Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 53
- Mon cher M…
Quoique je sente le besoin de vous écrire, je n’ai pas l’espérance de vous apporter aucune consolation ; je sais par expérience que Celui qui fait la plaie peut seul la bander, que Celui qui blesse est le seul dont les mains guérissent ; toutefois je ne puis m’empêcher de vous dire combien je partage votre épreuve. Peu de personnes ont eu plus de sujets de douleur que moi ; c’est pourquoi il en est peu qui doivent être capables de pleurer aussi sincèrement avec les autres, ou de leur parler autant de la consolation par laquelle elles ont été elles-mêmes consolées de Dieu. Oh ! en vérité, dans de tels moments le monde est un bien triste néant ! Tout paraît mystérieux, confus, décourageant. Le diable suggère des questions et des sentiments de rébellion, dont la seule idée ferait horreur dans d’autres temps, et l’on croit avoir presque le droit de dire : « C’est bien fait à moi que je me sois ainsi dépité ». Serait-ce là votre cas, mon cher M. …, ou bien pouvez-vous, à travers le nuage, discerner un sourire de paix, d’affection et d’amour sur le visage de votre Père, qui ne tient la verge qu’afin de contraindre Son enfant à se jeter dans les bras mêmes qui le châtient. Oh ! que vous êtes heureux, si vous pouvez vous approprier cette consolation ! Dieu vous épargne les horribles souffrances par lesquelles j’ai dû passer pendant un certain temps. Je savais bien alors que toutes les promesses m’appartenaient, mais elles ne pouvaient m’apporter aucune consolation, parce que je voulais m’y attacher avec ma propre force, oubliant que j’avais besoin de l’Esprit même qui avait soutenu Christ sur le calvaire. Si je n’avais pas eu les livres de Job et de Jonas, je n’aurais jamais pu croire que mon Père céleste était là, qu’Il voyait tout, et qu’Il attendait pour faire grâce à une malheureuse telle que moi. Mais « Celui qui a promis est fidèle » ; « Il ne vous laissera point orphelin ». C’est dans sa fidélité qu’Il vous a affligé. Parce que vous êtes Son enfant, Il agit à votre égard comme Il a agi à l’égard de Son Fils. Quand Il vous priverait de toute communion sensible avec Lui, vous devriez vous rappeler que ce fut aussi le chemin de Celui à qui il ne restait que la force nécessaire pour dire encore : « Mon Dieu ! ». Aucune affliction n’est un sujet de joie au premier moment ; attendez-vous au Seigneur, et Il consolera votre cœur. Je sais qu’Il le veut. Ce Consolateur qui remplace Jésus pendant Son absence, est parfaitement suffisant pour combler le vide que vous fait éprouver le départ de votre chère enfant. Si nous pouvions avoir seulement un aperçu de Son amour dans ces dispensations douloureuses, nous pourrions dire en vérité : « Il a bien fait toutes choses ». Il n’y a rien sur la terre qui puisse nous faire comprendre combien l’épreuve de notre foi Lui est précieuse ; oh ! que sera-ce au grand jour, quand elle sera tout entière à Son honneur et à Sa gloire ! Il fallait que ce coup fût nécessaire, puisqu’Il a ainsi châtié Ses bien-aimés. Aucune angoisse n’a pu vous être épargnée, car « Il est assis, comme celui qui raffine », près de Son feu. Cependant Il en tempère la chaleur ; Il sent toutes vos détresses, non avec la compassion d’un ami qui n’aurait jamais connu ce qu’est la douleur, mais avec la sympathie de Celui qui a été « l’homme de douleurs, sachant ce que c’est que la langueur », et qui a connu par expérience tout ce que nous pouvons sentir, afin d’être en état d’avoir compassion de nos misères et de nous secourir lorsque nous sommes tentés.
Ah ! quelle leçon notre Seigneur vous donne maintenant ; les anges ne pourraient jamais la recevoir. Il vous fait apprendre par le cœur ce que vous n’aviez peut-être connu jusqu’ici que par l’intelligence, et vous trouverez que personne ne peut donner des enseignements aussi bien qu’un Père. Comme on comprend diversement ces paroles : « Tout est vanité ! » — « Oh ! qui me donnerait les ailes de la colombe ! ». Combien le péché doit être odieux aux yeux d’un Sauveur dont l’amour est si grand pour les hommes ! Quel lieu doit être l’enfer, puisqu’il suffit qu’il en vienne une étincelle jusqu’à nous pour que nos cœurs soient remplis de joie à la seule pensée que nous en sommes délivrés ! Combien le poids de gloire qui résulte de la tribulation doit être inexprimable et incompréhensible, puisque le Saint Esprit appelle la tribulation légère, et déclare qu’elle n’est pas à comparer avec la gloire à venir qui doit être révélée pour nous ! Quand nous sommes sous l’épreuve, nous apprenons à sympathiser aux souffrances de notre cher Sauveur ; Sa coupe est trop amère pour qu’il nous fût même possible d’y tremper nos lèvres sans être fortifiés d’en haut, aussi le Père, le Fils et le Saint Esprit semblent-ils s’unir pour nous consoler et pour nous présenter dans chaque douleur le cordial céleste des grandes et précieuses promesses. Je crois qu’il y a dans le cœur même du chrétien un certain penchant à se tourner vers les choses du temps et des sens, quoiqu’il soit convaincu qu’elles ne peuvent le rendre heureux. Les choses qui nous attachent à la terre doivent être retranchées les unes après les autres ; notre cœur est quelquefois comme brisé par cette opération, mais le Seigneur veut nous séparer du péché. Je crois que les afflictions font partie de la rédemption qu’Il nous a acquise, autant que toute autre chose, quoique jamais nous ne soyons visités par la verge, comme nous le mériterions. Il dit avec puissance : « Donne-moi ton cœur ». Comment pourrais-je par moi-même Lui en donner quelque partie ? Mais voilà, Il renverse nos plans et nos joies terrestres, afin que nous cherchions tout en Lui. Et pourrions-nous Lui en vouloir de ce qu’Il nous aime autant ? Lui seul a pu dire à cause de nous : « L’opprobre m’a rompu le cœur, et je suis languissant » ; « mes larmes m’ont été au lieu de pain, jour et nuit ».
Oh ! si je pouvais par mes paroles vous apporter quelque consolation ! Je ne puis que l’essayer, et pour cela je vous dirai ce qui m’a soulagée dans mes afflictions. Il me semble que dans chaque circonstance, plus particulièrement propre à me faire sentir ma perte, Jésus ait pris plaisir à combler le vide de mon cœur par Sa précieuse présence. — Si j’ai dit dans ma révolte : Je n’ai plus de compagnon, je reste complètement seule ; Il m’a parlé avec tant de douceur dans Sa Parole, qu’en dépit de moi-même j’ai été forcée de dire : Il me suffit. — Si j’ai dit : Je n’ai personne à qui je puisse ouvrir mon cœur ; Il m’a répondu : « Alors tu prieras, et l’Éternel t’exaucera ; tu crieras, et Il dira : Me voici ». — Si j’ai dit : J’ai perdu le centre de mes joies terrestres, j’ai perdu mon époux ; Il m’a répondu : « Tu m’appelleras : mon mari, et tu ne m’appelleras plus : mon Baal ». — Si j’ai dit : Je demeure sans protection au milieu d’un monde méchant ; Il m’a répondu : « Que tes veuves s’assurent en moi ! ». — Si j’ai dit : Je suis tout à fait dépourvue de sagesse et je n’ai personne pour me diriger ; Il m’a répondu : « On appellera son nom l’Admirable, le Conseiller » ; « Je te guiderai de mon œil ». — Ou si j’ai dit : Je n’ai point d’appui sur lequel je puisse me reposer, en traversant ce sombre et affreux désert ; Il m’a rappelé que l’Église est représentée comme « montant du désert, mollement appuyée sur son bien-aimé ». — Il est le même maintenant, et Il vous dit : « Pourquoi pleures-tu ? Pourquoi ton cœur est-il triste ? Ne te vaux-je pas mieux que dix fils ? ». Je crois que Son amour s’est manifesté à vous d’une manière particulière. Souvenez-vous qu’au milieu des afflictions, nous pouvons jouir d’une paix qui surpasse toute intelligence ; notre âme peut réaliser les joies à venir et soupirer après elles, plus que dans aucun autre temps ; nous apprenons à nous mieux connaître nous-mêmes et à mieux connaître le Sauveur, ce qui, après tout, est le seul bonheur réel.
Si alors vous soulevez le voile et que vous considériez votre chère enfant dans son état actuel, vos prières sont pleinement exaucées. Regretteriez-vous qu’il ne lui ait pas été donné de mieux connaître les misères de ce monde de souffrance ? N’était-ce pas pour le Seigneur que vous vouliez l’élever ? Votre ardent désir n’était-il pas qu’elle suivît son étroit sentier ? Et qu’y a-t-il dans ce sentier ? — « Beaucoup de tribulations ». Combien elle vous a laissé en arrière ! Elle loue parfaitement son Rédempteur, tandis que vous ne savez encore que balbutier. La mort d’un enfant me semble être le triomphe de la rédemption ; il n’est laissé dans le royaume de Satan, pour un temps si court, que comme pour se rire de sa puissance. Si Dieu n’a pas jugé que ce fût trop que de livrer Son Fils à la mort pour vous, ne Lui donnerez-vous pas joyeusement votre fille pour qu’elle jouisse d’un bonheur inexprimable ? Vous ne voudriez pas la faire revenir uniquement afin de pouvoir vous entretenir avec elle. Si vous pouviez vous faire une idée de la réception qui lui a été faite, lorsqu’elle a été introduite en la présence de son Sauveur et de son Dieu ; si vous pouviez discerner la sagesse et l’amour qui ont déterminé le temps de son séjour ici-bas, non seulement vous ne vous laisseriez pas aller à la douleur, mais vous vous réjouiriez bien plutôt de cette dispensation. Par la foi vous pouvez dire : « Tout est bien » ; et si une voix pouvait vous parvenir depuis les demeures éternelles, elle répéterait : « Tout est bien ». Pour votre enfant il n’y a plus d’angoisse, plus de pensée triste ; elle ne connaît plus qu’une paix éternelle et qu’un amour sans fin pour Jésus, pour ce Jésus qui est aussi près des amis qui la pleurent, qui marche avec vous dans la fournaise, qui vous soutient de Son bras puissant, et qui bientôt vous introduira où elle est, afin qu’avec elle vous soyez éternellement heureux ; « ainsi, vous serez toujours avec le Seigneur ».
Je crains de vous avoir beaucoup fatigué ; ne me répondez pas si cela vous est pénible. Mes tendres amitiés à votre chère femme. Dites-lui combien je prends part à votre affliction commune ; mais elle a encore un époux, et vous encore une femme. Oh ! appréciez cette grâce pendant que vous en jouissez ! Ne parlez ni de privation, ni d’isolement, tandis que vous avez l’un et l’autre quelqu’un pour qui vous devez vivre, avec qui vous pouvez pleurer, et dont vous risquez d’augmenter la douleur en vous laissant trop aller à la vôtre propre. Puissiez-vous jouir longtemps de cette immense bénédiction ! Que Jésus lève sur vous la clarté de Sa face, afin que vous puissiez marcher à Sa lumière au milieu des ténèbres ! Que de douloureux souvenirs ne tiennent pas votre âme abaissée vers la terre ! Que la foi pénètre à travers le nuage de la souffrance, et garde vos esprits dans les hautes régions, où vous jouirez bientôt dans sa plénitude du bonheur éternel ! Encore un peu de temps, et vous contemplerez Jésus qui sera à jamais votre partage ; encore un peu de temps, et vous verrez que cette rude tempête de douleurs humaines aura poussé plus rapidement votre nacelle vers le port. Puissiez-vous expérimenter chaque jour davantage combien est précieux le baume de Galaad, et être rendus capables de dire en toute sincérité : Donne, Seigneur, tout ce que tu peux donner, sans toi je suis pauvre ; ôte tout ce que tu voudras, avec toi je suis riche.
- Votre bien affectionnée en Christ
T.A. Powerscourt