre compagnie est agréable à de pauvres pèlerins comme nous !
— Et comment vous êtes-vous portés, dit l’Évangéliste, depuis notre séparation ? Quelles rencontres avez-vous eues ? Et comment vous y êtes-vous conduits ?
Le Chrétien et le Fidèle lui ayant raconté tout ce qui leur était arrivé, et avec combien de peines et d’incommodités ils étaient parvenus jusque-là, l’Évangéliste leur dit : — J’ai bien de la joie, non de ce que vous avez eu à essuyer tant de travaux, mais de ce que vous les avez surmontés, et que, malgré toutes vos faiblesses, vous avez persévéré constamment jusqu’à ce jour. Je vous assure que j’en ai une véritable joie, pour moi et pour vous. J’ai semé, vous avez moissonné, et le temps vient que l’un et l’autre, et celui qui sème et celui qui moissonne, auront ensemble de la joie ; en sorte que si vous persévérez jusqu’à la fin, vous moissonnerez en son temps, si vous ne devenez point lâches (Gal. 6, 9). La couronne qui vous est proposée est une couronne incorruptible (1 Cor. 9, 24) ; c’est pourquoi courez tellement que vous remportiez le prix. Plusieurs font semblant de courir pour cette couronne ; mais quand ils ont couru un peu de temps, un autre vient qui emporte le prix. Tenez donc ferme ce que vous avez, afin que nul ne vous ôte votre couronne (Apoc. 3, 11). Vous n’êtes pas encore à couvert des flèches de Satan. Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang, en combattant contre le péché (Héb. 12, 4). Que le royaume des cieux soit continuellement devant vos yeux, et croyez fermement les choses qui vous sont encore invisibles ; ne permettez pas qu’aucune des choses présentes occupe vos cœurs et vos esprits ; sur toutes choses veillez exactement sur votre propre cœur, car il est trompeur par-dessus tout, et désespérément malin. Fortifiez-vous donc et vous affermissez, afin que vous soyez inébranlables : toutes les forces du ciel et de la terre sont pour vous.
Le Chrétien le remercia de son exhortation ; puis il lui dit qu’il souhaiterait bien qu’il voulût continuer de s’entretenir avec eux, et les aider à passer le reste du chemin, d’autant plus qu’ils savaient qu’il pourrait leur prédire ce qui devait encore leur arriver, et leur apprendre en même temps de quelle manière ils auraient à se conduire pour pouvoir tout surmonter. Le Fidèle lui ayant témoigné le même empressement, l’Évangéliste continua à leur parler en ces termes :
— Mes enfants ! la vérité de l’évangile vous a été proposée, savoir, que c’est par plusieurs tribulations qu’il vous faut entrer au royaume des cieux (Act. 14, 22), et que des liens et des tribulations vous attendent de ville en ville. C’est pourquoi vous ne devez pas vous imaginer que vous puissiez guère passer plus avant dans votre pèlerinage sans éprouver ces choses d’une manière ou d’une autre. Vous en avez déjà fait quelque expérience ; bientôt vous en ferez encore de nouvelles ; car vous arrivez maintenant, comme vous le voyez, au bout de cet affreux désert ; après quoi vous viendrez dans une ville que vous pourrez bientôt découvrir devant vous. C’est là que vous serez assiégés d’un grand nombre d’ennemis qui se déchaîneront contre vous avec fureur, et qui tâcheront même de vous faire mourir ; et soyez assurés que l’un de vous scellera de son sang le témoignage que vous portez. Mais soyez fidèles jusqu’à la mort, et le roi vous donnera la couronne de vie (Apoc. 2, 10). Celui qui mourra dans cette occasion, quoique d’une mort violente et cruelle, sera néanmoins plus heureux que son compagnon, non seulement parce qu’il arrivera le premier à la cité céleste, mais aussi parce qu’il sera exempt de plusieurs misères que l’autre aura encore à essuyer dans le reste de son voyage. Cependant dès que vous serez arrivés dans cette ville, et que vous éprouverez l’accomplissement de ce que vous ai prédit, pensez à votre ami et soyez pleins de courage, en recommandant vos âmes au fidèle Créateur et faisant ce qui est bon (1 Pier. 4, 19).
- ↑ Le chrétien trouve aussi des déserts dans la vie, des moments de sécheresse, d’abandon, de découragement, de délaissement, ou aussi de rudes épreuves.