Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 38

De mipe
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Ma chère amie,

J’ai reçu votre lettre hier au soir, et je ne veux pas tarder un jour de vous répondre, car j’ai beaucoup pensé à vos circonstances. Il est fort pénible d’être un instrument d’affliction pour une personne qui nous aime et que nous aimons, d’avoir l’apparence de l’ingratitude et de la dureté, et de savoir qu’il est quelqu’un dans ce désert, dont toutes les pensées sont pour nous, qui souffre à notre sujet, et à qui nous ne pouvons donner aucun soulagement, après avoir dû dire un non.

Votre position est l’une de celles auxquelles peuvent être appliquées ces paroles : « Pleurez avec ceux qui pleurent », et elle a trop de rapport avec la mienne propre pour que je ne sympathise pas avec vous. Je sais ce que c’est que de renoncer à un objet tendrement aimé, et je connais aussi la paix qui suit le sacrifice, lorsque le cœur déchiré est enfin capable de se soumettre et de se placer avec abandon sous les bras de l’éternel amour en disant : « Sois mon garant ».

Mais quelque douloureux que soit votre combat, il est court et léger en comparaison de ce qu’il serait si la chose avait lieu. Seriez-vous heureuse en renversant par vos principes les grandes espérances que M. … a fondées sur son union avec vous ? Ou bien penseriez-vous réussir à marcher selon Christ, tout en cherchant à plaire au monde ? Attendriez-vous un vrai support de la part d’un homme qui n’a pas l’Esprit de Christ ? Ne m’en voulez pas si je parle de lui comme d’un infidèle, car s’il n’est pas actuellement un croyant, vous ne pouvez nullement compter sur son apparente anxiété à l’égard de « la seule chose nécessaire ». Si la Bible est vraie, il y a une inimitié enracinée dans le cœur de l’homme irrégénéré ; et bien qu’à distance il admire la religion de Jésus, il ne peut aimer à se trouver en contact avec elle dans tous les détails de la vie ; il ne peut supporter qu’elle soit le sujet des conversations et le but de toutes les pensées, de toutes les paroles et de toutes les actions. Ce n’est pas seulement l’expérience qui me fait ainsi parler, mais aussi la Parole de Dieu ; et tout ce que je vois, ma chère amie, me confirme dans la conviction que l’on ne peut faire aucun cas des conversions faites par l’amour. Je ne dis pas qu’il y ait hypocrisie chez M. … et chez beaucoup d’autres que je pourrais nommer ; mais je pense que leur affection les trompe complètement. Lorsque des poids aussi inégaux sont mis dans la balance des affections, l’un doit monter dans la même proportion que l’autre descend. Ce n’était pas par hypocrisie que M. … venait sans cesse chez les parents de celle qui est maintenant son épouse, pour s’entretenir des choses de Dieu. Hélas ! à peine peut-on discerner aujourd’hui si cette pauvre femme est chrétienne ou non ; et cependant elle avait pu porter l’opprobre de Christ pendant plusieurs années.

Un autre monsieur parlait dans toutes les réunions, à Dublin, tant il était zélé pour la vérité ; mais quand il eut obtenu ce qu’il désirait, il s’opposa à ce que sa femme visitât les pauvres, ou s’occupât des écoles, et il mit un éteignoir sur la brillante lumière du Seigneur. Un troisième aurait trompé, par ses prières, les personnes les plus spirituelles ; et maintenant il soutient les bals, les jeux, la lecture des romans, etc. Mais j’en viens à un autre qui nous touche de plus près, et dont le caractère franc et ouvert ne pouvait chercher à en imposer. Ce n’était point par hypocrisie qu’il se joignait aux chrétiens, qu’il admirait l’évangile, qu’il soutenait les sociétés religieuses, qu’il fréquentait le culte, qu’il lisait la Bible, et qu’il assistait même aux instructions données aux pauvres. Maintenant sa bienveillance et son affection sont aussi grandes que dans les premiers temps ; mais pourrait-il y avoir bonheur pour sa femme, qui ne peut parler devant lui de son Bien-aimé sans exciter l’opposition la plus vive, qui ne peut avoir avec lui aucune communication chrétienne, et qui ne saurait l’approuver dans ce qu’il aime ? Pourriez-vous être heureuse, pourriez-vous vous réjouir dans les promesses de la gloire avec Christ, en pensant que celui qui vous est plus cher que votre propre âme, n’y a aucune part, et qu’il est sans Dieu et par conséquent sans espérance dans le monde ? Votre joie elle-même ne serait-elle pas le sujet de votre plus grande douleur ?

Ce tableau est-il trop chargé ? Hélas, non ! Et combien souvent la femme chrétienne n’a-t-elle pas encore à supporter la persécution, la privation de tous les moyens de grâce, une diminution graduelle d’affection, un conflit continuel entre ses devoirs spirituels et ses devoirs temporels, jusqu’à ce qu’enfin, obligée de s’opposer aux volontés de celui qui s’attendait à l’obéissance, elle voie tous les liens se relâcher et donner entrée à toute espèce de misères ? De la part d’un ennemi vous pourriez tout supporter, mais quel déchirement de cœur si cela vous venait de votre époux, de votre guide, de votre intime ami, de celui dont vous auriez espéré recevoir de bons conseils, et avec lequel vous auriez compté aller à la maison de Dieu ! Vous ne voudriez pas tromper M. … et renverser son bonheur. Vous me répondrez peut-être : « Oh ! si vous connaissiez M. …, vous ne parleriez pas ainsi ; il ne peut tromper, il est si franc ». Je le crois, et je n’ai pas du tout la pensée qu’il soit hypocrite. D’après ce que j’ai entendu dire de lui, je le crois parfaitement aimable, et même bien disposé. Mais si vous avez attendu le consentement de votre père terrestre, pourquoi n’attendriez-vous pas celui de votre Père céleste ? Pourquoi n’attendriez-vous pas que ses bonnes dispositions finissent par la conversion, et que son désir de la vérité le conduise à la foi ? — Parce que vous êtes certaine qu’il est dans les vues de Dieu de l’amener à Lui, et cela par votre moyen ? Mais, ma chère, où est maintenant votre jugement ? Avez-vous été initiée aux conseils de Dieu ? Et si cela était, serait-ce en désobéissant à Sa volonté que vous les amèneriez à exécution ? Ne vous souvenez-vous pas de qui toute conversion est l’œuvre ? Dieu vous demande-t-Il de faire le mal afin qu’Il puisse opérer le bien ? Si vous aviez épousé M. … avant de connaître le Seigneur, vous pourriez espérer que vos prières en sa faveur seraient entendues ; mais maintenant que vos yeux sont ouverts, n’agiriez-vous pas avec une présomption bien coupable, en vous unissant à lui avec l’espérance que, puisque vous ne vous êtes pas conformée à la volonté de Dieu, Dieu se conformera à la vôtre.

Mais, direz-vous peut-être : « Le Seigneur ne me l’a pas défendu ; j’ai étudié de nouveau le chapitre 7 aux Corinthiens, et je persiste dans la pensée qu’il est positif sur ce point ». Souvenez-vous qu’il n’y a point d’état intermédiaire entre la foi et l’infidélité. Lisez le chapitre 8 aux Romains, et vous verrez que ceux qui sont selon la chair ne sont pas selon l’Esprit, et que ceux qui sont selon l’Esprit ne sont pas selon la chair. Si donc on ne voit pas en M. … les marques scripturaires qui caractérisent ceux qui sont selon l’Esprit, auxquels seuls les promesses appartiennent, il est selon la chair, et il doit être considéré par les chrétiens comme étant encore dans l’infidélité. Voyez combien de fois les Israélites sont sollicités de ne pas se mêler avec les nations, de peur qu’ils n’apprennent leurs mauvaises œuvres, et combien de fois ils sont châtiés pour ce péché. Seriez-vous moins coupable qu’eux, si vous preniez pour votre guide, votre conseiller, votre ami, pour dépositaire de vos pensées, de vos joies et de vos peines, un homme qui ne connaît pas Dieu, et si vous vous engagiez à lui obéir ? Croyez-moi, un tel homme ne se laissera pas enseigner par sa femme. Le peuple de Dieu n’est-il pas considéré, dans toute la Bible, comme un peuple particulier et séparé du monde ? Aussi, quel fut l’effet des mariages qu’il contracta avec les infidèles ? Lisez Esdras et Néhémie. Salomon, avec toute sa sagesse, amena-t-il ses femmes dans le bon chemin ? Ne fut-il pas, au contraire, conduit au mal par elles ? La nature humaine n’a point changé depuis ce temps-là. Pourquoi David dit-il si souvent qu’il ne veut ni connaître, ni avoir dans sa maison ceux qui n’appartiennent pas à l’Éternel ? Pourquoi les regarde-t-il comme ses ennemis ? Pourquoi déclare-t-il qu’il ne veut s’accompagner que de ceux qui craignent l’Éternel ? Le sentier du juste n’est-il pas une lumière resplendissante ? La voie de l’impie n’est-elle pas pire que les ténèbres ? La lumière et les ténèbres s’accorderaient-elles aujourd’hui mieux qu’autrefois ? Pourquoi Paul nous exhorte-t-il à ne nous marier que dans le Seigneur ? Penseriez-vous être mieux ailleurs que chez vos parents ? C’est le Seigneur qui a fixé votre position actuelle, et Il peut se glorifier en vous qu’Il a achetée par prix ; c’est aussi Lui qui vous défend l’union projetée.

Je n’ai aucune espérance que vous preniez en considération ce que je vous dis, et même je crains que tout ceci ne soit lu un jour par M. …. Mais je n’ai rien dit contre lui, sinon qu’il n’est pas à présent un enfant de Dieu, ce que vous reconnaissez vous-même. Je ne nie pas qu’un jour il ne puisse devenir une brillante lumière ; mais que cela arrive, ou n’arrive pas, je n’en persiste pas moins dans la conviction que vous agiriez avec la plus grande témérité, si vous l’épousiez tel qu’il est actuellement. Vous dites qu’il est dans l’affliction ; mais pensez-vous que les enfants de Dieu seuls soient affligés ? J’aimerais pouvoir croire que tous ceux que j’ai vus frappés de la verge, et que tous ceux mêmes qui ont paru d’abord humiliés par ce moyen, doivent être nécessairement sauvés. Mais malheureusement ce n’est pas le cas.

Lorsque j’ai vu qu’il était inutile de vous écrire, j’ai prié fréquemment pour vous ; mais votre raisonnement à cet égard est étrange ; vous êtes décidée à marcher dans le feu, puis vous me demandez de prier afin que vous ne soyez pas brûlée. Que penseriez-vous de moi, si je me livrais aux dissipations du monde, et que je vous demandasse de prier afin que je ne fusse pas induite en tentation ?

Vous savez que le Seigneur a dit : « Si vous m’aimez, gardez mes commandements » ; et, quoique ce soit une chose pénible à la chair et au sang, que de couper une main et que d’arracher un œil, c’est à cela cependant que nous sommes appelés ; et ceux qui ne sont pas prêts à abandonner tout ce qu’ils ont, « à charger leur croix et à le suivre », ne sont pas dignes de Lui. Ce fut pour Abraham une terrible épreuve que d’être appelé à sacrifier son Isaac. Aurait-il montré de l’amour pour Dieu s’il avait dit : Je ne puis faire cela, mais si le Seigneur le prend Lui-même, je me résignerai ? L’épreuve de votre foi doit être plus précieuse que l’or qu’on éprouve au moyen du feu ; et c’est en abandonnant votre idole que vous montrerez votre soumission à la volonté de Dieu. Si vous me dites que vous avez donné votre consentement, je ne puis envisager cela que comme un piège du monde. Vous avez fait une promesse que vous n’aviez pas le droit de faire, ainsi vous n’avez pas le droit de la tenir. Le Seigneur dit : « Donne-moi ton cœur » ; M. … dit aussi : Donne-moi ton cœur. Le Seigneur dit : Lors même que tu me donnerais ton temps, tes talents, toute chose, cela n’est rien sans ton cœur. M. … dit la même chose. Et vous, vous répondez : Je veux vous le donner à tous deux. Oh ! souvenez-vous, je vous prie, de Celui qui a dit : « Deux hommes marcheront-ils ensemble, s’ils ne sont pas accordés ? ». « Quel accord y a-t-il entre Christ et Bélial ? ». Choisissez donc qui vous voulez servir. Oh ! puissiez-vous répondre par votre conduite : « Seigneur, tu connais toutes choses, tu sais que je t’aime ».

Oh ! qu’Il a bien connu ce que nous sommes, Celui qui a déterminé que le ciel serait tout amour ! Il est si doux d’aimer et d’être aimé ! C’est parce que nous sommes à Christ que nous boirons ensemble à la source de l’éternel amour, jusqu’à ce qu’enfin nous entrions dans cet océan d’amour sans fond et sans rivages, et que Dieu nous montre Lui-même sur la carte du temps la ligne d’amour qu’a tracée chacun de nos pas à travers ce sombre et horrible désert. Nous nous étonnerons alors d’avoir pu jamais conserver quelque hésitation en face de cette parole : « Lui qui n’épargna point son propre Fils, mais qui le livra pour nous tous, comment, avec lui, ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses » !

Je suis, ma chère amie, comme toujours, votre sincèrement affectionnée

T.A. Powerscourt