Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/Le sort jeté

De mipe
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« Puis ils se dirent l’un à l’autre : Venez, jetons le sort pour savoir qui est celui qui nous attire ce malheur. Ils jetèrent donc le sort et le sort tomba sur Jonas. Alors ils lui dirent : Déclare-nous, nous t’en prions, la cause du malheur qui nous survient ; quelle est ta profession ? D’où viens-tu ? Quel est ton pays, et de quelle nation es-tu ? Il leur répondit : Je suis Hébreu, et je crains l’Éternel, le Dieu des cieux, qui a fait la mer et la terre ferme. Ces gens-là furent saisis d’une grande frayeur, et lui dirent : Pourquoi as-tu fait cela ? (Car ils avaient su par ses propres aveux qu’il fuyait de devant l’Éternel) ».

L’orage qui se déchaîne n’est pas un orage ordinaire ; en vain les mariniers implorent à grands cris leurs idoles ; en vain jettent-ils tous leurs trésors à la mer, et, comme dernière ressource, pressent-ils Jonas d’invoquer son Dieu, lequel peut-être les délivrera ; qu’obtiendrait de Lui le prophète pendant qu’il marche dans la désobéissance et la révolte ? La tempête continue de sévir, toujours plus menaçante ; encore quelques moments et l’abîme entr’ouvert engloutira navire et passagers.

Tout l’équipage enfin conclut, dans son épouvante, que le vaisseau portait sûrement un grand coupable que la vengeance du ciel poursuivait « et ne voulait pas laisser vivre » (Act. 28, 4). Car la divinité ne frappe pas sans motif, et là où elle frappe de grands coups, là doivent se trouver aussi de grandes fautes. La conscience naturelle le dit à l’homme, et ces païens le sentent. C’était d’ailleurs une opinion généralement répandue chez les anciens et probablement une tradition confuse de cette vérité primitive, que tous les maux de l’homme sont les suites de sa désobéissance, et que le salaire du péché c’est la mort.

Ainsi pensaient de pauvres idolâtres. Penserions-nous différemment, nous qui possédons toutes les lumières de la révélation, et d’ignorants et aveugles païens se montreraient-ils mieux avisés et plus intelligents que nous ? Visités par le Seigneur dans nos personnes, dans nos familles ou dans notre patrie, courberions-nous stupidement la tête sous la main de Dieu sans en rechercher la cause, et sans Lui dire : « Pour quelle offense s’allume ainsi ton courroux ? Révèle le tort, Seigneur ! et donne aussi le repentir ». — Et si le Seigneur, toujours prompt à nous répondre, nous signalait, entre autres raisons de Ses châtiments, nos relations trop intimes avec les méchants et notre participation à leurs manières de faire ; s’Il nous faisait sentir que, trop près de leurs personnes, ou trop indulgents pour leurs actes, la punition qui les atteint nous enveloppe nécessairement aussi nous-mêmes, alors fuyons, fuyons leur compagnie ; qui reste dans Sodome s’expose à périr avec Sodome, et qui prend ou garde à bord Jonas, risque d’être avec lui battu de tous les coups de la tempête.

Il y a donc un coupable, un grand coupable dans le navire ; tous les mariniers le pressentent, il ne s’agit plus que de le découvrir. Une scène toute païenne, mais une scène que dirigera pourtant l’invisible main de Dieu, va maintenant se passer à bord.

« Puis ils se dirent l’un à l’autre : Venez, jetons le sort, pour savoir qui est celui qui nous attire ce malheur ». L’usage du sort pour découvrir un coupable était de même assez général parmi les anciens. Dieu l’avait autorisé sous la dispensation légale et Lui-même en dirigeait l’emploi. « On jette le sort dans l’urne », dit l’auteur inspiré des Proverbes, « et ce qui en résulte procède de l’Éternel » (Prov. 16). Ce fut, je présume, de cette manière que, au temps de Josué, le Seigneur révéla le crime d’Acan, lequel s’était secrètement approprié une portion du butin de Jéricho ; c’est encore le même moyen qu’Il va mettre au cœur de ces païens d’employer pour manifester et punir Jonas. Sa main poursuit le rebelle, et en quelque lieu qu’il se cache, le désigne et lui fait subir la punition ou la honte à laquelle il avait follement cru pouvoir échapper.

Quel moment pour le prophète ! Figurez-vous l’agonie de son âme pendant que tout ceci se passe ! Il a la pleine conscience de son crime, et peut-être en cet instant la parole des Proverbes que nous avons citée lui revient-elle en mémoire ; en tout cas, il sait d’avance, lui, qui le sort va désigner ; et la seule chose qu’il lui reste à attendre, c’est l’ignominie et la mort !

« Ils jetèrent donc le sort, et le sort tomba sur Jonas ». À l’instant, un cri retentit dans tout l’équipage : Jonas est le coupable ! Aussitôt tous les regards se tournent sur le prophète, et il ne sait où cacher sa confusion. Ah ! qu’elle est vraie cette parole de l’Écriture adressée au transgresseur : « Tes péchés te trouveront ! ». Il peut un moment cacher ses folies ; mais il faudra que tôt ou tard elles viennent au grand jour ; il n’est pas de voile si épais que la main du Seigneur ne déchire ; il n’est rien de si secret que la lumière de Sa face ne manifeste, et Il a mille moyens de faire venir en lumière ce que nous voudrions envelopper de ténèbres.

Il est un autre motif qui nous presse également de rejeter loin de nous tout interdit. Dieu, notre Père, est toujours prêt à nous bénir en Christ : de Son côté nul obstacle ; depuis que Jésus a ôté la malédiction en la prenant sur soi, la bénédiction promise à Abraham peut maintenant couler sur nous comme un fleuve (Gal. 3) ; mais prenons garde que de notre part une écluse, si je puis ainsi dire, ne s’oppose à son libre écoulement ; prenons garde qu’un Acan ou un Jonas ne nous voile le regard du Père et ne nous expose à Son juste déplaisir. Or, ce Jonas, cet Acan peut être un membre de la famille ou un membre de la société religieuse à laquelle nous appartenons ; ou bien encore, ce qui a lieu le plus ordinairement, un sentiment mauvais, un abus, un péché, un tort, auquel participent du plus au moins tous ceux qui composent cette famille ou cette société. Dans le premier cas, sans recourir à l’expédient dont s’avisèrent ces païens, nous avons un moyen sûr, infaillible, de découvrir le méchant qui arrête le cours des gratuités divines ; c’est de prier avec foi le Seigneur qu’Il le manifeste et l’éloigne de nous, ou qu’Il le change. Dans le second cas, demandons-Lui pareillement qu’il Lui plaise de faire connaître le mal et de l’ôter. Jugeons-nous nous-même avant qu’Il ne nous juge, ou plutôt afin qu’Il ne nous juge pas ; fouillons notre propre cœur avant qu’Il n’en étale à tous les regards les humiliants mystères, et bannissons le méchant Jonas qui s’y tient caché. Nous le découvrirons sans peine ; que dis-je ? Il est déjà tout découvert ; notre conscience, la Parole et l’Esprit de Dieu, si nous voulons les écouter, nous le signalent, et dès longtemps peut-être : heureux si, d’un cœur franc, nous disons à Dieu : « Ôte le mal », Seigneur, « et mets le bien à la place ! » (Os. 14). Heureux surtout si, dans la force de Christ, nous immolons enfin le Jonas ou l’Acan bien connu qui nous trouble !

« Alors les mariniers dirent à Jonas : Déclare-nous, nous t’en prions, la cause du malheur qui nous survient, quelle est ta profession ? D’où viens-tu ? Quel est ton pays et de quelle nation es-tu ? ». Nous l’avons déjà exprimé : fidèle à son Dieu, Jonas, à ce moment, eût, par la seule parole de l’Éternel, fait trembler sur son trône le plus grand potentat de l’univers ; rebelle, le voilà maintenant montré comme au doigt par le Seigneur Lui-même, désigné, signalé à tout l’équipage, comme un nouvel Acan ; le voilà contraint d’expliquer le mystère, et, en réponse aux humiliantes questions qui lui sont adressées, de déclarer, à la face de tous ces païens, qu’il est un serviteur de l’Éternel, mais un serviteur en fuite, un lâche, un rebelle, un prévaricateur. Ah ! si le joug du Seigneur est doux pour qui s’en charge avec foi, combien pèse à notre cœur celui de notre volonté propre ! Et si le sentier du devoir est agréable, de combien d’épines est semé le chemin de la rébellion ! Frères, n’irritons pas Dieu par nos infidélités : saint, Il hait le péché d’une parfaite haine ; juste, Il ne manque jamais de le punir ; et présent partout, Il sait toujours où trouver le malheureux qui L’offense. « Celui qui marche en intégrité marche en assurance ; mais celui qui pervertit ses voies sera connu » (Prov. 10).

L’auteur de tout le mal est donc manifesté, Dieu l’a Lui-même désigné par le sort ; Il ne tolère point le péché dans Ses enfants, et nulle part Il ne le châtie plus sévèrement que dans Ses serviteurs : plutôt que de les voir périr, Il les poursuivra de toutes Ses humiliations, et les accablera de tous Ses coups, pendant qu’Il abandonne les autres à leur volonté perverse et les laisse s’avancer, insoucieux et légers, dans ce chemin qui semble « agréable » à l’homme, mais « dont les issues sont la mort ».

Mais admirez la candeur et la modération de ces gens de mer ! Privés de tous leurs biens et exposés à toutes les horreurs du naufrage, pour le fait d’un seul homme, d’un étranger — aussitôt découvert, au lieu de mettre la main sur sa personne, comme tant d’autres eussent fait à leur place, au lieu d’éclater au moins en injures et en imprécations contre lui, les voilà, tout au contraire, pilote et marins, qui l’entourent et l’interrogent avec bonté : celui-ci lui fait une question, celui-là lui en adresse une autre ; ils veulent savoir de lui-même ce qu’il est et ce qu’il a fait pour exciter à ce point la colère de Dieu. Ô païens, plus chrétiens que tant d’hommes qui ne portent ce beau nom que pour le déshonorer, et dont le cœur dur, implacable, inaccessible à la pitié, est incapable de comprendre que la compassion est due au pécheur, aussitôt découvert et humilié !

Remarquez aussi la simplicité et la convenance des questions (questions, du reste, fort naturelles dans leur position) que ces gens adressent à Jonas ; et, avant de rappeler la réponse qu’il y fit, permettez-moi, chers lecteurs, de les répéter en les adressant l’une après l’autre à chacun de vous, mais, vous le comprenez, dans leur sens moral et supérieur.

« Quelle est » donc « ta profession », lecteur ? Je ne te demande pas, tu le sens, si tu es un négociant, ou un militaire, un industriel, ou un homme de lettres ; je te demande qui tu sers, Dieu ou le péché, Christ ou Bélial ; à quel maître tu consacres tes dons, tes forces, ton temps et ton activité ; pour qui vit ton âme immortelle, et ce qui la préoccupe habituellement. Maintenant, selon que le métier que tu fais et le travail auquel tu te livres, est la justice ou l’iniquité, sache pour sûr qu’infailliblement tu trouveras au bout la gloire ou l’infamie.

Et « d’où viens-tu », cher lecteur ? Est-ce du royaume de Satan pour aller à celui du Fils de Dieu ? de la ville de corruption pour t’acheminer vers la cité du Dieu vivant ? Ou bien, jusqu’à cette heure, es-tu demeuré sous l’empire du péché et du diable, « asservi » à tes « convoitises » et à tes « voluptés, digne d’être haï » autant et plus que tu ne hais les autres ? Tel est le prince que tu reconnais et à qui tu obéis, tel sera ton légitime et éternel salaire.

Puis, « quel est ton pays » ? Est-ce l’Égypte ou Canaan ? la sombre région de l’ombre de la mort, ou le pays de la vie, où resplendit aux siècles des siècles le soleil de justice ? Ah ! que tes pensées et tes œuvres répondent à la solennelle question !

Quelle est, enfin, « ta nation » ? Est-ce le peuple de Dieu, ou celui qui vit « sans Dieu dans le monde » ? Car, il n’y a réellement que ces deux peuples : celui qui « marche selon la chair » et celui qui « marche selon l’Esprit » ; celui que gouverne « le prince de la puissance de l’air », et celui qu’anime l’Esprit du Seigneur Jésus. Cette troisième classe d’hommes, que notre cœur incrédule compose de gens n’appartenant ni à l’une ni à l’autre de ces deux-là, cette catégorie intermédiaire n’existe point ; la Parole de Dieu ne connaît que les « enfants de Dieu » et les « enfants du diable » (1 Jean 3). Encore une fois, cher lecteur, sonde tes pensées, interroge tes œuvres, puis, dis toi-même auquel de ces deux peuples appartient ton âme, quel est celui dont elle partage les principes, les sentiments, les affections et la marche ; le jour vient où nécessairement elle devrait de même en partager la destinée.

Revenons à Jonas. Le passager qui ne se mêlait point aux autres, qui dormait à fond de cale pendant que rugissait la tempête et que tout le monde se désolait sur le pont ; l’inconnu que le sort vient de désigner comme étant la cause de tout le mal, va maintenant prendre la parole, et raconter à ses compagnons de voyage, dans leur propre langue, celle de Canaan, tout ce qui le concerne, forcé qu’il est par le Seigneur d’ouvrir enfin cette bouche qui s’obstinait au silence et de publier de grandes vérités qu’elle retenait injustement captives. « Je suis Hébreu », répondit le prophète aux mariniers, et « je crains l’Éternel, le Dieu des cieux, qui a fait la mer et la terre ferme ».

En lisant cette portion du livre, nous nous rappelons encore ce peuple non moins mystérieux que le personnage qui le représente ; ce peuple qui, s’il n’a pas soulevé contre d’autres les orages de la colère de Dieu, en est lui-même poursuivi depuis des siècles ; ce peuple, enfin, qui, sous le plus terrible des châtiments, rend, au milieu des nations, avec lesquelles il ne s’est point mêlé jusqu’à ce jour, un involontaire mais d’autant plus éloquent témoignage à la vérité des saints oracles : prédicateur muet mais puissant, qui proclame de fait la justice du Dieu dont il n’a pas voulu recevoir et publier les miséricordes ; illustre monument enfin de Sa juste vengeance, en attendant qu’il le soit de Ses éternelles compassions.

« Je suis Hébreu », dit Jonas, et « je crains l’Éternel, le Dieu des cieux, qui a fait la mer et la terre ferme ». Quelle candeur dans cet aveu ! « Je suis Hébreu ». Ce nom vient peut-être de celui de Héber, arrière-petit fils de Sem ; plus sûrement il dérive d’un autre mot qui, dans la langue hébraïque, signifie passer, traverser ; c’est, en effet, le nom que reçut Abraham depuis que, à la voix de l’Éternel, il eut traversé l’Euphrate pour se rendre au pays de la promesse, et c’est le même que reçurent, après le patriarche, ses descendants dans la ligne d’Isaac. Il implique l’appel et l’élection de Dieu avec leurs bienheureuses conséquences. Le chrétien est un Hébreu dans le sens supérieur du mot ; il quitte le monde à la voix du Seigneur, pour chercher la vraie terre de la promesse, celle dont Canaan n’était qu’un pâle reflet[1]. « Je suis Hébreu », dit donc Jonas, c’est-à-dire, je suis un membre de ce peuple qui a pour son Dieu et son roi le Créateur Lui-même : de cet heureux peuple que l’Éternel a distingué d’entre tous les autres, par Son appel et les glorieuses prérogatives dont Il l’a accompagné. Jonas semble d’autant plus honteux de confesser son crime qu’un Hébreu, en raison même de ses privilèges, était infiniment plus coupable qu’un autre homme, s’il venait à s’en rendre indigne.

Et, continue le prophète, « je crains l’Éternel » (Gen. 42, 18), le Dieu, non de telle ou telle ville, de tel ou tel pays, comme la divinité imaginaire, la vanité que chacun de vous adore, mais « le Dieu des cieux, qui a fait la mer et la terre ferme ».

Puis, achevant son humiliante histoire, il justifie le Seigneur et se condamne lui-même. C’est le signal et le prélude d’une vraie repentance ; la prière qu’il va tout à l’heure adresser à Dieu nous autorise pleinement à le croire. Et cependant, il est des personnes qui contestent à Jonas le caractère d’enfant de Dieu. Mais ces personnes ont-elles bien lu son livre, ou connaissent-elles leur propre cœur ? Il y a sans doute en lui de déplorables misères. Il s’enfuit vers Tarsis quand l’Éternel l’envoie en Assyrie ; il oublie le Seigneur, fait taire en soi la voix de la conscience et dort pendant que des païens prient. Plus tard, il montrera que le salut de Ninive lui tenait bien moins au cœur que son propre bien-être et que sa réputation. Sa conduite envers cette ville, et son emportement au sujet du kikajon, achèveront de mettre à nu cette nature volontaire, égoïste, irritable que rien ne semblait pouvoir assouplir. Nous le verrons enfin terminer par le murmure et l’insolence un ministère qu’il avait commencé par la désertion.

Voilà bien le vieil homme, et le voilà, je suppose, dans ce qu’il a de plus révoltant. Mais à côté de cette nature rebelle, que de beautés dans ce caractère du fils d’Amitthaï ! Que de traits admirables qui révèlent en lui la présence du nouvel homme ! D’abord, c’est de lui-même que nous tenons, directement ou indirectement, l’humiliant récit de ses torts. Puis, écoutez la noble et pleine confession qu’il fait de sa faute, avec quelle franchise il se déclare, devant ces païens, membre d’un peuple qui rejette avec mépris leurs idoles, pour servir le seul vrai Dieu, « Créateur des cieux et de la terre », et, comment, par cette seule profession de sa foi, il nie de fait, confond et anéantit tous les faux dieux que ces gens adorent. Bientôt nous le verrons témoigner pour eux l’intérêt le plus compatissant et se dévouer complètement à leur salut. La supplication qu’il fait plus tard à Dieu, dans le ventre du poisson, ne peut être que la prière d’un vrai croyant ; je dis plus : Où trouverez-vous ailleurs, dans toute la Bible, celle du père des fidèles exceptée, une foi pareille à celle dont il fit preuve dans le noir cachot où Dieu l’avait enfermé ? Il est au fond de l’abîme, et il s’écrie : « Je contemplerai encore le palais de ta sainteté » ! À travers les sombres profondeurs du sépulcre, le cri de sa détresse a pénétré jusqu’aux cieux, et Dieu l’a ouï ; or, nous savons qu’Il « n’exauce pas les méchants » et surtout qu’Il ne les délivre pas par d’éclatants prodiges.

Comprenons donc bien ce caractère : Jonas n’est pas un être endurci et qui se révolte à plaisir ; c’est un de ces hommes sans fraude, mais vifs, entiers et prompts, qui ne se laissent pas aisément persuader de faire quelque chose contre leur volonté, sans toutefois se complaire en secret dans le mal. Tout ce que son histoire a de merveilleux, de surnaturel, nous montre toujours plus en Jonas un serviteur et un enfant de Dieu. Ajoutez qu’il était un type du Messie, et jamais, que nous sachions, cette distinction ne fut accordée à un irrégénéré ; il était de plus un prophète, et jamais non plus Dieu n’honora un inconverti du ministère régulier de prophète ; jamais, en tout cas, Il n’eût confié à un tel homme un message aussi éminent que celui que Jonas avait reçu pour Ninive. Balaam, quoi qu’on en dise, Balaam n’était pas plus prophète que son ânesse qui se montra plus sage et mieux avisée que lui ; il ne l’était pas plus que ce Caïphe qui néanmoins prononça l’une des paroles oraculaires les plus remarquables qui soient jamais sorties d’une bouche d’homme. Que dirons-nous, après tout cela, à ceux qui refuseraient encore à Jonas le titre de membre de la famille de Dieu ? Que le Seigneur, chers amis, vous place dans des circonstances qui aient de l’analogie avec celles du prophète, et nous verrons si vous ferez beaucoup mieux que lui ; ou que simplement Il vous manifeste ou vous rappelle les pensées de votre cœur, vos mouvements intérieurs d’égoïsme, d’irritation, de jalousie, vos révoltes secrètes, toutes vos contestations avec Lui, et nous verrons si vous persisterez toujours à renier Jonas pour votre frère.

Cependant, le récit et les aveux du prophète, prononcés au milieu des mugissements de la tempête, des craquements du navire et de la confusion générale de l’équipage, ont obtenu leur effet. « Saisis d’une grande frayeur », les nautoniers ont dit à Jonas : « Pourquoi as-tu fait cela (car ils avaient su par ses propres aveux qu’il fuyait de devant l’Éternel) ? ». Tous ces gens avaient sans doute ouï parler de Jéhovah, le Dieu d’Israël, et des prodiges par lesquels Son bras s’était de tout temps signalé en faveur de Son peuple (Jos. 2). Maintenant, témoins eux-mêmes de Ses merveilleux exploits, ils reconnaissent en Lui le Dieu qui a créé le monde et qui le gouverne, qui commande aux flots et à la tempête, et à qui tout l’univers est soumis. C’est Sa main, Sa propre main qui pèse en ce moment sur eux à cause de Jonas ; Sa colère poursuit le coupable, et ils tremblent de périr avec lui. Tout ce qui se passe actuellement, le danger qu’ils courent, la ruine prochaine de la grande Ninive, ruine qui leur paraît certaine d’après tout ce qu’ils savent de la justice et de la puissance de Dieu, le châtiment du messager infidèle, tout ce que leurs yeux voient, tout ce que leurs oreilles entendent, les remplit de terreur. Rien d’ailleurs n’émeut un cœur d’homme, et ne le remue à fond, comme la pensée d’un jugement qui vient directement du ciel. Puis, si tel est le pouvoir de l’Éternel (se disent apparemment ces hommes de mer), et telle aussi l’ardeur de Son courroux envers Son prophète pour un seul acte de désobéissance, qu’allons-nous devenir, nous pécheurs d’entre les Gentils, qui Lui avons préféré nos dieux de mensonge et L’avons provoqué par tant et de si grands crimes ? — Ils raisonnent droitement, ces idolâtres, et se montrent encore plus sages et mieux avisés que beaucoup de ceux qui se nomment disciples de Jésus Christ. Quand les jugements de Dieu tombent sur les justes, que les méchants tremblent, c’est d’abord à Ses enfants coupables qu’Il présente la coupe de Son indignation (Jér. 25) ; mais après eux, tous les irrégénérés devront y boire jusqu’à la lie. « Si le jugement de Dieu commence par sa maison, où comparaîtront l’impie et le pécheur » ? Et si un seul souffle de Son courroux a soulevé une pareille tourmente, que fera le débordement de Sa colère au grand jour des rétributions !

« Pourquoi as-tu fait cela ? » disent les mariniers phéniciens au prophète hébreu. Quel reproche dans la bouche de ces gens-là ! Mais il faut que « la malice » de Jonas « le châtie » jusqu’au bout ; il faut « que ses infidélités le reprennent, afin qu’il sache et qu’il voie que c’est une chose mauvaise et amère qu’il ait ainsi abandonné l’Éternel son Dieu » (Jér. 2). « Pourquoi as-tu fait cela », s’il est vrai que tu craignes l’Éternel et que tu sois Son prophète ? Comment as-tu pu offenser à ce point Celui qui t’avait honoré de tant de grâces ? Et s’Il est, ainsi que tu viens de l’exprimer et que nous le croyons maintenant, s’Il est réellement le Créateur des cieux et de la terre, comment as-tu pu t’imaginer de fuir loin de Sa présence, nous exposant par ta désobéissance à périr tous ensemble avec toi ? Quel exemple enfin donnes-tu là, toi Israélite et toi prophète, à tes compatriotes et aux Gentils !

« Pourquoi as-tu fait cela ? » disent, par le fait même, d’autres Gentils à un autre Jonas ; pourquoi as-tu rejeté avec mépris le Saint d’Israël et foulé aux pieds Sa Parole, toi qu’il avait choisi pour être Son peuple particulier, et Son messager auprès des nations ? Pourquoi, par ton ingratitude, par la dureté de ton cœur et par toutes tes révoltes, as-tu donc attiré sur toi Ses justes jugements ? Pourquoi t’es-tu volontairement abaissé au dernier rang des peuples, toi que Son amour avait destiné à devenir leur lumière, leur salut, leur modèle et leur gloire ?

« Pourquoi as-tu fait cela » ? Voilà encore ce qu’il faudrait savoir dire avec amour à quiconque a délaissé la voie de la justice et tourné le dos à Celui qui « l’appelait à son royaume et à sa gloire ». Et voilà surtout ce qu’il faudrait savoir nous dire à nous-même, quand nous avons eu le malheur de nous « écarter du saint commandement qui nous avait été donné ». Pourquoi, mon âme, pourquoi as-tu offensé de la sorte Celui qui t’avait comblé de tant de faveurs ? Ne peut-Il donc plus satisfaire tes vœux ? N’est-Il plus ce bon Maître qui donne à Ses serviteurs ce qui est raisonnable ? Ou bien peut-être aurais-tu découvert que la piété n’est pas le plus grand des gains et que le monde te vaut mieux que Jésus ? Pourquoi, mon âme, as-tu fait cela ?

Tel est enfin le juste reproche dont nous devons nous attendre à subir toute la honte et toute l’humiliation, si malheureusement nos œuvres venaient à démentir notre profession de bouche. C’est précisément celui qu’Abraham le croyant eut jadis à essuyer de la part du païen Abimélec (Gen. 20). Ah ! frères, ne nous exposons jamais à l’entendre ; n’autorisons personne à nous dire : Toi, qui te dis enfant de Dieu, disciple de Jésus, éclairé de Sa Parole et participant de Son Esprit, « pourquoi as-tu fait cela » ? Est-ce l’exemple que tu devais à tes frères et au monde ? — Conduisons-nous plutôt de telle sorte que jamais nous ne donnions « scandale, ni aux Juifs, ni aux Grecs, ni à l’Église de Dieu ». Faisons mieux : que « la lumière de nos bonnes œuvres brille devant les hommes », afin que les paroles évangéliques obtiennent sur nos lèvres toute l’autorité d’une vie sainte ; et que, selon le mot du sage, elles soient, dans notre bouche, comme des pommes d’or placées sur des vases d’argent (Prov. 25).

Au reste, notre texte, comme tout Jonas, comme la Bible entière, nous répète la grande leçon que le bonheur n’est que pour l’âme qui se tient auprès du Seigneur et qui marche avec Lui ; pour celle qui dit avec Asaph : « M’approcher de Dieu, c’est mon bien » ; avec Samuel : « Parle, je t’écoute » ; avec Ésaïe enfin : « Me voici, envoie-moi » ! La paix et la sérénité, non l’orage, marcheront après elle, et son langage sera toujours : « Certainement les biens et la gratuité m’accompagneront tous les jours de ma vie, et mon habitation sera dans la maison de l’Éternel pour longtemps ».



  1. Le nom d’Hébreu désigna plus tard le Juif qui parlait l’hébreu, pour le distinguer du Juif, dit Helléniste, qui parlait le grec. « L’Hébreu, né d’Hébreux » (Phil. 3), était un Juif dont le père et la mère étaient l’un et l’autre enfants d’Abraham.