Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/Introduction — Ninive et Jonas

De mipe
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Jonas paraît vers l’origine des temps historiques, environ sept cent quatre-vingts ans avant la naissance du Sauveur, et cent trente avant la captivité des dix tribus. De concert avec Amos, Osée et Joël, il ouvre cette noble élite de serviteurs de Dieu dont la parole puissante ranima momentanément en Israël les dernières lueurs d’une vie qui bientôt allait s’y éteindre. Originaire de Gath-Hépher, bourg obscur de Zabulon, il exerça son ministère sous Jéroboam second et le continua probablement sous Zacharie, Shallum et Menahem. Dieu, toujours riche en miséricorde, lui avait donné l’ordre de relever le courage des enfants d’Éphraïm en leur annonçant qu’ils vaincraient le Syrien, leur oppresseur, et recouvreraient leurs anciennes limites, « de l’entrée de Hamath jusqu’à la mer de la Campagne », prophétie qui se réalisa sous le règne de Jéroboam second (2 Rois 14).

Une autre mission d’un genre beaucoup moins agréable fut ensuite confiée au prophète de Gath-Hépher. Avant de la raconter, disons quelques mots sur le pays auquel elle se rapportait. Ce pays était Assur, ou l’Assyrie. L’histoire de ce puissant empire, dont la capitale était Ninive, demeure enveloppée de ténèbres. Nous lisons dans la Genèse qu’à l’époque où vivait Moïse, l’Assyrie était un état commerçant et prospère (Gen. 25) ; et, au livre des Nombres, que le devin Balaam, venu des rives de l’Euphrate, annonça aux Kéniens, peuple qui habitait à l’occident du Jourdain, qu’ils seraient un jour menés en captivité par Assur (Nomb. 24). C’est à peu près tout ce que l’Écriture nous apprend sur le premier empire d’Assyrie. Il fut détruit vers l’an 800 avant Jésus Christ.

Des ruines du premier empire assyrien, l’on voit bientôt sortir trois royaumes, celui des Mèdes, celui de Babylone, et le second royaume d’Assyrie, dont Ninive demeura la capitale. La Bible nous fait connaître plusieurs rois du nouvel empire, à dater de Phul ou Pul qui régnait probablement à Ninive quand Jonas y parut. L’Assyrie proprement dite comprenait, à l’est du Tigre, le Kurdistan actuel, avec la vaste plaine qui s’étend au pied des montagnes formant le bord occidental de l’immense plateau de l’Iran. C’est un pays très fertile, dont Rab-Shaké disait avec raison qu’il produisait en abondance le froment et le vin, l’olive et le miel (2 Rois 18).

Les Assyriens ne restèrent point enfermés dans les limites de leur patrie. À peine le second empire fondé, ils attaquent, sous leur roi Phul ou Pul, le royaume d’Éphraïm. Mais, apaisé par Menahem qui régnait en Israël, Pul, au lieu de déposséder le prince, l’affermit sur le trône qu’il venait d’usurper et reçoit en retour un tribut de mille talents d’argent. Sous Tiglath-Piléser, trente ans plus tard, les Assyriens réduisirent à l’extrémité le royaume d’Israël, détruisirent celui de Syrie, et ravagèrent celui de Juda qui avait imploré leur assistance. Ainsi les rois d’Assyrie apprirent le chemin de la Terre Sainte et en résolurent enfin la conquête.

En 721, Shalmanéser s’empara de Samarie, et ruina complètement le royaume des dix tribus. Sept ans après, Sankhérib tenta de soumettre le royaume de Juda. À cette époque, l’empire d’Assyrie comprenait, non seulement la Mésopotamie, mais la Babylonie, la Médie et une partie de l’Asie centrale. Assur s’étendait, de ses belles et hautes montagnes et de ses plaines fertiles, vers le nord par-delà la mer Caspienne, vers le sud par-delà le golfe Persique, tandis que, du côté de l’ouest, il touchait à la Méditerranée. La possession de Juda semblait le complément nécessaire des conquêtes du second empire. Sankhérib marcha donc contre Jérusalem. Ézéchias, le plus saint des rois après David, gouvernait alors la Judée. Sankhérib va l’assiéger dans sa capitale ; mais la puissante armée du fier monarque périt en une nuit sous le glaive de l’ange exterminateur. Quoique déjà maître de toutes les villes de Juda, le prince humilié reprend en hâte le chemin de Ninive ; la fortune de son empire change, le déclin commence, et la chute d’Assur est aussi rapide que l’avait été son élévation. Le second empire d’Assyrie fut détruit par les Mèdes dont le roi s’empara de Ninive et anéantit la riche métropole de l’Assyrie et la dominatrice des nations.

Revenons à Jonas. C’est donc au début du second empire d’Assyrie et sous le règne de Pul, que nous plaçons la mission du prophète[1].

Déjà maîtresse d’une vaste portion de l’Orient, Ninive songeait à reculer à l’occident les limites de sa domination, et à s’établir sur tout le littoral de la grande mer. Pul venait de menacer Israël et de rendre tributaire Menahem qui régnait à Samarie (2 Rois 15). Mais Dieu ne voulait pour le moment qu’humilier et avertir les dix tribus. En conséquence, Il éloigne de leurs frontières le monarque assyrien, et bientôt après l’humilie lui-même à son tour. Il a vu l’orgueil, le luxe, les rapines et les violences de Ninive ; toutes les iniquités de la cité corrompue sont montées jusque devant Lui ; Il commande à Jonas d’aller menacer de Ses jugements celle devant qui tremblaient Israël et les nations.

Ninive commençait à devenir pour Éphraïm ce que Babylone devait être un jour pour Juda : la verge de Dieu pour le châtier. C’était une des villes les plus anciennes du monde. Assur, petit-fils de Noé, l’avait fondée (Gen. 10) sur la rive orientale du Tigre, et vis-à-vis des lieux où s’élève la moderne Mossoul. Il ne fallait pas moins de trois journées pour en faire le tour. Elle renfermait une immense quantité de jardins et de parcs où paissaient d’innombrables troupeaux, et comptait jusqu’à cent vingt mille enfants incapables de distinguer leur main droite de leur main gauche (Jon. 4), ce qui supposait une population totale d’environ deux millions d’habitants. Sa richesse, sa magnificence et sa force répondaient à sa grandeur. Elle étincelait d’or et de pierreries. Ses murs, flanqués de mille cinq cents tours de deux cents pieds de haut, avaient cent pieds d’élévation et étaient si larges que trois chariots pouvaient y marcher de front.

Mais, grande par sa splendeur, par la majesté de ses édifices, par l’innombrable multitude de ses habitants, par la force irrésistible de ses armes, autant que par l’éclat de sa renommée, la cité d’Assur ne l’était pas moins par le nombre de ses désordres, par l’excès de son orgueil et par l’énormité de ses crimes. Les prophètes la nommaient la « cité sanguinaire, remplie de vols, de mensonges et d’adultères » (Nahum) ; « la ville joyeuse, qui se tient pour assurée, et qui dit : Je suis, et il n’y en a point d’autre que moi » (Sophonie). Entièrement plongée dans l’idolâtrie, elle possédait, comme toutes les villes des nations que n’avait point éclairées la lumière de Jéhovah, elle possédait ses dieux particuliers, ses patrons, apparemment les mêmes que ceux de Babylone, savoir Bel ou Baal, Nebo, Astaroth[2]. Ninive était le berceau de la magie, le grand marché des enchantements et des sortilèges (Nahum), la mère des abominations de toute la terre civilisée. La coupe de la colère de Dieu va déborder sur elle ; Jonas ira le lui déclarer de Sa part. Alors la cité superbe saura que le Dieu de ce petit pays de Judée, objet tout à la fois de sa convoitise et de ses dédains, est le Dieu suprême ; elle saura que si, pour châtier son peuple, Il le laisse justement dans l’opprobre et sous l’oppression, Il n’en est pas moins le Seigneur et le Maître des nations ; la fière Ninive, d’où sortira plus tard le destructeur d’Éphraïm, tremblera devant un faible Hébreu qui la menacera d’une ruine immédiate et complète, et son grand orgueil s’abaissera jusque dans la poudre à la voix d’un simple enfant d’Israël, qui ne viendra contre elle avec d’autres armes que la parole de Jéhovah.

C’est le récit de cette grande mission que renferme le livre de Jonas. Est-il lui-même l’auteur de ce livre ? Le silence que garde la narration sur le retour du prophète à de meilleurs sentiments le ferait présumer ; il suffit à Jonas que Dieu ait raison contre lui ; il ne juge pas nécessaire de se justifier lui-même aux yeux du lecteur. Mais, qu’il ait écrit lui-même la relation ou qu’un autre l’ait rédigée d’après ses récits, toujours est-il que c’est de lui que nous la tenons, et qu’elle honore singulièrement son caractère. Il y dépose avec une entière franchise l’aveu de son égarement, et, dans un contraste bien humiliant pour sa personne, il y déroule devant nous tout ce qu’il y eut de plus insensé dans sa conduite, en même temps que tout ce qu’il y eut de plus remarquable dans la pénitence du peuple idolâtre auprès duquel Dieu l’avait envoyé.

Au reste, la destruction de Ninive ne fut que retardée par la repentance temporaire de ses habitants. On vit la cité royale prospérer et grandir encore sous Tiglath-Piléser qui poursuivit contre Éphraïm les agressions commencées par Pul ; puis sous le redoutable Shalmanéser, puis sous le grand Sankhérib. Dès lors, parvenue au faîte de sa gloire, Ninive courut rapidement à sa ruine. Le rasoir pris à louage au-delà du fleuve fut brisé, le bâton de l’exacteur fut rompu (És. 7 ; 9 ; 10) ; un fléau de Dieu succédant à un autre fléau, Babylone recueillit le riche héritage de la cité-reine pour tomber plus tard, à son tour, sous le joug des Médo-Perses qui vinrent occuper dans l’histoire la place et le rôle qu’avaient si longtemps remplis les deux grands empires d’Assur et de Babel.

Le livre de Jonas n’est pas un récit qui n’intéresse que le prophète ; il n’est pas une histoire simplement destinée à flatter notre imagination ou à piquer notre curiosité par la singularité des choses qu’elle renferme. Ce livre a certainement un but moral. Il nous montre tout ce qu’il y a de résistance au Seigneur, d’opposition secrète à Sa volonté jusque dans le cœur le plus sanctifié, en même temps que tout ce qu’il y a de trésors de compassion dans le cœur de Dieu. Il nous fait voir où nous mène notre volonté propre, quand nous la prenons pour guide, et ce que devient l’homme lorsqu’il entreprend de contester avec son Créateur. Il nous révèle enfin le secret de Dieu pour triompher de la malice de Sa créature humaine, et nous donne beaucoup d’autres instructions que nous recueillerons à mesure que nous avancerons dans notre lecture.

Mais, outre son but moral, le livre de Jonas a manifestement une intention symbolique. Le prophète s’y présente à nous sous deux aspects bien tranchés ; il y a en lui deux hommes : l’homme charnel, récalcitrant, jaloux des grâces accordées aux païens, tout juif par ses préjugés ; et l’homme spirituel, le messager de Dieu, le serviteur que l’Éternel emploie et qu’Il dirige pour l’exécution de Ses desseins. En ce qu’il a de bon, Jonas est une sorte de type ou de personnification d’Israël dans ce que ce peuple a lui-même de bon, et fait pressentir sa destination future de porteur de la divine Parole à tous les autres peuples. En ce qu’il a de mauvais, Jonas symbolise la nation juive telle qu’elle se montrait déjà du vivant du prophète, et telle surtout qu’elle devait apparaître aux jours de la prédication de l’évangile : profondément antipathique aux Gentils, décidément opposée à leur salut, mortellement jalouse de leurs privilèges et de leur bonheur.

Mais, avant tout, le livre de Jonas est une prophétie du Christ, prophétie en symbole ou en drame. Nous nous expliquons. Jésus est le grand objet du témoignage prophétique (Apoc. 19) ; c’est de Lui que tous les prophètes nous entretiennent, tous sans nulle exception ; la Parole le déclare expressément (Luc 24, 27 ; Act. 3, 18-24 ; 13 ; 1 Pier. 1 ; etc.). Or, Jonas n’est pas simplement un prédicateur ; il est un prophète ; Jésus le qualifie positivement ainsi (Matt. 12 ; 16 ; Luc 11). Comme tous les autres prophètes, il rend donc témoignage à Christ. Mais il le fait à sa manière. Tandis que les uns L’annoncent sans Le préfigurer, que d’autres L’annoncent et Le préfigurent en même temps par quelque trait de leur ministère ou de leur vie, Jonas Le personnifie sans Le nommer une seule fois. « Comme Jonas fut dans le ventre du grand poisson trois jours et trois nuits », dit le Seigneur, « ainsi le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre ». — « Et de même que Jonas fut un signe pour les Ninivites, de même aussi le Fils de l’homme en sera un pour cette génération ». — « Les hommes de Ninive se relèveront au jugement avec cette génération et la condamneront, parce qu’ils se convertirent à la prédication de Jonas, et voici il y a ici plus que Jonas ». En prononçant ces mémorables paroles que nous expliquerons plus tard, le Seigneur établit clairement le caractère général de type ou personnificateur du Messie que nous attribuons au fils d’Amitthaï. Dieu dirigea l’événement le plus remarquable de la vie du prophète, en vue de ce qui devait arriver un jour au Rédempteur promis. Nulle part Jonas ne prononce le nom du grand réparateur, et partout il Le montre à notre foi. Ce que d’autres devaient exposer en paroles, lui le met en action sous nos yeux ; par tout le contenu de son livre, il préfigure le Fils de l’homme, Ses détresses, Sa mort, Sa résurrection, la rédemption par Son sacrifice, et la prédication qui devait se faire en Son nom de la repentance et de la rémission des péchés parmi toutes les nations.

Tel nous apparaît le livre du prophète quand l’Esprit du Seigneur a levé pour nous le voile qui est sur l’Ancien Testament. Livre éminemment messianique, véritable évangile en drame, évangile selon Jonas, oserions-nous presque dire, partie essentiellement intégrante du vaste système typique de l’ancienne alliance, il a sa place marquée, nécessaire, dans cet admirable concert de prophéties alternativement déclaratives et paraboliques, dans cet harmonique et complet ensemble d’oracles, de types, d’emblèmes et de symboles, qui tous, comme autant de rayons lumineux, vont directement aboutir à la personne glorieuse d’Emmanuel. Christ, l’objet de l’amour éternel et des divines préoccupations du Saint Esprit, Christ en est la clef ; sans Lui, ce livre, notamment en ce qui concerne le séjour du prophète dans le ventre du cétacé, demeure un indéchiffrable hiéroglyphe ; avec Lui, il devient partout lumière et vie, et, comme tout le reste des saintes Lettres de l’Ancien Testament, il peut nous rendre « sages à salut par la foi qui est en Jésus Christ ». Grande et féconde idée que nous essaierons de développer dans le cours de ce travail. Toutefois, nous le ferons avec réserve, nous rappelant qu’un personnage figuratif ne l’est que dans certains traits de sa vie et de son caractère, et qu’en forçant un type on court le risque de s’égarer. Paul recommande ce qu’on pourrait nommer la typologie ou recherche discrète et scripturaire des sens symboliques de l’Ancien Testament (Héb. 5). Que Dieu nous préserve de ce que nous voudrions appeler la typomanie, par où nous entendons l’abus que notre imagination peut si facilement en faire, et cette fâcheuse préoccupation d’esprit qui croit en découvrir partout.

Maintenant prenons le livre. Suivons le développement graduel du grand drame qu’il ouvre devant nous ; assistons à chacune des scènes qu’il déroule l’une après l’autre sous nos yeux, et recueillons les enseignements qui en découlent, nous rappelant que tout ce qui arrivait aux anciens « leur arrivait en types, que toutes ces choses furent écrites pour notre instruction » (1 Cor. 10) ; que « toute l’Écriture » (et Jonas en fait aussi partie ) « est divinement inspirée, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli, étant entièrement formé pour toute bonne œuvre » (2 Tim. 3).



  1. Jonas contemporain de Pul. — Il n’est pas facile de déterminer à quelle époque Jonas se rendit à Ninive. Quelques auteurs l’y font arriver sous le règne de Sardanapale et vers le moment de la décadence et de la ruine du premier empire d’Assyrie. Mais la teneur du livre de Jonas ne cadre pas aisément avec cette supposition. Il nous paraît plus sûr d’admettre que Jonas ne visita Ninive que sous le second empire assyrien. Maintenant à quelle époque de cet empire y parut-il ? Nous inclinons à croire que ce fut sous le roi Pul, le premier roi, selon nous, de la monarchie renouvelée. En effet, Jonas vécut sous le règne de Jéroboam second ; et sa carrière, ainsi que nous l’avons supposé, a facilement pu se prolonger sous les règnes des successeurs immédiats de ce prince, de Zacharie, de Shallum et même de Menahem ; car de Jéroboam second à Menahem il ne s’écoula que peu d’années, les princes intermédiaires n’ayant ensemble occupé le trône que peu de temps. Or, comme on l’a vu, ce fut sous le règne de Menahem que Pul se montra sur les frontières d’Éphraïm ; ce qui permet de supposer que Jonas et Pul ont dû vivre à la même époque. L’impression générale qu’on reçoit de la lecture du livre du prophète confirmerait cette opinion. On y sent une ville à qui l’Éternel a réellement fait grâce, un empire qui prospère et grandit, plutôt qu’une cité qu’il va châtier et briser, qu’un état qui décline rapidement et touche à sa fin. Il est même probable, ainsi que nous l’avons également avancé, que ce fut, entre autres raisons, pour humilier son orgueil et opposer une barrière à ses invasions, que le Dieu des Juifs voulut se manifester à la grande cité comme le Dieu suprême, et la menacer de Ses plus terribles jugements. Au reste, il est bon de l’ajouter, le point après tout n’a que peu d’importance relativement à notre but qui est essentiellement pratique.
  2. Ce n’étaient probablement que des noms donnés au soleil et à la lune, objets accoutumés de l’adoration des Orientaux.