Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/Conclusion

De mipe
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On ne possède de la vie de Jonas que le court fragment que nous venons de méditer ; mais que de choses il contient ! Combien de précieuses données sur les relations intimes de la créature et du Créateur ! Que serait-ce si nous avions, également écrite sous la direction du Saint Esprit, la vie entière du prophète ! Nous la posséderons un jour. Nous posséderons de même la biographie de tous les enfants de Dieu. L’histoire complète des rachetés du Seigneur sera solennellement déroulée à tous les regards dans la journée de Christ. Alors quel ineffable sujet d’étude pour les bienheureux et pour les anges, et quel thème inépuisable d’actions de grâces que ce livre de divine sagesse, de providence mystérieuse et d’incompréhensible amour !

On aimerait savoir d’une manière positive où Jonas se rendit en quittant Ninive, et comment se termina sa carrière. Mais, au lieu de vouloir connaître ce que le Saint Esprit a trouvé bon de nous cacher, désirons plutôt de mettre à profit ce qu’Il nous révèle. Il a eu ses raisons pour ne nous donner que ce fragment de la carrière du prophète ; c’était apparemment la seule partie de la vie de Jonas qui se liât au but que Dieu se proposait et que nous connaissons maintenant. Résumons, en l’accompagnant de quelques développements nouveaux, ce que disent là-dessus nos méditations précédentes.

D’abord, le livre de Jonas a manifestement un but moral. Il nous montre ce qu’est la nature humaine dans son état actuel ; car c’est, à notre avis, une idée bien superficielle, et rendant comme inexplicable la présence du livre dans le canon sacré, que celle qui n’y voit qu’un simple fragment, un épisode de la vie d’un homme, du fils d’Amitthaï. Non, le livre de Jonas n’est pas simplement l’histoire d’un homme ; c’est plus que cela ; c’est l’histoire de l’homme. Jonas, envisagé dans ce qu’il est en lui-même, c’est, à nos yeux, l’homme tel que la chute l’a fait ; c’est la nature humaine, dans l’enfant de Dieu comme dans l’irrégénéré, c’est la chair. Elle ne se convertit pas ; elle doit périr. Paul la reconnaît en soi (Rom. 7). À côté du moi nouveau qui triomphe en Christ, il trouve en lui-même un autre moi qui obéit à la loi du péché. À proportion que l’Esprit de Dieu nous éclaire davantage nous découvrons toujours mieux en nous ce moi charnel « en qui ne réside aucun bien » ; et nous le trouvons de jour en jour plus conforme à ce que nous le voyons en Jonas et en tant d’autres personnages de la Bible. Les traits, l’expression varient d’un individu à un autre ; la physionomie générale demeure la même chez tous. « Comme dans l’eau le visage de l’homme répond au visage de l’homme, ainsi le cœur d’un homme répond à celui d’un autre ». Même égoïsme et même insensibilité dans tous les fils d’Adam ; mêmes résistances à la volonté de Dieu ; même crainte que le bonheur d’autrui n’amoindrisse le nôtre ; même soin d’assurer notre bien-être, fût-ce au préjudice de celui du prochain ; même désir secret que les autres souffrent plutôt que de nous voir privés nous-mêmes du moindre objet de nos vœux ; mêmes mouvements d’impatience, de dépit, mêmes luttes et mêmes contestations avec le Seigneur. Placés dans les mêmes circonstances que Jonas, apparemment nous n’eussions pas fait mieux que lui ; et, sous la plume de l’inspiration divine, notre état intérieur ne brillerait guère plus que le sien.

Jonas est donc là devant nous pour nous rappeler ce que nous sommes de notre nature et pour nous humilier ; il est là pour nous manifester nous-mêmes à nous-mêmes ; c’est un miroir au bas duquel nous lisons : « Tu es cet homme-là ! ». Mais Jonas est encore là dans un autre but. Il est là pour nous rassurer. Le Seigneur sait que, dans la vie des siens, il est de ces moments pénibles où, sentant plus vivement leur misère, sondant mieux la plaie de leur cœur, ils se demandent à eux-mêmes s’ils Lui appartiennent réellement. Eh bien, c’est aussi, je pense, en vue de ces heures d’une douloureuse anxiété, qu’Il a jugé bon de consigner, dans Jonas et dans toute Sa Parole, le récit détaillé des erreurs et des infirmités de Ses élus. L’enfant de Dieu, dans les moments dont nous parlons, sent tout le prix de ces pages où le Seigneur nous initie à tout ce qu’il y eut de plus intime dans Ses rapports avec Ses rachetés ; où Il perce, en quelque sorte, la paroi du sanctuaire pour nous laisser entrevoir le mal qui s’y fait (Éz. 8). Ces mêmes pages de la Bible, qui sont une tache aux âmes superficielles et vaines, une impureté aux cœurs souillés, un scandale aux esprits faux et superbes, un piège aux hypocrites : ces pages divinement inspirées fortifient le chrétien ; elles le rassurent et le consolent. Il y reconnaît la paternelle prévoyance de son Dieu ; il en comprend, il en savoure toute l’excellence, toute la sagesse et toute la douceur ; à mesure qu’il les médite, il sent son cœur renaître, ses genoux se raffermir, ses mains se relever ; il s’approche avec plus de liberté du trône de la clémence divine, et, ce qu’un homme de Dieu disait du chapitre 7 de l’épître aux Romains, il le dit aussi du chapitre 4 de Jonas et de tous les passages analogues : « Béni soit Celui qui nous les a donnés ! ».

Abaisser ainsi tour à tour notre cœur et le relever au besoin, tel est donc, selon nous, le but du livre de Jonas, comme de toute la Bible. Mais autant que la turpitude de l’homme, ce livre proclame la gloire de Dieu. Premièrement, la gloire de Sa sagesse, en nous montrant de quelle manière Il parle au rebelle pour le ramener au droit sentier ; et surtout comment Il tire Sa gloire et notre bien du mal même que nous faisons. — La gloire de Sa puissance, en nous montrant comment Il triomphe à la fin de toutes nos oppositions et a toujours le dernier mot dans toutes les luttes que notre malice L’oblige à soutenir avec nous ; mais comment aussi Sa paternelle main nous garde et nous soutient jusque dans les plus sévères châtiments qu’elle nous inflige, pour nous délivrer ensuite magnifiquement au jour de la miséricorde. — Jonas proclame de même la gloire de Sa justice et de Sa sainteté, en nous faisant toucher du doigt cette vérité, que Ses menaces ne sont point vaines, et « qu’il ne tient point le coupable pour innocent ». « Ta malice te châtiera », nous dit-il ; et jamais parole ne fut mieux confirmée par l’expérience. Qui fait le mal, fait une verge pour s’en fouetter. Tu dis, pécheur : Je marcherai dans la voie de mes goûts, de mes penchants, de mes volontés propres. Eh bien, la douleur t’y suivra pas à pas. Tu dis : Je boirai au calice de volupté. Eh bien, tu trouveras au fond la lie d’amertume.

Voilà ce que publie Jonas. C’est ainsi qu’il exalte la gloire de la sagesse et de la puissance de Dieu, la gloire de Sa justice et de Sa sainteté. Mais par-dessus tout il exalte la gloire de Sa grâce. D’abord, dans le choix des hommes qui en sont les objets. Il prend un Jonas pendant qu’Il en laisse tant d’autres qui ne sont pas plus méchants que lui, « faisant miséricorde à qui il fait miséricorde, et ayant pitié de qui il a pitié ». — Puis, dans leur justification. S’il n’est aucun péché dont notre cœur déchu ne soit capable, il n’en est non plus aucun que ne cache et ne couvre entièrement cet amour qui « ôte le péché, le crime et l’iniquité ». L’histoire du prophète met particulièrement en saillie « cette grâce qui surabonde où avait abondé l’offense ». À elle, à elle seule appartient toute la gloire du salut de l’homme, à moins qu’on ne veuille dire que c’est le royaume éternel et sa félicité que méritèrent l’égoïsme et le dépit de Jonas, les tergiversations d’Abraham, l’impatience de Job, les ruses, l’adultère et le meurtre de David, la pusillanimité et le reniement de Pierre. Pesés à la balance du sanctuaire, ils furent trouvés légers. Pesés à la même balance, nous serions trouvés légers comme eux. Demandons à Dieu qu’Il ne nous y pèse pas ; ou disons à Jésus : Viens, cher Sauveur ! viens t’y placer à côté de nous ; alors, au lieu d’être trouvés légers, nous serons trouvés pesants, oui, pesants de tout le poids de ta nature sainte, de ta vie juste et de ta mort expiatoire.

Enfin, Jonas comme la Bible entière, le petit livre comme le grand qui le renferme, proclame la gloire de Dieu dans notre sanctification. Il pulvérise le brillant mensonge du libre arbitre et de la sainteté personnelle de l’homme. Il met en pleine évidence cette humiliante vérité, que si le péché ne règne plus sur les saints, néanmoins il habite encore en eux. Que ceux-là nient sa puissance qui ne l’ont jamais combattu sérieusement, cela se conçoit sans peine : le prisonnier qui demeure couché sur le sol de son cachot sentirait-il le poids de ses chaînes ? Ou le poisson qui descend le courant du fleuve en connaîtrait-il la force ? Mais le fidèle qui lutte tout de bon contre le péché sait tout ce qu’il conserve encore de vie et de vigueur jusque dans le cœur le plus sanctifié. Son expérience le lui dit. La Bible entière le lui confirme. Quelle triste révélation de la puissance du péché « dans les excellents de la terre » que le livre de Jonas ! Mais en même temps quelle réjouissante révélation de la puissance de la grâce de Dieu pour le soumettre et le maîtriser entièrement ! Voyez comme elle plie cette volonté de fer et l’incline à tout ce qu’elle veut ! Voyez de quel courage elle remplit ce cœur pusillanime et quelle foi victorieuse elle met dans ce cœur incrédule ! L’histoire complète du prophète achèverait sans nul doute de faire éclater à nos yeux le triomphe de la grâce divine ; nous y verrions sûrement le boudeur humilié, l’ergoteur réduit au silence par la bonté de Dieu : nous y verrions, dompté par Son ineffable support, brisé par Sa patience inaltérable, ce cœur fier que n’avaient pu subjuguer ni Ses dons les plus éclatants, ni Ses punitions les plus terribles.

« La grâce règne ». Elle règne dans l’élection du pécheur, elle règne dans sa justification, elle règne aussi dans sa sanctification. Voilà donc ce que dit chaque ligne de l’histoire que nous venons de lire, tel est le résumé de Jonas et de la Bible. Mais, dans le livre du Gath-Hépherite, quelle page exprime cette grande vérité plus éloquemment que celle qui le termine ! Arrêtons-nous devant cette page de condescendance inouïe, de support incompréhensible. Que notre cœur s’y ranime, s’y restaure ; qu’il s’y retrempe dans la contemplation de l’amour de Dieu pour nous. Jouissons de cet amour. Le Seigneur a besoin d’aimer, Il a besoin de bénir ; laissons-nous aimer, laissons-nous enfin bénir par Lui ; oui, laissons-nous entourer des bras de Sa dilection, et allaiter des mamelles de Ses consolations.

Toutefois ne nous contentons pas de recevoir en égoïstes les témoignages de Sa bonté paternelle ; aspirons en même temps à réfléchir sur tout ce qui nous entoure quelques rayons de Sa charité. Le Seigneur, dans le livre de Jonas, laissait sûrement échapper le secret de Son amour ; Il laissait deviner toute l’économie qui devait suivre, et comment, par l’irrésistible douceur de Sa grâce, Il fondrait un jour ce cœur de pierre qui résistait à tous les coups du marteau de Sa loi. Eh bien, emparons-nous du secret de Dieu pour l’appliquer à nos relations avec nos semblables ; comme Lui, surmontons « le mal par le bien » ; et que toujours notre vengeance soit celle qui convient à Ses rachetés. Moïse Lui ayant dit un jour : « Fais-moi connaître ton chemin », reçut de Lui cette douce et précieuse réponse : « Je ferai passer devant toi toute ma bonté » (Ex. 33). La bonté, la charité, tel est donc le chemin de Dieu, le chemin dans lequel Il marche ; que ce soit aussi le nôtre, et qu’à Son exemple « nous marchions dans l’amour comme ses enfants bien-aimés » (Éph. 5).

Nous venons de dire : Imitons Dieu. L’avouerons-nous ? Nous voudrions ajouter : Imitons aussi Jonas. — Quoi ! cet égoïste, ce dur, cet insolent Jonas ? — Lui-même. Non, certes, dans son égoïsme, dans sa raideur ou son obstination ; mais peut-être dans sa sincérité, dans sa droiture. Jonas se montre à Dieu et aux hommes tel qu’il est ; et, en tout cas, comme nous l’avons déjà dit, nous préférons les malheureuses saillies de sa rude franchise, les coupables bouillons de son impatience et de son dépit, aux hypocrites caresses et au révoltant patelinage du formalisme. Dans ce récit qu’en toute hypothèse nous tenons de lui, au lieu de raconter sommairement sa mission, comme tant d’autres l’eussent fait à sa place, il nous révèle des choses qui se passèrent entre l’Éternel et lui seul, laissant aller sa plume au gré de l’Esprit Saint qui la mène, s’étendant sur ses torts, glissant ou plutôt se taisant tout à fait sur ses regrets et sur sa repentance, jetant enfin sous les yeux de tous sa vie intime, les plaies et les turpitudes de son cœur. Ah ! ce n’est pas la gloire qui vient des hommes que Jonas recherche : il a avant tout besoin de vérité ; il veut qu’on connaisse bien le fils d’Amitthaï, afin sans doute qu’on connaisse d’autant mieux le Dieu qui le supporta si patiemment. N’est-ce pas encore là, parmi beaucoup de misères, un beau fruit de la grâce divine ? N’est-ce pas un autre triomphe de l’Esprit de Dieu sur une nature orgueilleuse ?

C’est pourquoi nous le répétons : Imitons Jonas ; comme lui, craignons de donner de notre état moral une idée trop avantageuse ; respectons avant tout la vérité ; et si, d’autre part, nous ne sommes point appelés à ouvrir notre cœur au premier venu, ah ! du moins ne cherchons pas à nous faire passer pour plus spirituels, plus avancés dans la sanctification que nous ne le sommes. Abaissons-nous avec le prophète, anéantissons-nous comme lui pour que Dieu soit seul haut élevé. Le Seigneur est jaloux ; Il ne donne point Sa gloire à un autre ; Il résistera toujours à toutes les prétentions de notre vanité ; décidément Il ne veut pas que, ni sur la terre, ni dans le ciel, on puisse dire : Digne est Abraham, digne est David, digne est Jonas, mais uniquement : Digne est l’Agneau !.

Déjà si grand par son côté moral, le livre grandit encore à nos regards étudié sous le point de vue symbolique. Car, nous le savons, Jonas, envisagé dans ce qu’il a de bon, c’est le Christ considéré dans les principales circonstances de Sa vie humaine. Nous disions tantôt que le livre du prophète est autant l’histoire de l’homme que l’histoire d’un homme. C’est bien ici qu’il convient de le répéter. Le livre de Jonas est l’histoire symbolique de l’homme, de l’homme par excellence, de l’homme-Dieu. Vu dans ce qu’il a de bon, Jonas, c’est le Messie envisagé dans les phases les plus importantes de Sa carrière terrestre. Chaque personnage typique de l’Ancien Testament est un miroir qui réfléchit un rayon de la gloire du Rédempteur. Jonas nous le montre surtout comme victime expiatoire et comme prédicateur des Gentils. Nulle part, il est vrai, le livre du prophète ne nomme le grand réparateur promis, mais partout il Le révèle à notre foi. Jonas, c’est le Christ, c’est l’entier dévouement de Sa personne adorable et le parfait sacrifice de Son amour infini ; c’est Sa sépulture, Sa résurrection ; c’est la prédication de Son évangile, de cette parole de repentance et de vie que Ses témoins devaient faire retentir en Son nom parmi tous les peuples. Christ est la clef du livre de Jonas : ce livre mystérieux ne s’explique, il ne se justifie pleinement à nos yeux que par ses rapports prophétiques avec la mort et avec la résurrection du Sauveur et leurs glorieux résultats. Nous ne nous arrêterons pas plus longtemps sur ce point de vue du livre, l’ayant suffisamment développé dans le cours de nos méditations.

Le livre de Jonas peut encore être envisagé comme l’histoire symbolique du peuple juif. Jonas personnifiait sa nation dans la conduite qu’elle devait tenir envers l’Éternel et envers les Gentils. En effet, dans ce qu’il a de mauvais, le prophète rappelle naturellement le fils aîné de la parabole de l’enfant prodigue et représente merveilleusement le Juif dans les dispositions que celui-ci devait manifester à l’égard des nations. Même ignorance des oracles et des desseins de Dieu ; même mauvais vouloir envers les païens. Jonas, par la lecture de celles des prophéties qu’on possédait de son vivant, et déjà d’après la seule parole de l’Éternel à Abraham, Jonas eût dû comprendre que tous les peuples de la terre seraient bénis un jour dans le fils du patriarche ; que c’était l’intention positive, arrêtée du Seigneur de répandre la connaissance de Son nom parmi tous les hommes. Mais le fait est que le prophète n’a pas seulement l’air de s’en douter. Voyez sa répugnance à aller porter aux nations le message divin ; voyez sa dureté, sa jalousie envers elles. C’est bien le Juif, le Juif qui, n’entrant point dans les pensées de Dieu, ne veut absolument pas que le Gentil ait part à la repentance et à la vie, le Juif qui entend garder pour lui seul les lumières de la révélation. Entre le prophète personnificateur et la nation personnifiée, la similitude est incontestable ; elle est frappante. Quiconque a lu les Actes et les épîtres sait de quel déplorable égoïsme Israël fit preuve à cet égard, avec quelle jalousie et avec quel dépit il vit les apôtres « se tourner vers les nations ».

Mais ce que nous avons particulièrement à cœur de faire remarquer ici, c’est que les hommes les plus éminents en Israël, c’est que les Jonas d’alors, nous voulons dire les apôtres, les prophètes, les évangélistes, participèrent eux-mêmes plus ou moins à ces tristes répugnances, à ces misérables et cruels préjugés de leurs compatriotes. Vainement l’Éternel avait dit à Abraham : « Toutes les nations de la terre seront bénies en ta semence » ; vainement l’avait-Il ensuite fait annoncer par tous les prophètes. Ils n’avaient pas compris leurs oracles que cependant ils entendaient lire tous les jours dans les synagogues. Ils n’avaient pas compris le Seigneur Lui-même qui leur avait personnellement enjoint « d’évangéliser toute créature ». Il y a plus : ils ne s’étaient pas compris eux-mêmes. Saint Pierre, par exemple, n’avait-il pas dit aux Juifs (Act. 3) : « C’est à vous premièrement, que Dieu, ayant suscité son fils Jésus, l’a envoyé pour vous bénir, etc. » ? Ce premièrement ne supposait-il pas un secondement ? Et ce secondement, d’après la promesse de l’Éternel à Abraham (promesse à laquelle saint Pierre faisait évidemment allusion), ce secondement pouvait-il se rapporter à d’autres qu’aux Gentils ? Eh bien, l’apôtre, tout apôtre qu’il est, ne le soupçonne pas même ; il dit, il répète tout simplement une parole que l’Esprit Saint lui a donnée, mais sans en pénétrer le sens, sans en comprendre la portée ; le voile, enfin, de l’étroitesse et de la jalousie nationale qui demeure encore sur son cœur quand il lit cette portion des oracles sacrés, le préjugé juif l’aveugle à tel point qu’il l’empêche de voir l’évidence : si bien que, sans la révélation formelle et l’ordre exprès qu’il reçut plus tard, jamais il n’eût consenti à annoncer aux Gentils la grâce de Celui que l’Esprit Saint, par la bouche de tous les prophètes, avait cependant proclamé « la lumière des Gentils ! Telle est sans doute la fascination de l’homme naturel ; ce qu’il y a de plus clair dans la Bible, il ne le comprend que si le divin interprète, se plaçant, en quelque sorte, à ses côtés, lui en donne l’intelligence (Act. 8) ; mais telle est surtout la fascination du Juif, aveugle entre les aveugles, et l’invincible puissance de ses antipathies nationales et de ses absurdes préjugés.

Toutefois, à côté de l’homme rebelle à Dieu, nous trouvons en Jonas l’homme qui Lui obéit sans discussion. Sous ce nouvel aspect, Jonas personnifie encore le Juif, mais alors le Juif soumis à l’Éternel, le Juif Son messager docile auprès des Gentils. À peine a-t-il compris à leur égard la pensée divine qu’il court leur annoncer « la repentance et la rémission des péchés », et qu’on l’entend publier en tout lieu que « Dieu n’est pas seulement le Dieu des Juifs », mais qu’« il l’est aussi des Gentils » ; qu’il y a « un seul Dieu qui justifie par la foi la circoncision, et l’incirconcision par la même foi ». Tel est du moins le beau spectacle que présente, à l’origine de l’Église, le petit nombre d’Hébreux que la grâce divine avait alors soumis au joug du Seigneur Jésus. Ce même spectacle, la nation toute entière est destinée à l’offrir au monde, selon l’immuable parole des prophètes, quand aura sonné l’heure marquée à cet effet dans les conseils de Dieu (És. 2 ; Zach. 8 ; És. 66, 13 ; Mich. 5).

Mais le livre de Jonas ne nous montre pas seulement le Juif dans ses rapports avec l’Éternel et avec les nations. Il nous peint surtout le Seigneur dans Ses relations avec les Gentils et avec Israël. D’abord avec les Gentils. Ninive, en effet, Ninive, l’illustre devancière de Babylone, n’était-elle pas le symbole anticipé de la gentilité ; et la repentance et le salut de la ville des nations, un emblème frappant de ce qui devait se passer au jour où l’Éternel se ferait connaître à tous les hommes comme leur souverain juge, comme le Sauveur du monde et le Seigneur de tous ? Telle, au moins, se présente à nos yeux Ninive et sa délivrance. La prédication de Jonas et son résultat merveilleux étaient, selon nous, une sorte de prophétie dramatique de la révélation que Dieu par la suite devait faire de Sa grâce à toute chair ; elle était une annonce symbolique de cette bienheureuse époque où « la repentance et la rémission des péchés » seraient « prêchées au nom » de Christ « parmi toutes les nations ». En même temps, elle laissait entrevoir aux Juifs leur destination future de porteurs de la Parole divine à tous les autres peuples de la terre ; elle leur faisait pressentir que le royaume du Messie serait un jour accessible à tous les hommes et que les Gentils y entreraient avec empressement, tandis que, fiers de leur descendance charnelle d’Abraham, « les enfants du royaume » se priveraient eux-mêmes des bénédictions célestes et se verraient de fait condamnés par « les étrangers et les gens de dehors ».

Surtout la conduite de l’Éternel envers Ninive nous apparaît comme une insinuation prophétique de ce qui doit arriver dans tout le monde au début de l’économie glorieuse qui va bientôt s’ouvrir. Quel spectacle magnifique que celui qui sera donné au ciel et à la terre dans ce grand jour où le Christ viendra solennellement prendre possession de Son royaume ! Il y a des siècles que le Seigneur, par Ses ministres, menace de Ses jugements les nations christianisées, et que d’innombrables Jonas les convient de Sa part à la repentance. Il ne leur dit pas : Encore quarante jours ou encore quarante ans et le monde sera châtié ; Il ne marque point le jour du jugement ; néanmoins Il en indique l’époque générale et approximative. Le Seigneur est à la porte. Tout l’annonce. À la voix de Ses chers messagers, de nombreux pécheurs « se convertissent des idoles à Dieu ». Mais, incrédule et moqueur, le monde persévère dans sa révolte. La coupe de l’iniquité va se remplissant de jour en jour. Bientôt elle coulera par-dessus tous ses bords. Alors le Seigneur se lèvera pour exécuter Ses vengeances ; pour abolir la religion nominale, pour dévoiler et châtier l’hypocrisie ; Il se lèvera pour fouler dans la cuve de Son courroux tous les méchants qui corrompent la terre, pour briser leur chef, le fils de perdition, pour garrotter enfin Satan lui-même et l’enfermer pendant mille ans dans l’abîme, afin qu’il ne séduise plus les nations.

Puis, assis sur le trône de Sa gloire, le Fils de David accomplira Ses immuables promesses. Il avait dit à Abraham « que toutes les familles » humaines « seraient bénies en lui ». Cette parole qui domine toute la prophétie et qui dit à elle seule les destinées futures du monde, cette antique promesse obtiendra alors son plein et entier effet. Dieu jusqu’ici n’a béni qu’un certain nombre d’hommes pris d’entre les nations ; alors Il bénira les nations comme nations, et révèlera Son grand salut à tous les peuples. Hâtons, par nos soupirs, la venue de ce jour glorieux, et, dans les saintes anticipations de cette « espérance qui ne confond point », écrions-nous avec tous les prophètes : « L’Éternel règne. Chantez à l’Éternel un cantique nouveau ; vous, toute la terre, chantez à l’Éternel ; familles des peuples, rendez à l’Éternel la gloire due à son nom ».

Enfin, le livre de Jonas laisse également pressentir ce que l’Éternel doit être un jour pour les enfants d’Abraham. Justement privée pour un temps des privilèges du royaume du Messie, privilèges dont les Gentils jouissent à sa place, la nation juive s’est vue jusqu’à maintenant poursuivie de tous les traits de la colère de Dieu. Cependant elle n’est point délaissée. Le Seigneur l’a merveilleusement soutenue sous le jugement et visiblement gardée pour le jour de la miséricorde. Au désert qu’elle achève de traverser, la puissance et la charité du Christ ont toujours été pour elle comme un kikajon pour la protéger. L’heure vient où le Seigneur, après avoir rassemblé « le peuple qu’il tire pour son nom d’entre les Gentils, relèvera le tabernacle de David qui est en ruines, et réparera ses brèches » ; où Il « éloignera de Jacob les infidélités », et reprendra l’épouse qu’Il avait momentanément répudiée ; l’heure vient où, le signe de Jonas et du Fils de l’homme se réalisant dans cet Israël qui est « toujours aimé à cause des pères », on le verra sortir de son tombeau pour « marcher à la lumière du Dieu de Jacob » ; où, par la charité, le Sauveur brisera ces cœurs durs que jusqu’ici nul châtiment n’a su vaincre. Alors « ils contempleront Celui qu’ils ont percé et mèneront deuil comme on mène deuil pour un fils unique ». Alors, déplorant à Ses pieds leur égoïsme, leur aveuglement, la dureté de leur cœur, leurs iniquités, leurs blasphèmes et tous leurs crimes, ils déposeront enfin les armes devant Son amour et proclameront à la face des peuples Sa clémence et Sa fidélité. Les nations se réjouiront avec Israël, Israël se réjouira avec les nations. La cité de Dieu et les cités des Gentils, sauvées par la même grâce, lavées dans le même sang, chanteront aussi le même cantique (Os. 2 ; Act. 15 ; És. 50 ; avec Ps. 45 ; Rom. 11 ; És. 2 ; Zach. 12 ; Rom. 15 ; Ps. 100).

La création elle-même partagera, d’une manière analogue à sa nature, la joie d’Israël et des Gentils. Car le Seigneur aime toutes Ses créatures. Vous avez entendu ce qu’Il dit à Jonas au sujet des animaux que renfermait Ninive. Douce parole ! Gage assuré du prix qu’ont à Ses yeux tous les êtres qu’Il a formés ! Après les avoir créés, Il avait dit : Voilà tout est bon ! Il avait trouvé Sa joie et Son repos dans l’œuvre de Ses mains. Mais, pareil au ver de Jonas, le péché ne tarda pas à flétrir le riche et agréable kikajon, et ne permit, pour ainsi dire, à Dieu de se réjouir qu’un instant à son ombre. Le Seigneur a dès lors travaillé continuellement et Il « travaille » encore « maintenant » pour rétablir ce que le péché a ruiné. Déjà l’Agneau de Dieu a « réconcilié toutes choses avec lui par le sang de la croix ». Bientôt l’anathème primitif sera levé. Bientôt le Créateur se réjouira de nouveau « dans les parties habitables » du monde, et « ses plaisirs » seront encore « avec les enfants des hommes ». Il « renouvellera la face de la terre ». Le kikajon refleurira. Le ver du péché et de la mort ne le touchera plus ; et le Seigneur retrouvera Son repos et Sa joie à l’ombre de la plante bénie (Gen. 1 ; Jean 5 ; Col. 1 ; Gen. 3 avec Rom. 8 ; Prov. 8 ; Ps. 104).

Nous avons exposé la double intention du livre de Jonas ; nous avons rappelé le but de cette étonnante action, tout à la fois morale et parabolique, qui se passe entre l’Éternel et Son serviteur. Deux mots encore et nous terminons. Que de choses le petit livre a le secret de dire en quarante-huit versets ! Nous en avons déjà fait remarquer la conclusion soudaine, et nous l’avons expliquée par la confusion du prophète. L’auteur, disions-nous, exprime son regret par le silence plus éloquemment qu’il ne l’eût fait par les paroles les plus énergiques. Néanmoins cette fin brusque et inattendue du livre admet simultanément une autre explication. L’auteur a probablement voulu nous laisser sous l’impression des dernières paroles que Dieu venait de prononcer. Quoi qu’il en soit, respirons le parfum de ces belles paroles, savourons-en le goût délicieux ; qu’elles soient un baume à notre cœur froissé ; que l’écho de ces paroles admirables que l’Éternel laissa tomber de tout leur poids sur la conscience et sur le cœur du prophète, que leur doux écho demeure dans notre oreille, longtemps encore après que nous aurons fermé le précieux petit livre qui les contient. Dieu est amour ! Restons sur ce mot. C’est de fait le dernier mot de Jonas et de la Bible. Que ce soit aussi le dernier de la faible ébauche que nous venons de tracer et que nous présentons à l’Église de Dieu pour contribuer à son édification. Amen !