Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 50

De mipe
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Powerscourt, le 2 septembre 1832
Mon cher ami,

Il y a bien longtemps que je ne sais rien de vous. Écrivez-moi une longue lettre et apprenez-moi quels sont vos sentiments actuels, et par quelles expériences le Seigneur vous a fait passer pendant cette année. Pour moi, j’ai cheminé dans une douce monotonie, et cependant je crois que jamais le Seigneur n’a plus travaillé en moi, ne m’a plus montré ce que je suis, et ne m’a plus humiliée que pendant l’année qui vient de s’écouler. J’ai reçu quelques leçons fort amères dont j’avais grand besoin.

J’aimerais beaucoup savoir ce que vous pensez au sujet de ceux qui régneront avec Christ. Ceux qui auront cru régneront-ils tous avec Lui, ou bien seront-ce seulement les martyrs ? Je me suis beaucoup occupée dernièrement de ce sujet. Il me semble qu’il est réservé à tous les croyants de cette dispensation de régner avec Lui, parce que cette dispensation est celle du martyre, et parce que ce sont les jours de jeûne de l’Église dont l’Époux est absent. Si quelquefois nous avons du repos, ce n’est que par exception. « Être comme des brebis destinées à la boucherie » ; « être le rebut de tous » ; « porter dans notre corps la mort du Seigneur Jésus » ; « être sans cesse livré à la mort » c’est là le caractère de ces jours de tribulation qui nous sont annoncés. C’est encore pour Jésus l’heure de la tentation (Act. 1, 4, 5 ; Luc 22, 28). Quand Dieu a voulu chauffer Sa fournaise au plus haut degré, pour donner un exemple de foi jusqu’à la fin du temps, Il ne s’est pas occupé de la souffrance du corps, mais Il a préparé la fournaise de l’affliction : « Prends maintenant ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac ».

Nous avons tous l’occasion de souffrir pour le nom de Christ, et ce qui me paraît distinguer nos souffrances d’avec celles que nous avons en commun avec le monde, c’est qu’elles proviennent d’un principe, d’une épreuve de la foi, d’un choix volontaire de souffrir en la chair, afin de ne renier Christ en aucune manière. Elles consistent à renoncer à soi-même, à se charger de Sa croix chaque jour, à se couper la main droite, à s’arracher l’œil droit, plutôt que de pécher. Oh ! combien il y a de ces martyres secrets, inconnus aux hommes, mais précieux devant Dieu ! Je crois qu’il n’y eut jamais un temps où l’union qui existe entre le règne et la souffrance dût être mise en avant avec plus de force, car la vie de beaucoup de chrétiens est comme un refus du martyre, elle dit hautement qu’ils ne veulent pas du bûcher. C’est par expérience que je parle. Le Seigneur veut bien plutôt des preuves que des paroles. Après que Pierre, dans sa grande détresse, eut répondu : « Seigneur, tu connais toutes choses, tu sais que je t’aime » ; Jésus, en lui disant : « Pais mes brebis », lui en demanda la preuve. Les chrétiens sont quelquefois si subjugués, si captivés par ce qui tombe sous les sens, qu’ils ne font que peu de cas de cette parole sérieuse : « Si vous m’aimez, gardez mes commandements » ; et, dans la conviction que leur âme ne peut être perdue, ils vivent en s’accordant des jouissances illégitimes, plutôt que de passer par la torture d’un cœur entièrement déchiré et brisé. Mais assurément, si le règne de Christ pendant mille ans doit être pour Lui une récompense particulière à cause de Ses souffrances, comme « Fils de l’homme, Fils de David », récompense distincte de la gloire éternelle, ceux-là seulement qui auront participé avec Lui aux souffrances, régneront avec Lui. Dites-moi ce que vous pensez là-dessus. Il me semble que, quoiqu’il y ait maintenant beaucoup de chrétiens sauvés, il n’y en a que peu qui soient prêts pour ce règne. « Selon que vous participez aux souffrances de Christ, réjouissez-vous, afin qu’aussi en la révélation de sa gloire vous vous réjouissiez avec allégresse. Si vous êtes outragés pour le nom de Christ, vous êtes bien heureux, parce que l’Esprit de gloire et l’Esprit de Dieu repose sur vous ». — « Si nous mourons avec lui, nous vivrons aussi avec lui ». — « Si nous souffrons avec patience, nous régnerons aussi avec lui ». — « Nous-mêmes nous nous glorifions de vous dans les églises de Dieu, au sujet de votre patience et de votre foi dans toutes vos persécutions, et dans toutes les tribulations que vous endurez, qui sont une démonstration du juste jugement de Dieu, pour que vous soyez jugés dignes du royaume de Dieu, pour lequel aussi vous souffrez ». « À celui qui vaincra, je lui donnerai puissance sur les nations, et il les paîtra avec une verge de fer, et elles seront brisées comme des vases de potier, comme moi aussi je l’ai reçu de la part de mon Père. Et je lui donnerai l’étoile du matin ». « Retiens ce que tu as, afin que nul ne prenne ta couronne. J’écrirai sur lui le nom de mon Dieu, et le nom de la ville de mon Dieu, de la nouvelle Jérusalem, qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, et mon nouveau nom ». « Je lui donnerai de s’asseoir sur mon trône, etc. ». « Si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ ; si du moins nous souffrons avec lui, afin que nous soyons aussi glorifiés avec lui ». « Afin de connaître Jésus Christ, ainsi que la puissance de sa résurrection, et la communion de ses souffrances, étant rendu conforme à sa mort, si en quelque manière je parviens à la résurrection d’entre les morts ». « D’autres ont été torturés, n’acceptant pas la délivrance, afin d’obtenir une meilleure résurrection ». Lorsque la mère des fils de Zébédée demanda à Jésus que ses fils eussent les premières places dans Son royaume, Il répondit : « Vous ne savez ce que vous demandez ; pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, et être baptisés du baptême dont je suis baptisé ? ». Les disciples « se réjouissaient d’avoir été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus », « et de ce qu’il leur avait été donné, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui ».

N’allez pas croire, d’après ce que je dis, que je fasse peu de cas du principe de l’amour, et que je veuille retourner à celui des récompenses. Non ; gagnez le cœur et vous avez gagné l’homme. L’amour élève les choses les plus basses. L’amour ne peut s’arrêter ; il dépasse la loi, et la laisse à grande distance derrière lui. La question n’est pas : Que dois-je faire ? mais : Que puis-je faire ? En attristant l’objet qu’il aime, l’amour s’attriste lui-même. C’est là ce ressort secret des actions du chrétien, qui le fait souvent passer dans le monde pour un enthousiaste. Rien ne peut arrêter l’amour ; il se charge de sa croix et poursuit son objet à travers des montagnes de difficultés. C’était l’amour qui fortifiait le cœur de Marie, lorsque les soldats tremblaient de peur. C’était l’amour qui la retenait près du sépulcre, lorsque tous les disciples s’en étaient allés. L’amour voudrait que tous fussent participants de son bonheur ; il passe par-dessus les opinions humaines ; il ne cesse de s’écrier : « Que rendrai-je à l’Éternel ? Tous ses bienfaits sont sur moi ». « Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute ». Cependant l’amour lui-même a besoin d’être sans cesse ranimé et réveillé, car souvent il est comme mort, la chair l’endort par ses douces chansons, et le démon l’engourdit en lui donnant son opium.

Quelles pauvres créatures nous sommes, avec nos continuelles oscillations ! Tantôt élevés jusqu’aux cieux, tantôt abaissés jusqu’au fond des abîmes, par la force de l’angoisse ! Satan est si vigilant, qu’il sait fort bien quand et comment il pourra assaillir notre âme de la manière la plus efficace. Il se réjouit quand il peut nous plonger dans l’abattement par des tentations multipliées ; et, bien que nous sachions que chaque vague nous rapproche davantage du pays de notre héritage, souvent la foi chancelle, lorsque, « pendant plusieurs jours, il ne paraît ni soleil, ni étoiles, et qu’une grande tempête nous presse ». Ordinairement ces choses nous arrivent, ou pour que le bâtiment soit déchargé, ou pour que notre foi soit éprouvée, ou pour que nous voyions combien elle est petite. Mais quelque excellent qu’en soit le résultat, l’exercice n’en est pas moins pénible ; et il est humiliant d’entendre le Seigneur nous dire : « Où est votre foi ? ». Néanmoins, c’est dans de tels moments que nous sommes excités à la reconnaissance envers Celui dont l’amour et la fidélité ne manquent jamais, alors même que notre foi et notre espérance ont manqué ; et si nous sommes obligés de dire : « Mon pied a glissé », nous pouvons aussi ajouter : « Ta bonté, ô Éternel ! m’a soutenu ». L’or du sanctuaire est éprouvé avant d’être accepté, et il passe par le creuset, non pas parce qu’il est sans valeur, mais parce qu’il est très précieux.

Dans quel triste état se trouve la pauvre Irlande ! Mais nous sommes au-dessus de toutes les machinations de Satan. Cachés dans la retraite du Très-haut, nous pouvons regarder en bas sans inquiétude ; nos ennemis sont tous vaincus par ce Jésus qui demeure en nous, ainsi nous sommes plus que vainqueurs !

Croyez-moi, mon cher ami, votre affectionnée

T.A. Powerscourt