Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/Sens prophétique de la prière de Jonas

De mipe
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La prière et toute l’histoire du prophète ne s’expliquent pas facilement à mon avis par des raisons purement morales. Je vois bien, dans le livre de Jonas, ce que devient l’homme livré à lui-même, et quel abîme sa volonté creuse sous ses pas quand il la prend pour guide ; j’y touche également du doigt la haine de l’Éternel pour le péché, Sa justice qui ne manque pas de le punir, Sa toute-puissance enfin qui, dans la lutte inégale qui s’établit entre la volonté humaine et la volonté divine, a toujours le dessus, mais qui garde en même temps et soutient le coupable jusque sous le châtiment qu’elle lui inflige, pour le délivrer ensuite magnifiquement. Je vois bien tout cela dans Jonas. J’y vois surtout comment, pour faire d’autant mieux ressortir les incompréhensibles trésors de la charité de Dieu, l’Esprit Saint les met en opposition, dans tout le livre, avec les inépuisables richesses de la malice de l’homme. Toutes ces instructions si variées, si grandes, si précieuses, je les lis à chaque ligne de la courte et merveilleuse relation, et néanmoins elles ne m’expliquent pas encore le livre qui la renferme, notamment ce qu’on pourrait appeler la mort, la sépulture et la résurrection de Jonas, puis sa prédication parmi les Gentils. La clef de l’énigme, je ne la trouve pleine et entière que dans le point de vue symbolique de l’histoire du prophète ; seul il m’explique les actes les plus saillants du grand drame qui s’accomplit devant nous, et particulièrement la sépulture de Jonas, sa conservation miraculeuse et la prière qu’il fit à Dieu dans le ventre du poisson.

Or, ce point de vue symbolique, nous le connaissons déjà. Jonas, en ce qu’il a de mauvais, sorte d’emblème d’Israël rebelle au Seigneur, peut être en même temps considéré dans ce qu’il a de bon comme une personnification de la partie pieuse de ce même peuple, telle surtout qu’elle doit apparaître aux derniers jours. J’aime, en effet, à retrouver, dans la prière que nous méditons, l’expression prophétique des sentiments de détresse, puis de confiance, que doit successivement revêtir, aux approches du jour de Christ, cette intéressante portion de la nation juive, ce résidu fidèle et pieux (pieux selon Moïse et l’Ancien Testament), qu’on verra demander alors, et demander avec foi, la cessation complète de l’indignation qui poursuit le peuple saint depuis tant de siècles ; qu’on verra implorer et attendre, avec l’apparition prochaine du Messie, la pleine délivrance et l’entier rétablissement de la nation, la restauration finale de Jérusalem, du sanctuaire et du culte (És. 63 ; 64 ; Dan. 11 ; 12 ; Zach. 12 ; 14 ; Ps. 66, v. 11 et suivants).

Mais c’est principalement Jésus, Jésus souffrant pour nos péchés qui, sous le type de Jonas, se montre à nous dans ce remarquable chapitre ; c’est la détresse « de l’homme de douleur » en même temps que Son entière confiance en l’Éternel Son Dieu, pendant les longues heures de Sa cruelle agonie, que nous découvrons sous l’image de l’angoisse et de la foi du fils d’Amitthaï. L’Esprit de Christ semble résumer, dans la bouche du prophète, les principaux traits de la grande lutte du Messie, tels que nous les retrouvons en particulier dans le livre des Psaumes.

Il est d’ailleurs facile de justifier le sens messianique de la supplication de Jonas. Ce sens résulte naturellement du caractère prophétique du livre. Jonas, en effet, est un prophète, un prophète à sa manière ; c’est en symbole qu’il annonce le Christ, Sa mort, Ses douleurs expiatoires : de sorte que rien ne semble plus naturel que de placer dans la bouche du Messie les paroles que nous trouvons dans celle du fils d’Amitthaï. Jonas est de plus un type du Sauveur ; il L’a préfiguré dans Sa sépulture, et par cela même aussi dans Sa mort et dans Sa résurrection ; dès lors il est encore tout naturel de mettre sur les lèvres du Messie l’expression de la douleur et de la foi de Jonas ; de voir, dans la prière du serviteur, une prophétie de ce que le Maître souffrirait un jour à notre place.

Saint Pierre confirme notre assertion. « Tous les prophètes », dit-il, « ont d’avance rendu témoignage des souffrances du Christ et des gloires qui les devaient suivre ». Or, comment Jonas l’a-t-il fait, si ce n’est symboliquement, et quand, par exemple, il a dit aux mariniers : « Jetez-moi dans la mer, et elle s’apaisera à votre égard » ? Ou lorsque, du fond de sa tombe, il a adressé sa prière à l’Éternel et qu’il s’est vu délivré par une sorte de résurrection ?

Enfin, on ne peut lire les paroles de l’angoisse et de la foi du prophète sans être frappé de la ressemblance qu’elles ont avec le langage du Christ dans les psaumes messianiques, en particulier dans le 69, et sans être conduit par cela même à leur attribuer la même valeur et la même signification prophétiques.

Tâchons maintenant de nous faire une idée de la situation de l’esprit de Jonas, au moment où il prononça la prière qui nous occupe. Jonas était un homme, le fils d’Amitthaï ; son histoire est une réalité ; ce sont ses impressions, ses expériences qu’il décrit ; mais en le faisant pensa-t-il au Messie ? Eut-il la conscience qu’il prophétisait touchant les souffrances du Rédempteur promis ? — La parole de saint Pierre autoriserait encore à le croire. En tout cas, Dieu sûrement dirigea l’esprit de Son serviteur de manière à ce que, tout en épanchant sa douleur personnelle, il exprimât en même temps ce que le Messie aurait à souffrir pour nous à Gethsémané et au Calvaire[1]. Expliquons, dans cette hypothèse, la prière du prophète.

Envisagée sous le point de vue historique, elle roule, avons-nous dit, autour de deux idées principales, la détresse de Jonas, puis sa ferme attente au secours de Dieu ; les deux mêmes idées se retrouvent naturellement dans la prière, appliquée aux souffrances du Fils de l’homme.

Elle exprime d’abord le « travail de son âme » (És. 53), pendant les jours de Sa douleur expiatoire. Admirons, en effet, comment, dans ses grands traits, elle convient au Seigneur et trouve aisément sa place dans la bouche du Rédempteur des élus ! Abaissé au rang des hommes, et des hommes déchus, devenu l’un de nous, pleinement identifié à toute notre misère et chargé de notre anathème, nous L’entendons s’écrier comme du fond du schéol : « Tu m’as précipité dans l’abîme, dans le cœur des mers ; les courants d’eau m’ont environné ; tous tes flots et toutes tes vagues ont passé sur moi. — Les eaux m’ont entouré jusqu’à l’âme ; l’abîme m’a enveloppé de toutes parts. — Je suis descendu jusqu’aux racines des montagnes ; la terre semblait m’avoir renfermé dans ses barres pour toujours ». Tels ont été réellement les soupirs et les cris de détresse du Fils de l’homme dans les heures les plus cruelles de Sa longue agonie.

Ces accents pénétrants de la douleur de Jésus nous rappellent vivement le psaume 69 et tant d’autres, où, sous les images les plus impressives, Il exprime de même tout ce qu’Il aurait à souffrir pour nous racheter. Car c’est Lui, c’est bien Lui que nous entendons dans les psaumes de cette catégorie ; c’est Lui qui se plaint, qui soupire et gémit sous la main du prince de la puissance de l’air et de ses agents, dans le complet abandon de Ses amis et de Ses proches, et, par-dessus tout, sous le poids de la colère de Dieu ; c’est Lui, Lui-même qui nous initie à toutes Ses craintes, à toutes Ses alarmes, à toutes Ses terreurs, à toutes Ses tortures physiques et morales, et jusqu’aux moindres particularités de Sa passion. Dans le Nouveau Testament, Il ne laisse qu’entrevoir les terribles combats de Son âme ; dans l’Ancien Testament, principalement dans les Psaumes, Il nous permet de lire jusque dans le plus intime de Son être ; Il épanche devant nous toute Son angoisse ; Il nous met dans la pleine confidence de Ses peines, de Ses appréhensions, de Ses tourments. Dans le Nouveau Testament, nous avons plutôt la vie extérieure de Jésus ; dans Jonas et les Psaumes, plutôt Sa vie intérieure. L’Esprit Saint a voulu qu’une large portion de la Parole de vérité fût ainsi consacrée à nous redire tout ce que le Seigneur aurait à souffrir pour nous, afin que nous connussions à quel prix Il nous a sauvés et tout ce que nous Lui devons d’amour en retour de celui qu’Il nous a témoigné. Lisons et relisons ces pages de l’agonie du Fils de l’homme ; que notre dévouement pour Lui s’y ranime, qu’il s’y retrempe dans la méditation de Son immense charité pour nous ; et, afin de les mieux comprendre, familiarisons-nous avec les grandes vérités qui doivent nous en donner la clef : elles sont au nombre de trois ou quatre.

C’est, avant tout, la réalité de l’humanité de Christ. Il abaisse Sa divinité jusqu’en terre afin d’emporter notre humanité jusque dans les cieux ; aussi véritablement homme qu’Il est véritablement Dieu, Il gémit, Il se plaint, Il se désole ; Il frémit en Son âme ; Il appelle l’Éternel à Son aide et s’appuie sur Lui.

C’est ensuite la réalité de Sa qualité de caution, de répondant de Son peuple. Il se place devant Dieu dans la même position que nous, acceptant, pour nous en affranchir, toutes les conséquences de notre chute ; Il se charge de toute notre souillure, et l’appelle « son iniquité », « sa folie » (Ps. 40 et 69) ; réellement abandonné de Son Père à cause de nos forfaits, les hommes peuvent L’insulter et Le frapper impunément.

Admettons encore la réalité et la grandeur infinie des souffrances vicariales de Jésus Christ. En effet, ce n’est pas un vain drame, ce n’est pas une apparence, un simulacre de colère d’une part, et de douleurs de l’autre, que nous contemplons à Gethsémané et à Golgotha ; c’est une effrayante réalité. Quelles souffrances nous donneraient une idée des souffrances de Jésus dans cette « heure de la puissance des ténèbres » ? La douleur du chrétien est une douleur humaine ; la douleur du Christ était une douleur plus qu’humaine : c’était une douleur d’expiation, une douleur ineffable, incompréhensible, que Dieu avait faite tout exprès pour Lui, et que nul autre n’eût pu porter. Il a goûté la mort ; oui, Il en a senti le goût, Lui, Lui seul ; Il a connu la mort, la mort pure du corps et de l’âme. « Battu de Dieu », affligé, accablé sous le faix de nos iniquités, une sueur de grumeaux de sang découle de tout Son corps. Il boit la coupe de l’indignation du Tout-puissant, et la boit avec ses ingrédients les plus amers. Le Saint d’Israël chancelle sous le double fardeau de la réprobation des hommes et de la malédiction de Dieu, tandis que le plus faible de Ses martyrs va tout à l’heure triompher dans Sa puissance, et se montrer plus fort que les plus forts tourments. Toutes les ardeurs de la fureur divine s’allument contre le représentant de l’Église ; toutes les flèches du Très-haut tombent sur Lui ; Son esprit en a sucé le venin ; « l’épée de l’Éternel », sortant du fourreau où elle sommeillait depuis quatre mille ans, s’est enfin « réveillée » parce qu’elle a trouvé Celui qui seul en pouvait supporter l’atteinte, et elle « a frappé l’homme fort qui est le prochain » de Dieu (Zach. 13, 7 ; Héb.).

Enfin, pour mieux comprendre Jonas et les paroles prophétiques de la souffrance du Messie, rendons-nous également compte des divers éléments qui la composèrent ; discernons, démêlons, dans ce calice de malédiction que Jésus dut épuiser pour nous jusqu’à la lie, tout ce qu’y versèrent à l’envi d’amertume, la fureur déchaînée des démons, la rage des adversaires personnels du Christ, la dureté de cœur et l’ingratitude de Ses disciples, mais surtout la colère de Dieu.

Maintenant revenons à la supplication de Jonas. Telle a été la réalité des souffrances du Seigneur, et telle aussi l’intensité de Ses angoisses et de Ses terreurs, que nous L’entendons s’écrier sous le type du prophète : « Et j’avais dit en moi-même : Je suis rejeté de devant ta face ! ». Ce cri de détresse qu’il pousse ici, Jésus le pousse de même au psaume 22 qui commence par ces mots : « Mon Dieu, mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Il le pousse encore au psaume 69, où nous L’entendons supplier l’Éternel de Le « délivrer des eaux profondes », tellement « que leur courant ne le submerge point, que la profondeur ne l’engloutisse point et que le puits ne ferme pas sa gueule sur lui ». Paroles étonnantes dans la bouche du Fils de Dieu, dirons-nous en passant, et qui donnent infiniment à penser ! Jésus « craignit », c’est le Saint Esprit lui-même qui le déclare (Héb. 5, 7). Il craignit bien réellement de succomber sous l’effroyable fardeau d’iniquités et de malédictions dont Il s’était volontairement chargé pour Ses brebis, et, après avoir donné Sa vie pour elles, de demeurer sous l’empire de la mort. Mais, d’autre part, comment concilier, avec ce qu’Il dit Lui-même au psaume 16 : « Tu me feras connaître le chemin de la vie », ou avec ce qu’Il dit encore en saint Jean 10 : « J’ai le pouvoir de laisser ma vie et j’ai le pouvoir de la reprendre » ; comment concilier, avec ces paroles et avec tant d’autres du même genre, cette crainte incompréhensible qu’Il manifeste, au psaume 69, de demeurer comme enseveli sous les flots de la colère de Dieu ? Ici tout est ténèbres, obscurité profonde ; de quelque côté que nous tournions nos regards, nous rencontrons partout le mystère ; qui pénétrera dans l’âme humaine du Messie et qui dira le secret de Ses douleurs ?… Il faut se taire, se taire encore, adorer et surtout aimer.

Mais le Christ de Dieu succombera-t-Il sous le poids de la souffrance ? Non, la foi Le relèvera. Il prie, Il crie, Il appelle l’Éternel à Son secours : « J’ai invoqué l’Éternel dans ma détresse et il m’a exaucé. J’ai crié du fond du sépulcre, et tu as entendu ma voix. — J’avais dit en moi-même : Je suis rejeté de devant ta face. — Néanmoins je contemplerai encore le palais de ta sainteté. — Je suis descendu jusqu’aux racines des montagnes — mais tu m’as fait remonter vivant de la fosse, ô Éternel mon Dieu. Quand mon âme défaillait en moi, je me suis souvenu de l’Éternel, et ma prière est montée vers toi, jusqu’au palais de ta sainteté. — Je te sacrifierai des sacrifices de louange et je m’acquitterai de ce que j’ai voué, car c’est de l’Éternel que vient le salut ».

C’est encore une page du livre des Psaumes que nous croyons lire ; c’est le psaume 22, c’est le 61, c’est le 69 et tant d’autres que nous pourrions également citer : partout le même dévouement et la même détresse d’une part ; partout la même foi et le même courage de l’autre. Admirons la pleine certitude de confiance que manifeste ici le Saint de Dieu ! C’est au moment où Il vient de soupirer douloureusement : « Je suis rejeté de devant ta face », c’est à ce même moment qu’Il s’écrie : « Et néanmoins je contemplerai encore le palais de ta sainteté ! ». Que dis-je ! Sa foi réalisant déjà le glorieux salut qu’Il attend, encore tout environné des ombres de la mort Il chante comme en triomphe : « Tu m’as fait remonter vivant hors de la fosse, ô Éternel mon Dieu ! ». Telle est même l’invincible fermeté de Sa confiance, que c’est par l’expression de ce sentiment qu’Il débute dans Sa prière… « J’ai crié du fond du sépulcre… et tu as entendu ma voix »[2]. C’est encore par l’expression de ce même sentiment qu’Il termine Sa requête : « Je t’offrirai des sacrifices de louange… C’est de l’Éternel que vient le salut ».

Encore un mot sur la foi du Messie. Dans l’admirable expression de Sa confiance, telle que notre chapitre la présente, nous retrouvons trois idées principales ; ou, si l’on veut, la foi qui soutient le Christ dans cette scène d’horreur et de malédiction se rapporte à trois grandes bénédictions successives qu’Il attend, avec une entière assurance, de la fidélité, de l’amour et du pouvoir de Dieu :

C’est, avant tout, sa résurrection. Il croit, sans chanceler en Son cœur, qu’Il ne demeurera point enseveli dans la détresse ; mais qu’après qu’Il aura pleinement expié nos transgressions, Son corps soigneusement gardé dans le sépulcre où Il va descendre, et Son esprit qu’Il va remettre entre les mains de son Père, seront, bientôt après, réunis l’un à l’autre dans une bienheureuse résurrection.

Il croit que, après Son réveil de la tombe, Son humanité glorifiée, reçue dans le vrai sanctuaire, dans le ciel même, y contemplera la face de l’Éternel en justice et y sera rassasiée de Sa ressemblance.

Il sait enfin que, dans le tabernacle éternel, ou Dieu Lui-même doit L’introduire, Il Lui sacrifiera la louange, et qu’Il accomplira, à l’autel et devant le trône, le glorieux ministère de souverain Sacrificateur.

Telles sont les trois grandes bénédictions qu’attend fermement le Messie : telle est la triple et sublime espérance qu’Il manifeste dans la supplication prophétique que nous méditons.

Cher Sauveur ! Qu’il est doux à l’âme rachetée au prix de ton sang, de rencontrer ainsi, dans toute la révélation, l’image du Rédempteur qu’elle aime ! de te suivre, pas à pas, dans la longue et douloureuse carrière de luttes, de travaux et de souffrances que tu parcourus à notre place, pour entrer ensuite avec toi dans le ciel même, où tu présentes maintenant en notre faveur le parfum de la prière et de la louange, et d’où tu fais descendre sur nous toutes les bénédictions de l’alliance éternelle de paix !

Terminons par quelques réflexions pratiques. Jésus est notre modèle comme Il est notre caution ; nous marchons après Lui dans le chemin de la souffrance ; approprions-nous donc alternativement les accents prophétiques de Sa douleur et le chant triomphal de Sa foi. Je dis d’abord les accents prophétiques de Sa douleur ; — pour autant du moins qu’ils s’appliquent à nos circonstances ; car, béni soit Dieu ! la souffrance qu’ils supposent ne s’est pleinement réalisée qu’en Jésus : tout ce que nous avions mérité d’ignominie, de maux et de colère, Jésus l’a pris sur Lui, et c’est parce qu’Il a dit à Dieu : « Je suis rejeté de devant ta face », que nous ne le disons pas — j’entends, au sens absolu du mot — et que nous ne devons pas non plus le dire ; je vais plus loin : c’est parce qu’Il s’est écrié avec le psaume 22 : « Mon Dieu, mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné ? » que nous pouvons chanter maintenant avec le 23 : « L’Éternel est mon berger, je n’aurai point de disette ; il me fait reposer dans des pâturages herbeux, il me mène le long des eaux tranquilles ». Jésus a pris sur Lui toute la malédiction du Dieu de sainteté, pour nous laisser la correction du Père ; oui, la correction du Père ; c’est le mot qui caractérise le mieux les épreuves qu’Il nous dispense : épreuves simplement purificatrices, et nullement expiatoires ; verges miséricordieuses et salutaires, faveurs inappréciables pour lesquelles les enfants de Dieu Le béniront durant toute l’éternité. On le comprend, c’est donc uniquement sous ce dernier point de vue que les paroles du Christ souffrant nous sont applicables ; mais alors, sous ce point de vue, elles nous sont réellement applicables : il y a pour nous de la douceur à nous les approprier, notre cœur trouve du soulagement à les répéter après l’« homme de douleurs ».

Mais non seulement répétons le langage de la souffrance du Messie ; approprions-nous de même les accents de Sa foi, glorifiant Dieu comme Lui dans les plus grandes tribulations, par la simplicité et la fermeté de notre confiance. Avec le Christ, notre devancier et notre modèle, au lieu de fléchir sous le faix des peines, prions, croyons, espérons parfaitement. Avec Lui, répétons au plus fort de la lutte : « J’ai crié du fond du sépulcre et tu as entendu ma voix ». Unis à Lui par la foi, membres vivants de Son corps, attendons avec la même assurance que Lui, de la fidélité, de l’amour et du pouvoir de Dieu, les mêmes bénédictions qu’Il en attendit Lui-même : notre résurrection d’abord, puis notre admission dans le vrai sanctuaire, puis la gloire incomparable du royal sacerdoce auquel Son amour a résolu de nous associer ; et, dans cette ferme et bienheureuse anticipation, disons : « Je contemplerai le palais de ta sainteté ! ».

Avant d’entrer tous ensemble dans le palais du Dieu saint, par le ministère du souverain Sacrificateur qui en est la gloire et l’ornement, il faut, il est vrai, que premièrement nous descendions et que nous nous couchions l’un après l’autre dans l’étroit et obscur cachot du sépulcre ; mais, appuyés sur le Bien-aimé, nous y descendrons sans effroi ; nous savons que Lui-même en a solennellement pris possession pour Son Église et l’a dès longtemps inauguré pour elle. La tombe n’est plus pour l’Israël de Dieu que le chemin qui mène à la vie. Jusqu’au moment de la mort et de la résurrection de Jésus Christ, les clefs du sépulcre avaient été dans les mains de Satan. Afin de les arracher à l’adversaire, le Sauveur descendit et se coucha dans la sombre demeure des trépassés. Maintenant, elles sont dans les mains du Fils de Dieu sorti victorieux du tombeau. C’est Lui qui a « l’empire de la mort », et, comme à Jean dans Patmos, Il nous dit : « Ne crains point… J’ai été mort, et voici, je suis vivant aux siècles des siècles, amen. Et j’ai les clefs du lieu invisible et de la mort » (Héb. 2 ; Apoc. 1). Non, puissant Rédempteur ! les portes du lieu invisible ne prévaudront point contre ton Église ; non, Prince de la vie ! les liens de la mort ne retiendront point captive ta bien-aimée ; je ne resterai pas dans le sépulcre, mais j’entrerai dans le temple de mon Dieu et Lui offrirai des sacrifices de louange, car « c’est de Lui que vient le salut ».

« C’est de Lui », c’est de l’Éternel, le Père, le Fils et le Saint Esprit, « que vient le salut ». Il a délivré notre âme de la malédiction par le sang de l’Agneau mis à mort ; et le jour approche où Il délivrera de même notre corps de la tombe par la puissance de l’Agneau victorieux. Aujourd’hui dans la prison du sépulcre, demain dans le trône de Dieu ! « C’est de l’Éternel que vient le salut ». Voilà ce que Jonas disait pendant qu’il était encore dans son tombeau ; voilà ce qu’a dit Jésus, encore enseveli sous les flots de la colère de Dieu ; et voilà ce que doivent répéter après Lui tous ceux qui croient, et ce qu’ils doivent répéter avant même de descendre dans le sépulcre d’où Son bras puissant les ramènera. Bégayons-le dans ce lieu de notre exil, en attendant que nous le chantions dans notre céleste patrie — dans cette patrie où le sang de l’Agneau nous a précédés, et où nos œuvres, fruit de Son Esprit, doivent nous suivre.



  1. Les souffrances expiatoires de Jésus Christ consommées à la croix. — On peut expliquer le chapitre second de Jonas de deux ou trois manières différentes. Nous avons adopté l’interprétation qui nous a paru la plus simple et la plus sûre ; c’est en même temps la plus généralement admise. Elle soulève néanmoins une objection qui semble d’abord peu facile à résoudre. On se demande pourquoi dans l’antitype les faits ne se présentent pas dans le même ordre que dans le type, savoir premièrement la mort et la sépulture, puis la prière. Mais on peut répondre à cela qu’il n’est rien de moins sûr que de vouloir conclure rigoureusement du type à l’antitype, et que cette manière de raisonner conduirait aisément à d’absurdes résultats. On pourrait encore ajouter que, dans le type de Samson, par exemple, type généralement admis par les théologiens évangéliques, la même interversion des faits, le même anachronisme se retrouve : la résurrection précède la mort.
    Mais il est une autre manière d’entendre Jonas 2, que nous rejetons décidément. Elle repose sur la doctrine qui enseigne que Jésus, après Sa mort corporelle, est resté sous l’empire de la mort spirituelle, dans l’enfer ou hadès, jusqu’au moment de Sa résurrection, afin de passer ainsi par toute la mort que Son Église devait souffrir. C’est à cette prétendue mort de Jésus dans le hadès qu’on rapporte la prière de Jonas et les passages parallèles. On peut alléguer en faveur de cette interprétation qu’elle ne donne pas lieu, comme la première, à l’anachronisme que nous avons signalé. Mais, d’autre part, cet anachronisme, ainsi qu’on l’a pu voir, nous inquiète assez peu. Puis, la seconde interprétation l’écarterait au besoin. Voici, du reste, nos motifs pour rejeter les prétendues souffrances expiatoires de Jésus dans l’enfer.
    En premier lieu, cette doctrine attribue gratuitement au mot grec hadès le sens de lieu de tourments. Ce mot signifie simplement lieu invisible, et, comme le mot hébreu shéol, auquel il correspond (voir note précédente), il désigne en général le sépulcre (c’est, je crois, le sens qu’il a — Matt. 16, 18), le séjour ou empire de la mort, le lieu où vont les âmes en attendant la résurrection et le jugement ; quelquefois, en figure, un état d’abaissement profond, d’accablement et de péril. Nous rendons communément le mot hadès par celui d’enfer, qui signifie littéralement lieux bas ; mais ce dernier mot, tiré de nos versions latines de la Bible, n’a point de valeur dans cette controverse, n’étant pas celui du Saint Esprit, et présentant un sens traditionnel qu’on serait peut-être embarrassé de justifier par la Parole de Dieu.
    Ensuite, on ne peut citer un seul texte de l’Écriture qui exprime clairement que Jésus soit descendu dans le lieu des tourments, et qu’Il y soit descendu pour souffrir sous l’empire de la mort spirituelle ; tandis qu’on peut alléguer cent, deux cents passages qui disent expressément qu’« il a porté nos péchés en son corps sur le bois », et « nous a obtenu » par Sa croix « une éternelle rédemption ». Or, le silence des Écritures sur ce point a justement lieu de nous surprendre, s’il est vrai, comme on n’a pas craint de le dire, que notre salut, ébauché seulement à la croix, n’ait été consommé que dans le hadès. Ce silence est surtout remarquable, il est même terrassant, dans les endroits où les écrivains sacrés étaient naturellement conduits, pour ne pas dire nécessairement appelés, à exposer cette doctrine, si elle eût été aussi vraie que nous la croyons fausse. Il est bon de reproduire ici ce que dit, au missionnaire romaniste, le célèbre théologien Charles Drelincourt, dans son ouvrage intitulé : Dialogues sur la descente de Jésus Christ aux enfers (Genève, 1664, page 303) :
    « L’histoire de l’évangile, dit le docteur réformé, termine toutes les souffrances de Jésus Christ et tout Son anéantissement à Sa mort et à Sa sépulture, et ne nous apprend rien au-delà… Lisez le chapitre 53 (d’Ésaïe), et vous verrez que, dans la riche description qu’il fait de l’anéantissement de ce divin Sauveur, il ne va point au-delà de Sa mort et de Sa sépulture. Notre Seigneur Lui-même, prédisant à Ses apôtres ce qui devait Lui arriver, ne dit pas qu’après Sa mort Il ira en enfer. Mais après avoir parlé de Son supplice sur la croix et de Sa mort, Il dit qu’« il ressuscitera le troisième jour… Saint Paul, au second des Philippiens, présente le terme et la dernière période de l’anéantissement de Jésus Christ ; à quoi il oppose Sa souveraine exaltation et le comble de Sa gloire. Dans cette riche opposition, il ne dit point que notre Seigneur s’est abaissé et anéanti jusqu’à descendre après Sa mort dans les enfers, mais jusqu’« à prendre la forme de serviteur et à être obéissant jusqu’à la mort, jusqu’à la mort de la croix ». Sans Le faire descendre plus bas, il ajoute : « C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé, etc. ». Mais il n’est pas possible de rien dire après le saint apôtre, au quinzième de la première aux Corinthiens ; car il y fait un sommaire des choses principales qui sont arrivées à notre Seigneur, sans faire aucune mention de Sa descente aux enfers. « Je vous ai donné », dit-il, « ce que j’ai moi-même reçu, c’est que Jésus Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures, qu’il a été enseveli et qu’il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures ». Il ne faudrait que ce seul passage pour décider toute cette controverse… Plût à Dieu qu’on se fût arrêté à cet excellent modèle et qu’on eût laissé l’article de la résurrection immédiatement après celui de la sépulture, sans y entrelacer la descente aux enfers, dont saint Paul ne parle point » !
    Ainsi raisonnait le théologien réformé. Ce qu’il disait aux romanistes, nous le disons bien mieux encore aux partisans de la vue que nous combattons. Le silence de l’Écriture sur la doctrine qu’ils professent nous surprend d’autant plus qu’il s’agit ici de la souffrance principale de Jésus, de celle à laquelle surtout est attachée notre rédemption. Les passages qu’on allègue d’ordinaire sont en général étrangers au point en litige, et l’on ne parvient à l’en déduire qu’à l’aide d’une suite de raisonnements plus ou moins forcés. Ces passages disent si peu ce qu’on leur fait dire, que ce sont précisément les mêmes que d’autres personnes produisent pour justifier des doctrines totalement différentes : le romaniste, pour établir la descente de Jésus aux limbes afin d’en retirer les pères ; le luthérien, l’apparition du Sauveur dans l’enfer pour y annoncer aux démons la victoire qu’Il venait de remporter sur eux à la croix ; le mystique, enfin, l’entrée de Jésus dans la prison pour y prêcher l’évangile aux esprits rebelles et leur en ouvrir les portes.
    Voici d’ailleurs un spécimen de la manière d’argumenter des frères qui professent cette opinion :
    « Je méritais la mort totale, celle du corps et celle de l’âme ; Jésus ma caution a dû les souffrir à ma place, et les souffrir dans le même ordre et aux mêmes lieux où je devais les souffrir moi-même : d’abord la mort du corps, puis la mort de l’âme dans le monde invisible ».
    Ceci est un raisonnement et nous demandons des passages. Encore si le raisonnement était juste ! Mais il ne l’est pas. « Je méritais la mort totale, celle de l’âme comme celle du corps ; Jésus a dû les souffrir pour moi ». — D’accord. — « Il a dû les souffrir dans le même ordre et aux mêmes lieux où je devais les souffrir moi-même ». — Prouvez-le. Quelle nécessité voyez-vous, en particulier, à ce que Jésus descendît dans l’enfer pour y subir notre mort spirituelle ? Ne pouvait-Il pas la subir au Calvaire ? L’enfer, est-ce un lieu seulement ? N’est-ce pas avant tout un état ? Pour ma part, je suis fermement convaincu que le Seigneur Jésus, au jardin des Oliviers et à Golgotha, a passé par toute la mort que j’avais justement méritée.
    Nos frères citent également Matthieu, chapitre 12, verset 40, et disent : « De même que Jonas fut en âme dans le ventre du poisson, ainsi Jésus a dû se trouver en âme dans l’enfer ». — Mais Jonas ne fut pas seulement en âme dans le ventre du poisson ; il y fut aussi en corps ; pour raisonner juste, il faudrait donc dire : « De même que Jonas fut en corps et en âme dans le ventre du poisson, ainsi Jésus a dû se trouver en corps et en âme dans le lieu des tourments ». Or, nous savons que le corps du Seigneur fut mis dans le sépulcre (ceci, pour le dire en passant, justifie ce que nous avancions plus haut, sur le danger qu’il y a de conclure rigoureusement du type à l’antitype). Ajoutez que le Seigneur dit aux Juifs que le Fils de l’homme serait trois jours et trois nuits dans le sein de la terre ; oui, dans le sein de la terre, et non dans l’enfer ; pourquoi donc Lui prêter ce qu’Il ne dit pas ? Et pourquoi forcer la portée de ce qu’Il dit ? N’est-il pas évident qu’Il proposait Jonas aux pharisiens comme un type de Sa mort et de Sa résurrection corporelle uniquement ? Au reste, en disant le sein ou cœur de la terre, il est probable que le Seigneur a simplement voulu faire allusion à cette parole du prophète : « Tu m’as précipité dans le cœur de la mer » ; c’est un pur hébraïsme qui ne signifie autre chose que la terre. Ézéchiel (27, 26) avait dit de même de la célèbre Tyr, qu’elle était située au « cœur de la mer ».
    Notre premier argument contre la doctrine que nous combattons était tiré de ce que la Bible ne dit pas. Le second sera tiré de ce qu’elle dit. Non seulement elle n’enseigne nulle part la mort spirituelle de Jésus dans l’enfer, mais tout ce qu’elle enseigne sur la satisfaction de Christ l’exclut et la ruine entièrement. En effet, elle établit, dans un vaste et imposant ensemble de témoignages, que le rachat (nous disons le rachat) de l’Église découle de la chair meurtrie de Jésus, de Son sang répandu pour nous. Elle l’établit dans ses prophéties, dans ses types ; elle l’établit dans le récit qu’elle fait de la passion du Sauveur, dans l’exposé qu’elle présente de l’enseignement du Seigneur et de Ses apôtres ; elle l’établit enfin dans les chants qu’elle met dans la bouche des bienheureux.
    Elle l’établit d’abord dans ses prophéties. Nous n’en citerons qu’une seule, la première de toutes, Genèse 3. Où devait être matériellement et moralement brisé le talon du Rédempteur ? — À la croix. — Eh bien, c’est aussi à la croix qu’a été brisée la tête du serpent et anéantie la puissance de « celui qui avait l’empire de la mort » (Héb. 2 ; Col. 2). Maintenant, nous le demandons, comment cette puissance aurait-elle été détruite par un sacrifice inaccompli ?
    Elle l’établit dans les types, notamment dans les types sacrificiels qui tous nous ramènent à Jésus mourant pour nous à la croix, et nous y lavant de toutes nos souillures.
    Elle l’établit dans le récit qu’elle fait de la passion du Sauveur. La victime adorable expire et l’Église est rachetée. Avant de mourir, Jésus avait dit au brigand : « Tu seras aujourd’hui avec moi en paradis ». — En paradis, et non en enfer. — Bientôt après Il s’écrie : « C’est accompli ! » « Père, je remets mon esprit entre tes mains ». En même temps le voile du temple se déchire et l’accès aux lieux saints est ouvert (Héb. 9 ; 10). Le ciel, nous le demanderons encore, le ciel eût-il été ouvert par la seule mort corporelle du Messie et par un sacrifice seulement ébauché ? Et, dans votre système, le voile du temple n’eût-il pas été déchiré trois jours trop tôt ? — Puis, « les sépulcres s’ouvrent, plusieurs corps des saints endormis ressuscitent ». Comment, dans votre vue, expliquer ces merveilleux effets de la mort du Sauveur ? — On prend enfin Jésus, on Le met (Jean 19, 42) dans un sépulcre neuf que Joseph avait fait tailler pour lui. À ces détails reconnaissez-vous un maudit, dont l’âme à ce moment est plongée dans la mort seconde ? N’y voyez-vous pas plutôt le Saint, le Bien-aimé de Dieu (Ps. 16) qui, monté maudit sur la croix, en redescend le béni du Père, après y avoir ôté toute notre malédiction ?
    La Bible établit encore la même vérité dans l’exposé qu’elle fait de l’enseignement de Jésus et de Ses apôtres. La pleine satisfaction par le sang du Christ est le centre, le pivot et le sommaire de toutes les prédications du Seigneur et de Ses disciples, si bien que, pour en exprimer d’un mot la nature, les apôtres la nomment « la Parole de la croix », et plus brièvement « la croix » (1 Cor. 1 ; Gal. 3 ; 6). Oui, l’abolition du péché, notre rachat, la rémission complète de nos offenses, le déchirement de la cédule qui nous était contraire, la purification de notre conscience, notre pleine réconciliation avec Dieu, notre éternelle justification, notre nourriture spirituelle, l’accès libre et filial que nous avons aux lieux très saints, la confirmation de la nouvelle alliance, la mort à la loi, la mort au péché, la ruine de l’empire de Satan — en un mot, toutes les bénédictions de la bonne nouvelle de la paix, le Seigneur, Ses apôtres, tous Ses évangélistes les font constamment, uniformément découler, comme de leur cause méritoire, de la croix de Jésus, de Sa chair froissée, de Son sang versé, du bois où Il a été pendu pour nous et où Il a rendu le dernier soupir. Nous nous abstenons de citer, car il faudrait en quelque sorte reproduire ici tous les Actes et toutes les épîtres.
    Enfin, les chants du ciel proclament également la même vérité. Ce que les rachetés célèbrent tous ensemble devant le trône, c’est la puissance du sang de l’Agneau. C’est la vertu de ce sang qu’ils bégayent dès à présent sur la terre, en attendant de la chanter un jour dans la cité de Dieu.
    Telle est donc l’uniforme doctrine de la révélation. Maintenant, ajouterons-nous, qu’est auprès de ce vaste ensemble de types, de récits, d’enseignements et de doxologies, portant directement sur le point spécial et embrassant une si large portion du livre de Dieu ; qu’est auprès de cet imposant faisceau de témoignages, le petit nombre de textes qu’on a coutume de nous opposer et qui ne touchent qu’indirectement le point en discussion ? Vraiment ceci ne rappelle-t-il pas un peu ce qui se passe journellement entre les chrétiens et les rationalistes ? Au petit nombre de passages, le plus souvent isolés, détachés de leur contexte et détournés de leur vrai sens, que mettent d’ordinaire en avant les ennemis de la vérité, nous opposons victorieusement des chapitres et des livres entiers de la sainte Écriture, qui traitent directement de la justification de l’homme devant Dieu ; puis, fermement appuyés sur l’esprit général de la Bible, sur l’ensemble et l’harmonie des révélations, nous leur demandons avec confiance si, pour quelques nuages dont il se couvre, ils prétendent nier le soleil en son midi. Que nos frères cèdent de même à l’évidence ; qu’ils reconnaissent avec nous que, puisque l’Église est rachetée à la croix, c’est donc aussi à la croix que Jésus a passé par toute la mort qu’elle avait méritée ; qu’ils comprennent enfin que laisser Jésus sous l’empire de la mort spirituelle dans le hadès, après le sacrifice du Calvaire, c’est, de fait, mettre dans les mains du Dieu juste le glaive de la vengeance pour en frapper l’innocent non le coupable.
    On a dit : « C’est à l’esprit des témoignages évangéliques qu’il faut s’arrêter plutôt qu’à leur lettre ; la croix n’est que le signe de la malédiction que Jésus a supportée dans l’enfer ». — On a dit encore : « La croix embrasse toute la souffrance de Jésus Christ, sa mort totale jusqu’au moment de sa résurrection ; et vous avez tort d’attacher à ce mot un sens partiel ».
    Alors, mes amis, corrigez la sainte Bible, s’il vous plaît. Mettez partout l’enfer ou l’abîme à la place de la croix. Faites dire à saint Paul : « Je ne veux savoir autre chose que Jésus Christ dans l’enfer ». Biffez le passage où cet apôtre dit aux Galates que « Jésus Christ avait été auparavant dépeint » à leurs « yeux » comme s’il eût été « crucifié au milieu d’eux ». N’appelez plus, avec saint Pierre, le sang du Sauveur, le « sang précieux » de l’Agneau sans macule. Amoindrissez tous les témoignages qui nous montrent Jésus mourant à la croix, en y accolant, au mot de mort, l’épithète de partielle ou corporelle. Rectifiez le cantique des bienheureux et des anges. En un mot, donnez-nous au plus tôt une nouvelle édition de la Parole de Dieu, soigneusement revue et retouchée par vous dans le fond comme dans la forme, et qui dorénavant mette à l’abri de toute méprise l’Église de Jésus Christ que la Bible, telle que nous l’avons, a laissée dans l’erreur depuis tantôt dix-huit siècles, et qui a cru tout simplement jusqu’à ce jour que le Sauveur « nous a » réellement « lavés de nos péchés dans son sang et faits rois et sacrificateurs à Dieu son Père ».
    Un mot, avant de finir, à ceux qui s’imaginent trouver une consolation plus réelle, plus abondante dans la vue que nous repoussons que dans celle que l’Église du Seigneur Jésus a professée dans tous les temps. Il nous est absolument impossible, chers amis, de vous comprendre. Que le Seigneur ait subi pour nous la mort totale, voilà ce que tous accordent. Maintenant qu’Il l’ait subie en six heures ou en trois jours, que nous importe ! Nous savons qu’Il l’a subie, qu’Il l’a subie pleine et entière, et cela suffit parfaitement à notre paix et à notre consolation.
    Nous ne prolongerons pas davantage cette controverse. Ceux qu’elle pourrait intéresser plus particulièrement feront bien de consulter l’auteur que nous avons déjà cité. Le savant et pieux Charles Drelincourt, dans l’ouvrage dont nous avons reproduit un fragment, démolit et ruine tout à fait les principes et les interprétations de passages qui servent de base commune au dogme romain de la descente du Seigneur en enfer, et à l’opinion non moins erronée de Sa mort spirituelle dans le hadès. Après la question scripturaire, le célèbre théologien aborde le côté traditionnel du sujet, et prouve démonstrativement que l’article de la descente ne se trouve dans aucun des symboles des trois premiers siècles de l’Église, et que, bien des siècles après le quatrième (celui de l’introduction de l’article dans le symbole des apôtres), il n’était pas universellement reçu dans la chrétienté (p. 245 et suiv.). Il cherche à s’expliquer comment il a pu s’introduire dans ledit symbole. Il l’admet pourtant, mais à la condition de l’entendre, ou métaphoriquement des souffrances morales de Jésus, ou littéralement de Son séjour dans le sépulcre jusqu’à Sa résurrection. C’est à cette dernière opinion qu’il se rangerait de préférence ; toutefois il aimerait encore mieux la suppression totale de l’article comme inauthentique et superflu. Nous conseillerions un moyen plus expéditif, savoir : la suppression totale du symbole lui-même, qu’on attribue faussement aux apôtres et qui n’est, à tout prendre, qu’une médiocre conception de l’esprit humain.
  2. On peut faire une remarque analogue sur le psaume 40.