Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/Le retour à Dieu
« Et Jonas adressa sa supplication à l’Éternel son Dieu, dans le ventre du poisson ».
De quel sentiment d’effroi dut être glacé le cœur du prophète en découvrant tout à coup, aux flancs du vaisseau, l’horrible animal dont la gueule béante s’ouvrait large et profonde pour l’engloutir ! « Les dents du monstre vont être à l’instant ma mort, dut penser Jonas, et ses entrailles mon tombeau ; Dieu en a fini avec le fils d’Amitthaï, et maintenant il ne me reste plus qu’à me coucher parmi les trépassés jusqu’au jour où tous ceux qui dorment dans la poussière de la terre, ou sous les flots de la mer, se réveilleront pour comparaître en jugement ».
Mais, ô mon Dieu ! « Tes pensées ne sont pas nos pensées » ; si tu châties, tu ne rejettes pas à toujours ; jusque dans les plus terribles punitions que tu nous infliges, tu demeures pour nous une retraite, un sanctuaire ; et, dans le cachot où tu nous enfermes, nous ne laissons à la fin que notre folie. Le monstre n’a point blessé Jonas ; au lieu du puits de perdition, c’est un asile et comme une cité de refuge que le prophète a trouvé dans ses flancs. Il s’étonne de respirer encore dans les entrailles palpitantes du puissant animal, de posséder encore sa présence d’esprit et le plein usage de ses facultés. Il pense que la même miséricorde et le même pouvoir qui l’ont si merveilleusement conservé vivant dans le cachot où il gémit, sauront bien l’en retirer sain et sauf. L’espoir renaît peu à peu dans l’âme du prisonnier de Dieu, et fait éclore enfin la prière sur ses lèvres. « Et Jonas adressa sa supplication à l’Éternel son Dieu, dans le ventre du poisson ».
Jonas, dans sa révolte, semblait avoir perdu l’esprit de prière : perte au-dessus de toutes les pertes ! L’orage avait éclaté sur sa tête ; il avait gardé le silence : pas une prière n’était sortie de cette bouche muette comme celle d’une idole. Les mariniers avaient imploré chacun leur vanité particulière ; Jonas n’avait pas adressé un soupir à Celui qui commande aux tempêtes et dont le nom est l’Éternel. Ils avaient ensuite jeté le sort pour découvrir le coupable, et le sort était tombé sur lui ; mais, pareil à un enfant revêche qui boude un bon père, il s’était obstiné dans son mutisme. Les mariniers le prennent et le jettent à la mer ; il se tait encore : son âme profondément assoupie semble ne se réveiller tout à fait qu’au fond de l’abîme. Enfin, ce cœur fier est brisé, la supplication s’échappe de ses lèvres. C’est là que Dieu le voulait amener. Si une mesure d’affliction ne suffit pas pour nous pousser à l’amendement et à la prière, Il l’augmente ; Il envoie après nous messager sur messager pour nous rappeler à Lui ; chacun d’eux apporte à son tour de plus fâcheuses nouvelles que son devancier, jusqu’à ce qu’enfin le cœur rétif s’humilie et crie merci. C’est la grâce que Dieu fait à Jonas. Dans son bien-être, le prophète « s’était enfui de devant l’Éternel » ; instruit maintenant par l’affliction, c’est, au contraire, vers l’Éternel que nous le voyons se réfugier. « Et Jonas adressa sa supplication à l’Éternel son Dieu dans le ventre du poisson ».
Il ne pouvait sûrement faire un meilleur emploi de son temps dans son cachot. À ce sujet, nous voudrions proposer une remarque. Dans l’épreuve, il est deux extrêmes qu’il nous importe également d’éviter : — celui de nous endurcir contre le châtiment : « Mon enfant, ne méprise pas la correction du Seigneur » ; — et celui de succomber sous le faix de l’affliction ; « et ne sois pas abattu lorsque tu es repris par lui » (Héb. 12, 5). Satan fait tous ses efforts, quand il nous voit sous la verge du Seigneur, pour nous jeter vers l’un ou l’autre de ces deux écueils. Connaissant les artifices de l’adversaire, et dociles d’autre part à l’avis de l’Esprit Saint, humilions-nous donc, mais sans nous abattre, sous la main qui nous châtie ; et, comme Jonas, au lieu de perdre notre temps à nous désoler, et surtout à murmurer, employons-le plutôt à prier.
À cette remarque, nous en ajouterons encore une autre. On se tourmente bien souvent dans l’épreuve ; on se débat sous le châtiment du Seigneur, et, comme Achaz dans sa détresse, on se tourne de tous côtés pour chercher du secours avant de s’adresser au Dieu fort des délivrances. Frappés, allons plutôt nous réfugier dans le sein de Celui qui frappe ; appelons-en de Celui qui châtie à Celui qui châtie, et, selon l’exemple que Jonas nous donne, « adressons notre supplication à l’Éternel notre Dieu ».
Mais qui est l’Éternel que le prophète invoque ? — C’est Celui qui avait dit au commencement : « Faisons l’homme à notre image et selon notre ressemblance » ; Celui qui, plus tard, le chassa du paradis terrestre en prononçant sur lui cette terrible sentence : « Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, sachant le bien et le mal ; maintenant prenons garde qu’il n’avance sa main et qu’il ne prenne de l’arbre de vie, et n’en mange, et qu’il ne vive à toujours » (Gen. 1 et 3). C’est Celui qui, plus tard encore, s’abaissa pour voir la ville et la tour qu’élevait l’orgueil des fils des hommes, et qui dit : « Descendons et confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent point le langage l’un de l’autre » (Gen. 11). L’Éternel que Jonas invoque, c’est le Dieu qui traita alliance avec Abraham, Isaac et Jacob ; le Dieu qui prescrivit à Moïse et à Aaron de mettre Son grand nom sur les enfants d’Israël, et de les bénir en disant : « L’Éternel le bénisse et te garde ; l’Éternel fasse luire sa face sur toi et te fasse grâce ; l’Éternel tourne sa face vers toi et te donne la paix » (Nomb. 6). C’est le Dieu qui apparut à Ésaïe et dit : « Qui enverrai-je et qui ira pour nous ? » dont le prophète, dans de sublimes visions, contempla la gloire, et que les séraphins célébraient « dans son temple » en « s’entre-répondant les uns aux autres : Saint, saint, saint est l’Éternel des armées ; tout ce qui est dans toute la terre est sa gloire » (És. 6). C’est, enfin, le Dieu qui, dans la personne du Fils, venait de parler à Jonas et de lui dire : « Lève-toi, va à Ninive la grande ville et prêche contre elle, car la malice de ses habitants est montée jusque devant moi ». Oui, c’est Lui, c’est ce Dieu qui est le même de siècle en siècle, le même dans Son essence, le même dans Son amour et dans Sa puissance, le même dans Ses promesses et dans l’alliance qu’Il a faite avec les patriarches, le même, enfin, hier, aujourd’hui, éternellement ; — c’est Lui que Jonas implore à cette heure ; c’est à ce Dieu trois fois saint, c’est à ce puissant Jéhovah, que le prophète a maintenant recours dans son angoisse. À quel autre irait le pécheur brisé ? Quelle autre porte lui demeurerait ouverte, ou quel autre refuge lui resterait dans sa détresse ? Que pourrait actuellement pour Jonas, dans la ténébreuse cellule où Dieu vient de le jeter, ce monde dont il avait follement préféré le repos à la volonté de son Créateur ? Il faut qu’il retourne à l’Éternel ou qu’il périsse.
Chrétien, qui gémis sous le châtiment de Dieu, Jonas te montre la route que tu dois prendre. Comme lui retourne à Celui que tu as offensé. À quel autre irais-tu, pécheur ? Quel autre as-tu dans les cieux et quel autre en la terre ? Ah ! laisse-nous te le répéter : Frappé, va tout droit te réfugier dans le sein de Celui qui frappe ; Son cœur n’a rien perdu de sa pitié pour sympathiser à ta misère, ni Son bras de son pouvoir pour te délivrer de ton affliction, ni le sang de Son alliance de sa vertu pour laver ta souillure ; retourne à l’« Éternel, et il aura compassion de toi, et à notre Dieu, car il pardonne abondamment » (És. 55). Le Dieu de Jonas est aussi l’Éternel ton Dieu, oui, l’Éternel ton Dieu, et ces trois mots comprennent tout ce qui peut te rassurer ; car ils disent tout à la fois le pouvoir, la clémence et la fidélité du Dieu que tu sers. — Son pouvoir : il est « l’Éternel, le Souverain, qui fait tout ce qu’il lui plaît, tant dans l’armée des cieux que parmi les habitants de la terre » (Dan. 4) ; — Sa clémence : Il est le « Dieu miséricordieux, lent à la colère, riche en grâce, et qui se repent du mal » dont Il a menacé (Ex. 34 ; Jon. 4) ; — Son invariable fidélité : Il s’est solennellement déclaré le Dieu de tous ceux qui croient, par conséquent aussi ton Dieu, dans l’alliance éternelle qu’Il donna pour nous à Abraham, qu’Il confirma par la bouche de tous les prophètes, et que, dans la « plénitude du temps », Il vint solenniser Lui-même par « l’aspersion de son propre sang, du sang précieux de l’Agneau sans défaut et sans macule » (Matt. 26 ; 1 Pier. 1, 19). — C’est comme son Dieu dans l’alliance de paix que Jonas l’implore à cette heure, et c’est à ce même titre que tu peux l’implorer aussi toi-même. Que dis-je ? Tu peux en Jésus Lui donner un nom beaucoup plus intime, tu peux L’appeler Père, et toujours, oui, toujours à ce doux nom, tu verras Ses miséricordieuses entrailles s’émouvoir et Son bras puissant se déployer en ta faveur.
Mais d’où s’élève la prière que Jonas adresse maintenant « à l’Éternel son Dieu » ? — « Du ventre du poisson »… Et plus bas (v. 3), « du fond du sépulcre », hébreu shéol. C’est le lieu qui demande, demande toujours, qui dit apporte, apporte et n’est jamais rassasié (Prov. 30). Tel est le sens du mot de l’original. La version grecque de l’Ancien Testament (dite version des Septante) l’a rendu par celui d’hadès, lequel signifie littéralement le lieu invisible. Le shéol est proprement le sépulcre, le séjour des morts, en général (Gen. 37, 35 ; 42, 38 ; Nomb. 16, 30, 33 ; Job 11, 8 ; 26, 6 ; Amos 9, 2 ; Ps. 139, 8, etc.). Ce mot désigne encore un état d’abaissement profond, d’accablement, de détresse (Ps. 30, 3 ; 86, 13 ; 116, 3, etc.), et peut-être, en un petit nombre d’endroits, ce qu’on appelle ordinairement l’enfer (Ps. 9, 17 ; 31, 17 ; 55, 15 ; Prov. 15, 24 ; 23, 14)[1]. Dans le verset qui nous occupe, shéol obtient manifestement la signification de sépulcre, en même temps que celle de détresse profonde ; car, certes, ce n’était pas du lieu des tourments, ce n’était pas de l’enfer éternel, que Jonas criait à Dieu : il eût crié en vain ; mais le sentiment d’horreur qui remplissait son âme avait pour lui quelque chose qui tenait vraiment de l’enfer. Figurez-vous la situation d’un léthargique enterré vivant, au moment où l’infortuné se réveille dans la tombe, et vous aurez une idée de la situation de Jonas dans le ventre du sépulcre. Et pourtant c’est de là qu’il crie à l’« Éternel son Dieu » ! Arraché naguère de ce fond de cale où « il dormait profondément », le prophète rebelle avait éprouvé qu’il n’est aucune cachette où Dieu ne voie et ne frappe le coupable. Maintenant, le prophète repentant fait l’expérience plus douce, qu’il n’est sur la terre lieu si bas, si ténébreux, d’où ne monte jusqu’à Lui la requête du pécheur humilié, où Sa miséricorde ne puisse l’atteindre, et d’où Son bras ne puisse le ramener.
L’exemple de Jonas nous apprend encore que toute place est bonne pour y chercher Dieu ; que, du cachot le plus affreux, de la fosse la plus profonde et des lieux les plus bas de la douleur et de la mort, Son trône demeure accessible au pécheur qui implore Son secours ; il nous apprend que le cri du cœur pressé et oppressé, serré par l’angoisse comme était serré Jonas dans les flancs du cachalot, trouve aisément le chemin du cœur du Dieu des compassions.
L’exemple de Jonas nous montre aussi qu’il faut savoir invoquer Dieu jusque sous le poids de la correction la plus accablante. Tous les flots du courroux céleste roulent maintenant sur le prophète, et cependant il prie. Sous le faix des épreuves que nos péchés nous ont attirées, prions comme lui ; Dieu n’est sûrement pas loin de nous ; la pitié est dans Son cœur, et la délivrance dans Son bras ; oui, prions ; Lui-même nous y convie : « Invoque-moi », nous dit-Il, « je te délivrerai et tu me glorifieras » (Ps. 50). « Il ne dédaigne point l’affliction de l’affligé » ; « il a compassion du misérable criant à lui » ; « il ne méprise point ses prisonniers » (Ps. 22 ; 72 ; 69). Pécheur, qui es actuellement aux prises avec l’épreuve et la douleur, prends-y garde ; la voix qui, sous le châtiment, te crie peut-être : « Ta plaie est sans espérance, il n’y a plus en Dieu de délivrance pour toi ! » cette voix n’est pas celle de Jésus, celle du Sauveur charitable qui « ne brise point le roseau cassé, et n’éteint pas le lumignon qui fume encore ». C’est la voix de ton cœur incrédule, c’est la voix de Satan. L’ennemi ne manque jamais de tirer parti de nos chutes pour nous plonger dans l’abattement, et, s’il le peut, dans le désespoir, afin de nous plonger toujours plus avant dans le péché. Mais que dit le Seigneur ? « Il y a du baume en Galaad, il y a là un libérateur et un médecin » (Jér. 8). Et que dit-Il encore ? « Venez à moi, et je ne vous repousserai point » (Matt. 11 ; Jean 6). Ah ! Celui qui, sous mille formes, ne se lasse pas de répéter, d’un bout à l’autre de la Bible, cette paternelle et tendre invitation ; Celui qui l’inscrivit comme Son dernier mot à la dernière page de Son livre (Apoc. 22), grossièrement contraire à Lui-même, nous dirait-Il ensuite : Éloignez-vous de moi ? « L’amen, le témoin, le fidèle et le véritable », nous parlerait-Il dans notre cœur un langage diamétralement opposé à celui qu’Il nous tient dans Sa Parole ? Un jour, je le sais, le Seigneur dira à ceux qui, dans le temps de Sa patience, auront négligé le pressant appel de Sa grâce, un jour le Seigneur leur dira : « Allez, retirez-vous de moi ! » mais ce jour n’est pas encore là ; et, jusqu’à ce qu’il soit venu, Sa miséricordieuse invitation se fait toujours entendre : « Venez, venez à moi ! »
Quand donc Satan, quand le menteur, le meurtrier, la liste de nos péchés à la main, fait tous ses efforts pour nous empêcher d’aller à Jésus, alors simples, courageux et fermes dans la foi, tournons résolument contre lui l’épée que le divin Maître lui opposa victorieusement pendant les jours de Sa chair ; disons-lui : « Arrière de moi, Satan, car il est écrit » ! — Il est écrit : « Approchons-nous avec assurance du trône de la grâce, afin que nous recevions miséricorde et que nous trouvions grâce pour un secours opportun » (Héb. 4 et 10). C’est pour des pécheurs qu’a été dressé le trône des gratuités ; ce sont des pécheurs que le Dieu de paix y convie ; ce sont eux, et eux seuls, qui ont journellement besoin de la miséricorde qui passe par-dessus toutes les offenses, comme aussi de la grâce qui soutient dans tous les combats, qui rassure et console dans toutes les douleurs. En replaçant devant nous comme tu le fais, ô perfide et cruel ennemi de nos âmes ! en nous reprochant nos torts envers le Seigneur, tu mets donc toi-même en nos mains une arme puissante pour t’en frapper ; car tu nous rappelles le pressant besoin que nous avons de recourir au trône érigé pour les transgresseurs, en même temps que le droit que nous possédons de nous en approcher avec assurance, et à l’heure même, pour y recevoir un secours opportun.
Enfin, la prière de Jonas nous apprend aussi que rien ne ferme la bouche à celui qui croit ; plongé, comme on le voit, dans les eaux les plus profondes, enfermé dans le cachot le plus obscur, enseveli dans le plus horrible des tombeaux, le prophète, néanmoins, adresse à Dieu la prière de l’espérance, et peut-être la fait monter jusqu’à Lui, plus vive et plus pénétrante que jamais il ne l’eût présentée, même à Jérusalem et dans le temple. Il n’est aucune situation qui impose silence à la foi, aucune épreuve, aucune détresse qui la déconcerte ; elle ne voit, elle ne veut voir que Dieu, toujours le même, toujours clément, toujours fidèle à Ses promesses, toujours admirable en conseil et puissant en moyens.