Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/La fuite du prophète

De mipe
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« Mais Jonas se leva pour s’enfuir à Tarsis de devant l’Éternel. Il descendit à Joppé où il trouva un navire qui allait à Tarsis, et ayant payé le passage, il s’embarqua pour aller avec eux à Tarsis, et s’enfuir de devant l’Éternel ».

L’Éternel avait de grands desseins en envoyant Jonas à Ninive. Cette ville commençait à menacer la Palestine et à exercer une notable influence sur la condition de ses habitants. Dieu va donc faire sortir de ce petit royaume d’Éphraïm un prophète chargé de lui dénoncer les jugements du ciel. Il veut par là se donner à connaître à la fière cité, fléau de Samarie, comme le Dieu suprême ; Il veut éloigner de l’esprit des princes assyriens les projets d’asservissement qu’ils nourrissaient déjà quant à la Judée ou du moins en retarder l’exécution ; et, par la seule parole de Son héraut, humilier enfin l’orgueil de la première monarchie de cette époque-là. En même temps, Il se proposait, avons-nous dit, de faire pressentir la vocation des Gentils et l’approche du jour où tous les peuples de la terre connaîtront l’Éternel et se prosterneront devant Lui.

Mais Jonas n’a point compris les pensées de Dieu ; en lui l’homme et le patriote juif prévalent sur le prophète et sur le saint ; au lieu d’obéir « à la vision céleste », il « consulte la chair et le sang ». Il se lève bien, le fils d’Amitthaï, mais pour s’enfuir vers l’occident, quand Dieu l’appelle à se rendre en orient. Conduite aussi imprudente qu’elle est criminelle ! C’est l’égoïsme, c’est l’attachement à la volonté propre. Sous une forme ou sous une autre, ce malheureux penchant règne universellement sur la terre et la couvre de maux. Si le bonheur est dans le sentier de Dieu, la misère est dans le nôtre ; un moment nous l’appelons Naomi (agréable) ; mais nous ne tardons pas à reconnaître que son vrai nom est Mara, car le Tout-puissant l’a semé d’amertumes (Ruth 1). Le prophète infidèle de Juda avait trouvé sur sa route un lion pour le déchirer (1 Rois 13) ; Jonas va rencontrer sur la sienne la tempête et la mort.

Mais d’où lui vient cette invincible répugnance à obéir au commandement divin ? Est-ce indolence, amour du repos charnel ou manque de bonne volonté de sa part ? Craint-il peut-être les dangers personnels qu’il court en allant dénoncer à Ninive les jugements de Dieu ? Voit-il le nombre, la puissance et la colère des Assyriens, lui qui devrait ne voir que le Seigneur, Son commandement, Son pouvoir, Son amour, Sa fidélité ? Dit-il enfin : « Qui est suffisant pour ces choses ? » lorsqu’il devrait s’écrier : Qui es-tu, toi, haute montagne devant le serviteur de l’Éternel ? Une plaine ! — Tout cela est probable ; mais ce qui l’est encore plus, c’est qu’une fausse idée religieuse, un scrupule erroné l’abuse ; tout imbu qu’il est des préjugés de son peuple, il n’entend pas que Dieu s’intéresse au salut des Ninivites ; il ne veut pas être auprès d’eux l’instrument de Sa grâce. En même temps un autre sentiment le préoccupe. Déjà, la Palestine avait vu de près l’Assyrien et tremblé devant lui ; patriote juif avant tout, jaloux pour sa nation, mais d’une mauvaise jalousie, Jonas recule à la pensée d’aller proclamer dans Ninive les paroles de Dieu, et, par des menaces, qu’elle écoutera peut-être, de la pousser, de l’entraîner dans les voies de la repentance, et de prévenir ou tout au moins différer ainsi la ruine ardemment désirée de la cruelle ennemie d’Israël. Car Jonas, ainsi que lui-même l’exprimera plus tard (4, 2), Jonas connaissait bien le cœur de Dieu ; il savait qu’après avoir menacé la ville coupable, au premier signe de repentir de sa part, Il révoquerait la sentence prononcée contre elle ; alors, pensait-il aussi, alors Sa parole dans ma bouche sera réputée oui et non ; Lui-même sera déshonoré, et moi Son prophète humilié.

Triste fruit de ce patriotisme aveugle qui offusque l’esprit, rétrécit et dessèche le cœur et peut dégrader le plus beau caractère ! Funeste conséquence de cette sagesse de l’homme qui toujours oppose ses pensées, ses scrupules, ses raisonnements, aux paroles et aux ordres du Seigneur ! Sûrement, sous la loi, Dieu n’avait pas fait les Juifs pour être un peuple de missionnaires ; Il les avait, au contraire, établis seuls dépositaires de Ses grâces et de Ses alliances jusqu’à la venue du Christ ; mais, d’autre part, n’avait-Il pas promis de bénir un jour toutes les tribus humaines ? Et le message donné à Jonas ne devait-il pas être considéré par celui-ci comme un prélude de l’accomplissement de cette glorieuse promesse ?

Le parti de Jonas est pris ; il monte sur les chevaux légers et s’enfuit de devant l’Éternel. Mais, pauvre Jonas, « où » donc « irais-tu loin de son Esprit et où fuirais-tu loin de sa face » (Ps. 139) ? Jonas savait fort bien que partout il trouverait le Seigneur ; mais apparemment il s’imaginait qu’aussitôt loin de la terre que l’Éternel avait choisie pour y établir Sa demeure (Joël 2, 27), où resplendissait la schechinah, la gloire, symbole auguste de Sa présence au milieu de Son peuple, et où l’Esprit Saint rendait Ses oracles, il se sentirait allégé du pesant fardeau du ministère prophétique et que le Seigneur alors se choisirait un autre serviteur pour l’envoyer à Ninive. Il ne pense pas que Dieu n’est pas où lui, Jonas, se propose d’aller ; mais il espère que l’Esprit de Dieu ne l’y saisira pas. Puis, une fois le sort de Ninive décidé, il se flatte de revenir dans la terre des oracles, pour y terminer sa vie dans l’exercice de quelque ministère moins dur à sa chair. Tel est, nous le craignons fort, le calcul de son égoïsme et de sa lâcheté.

Quoi qu’il en soit, Jonas, poursuivant sa route, « descendit à Joppé où il trouva un navire qui allait à Tarsis ». « Il descendit ». Le mot s’explique aisément par la position du pays d’Israël, assis sur un plateau élevé dont la Méditerranée baigne le pied. Il descendit à Joppé : c’était le port de Jérusalem. On connaît bien la situation de Joppé (Japho), le Joppé du livre des Actes, la Jaffa de l’histoire contemporaine ; mais l’on n’est pas également d’accord sur la position de Tarsis ; les uns croient que c’était la Tarse des Actes, la patrie de Paul, distante de Joppé d’environ deux cents lieues au nord ; d’autres Carthage sur la côte d’Afrique ; d’autres, l’Espagne méridionale, ou, par-delà le détroit de Gibraltar, l’antique Tartesse, cette île si riche de mines d’or et autres métaux, avec laquelle les Phéniciens (à qui devait appartenir le vaisseau de Jonas) faisaient alors un si grand commerce. C’était aussi le sentiment le plus généralement admis parmi les anciens. Il y avait encore une autre Tarsis où l’on se rendait par la mer Rouge et dont il est question dans l’histoire du roi Josaphat (1 Rois 22, 49, etc. ; 2 Chron. 20, 36).

Sans vouloir trancher le point, nous croyons cependant que la Tarsis de Jonas était un pays situé dans quelque parage lointain de la Méditerranée ou de l’océan Atlantique, et célèbre dans l’antiquité par les relations commerciales que soutenaient avec lui les deux peuples les plus navigateurs de ces temps-là. Les Hébreux, surtout les Phéniciens, allaient chercher en Tarsis, l’or, l’argent, le fer, l’étain, le plomb et d’autres productions de l’Occident, pour les échanger, sur le marché de Tyr, contre les richesses de l’Orient (Jér. 10 ; Éz. 27). Car, avant que Dieu l’eût brisée sous la main de Nebucadnetsar, puis sous celle d’Alexandre (És. 23 ; Éz. 27), Tyr, la ville principale de la Phénicie, était le théâtre d’une immense navigation, le centre du commerce de la Méditerranée et de l’univers. Ésaïe l’appelle « la foire des nations » (És. 23). Tarsis s’enrichissait du trafic qu’elle faisait avec elle et la célébrait dans ses chants (Éz. 27). Aussi, quand le fils d’Amots prédit la ruine de la puissante Tyr , convie-t-il, entre beaucoup d’autres peuples, celui de Tarsis, à pleurer sur la chute de la reine des mers : « Hurlez, navires de Tarsis, hurlez, car elle n’est plus » (És. 23).

Toutefois il est bon d’ajouter que le mot de Tarsis prit de bonne heure une signification plus étendue, et servit à désigner indifféremment tous les pays maritimes situés à l’occident de la Terre Sainte, tous ceux où l’on se rendait par la Méditerranée ; comme aussi par la suite l’expression de navires de Tarsis désigna, sans nulle distinction, tous les grands navires, par opposition aux nacelles et aux barques, et surtout les vaisseaux qui entreprenaient des navigations de long cours (És. 2 ; 60 ; Ps. 48). C’est ainsi qu’aux livres des Rois et des Chroniques, nous lisons que « le roi Salomon » avait sur mer « la flotte de Tarsis avec la flotte de Hiram et que, tous les trois ans, la flotte de Tarsis revenait, apportant de l’or, de l’argent, de l’ivoire, des singes et des paons ». Et quand, plus tard, Ésaïe prédit la conversion générale et le rétablissement d’Israël, il annonce que « les navires de Tarsis, les premiers, s’attendront à l’Éternel, pour amener les fils de Sion des pays éloignés avec leur argent et leur or » (És. 60). Le psalmiste enfin nomme expressément les rois de Tarsis et des îles, ceux de l’occident, parmi les rois qui se prosterneront devant le Fils de David, le Prince de paix, quand Il règnera sur la terre, et qui Lui apporteront leurs présents (Ps. 72).

Retournons à Jonas. Il trouve donc à Joppé toutes choses selon son gré ; un navire allait mettre à la voile pour les lieux mêmes où il aspirait à se rendre. Il paie son passage, il le paie exactement. Tel se montre juste dans ses transactions avec les hommes sur le marché, qui ne craint pas de voler Dieu dans Son temple (Mal. 1 ; 3) et de Lui désobéir en face ; tout en rendant fidèlement à César ce qui est à César, il ne se fait nul scrupule de ravir à Dieu ce qui appartient à Dieu. — Jonas ne calcule pas la dépense. L’homme qui marche dans ses propres voies, souvent avare pour Dieu, avare aussi pour l’indigent, se montre ordinairement, selon la mesure de sa fortune, libéral, si ce n’est prodigue pour lui-même.

Jonas monte à bord du vaisseau frété pour Tarsis. Peut-être ne faut-il pas omettre la curiosité parmi les motifs qui le poussaient vers cette terre lointaine ; il voulait le voir, lui aussi, ce pays où le commerce appelait alors tant de monde, et dont on racontait tant de merveilles. Le voilà donc entouré des gens de l’équipage, qui parlaient la même langue que lui, celle de Canaan ; c’étaient apparemment des Phéniciens, car ce peuple et les Hébreux se comprenaient sans peine ; à côté d’eux, pouvaient se trouver à bord des passagers d’autres nations, que leurs affaires conduisaient également à Tarsis. Le voilà seul adorateur du vrai Dieu parmi ces idolâtres : eux, tout préoccupés de leurs spéculations, lui, de sa fuite honteuse ; eux, allant le cœur libre où l’intérêt de leur négoce, et de fait la providence les appelle, lui, le cœur triste et la conscience chargée, se rendant où Dieu ne l’appelle point, pour y chercher un repos qui s’éloignera de Lui aussi longtemps que lui-même s’éloignera de Dieu.

Bientôt le signal du départ est donné, et Jonas est en pleine fuite. Quelle différence entre l’âme pieuse et le cœur rebelle ! Tandis que celle-là aspire à s’unir toujours plus à Dieu comme au centre unique de son bonheur, celui-ci court chercher, loin de son Créateur et dans le repos de la chair ou dans les vanités d’un monde trompeur, un bonheur qu’il ne trouvera point ; car l’éloignement de Dieu, c’est la mort.

Plaignons Jonas, blâmons sa conduite, mais ne jetons pas durement la pierre contre sa personne. Son péché est grand, sans nul doute, d’autant plus grand que Dieu l’avait précédemment encouragé par un ministère remarquablement béni. Mais quelle perspective que celle qui se déroulait devant lui ! Un long et pénible voyage à entreprendre, une terrible proclamation à faire retentir dans toutes les places de la cité royale, la fureur ou les dédains de tout un peuple à braver, la nécessité, pour obéir à l’appel céleste, de surmonter ses impressions juives les plus profondes, ses préjugés nationaux, ses instincts les plus intimes, et par-dessus tout d’immoler sa vanité personnelle. Toutes ces difficultés se dressent devant lui comme des montagnes et le cœur lui défaut. Le moi, très en relief dans son histoire, y joue sûrement un fort grand rôle ; mais, dans la nôtre, en joue-t-il un bien moins déplorable ? L’esprit de témoignage et de dévouement est-il si commun par le temps qui court ? Et les Jonas sont-ils si rares parmi nous ? Que le sentier du Seigneur se rencontre un moment avec le nôtre, ou n’offre à nos yeux que peu de difficultés, aussitôt nous nous persuadons que notre volonté harmonise délicieusement avec la sienne ; mais que Dieu nous appelle à des renoncements réels, à de vrais sacrifices, alors en nous la chair se cabre et résiste, et comme Jonas nous Lui tournons le dos, non la face. Tout autant que le fils d’Amitthaï, nous avons nos agréables Tarsis vers lesquelles nous entraîne l’impétuosité de nos secrets désirs, comme aussi nos Ninive abhorrées que nous fuyons de toute l’énergie de nos répugnances les plus intimes.

Blâmons tant qu’il nous plaira le calcul odieux du prophète qui monte sur un navire, d’où plus tard, le voulût-il, il ne pourra plus ressortir pour se rendre où Dieu l’appelle, et se met volontairement dans l’impossibilité d’aller où son Créateur l’envoie ; nous n’agissons pas autrement nous-mêmes quand, pour nous dispenser d’accomplir telle ou telle tâche qui nous paraît difficile, nous nous créons arbitrairement des devoirs ; quand nous multiplions nos occupations au point qu’elles ne nous laissent plus le loisir de rien faire pour le Seigneur, ou que nous trouvons mille prétextes pour ne pas obéir à Dieu qui nous commande d’annoncer Ses paroles à nos semblables. Pourtant, notre humble message, bien moins pénible à remplir que celui de Jonas, ne nous oblige à quitter ni pays ni familles pour aller, inconnus, prêcher tout seuls au milieu d’un peuple dont nous n’ayons à attendre que colère ou que dédain ; et d’autre part, Il nous appelle à parler, à ceux qui nous entourent, des incompréhensibles richesses de l’amour de Dieu en Christ, autant et plus que des ardeurs consumantes de Sa justice. Mais nous redoutons leurs froideurs, leurs mépris ; nous appréhendons peut-être la perte de quelque avantage temporel ; notre égoïsme calcule quand notre amour devrait se dévouer ; et, nouveaux Jonas, nous préférons notre volonté propre à celle de Dieu, et notre repos charnel au salut de nos semblables.

Mais cet esprit de calcul et de pusillanimité, qui trop souvent nous ferme la bouche, a lui-même une cause, et c’est notre incrédulité. Le Saint Esprit a dit : « Qui croit au Fils a la vie ; mais qui désobéit au Fils ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ». Cette solennelle parole, la croyons-nous réellement, frères ? Ah ! vraiment reçue dans notre cœur, quelle assurance d’abord et quel amour elle y répandrait ! Puis, de quel zèle, de quelle sainte activité elle le remplirait pour rechercher le salut de ceux qui nous sont chers ! Car, ou ils croient, et alors ils ont la vie ; ou ils ne croient pas, et jusqu’à ce jour ils sont dans la mort. Inévitable et terrible alternative ! Mieux comprise par nous et véritablement admise, nous laisserait-elle un instant de repos tant que nous n’aurions pas fait tout ce qui est en notre pouvoir pour les amener à Christ ? Quoi ! « Celui qui ne croit pas ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui » ! Nous le savons et notre bouche se tait ! Ah ! ne parlons plus alors de notre foi ; taisons-nous sur notre bienveillance, et rougissons d’un amour qui, se bornant pour l’ordinaire aux témoignages d’un intérêt purement terrestre, voit la vie présente et son bien-être plus que l’éternité, le corps périssable plus que l’âme immortelle, et ose à peine braver quelques airs froids et quelques paroles sévères pour sauver, s’il est possible, ceux qui s’en vont périr !

Le prophète de Gath-Hépher nous rappelle. La providence de Dieu semble favoriser son évasion ; les côtes de la Palestine disparaissent et déjà le navire est en pleine mer. Le chemin du prophète peut lui paraître aisé d’abord ; mais est-il une voie facile pour qui ne marche pas avec son Dieu ? Pauvre Jonas ! Que de douleurs il va trouver sur la route qu’il s’est choisie ! Il croit fuir l’épreuve, en fuyant la Judée ; il court au-devant de la détresse ! Déjà sa conscience le poursuit, et il commence à manger les figues amères ; il faudra qu’il en vide le panier jusqu’au fond (Jér. 24). Prenons garde aussi nous-mêmes, chers frères, qu’en voulant comme lui fuir arrière de telle ou telle croix que la sagesse de Dieu nous impose et que Son amour s’apprête à porter avec nous, nous n’allions de même à la rencontre d’autres croix bien autrement lourdes qu’il nous faudrait porter tout seuls ; et qu’avant et par-dessus toutes les autres, nous n’ayons à savourer longuement les amertumes d’une mauvaise conscience.

Telle est la conduite du fils d’Amitthaï. Comme elle contraste avec celle que devait tenir un jour le fils de Jonas (Act. 10) ! Je les vois bien partir tous les deux de la même ville ; mais l’un pour ne pas aller porter aux Gentils le message de l’Éternel ; l’autre, au contraire, pour leur aller annoncer, de la part du « Seigneur de tous, la repentance et la rémission des péchés ». Et de même encore, quelle différence entre Jonas et Paul ! Tandis que le premier trouve Ninive trop éloignée, craint les fatigues de la route, redoute la colère ou les sarcasmes des Assyriens, calcule, hésite et dit avec le paresseux : « Le lion, le grand lion est au chemin » (Prov. 26) ; pendant que, jaloux pour sa nation, il voudrait garder pour elle seule les lumières de la révélation, le second, au contraire, bravant fatigues, périls et mort, court de Jérusalem jusqu’au bout de la terre, possédé qu’il est d’un seul désir, dévoré d’un seul besoin, celui de remplir le monde entier de la connaissance de Celui qu’il aime, et d’« amener toute pensée prisonnière à l’obéissance de Jésus-Christ » !

Mais surtout, quel contraste entre le fils d’Amitthaï et le Fils de Marie ! Tandis que Jonas trouve pénible d’aller seulement de Jérusalem à Ninive pour y porter le message de Dieu, Jésus, au commandement du Père, quitte le ciel et ses gloires, descend dans ce monde maudit, et, s’y revêtant de l’humble « forme d’un serviteur, se rend, pour nous sauver, obéissant jusqu’à la mort et jusqu’à la mort de la croix » (Phil. 2). Et, pendant que Jonas, aussi méchant devant Dieu que Ninive, se lève, non pour obéir, mais pour s’enfuir, le Saint de Dieu, se levant à l’instant même à la voix du Père, répond : « Me voici pour faire, ô Dieu ! ta volonté » ; puis, après avoir mis Son âme en oblation pour les Gentils comme pour les Juifs, Il leur annonce, dans la personne de Ses témoins, le jugement, il est vrai, mais en même temps la grâce et le pardon pour quiconque croit et se repent (Matt. 28 ; Act. 1 ; 17 ; etc.)

Encore un mot sur la chute du prophète. Envisagée sous le point de vue moral, elle presse la nécessité de la vigilance ; elle nous crie de nous tenir prêts pour le jour où il plairait au Seigneur de mettre plus particulièrement notre obéissance à l’épreuve. Surtout elle nous fait toucher du doigt ce que devient l’homme, et l’homme le plus éminent, livré à ses propres ressources ; elle proclame, avec toute la Bible, que « notre force est en Dieu », qu’en Lui seul est notre justice, et qu’à Lui seul appartient la gloire de notre salut. Qu’étaient en eux-mêmes Abraham, David, Jonas ou Pierre ? Qu’étaient Noé, Job et Daniel, ces trois hommes dont la prière avait tant de puissance auprès de Dieu (Éz. 14) ? De pauvres pécheurs comme nous, asservis aux mêmes passions que nous, ayant le même besoin de la grâce qui affranchit de tout péché, et du sang qui lave de toute souillure. C’est pour leur bien que Dieu permit leurs chutes ; c’est aussi pour notre bien qu’Il permet les nôtres ; elles humilient notre orgueil, elles exaltent Sa charité, elles nous rendent le sang de l’alliance toujours plus précieux, le secours du Saint Esprit toujours plus nécessaire, et cette vérité toujours plus évidente, qu’un seul est saint, un seul est fort, un seul est digne : « Digne est l’Agneau » !

Vue sous son côté symbolique, la chute du prophète nous introduit dans un autre ordre d’idées. Dans les tristes dispositions qu’il manifeste dès l’ouverture du livre, Jonas nous apparaît comme une sorte de type ou de personnification de la nation juive, ennemie des Gentils et rebelle à Dieu dès le début de l’économie. Tel prophète, tel peuple. L’Israélite Jonas se présente devant la païenne Ninive comme la nation juive devait se poser un jour en face des Gentils. Jonas, c’est le Juif incarné : même étroitesse d’esprit, même égoïsme, même dureté de cœur. Jonas, comme Israël, ne veut décidément pas que la Parole du Seigneur soit annoncée au Gentil et que celui-ci soit sauvé ; c’est le grand tort du prophète et le trait proéminent de son caractère ; c’est aussi pour cela que la colère de Dieu va tout à l’heure parvenir à son plus haut degré sur lui, comme elle débordera plus tard sur la nation qu’il symbolise (1 Thess. 2). Si Jonas eût pu croire que le message dont Dieu l’avait chargé pour Ninive, était un message irrévocable de colère et de ruine, peut-être eût-il tenté de surmonter ses répugnances et d’aller ; mais, à travers la menace et par-delà la repentance, il entrevoit la miséricorde et il résiste. Quel contraste ! Tandis que le Maître, qui a reçu l’offense, veut, au fond, que le coupable soit sauvé, le serviteur, qui n’en a pas été l’objet, entend qu’il périsse ! Voilà bien encore le Juif ! Enfin, le même sentiment qui avait éloigné Jonas de Ninive lui ferme la bouche dans le vaisseau ; il se tait devant ces Gentils qu’il aurait dû entretenir de l’Éternel et pu gagner à Sa loi ; il se tairait à Tarsis, s’il y arrivait ; il se taira partout où il ira. Voilà de nouveau le Juif tel qu’il nous est apparu jusqu’à ce jour. Mais l’heure approche où ta clémence, ô Dieu d’Abraham, et ta grâce victorieuse vont le montrer au monde sous un aspect tout nouveau ; où, brisé par la repentance que tu répandras en lui (Zach. 12) ; brûlé de ton amour, harmonisant joyeusement avec ton cœur, et reprenant, au milieu des nations, la place et le ministère qui lui appartiennent, il ne se lassera plus de bénir Celui que jusqu’à ce moment il ne s’est pas lassé de maudire ; l’heure vient où il célébrera, de toutes les puissances de son être, son Roi et son Dieu (És. 8 ; Os. 3) ; et proclamera, sur mer comme sur terre, à Tarsis et à Ninive, comme à Jérusalem et jusqu’aux extrémités du monde, « ta miséricorde », ô mon Rédempteur, qui « atteint jusqu’aux cieux, et ta fidélité » qui s’élève « jusqu’aux nues ».