Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 32

De mipe
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Powerscourt, le 11 février 1829
Mon cher ami,

J’ai été dernièrement très occupée des versets 12, 13, 14 du chapitre 5 des Actes. C’est là ce que les croyants devraient être au milieu des hommes. La question n’est pas, repousserons-nous telle ou telle personne de notre société ; mais vivrons-nous, parlerons-nous de telle manière qu’aucun de ceux qui ne sont pas « des nôtres », n’ose se joindre à nous ? Oh ! que ces temps sont dangereux pour l’Église ! La nécessité des persécutions et des tribulations pour garder l’Église pendant qu’elle est dans le monde, nous démontre la sagesse miséricordieuse de notre Dieu. Les temps de persécution sont ceux de sa prospérité. Satan ne dort pas ; il est plus à redouter quand il mine sourdement, que quand il détruit ouvertement ; son but est de séduire même les élus, s’il était possible, en les engageant par des motifs spécieux à faire son œuvre, en dépit de la sincérité de leur cœur. Dans son désir de rectifier l’idée fausse que la religion consiste tout entière à vivre différemment des autres, l’Église a fini par vivre dans une étroite conformité au monde. Elle a voulu prévenir une méprise, mais elle est devenue infidèle à sa mission, en présentant le christianisme sous un faux jour, et en donnant une fausse ressemblance de son Seigneur. Il est vrai que par là le monde a été réconcilié, en grande partie, avec des choses qui, si elles étaient fidèlement représentées, n’obtiendraient jamais son approbation ; mais l’Église, en atteignant ce but, a rendu contre elle-même un bien triste témoignage. N’est-ce pas là la raison pour laquelle le christianisme est beaucoup plus une profession qu’une confession ? — Quoique nous soyons errants et dispersés, nous n’allons pas çà et là « annonçant la bonne nouvelle de la Parole ». Nous sommes entrés dans le monde ; nous avons marché au milieu de ses enfants ; nous nous sommes arrêtés, nous nous sommes assis auprès d’eux ; nous leur avons présenté notre main ; ils nous ont présenté la leur, et maintenant nous marchons agréablement ensemble bras dessus, bras dessous. Si nous ne les imitions pas dans le luxe et la vanité, ils ne viendraient pas au-devant de nous. Si notre conduite et notre conversation étaient en témoignage contre eux, ils auraient bientôt pris congé de nous. Les temps sont dangereux, lorsque les chrétiens ont le loisir de jouer avec les idoles.

Un ami, qui m’est cher, disait que l’Église est maintenant si satisfaite de son veuvage qu’elle a cessé d’attendre le retour du Seigneur. Telle est notre position. Les temps de persécution ont l’avantage de faire converger toutes les facultés de l’âme vers un seul point. Combien la grâce de l’attente patiente est magnifique chez Rutherford et chez d’autres croyants persécutés ! L’amour appellerait presque des temps difficiles, dans la crainte que la cause de Celui que nous aimons ne soit déshonorée ; et plus nous nous réjouissons dans le Seigneur, plus cette crainte nous afflige. En mener deuil est de peu d’utilité ; la grande question pour nous est de savoir comment nous pourrons rendre témoignage contre ce mal, tout en cherchant le bien de notre génération. Et puisque dans tous les âges il doit y avoir un certain nombre de personnes qui rendent à Dieu un fidèle témoignage, comment nous conduirons-nous au milieu de ces êtres privilégiés ? Il se confie à notre amour ; nous sommes comme des volumes de Sa bibliothèque destinés à être lus par le monde ; par quels moyens remplirons-nous fidèlement notre mission ? Ne sera-ce pas en obéissant au commandement si souvent répété et si souvent foulé aux pieds, de nous aimer les uns les autres ; en contribuant à une plus grande union entre les membres du corps ; en répandant davantage autour de nous l’atmosphère céleste de l’amour, et en en démontrant davantage l’existence par toute notre conduite ? Avec quelle instance Il nous excite à cette grâce, et cela sans y apporter aucune limite : « Je vous donne un commandement nouveau, que, comme je vous ai aimés, vous vous aimiez aussi les uns les autres ! ». Cet amour porte au renoncement à soi-même ; « étant riche Il s’est fait pauvre pour nous ». C’est un amour dévoué ; « Il s’est donné lui-même pour nous » ; — « étant attachés les uns aux autres par affection fraternelle » ; — « étant obligeants et compatissants » ; — « pleurant avec ceux qui pleurent, étant dans la joie avec ceux qui sont dans la joie » ; — « si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui » ; — « regardant, non pas chacun à nos intérêts, mais chacun aussi aux intérêts des autres » ; — « marchant dans l’amour, comme aussi le Christ nous a aimés » ; « nous accommodant aux humbles » ; — « prenant garde les uns aux autres, pour nous exciter à l’amour et aux bonnes œuvres ; n’abandonnant pas notre réunion, et cela d’autant plus que nous voyons approcher le jour » ; montrant en toute chose débonnaireté, douceur, fidélité, pardon et support. Je pense que si chaque corps de chrétiens visait davantage à cela, en action, en parole et en esprit dans les diverses localités où ils sont placés, le monde serait beaucoup plus convaincu par cette unité-là que par tous les autres moyens qu’on cherche à employer. Les hypocrites auraient honte de se couvrir de Christ comme d’un vêtement honorable, tandis que les croyants se revêtiraient bien plus complètement de Lui, et pourraient Le supporter étroitement lié à eux par le lien de la perfection, qui est le signe auquel on reconnaît Ses disciples.

Il me semble que les ministres fidèles se bornent trop à l’évangélisation, et qu’ils négligent la partie la plus difficile de leur œuvre, qui consiste à sonder les cœurs. Ils devraient veiller sur les âmes, les avertir, les exhorter ; montrer, d’après les Écritures, les erreurs de l’intelligence et celles de la vie ; de cette manière, les membres du corps entreraient mieux dans les circonstances les uns des autres, et s’identifieraient mieux aussi aux intérêts de l’Église ; les actions de grâces seraient multipliées, et un plus grand nombre de personnes rendraient gloire à Dieu. Il est plus facile de faire des démonstrations extérieures d’amour qu’il ne l’est d’avoir l’Esprit de Dieu ; et cependant, sans l’Esprit, tous nos efforts pour aimer, pour montrer de l’humilité et de la spiritualité, seraient une parodie de Christ, une carcasse sans âme. Rien ne paraît plus propre à nous placer dans un état d’attente et à nous séparer du monde, que de fixer sans cesse nos yeux sur le second avènement du Seigneur. C’est alors que notre âme s’élance en avant, joyeuse d’être délivrée de tous les efforts de Satan pour la maintenir dans de fausses vues sur ce sujet. J’aimerais aussi sentir davantage que le don de notre argent est le plus faible de tous les témoignages de notre amour. Tout en produisant le renoncement à soi-même, l’amour produit aussi la générosité sous toutes les formes possibles. Contemplons donc chaque jour davantage, comme dans un miroir, la gloire de Dieu, jusqu’à ce que nous ayons été transformés à Son image. Réchauffons-nous en nous tenant plus près de la fournaise de l’amour. Qu’Il veuille amollir nos cœurs en les imprégnant de Son Esprit ; qu’Il fasse déborder Ses sources tout autour de nous ! N’avons-nous pas été aimés ? N’aimons-nous pas à notre tour ? Ne sommes-nous pas dans la lumière ? N’avons-nous pas été les objets de cette prière : « Afin que tous soient un, comme toi, Père, es en moi, et moi en toi » ? Il est possible que ma pauvreté dans l’amour me fasse sentir plus vivement les besoins de l’Église à cet égard. Il faut que je prie avec plus d’ardeur « pour avoir une affection fraternelle sans hypocrisie, pour aimer avec constance, d’un cœur pur », « en œuvre et en vérité », comme je m’aime moi-même, non de cet amour qui provient du devoir, mais de l’amour qui engendre le devoir ; pour aimer comme des frères les enfants de Dieu avec lesquels je dois vivre, aussi bien que ceux que je rencontre occasionnellement. Cette grâce divine n’est-elle pas rehaussée encore à nos yeux, si nous pensons qu’elle est le commandement de Christ, Son dernier, je dirai même Son seul commandement, lequel Il donna à Ses disciples, lorsque, oubliant Ses propres sentiments et Ses propres angoisses, Il ne s’occupait qu’à les consoler ? Je pense souvent que nous n’apprécions pas assez la grâce qui a déjà été accordée. Il y a tant de mal au-dedans de nous, que nous craignons d’y regarder pour y voir cette grâce ; et souvent nous la voyons tellement mélangée chez les autres, que nous ne pouvons la séparer de la créature ; mais encore un peu de temps, et toute l’œuvre de Dieu en nous sera manifestée à Sa louange et à Sa gloire. Tous ceux qui auront reçu un seul verre d’eau froide seront là pour en rendre témoignage, alors même que nous en aurons perdu le souvenir (Matt. 25, 37). Jusqu’à ce moment-là, je ferai taire mes alléluias, à moins que la seule pensée qu’il y aura au jour dans lequel je serai capable de louer mon Dieu ne me force à les faire entendre. Oh ! que de choses j’aurai alors à vous dire de Sa fidélité ! Quelle histoire merveilleuse et pour vous et pour moi ! Je vous ai exposé tous mes sentiments, non seulement pour que vous m’affirmiez que tout cela n’est pas une imagination de mon cerveau, mais aussi pour vous engager à exciter les ministres sur lesquels vous avez quelque influence à donner un exemple vivant dans ces temps difficiles. Écrivez-moi bientôt, et donnez-moi les exhortations dont vous pensez que j’ai le plus besoin.

Votre affectionnée en Christ

T.A. Powerscourt