Traité:Les derniers jours de l’apôtre Paul

De mipe
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A. Ladrierre

Luc, l’historien inspiré du livre des Actes, termine son récit à l’arrivée de Paul à Rome comme prisonnier. On aimerait connaître la suite de l’histoire de ce grand et fidèle serviteur de Dieu, de « ce vase d’élection » qui devait porter le nom du Seigneur « devant les nations et les rois, et les fils d’Israël » ; on désirerait savoir quelle fut la fin de sa carrière de dévouement à son Maître. Le Seigneur n’a pas jugé à propos de nous l’apprendre directement par un récit inspiré. Il n’avait pas en vue de nous donner, dans les Actes, la biographie d’un homme, si excellent fût-il, mais de placer devant nos yeux l’établissement sur la terre de Son Église, par la puissance du Saint Esprit et par le moyen des instruments qu’Il avait choisis pour cela.

Toutefois, en lisant avec soin les épîtres de l’apôtre, et en recueillant ce qu’il y dit de lui-même, nous pouvons apprendre bien des choses qui se rapportent à la dernière période de sa vie ici-bas. Je me propose, dans ces lignes, de chercher à la retracer.

Nous savons dans quelles circonstances l’apôtre prisonnier avait été conduit à Rome. Afin d’échapper aux embûches que lui tendaient les Juifs pour le faire périr, il en avait appelé à César, c’est-à-dire que, comme citoyen romain, il avait demandé à être jugé par l’empereur lui-même. Or, à cette époque, l’empereur romain était Néron, si tristement célèbre pour sa cruauté et ses mœurs dissolues. Cependant, au commencement de son règne, docile encore à la voix de sages conseillers, il se montra doux et équitable. C’est à ce moment que Paul fut amené à Rome.

Le centurion Jules, à qui la garde de l’apôtre avait été confiée, et qui lui avait témoigné une grande bienveillance durant le voyage, le remit, avec les autres prisonniers, au préfet du prétoire, c’est-à-dire à celui qui commandait la garde de l’empereur. Le prétoire était le lieu où résidait cette garde avec son commandant[2] ; les soldats qui la composaient étaient les prétoriens. Le préfet du prétoire entre les mains duquel Paul fut remis, était alors Burrhus, homme que les historiens anciens représentent comme probe et vertueux. Il avait été gouverneur de Néron et s’était constamment efforcé de réprimer ses penchants vicieux. Le centurion Jules lui fit, sans doute, sur l’apôtre un rapport favorable, lui racontant que c’était à ce pauvre prisonnier que lui, ses soldats et l’équipage devaient la vie, et rendant témoignage à la conduite noble, pieuse, et courageuse de Paul.

Quoi qu’il en soit, Burrhus traita Paul avec égard et bonté, et lui permit « de demeurer chez lui avec un soldat qui le gardait ». De même que Félix et Festus, le préfet du prétoire eut peut-être l’occasion d’entendre l’évangile de la bouche de Paul. En tout cas, d’autres dans le prétoire l’entendirent. En effet, le soldat qui gardait l’apôtre était un prétorien que l’on changeait chaque jour ; il ne devait pas quitter un instant le prisonnier, qui, de cette manière, était constamment en contact avec lui. Situation pénible, sans doute, car le soldat pouvait être rude et grossier, mais qui donnait à Paul une occasion de parler de l’évangile à ceux qui successivement le gardaient, et nous pouvons bien penser que l’apôtre, « étreint par l’amour de Christ » et avide du salut des âmes, n’avait garde d’y manquer. Un grand nombre l’entendirent ainsi parler du Seigneur et des richesses de Sa grâce ; en même temps, ils étaient témoins de sa patience dans les liens, de sa douceur, en un mot de la vie de celui qui pouvait dire : « Je ne vis plus moi, mais Christ vit en moi », de sorte que « la vie de Jésus » était « manifestée dans sa chair mortelle ». Quelle impression devait être produite sur eux ! Rien ne frappe davantage les gens du monde que la vue d’un chrétien qui marche réellement avec Dieu. Tel était Paul ; aussi, écrivant aux Philippiens, il leur disait : « Or, frères, je veux que vous sachiez que les circonstances par lesquelles je passe (son emprisonnement), sont plutôt arrivées pour l’avancement de l’évangile ; en sorte que mes liens sont devenus manifestes comme étant en Christ, dans tout le prétoire et partout ailleurs » (Phil. 1, 12, 13). On savait partout que, s’il était prisonnier, ce n’était ni pour une cause politique, ni comme malfaiteur, ainsi que les Juifs l’en accusaient (Act. 24, 5), mais uniquement pour le nom de Christ.

Combien les voies de Dieu sont admirables ! Il fait concourir la malice même des hommes à l’accomplissement de Ses desseins de grâce envers tous. L’évangile pénétra ainsi dans le palais même de César et y trouva des âmes qui le reçurent. C’est ce que nous disent ces paroles de l’apôtre : « Tous les saints vous saluent, et principalement ceux qui sont de la maison de César » (Phil. 4, 22). Qui étaient-ils ? Quelle était leur position dans cette maison ? Nous l’ignorons ; c’étaient des saints de Dieu, voilà ce que nous savons d’eux. Dans le palais de celui qui devint un cruel tyran, au milieu de la corruption épouvantable qui régnait dans cette demeure, Dieu avait Ses témoins !

La fin du livre des Actes nous apprend aussi que Paul avait loué pour lui un logement où il demeura deux ans entiers, et que là « il recevait tous ceux qui venaient vers lui, prêchant le royaume de Dieu et enseignant les choses qui regardent le Seigneur Jésus Christ, avec toute hardiesse, sans empêchement » (Act. 28, 30, 31). Le Seigneur étendait Sa bonne main sur Son fidèle serviteur et réjouissait son cœur en lui donnant de pouvoir prêcher la Parole de Dieu, même dans les liens. Paul se rappelait, sans doute, les paroles encourageantes que son cher Maître lui adressait à Jérusalem, quand il était en butte à toute la haine des Juifs : « Aie bon courage ; car comme tu as rendu témoignage des choses qui me regardent à Jérusalem, ainsi il faut que tu rendes témoignage aussi à Rome » (Act. 23, 11). Et pour que ce témoignage fût rendu, Dieu ôtait les obstacles, inclinait les cœurs même des puissants de la terre, et l’évangile, « la puissance de Dieu en salut à quiconque croit », était annoncé hardiment dans la grande ville impériale par celui qui avait écrit : « Je suis débiteur et envers les Grecs et envers les barbares, et envers les sages et envers les inintelligents ; ainsi, pour autant qu’il dépend de moi, je suis tout prêt à vous annoncer l’évangile, à vous aussi qui êtes à Rome » (Rom. 1, 14, 15).

Combien d’âmes vinrent là, dans le logement de Paul, Juifs ou d’entre les nations, pauvres ou riches, savants ou ignorants, pour entendre les bonnes nouvelles touchant Jésus Christ, nous l’ignorons. Combien d’entre ceux qui vinrent, reçurent la Parole et furent sauvés, nous ne le savons pas non plus. Le jour de Christ, ce jour où tout sera mis en lumière, fera connaître combien de fleurons auront été ajoutés là à la couronne de Paul (voy. 1 Thess. 2, 19), combien de joyaux au trésor du Seigneur.

Nous connaissons au moins un de ceux qui crurent l’évangile et furent un fruit du ministère de l’apôtre prisonnier. Ce n’était pas un grand de la terre, mais un pauvre esclave d’Asie, Onésime, qui s’était enfui loin de son maître Philémon, de Colosses. Le Seigneur l’amena à entendre Paul, nous ignorons par quelles voies, et lui fit trouver en Christ la vraie liberté (Jean 8, 32, 36). Avec quelle affection Paul parle de lui ! C’est son enfant qu’il a « engendré dans les liens », dit-il à Philémon, en le lui renvoyant. C’est « le fidèle et bien-aimé frère ». Il avait autrefois été inutile à son maître, mais maintenant il était utile à Paul et à Philémon (Philémon 10, 11 ; Col. 4, 9). On voit comment le Seigneur réjouissait le cœur de Son serviteur, en lui faisant goûter quelques fruits de son ministère dans sa prison. Le bienheureux serviteur de Christ rendait ainsi témoignage à son cher Maître et Lui amenait des âmes. Si lui était lié, la Parole de Dieu ne l’était pas ; rien ne peut l’empêcher de se répandre.

Pour le soutenir et l’encourager dans ses travaux, Dieu avait aussi donné à Paul plusieurs de ses amis et compagnons d’œuvre qui l’avaient suivi et l’entouraient dans sa captivité. C’étaient Épaphras, Marc, Aristarque, Démas, Luc et d’autres encore. Timothée, son cher fils dans la foi, était aussi avec lui. Tous ces serviteurs de Dieu, encouragés par la fermeté de l’apôtre, « ayant, dans le Seigneur, pris confiance par mes liens, dit-il, ont beaucoup plus de hardiesse pour annoncer la parole sans crainte » (Phil. 1, 14).

Les frères de Rome aussi, qui avaient eu un si grand plaisir à voir l’apôtre, et dont plusieurs lui étaient particulièrement connus, quelques-uns même étant de ses parents (Rom. 16, 1-16), venaient, sans doute, le consoler et s’instruire auprès de lui. Ainsi se réalisait ce qu’il leur avait autrefois écrit : « Je désire ardemment de vous voir, afin de vous faire part de quelque don de grâce spirituel, pour que vous soyez affermis, c’est-à-dire pour que nous soyons consolés ensemble au milieu de vous, vous et moi, chacun par la foi qui est dans l’autre » (Rom. 1, 11, 12). Les saints à Rome étaient affermis, l’apôtre était consolé, et, quoique dans les liens, il était au milieu d’eux « dans la plénitude de la bénédiction de Christ » (Rom. 15, 29).

Dans sa captivité, Paul recevait aussi des gages de sympathie et d’affection de la part de ceux au milieu desquels il avait travaillé et pour qui il avait été un instrument de bénédiction. Les Philippiens, en particulier, qui, lorsqu’il était encore en liberté, lui avaient fait deux fois, à Thessalonique, un envoi pour ses besoins, avaient pensé que le prisonnier pour le Seigneur pouvait être à Rome dans les privations. Ils lui avaient donc envoyé des dons par Épaphrodite, un des leurs. Tels étaient les liens d’amour qui unissaient les assemblées à ceux qui travaillaient parmi elles. L’apôtre avait été profondément touché de ce souvenir des Philippiens. Il le leur exprime dans sa lettre : « Je me suis grandement réjoui dans le Seigneur, dit-il, de ce que maintenant enfin vous avez fait revivre votre pensée pour moi, quoique vous y ayez bien aussi pensé, mais l’occasion vous manquait… Or j’ai amplement de tout, et je suis dans l’abondance ; je suis comblé, ayant reçu d’Épaphrodite ce qui m’a été envoyé de votre part…, un parfum de bonne odeur, un sacrifice acceptable, agréable à Dieu » (Phil. 4, 10, 18). Ainsi, dans cette captivité, bien des choses réjouissaient le cœur du serviteur de Christ : affection des saints et des assemblées, dévouement de ses compagnons d’œuvre, et la possibilité de servir le Seigneur. Il y avait bien quelques ombres : « Quelques-uns, dit-il, prêchent le Christ aussi par envie et par un esprit de contention,… ceux-là annoncent le Christ par esprit de parti, non pas purement, croyant susciter de la tribulation pour mes liens » ; mais le bienheureux apôtre s’élevait au-dessus de tous ces sentiments mesquins. Il n’avait en vue que la gloire de son Maître : Christ étant annoncé, c’est ce dont il se réjouissait. Quant à lui-même, il se mettait volontiers entièrement de côté.

Son activité ne se bornait pas à annoncer les choses qui regardent le Seigneur Jésus Christ à ceux qui venaient le visiter. Elle se portait aussi vers ces assemblées lointaines de la Grèce et de l’Asie, au milieu desquelles il avait enseigné. C’est à Rome, dans les liens, qu’il écrivit plusieurs de ses belles et précieuses épîtres que le Seigneur, qui les avait inspirées, a conservées pour instruire et édifier Son Assemblée jusqu’à la fin. C’est de cette époque que datent les épîtres aux Éphésiens, aux Colossiens, à Philémon et aux Philippiens. Dans la première il s’exprime ainsi : « Moi, Paul, le prisonnier du Christ Jésus, pour vous les nations » (Éph. 3, 1). En effet, c’était parce qu’il avait annoncé Christ, venu pour les nations aussi bien que pour les Juifs, que ceux-ci, remplis de jalousie et de haine, l’avaient saisi et voulaient le faire mourir (Act. 21, 27-29 ; 22, 21, 22). C’est à cause de cela qu’il était à Rome dans les liens. Plus loin, il se nomme « le prisonnier dans le Seigneur », et « un ambassadeur lié de chaînes » (Éph. 4, 1 ; 6, 20). Dans l’épître aux Colossiens, il parle de lui-même comme « lié », et nomme « Aristarque, son compagnon de captivité ». Il la termine par ce touchant appel : « Souvenez-vous de mes liens » (Col. 4, 3, 10, 18). Celle à Philémon porte le même témoignage d’avoir été écrite en captivité : « Paul, dit-il, prisonnier de Jésus Christ » (v. 1, 9, 10, 23), et l’épître aux Philippiens est remplie, comme nous l’avons vu, d’allusions à la condition où se trouvait alors l’apôtre.

Ainsi, la lettre aux Éphésiens, cette épître céleste, qui dévoile le mystère caché dès les siècles en Dieu, et qui place le chrétien et l’Église d’emblée dans le ciel en Christ, selon les conseils éternels de Dieu ; celle aux Colossiens qui exalte la glorieuse personne du Chef de l’Assemblée ; l’épître aux Philippiens, touchante expression de l’expérience d’une âme pour qui Christ est tout — vie, modèle, but, joie et force — au milieu des circonstances de la vie ; d’une âme qui, pour Lui, a fait la perte de tout ici-bas, en vue d’un avenir céleste avec Lui ; et enfin, la délicieuse lettre à Philémon montrant quel tact et quelle délicatesse la vie en Christ communique à l’âme, même dans les relations ordinaires de la vie ; — ces quatre écrits sortirent du cœur de l’apôtre sous la puissance du Saint Esprit, lorsqu’il était captif, et nous montrent dans quelle pure et sereine atmosphère il vivait, en même temps que sa sollicitude constante pour les saints. Et depuis, elles ont été pour les croyants un trésor de bénédictions, de consolations et d’encouragements.

Dans les deux dernières épîtres, nous trouvons quelque chose de plus. C’est une indication positive que Paul recouvra la liberté. À Philémon, il écrivait : « Prépare-moi aussi un logement, car j’espère que, par vos prières, je vous serai donné » (Philémon 22). Cela n’est encore qu’une espérance ; l’apôtre n’a pas la certitude d’être rendu aux saints en Asie. Mais en écrivant aux Philippiens, il exprime la certitude de les revoir. Il était prêt à mourir pour le Seigneur ; pour lui, « déloger et être avec Christ » était « de beaucoup meilleur ». « Mais, dit-il, il est plus nécessaire à cause de vous que je demeure dans la chair. Et ayant cette confiance, je sais que je demeurerai et que je resterai avec vous tous pour l’avancement et la joie de votre foi, afin qu’en moi vous ayez plus abondamment sujet de vous glorifier dans le Christ Jésus, par mon retour au milieu de vous ». Et plus loin : « J’ai confiance dans le Seigneur que moi-même aussi, j’irai vous voir bientôt » (Phil. 1, 24-26 ; 2, 24). Rappelons-nous que ce sont des paroles inspirées et que l’apôtre ne dit pas ici « j’espère ». Le Seigneur lui montrait qu’il était plus nécessaire pour les saints qu’il demeurât dans la chair ; aussi, dit-il, « ayant cette confiance, je sais que je demeurerai », et cela non pas en captivité, mais en retournant parmi eux, afin qu’ils eussent sujet de se glorifier dans le Christ Jésus. Le Seigneur ne pouvait pas tromper cette confiance que l’apôtre avait en Lui. L’épître aux Hébreux fut sans doute aussi écrite vers ce temps. Nous y lisons de même : « Sachez que notre frère Timothée a été mis en liberté ; s’il vient bientôt, je vous verrai avec lui » (Héb. 13, 23).

Ainsi, après au moins quatre années de captivité, dont deux à Césarée et le reste à Rome, Paul se trouva de nouveau libre. Sans doute, les charges avancées contre lui par les Juifs ne furent pas trouvées suffisantes pour motiver une condamnation. Festus et son conseil avaient déjà trouvé « qu’il n’avait rien fait qui fût digne de mort », qu’il s’agissait seulement de questions « touchant leur culte religieux, et un certain Jésus mort, que Paul affirmait être vivant » ; et le roi Agrippa avait déclaré aussi : « Cet homme aurait pu être relâché, s’il n’en avait appelé à César » (Act. 25, 25 ; 26, 31, 32). Néron pensa probablement de même et renvoya Paul absous.

Que fit l’apôtre durant ce temps de liberté qui d’ailleurs fut assez court ? En écrivant aux Romains, alors qu’il ignorait encore de quelle manière il irait les voir, il avait exprimé sa formelle intention d’aller en Espagne (Rom. 15, 28). Il put alors accomplir ce projet. Mais par les épîtres à Timothée et à Tite, écrites après sa captivité, nous apprenons avec certitude les noms de quelques endroits où il passa. Il se rendit en Asie Mineure. Visita-t-il Éphèse ? Il nous est dit simplement qu’il avait prié Timothée d’y rester, lorsque lui, Paul, allait en Macédoine (première épître 1, 3). L’apôtre avait dit aux anciens d’Éphèse qu’ils ne verraient plus son visage (Act. 20), mais il passa par Milet : « J’ai laissé, dit-il, Trophime malade à Milet » (2 Tim. 4, 20). Il traversa la Troade, où il laissa son manteau et ses livres chez Carpus, pensant, sans doute, y repasser (2 Tim. 4, 13). Dans cette tournée, il visite, sans doute, Colosses et son ami Philémon, ainsi qu’il en avait l’intention (Philémon 22). Avec Tite, il avait visité l’île de Crète (Tite 1, 5), et il se rendit en Macédoine, où nous ne pouvons douter qu’il n’ait vu ses chers Philippiens. Il avait aussi été à Corinthe où Éraste était demeuré (2 Tim. 4, 20). Enfin, il se proposait de passer l’hiver à Nicopolis, ville d’Épire, contrée située à l’ouest de la Macédoine (Tite 3, 12). L’apôtre avait ainsi revu une partie du champ de ses précédents travaux et, sans doute, avait été réjoui en retrouvant plusieurs de ses amis et de ses enfants dans la foi et en pouvant encore annoncer Christ. Mais les choses avaient déjà bien changé de face. La ruine qu’il avait prévue (Act. 20, 29, 30) s’accentuait, et en Asie, où il avait tant travaillé et où tous, tant Juifs que Grecs, avaient ouï la Parole (Act. 19, 10), là même, il a la douleur de devoir dire : « Tous ceux qui sont en Asie, du nombre desquels sont Phygelle et Hermogène, se sont détournés de moi » (2 Tim. 1, 15). Phygelle et Hermogène, peut-être de ceux qu’il avait solennellement avertis en disant : « Je sais que d’entre vous-mêmes, il se lèvera des hommes annonçant des doctrines perverses ».

Ce dernier voyage fut donc, pour l’apôtre, mélangé de joie et de tristesse. La seconde épître à Timothée nous montre où en étaient venues les choses dans l’Église. Paul fut remis en prison et subit une captivité beaucoup plus dure que la précédente, captivité d’où il ne sortit que pour marcher à la mort. Comment se retrouva-t-il à Rome dans les liens ? Nous l’ignorons ; mais les temps étaient bien changés. Néron s’était affranchi de toute contrainte ; rien ne réprimait plus ses mauvais instincts, et il s’abandonnait sans réserve à sa cruauté et à la dissolution la plus effrénée. À son instigation, une affreuse persécution sévissait à Rome contre les chrétiens. Paul, l’ayant appris, voulut-il aller soutenir et encourager ses frères affligés, et fut-il alors saisi lui-même et jeté en prison ? On peut le supposer, quand on connaît son cœur généreux et brûlant d’amour pour les saints. Sa vie ne lui était point précieuse, pourvu qu’il accomplît son service pour le Seigneur.

Combien cette captivité différa de la première ! Paul ne demeurait plus chez lui, jouissant d’une liberté relativement assez grande pour prêcher l’évangile et entouré d’égards comme un citoyen romain réservé au jugement de l’empereur. Il était dans une vraie prison comme faisant partie de la secte des chrétiens, objets du mépris et de la haine, non plus des Juifs seulement, mais de tous. « J’endure des souffrances, disait-il, jusqu’à être lié de chaînes comme un malfaiteur » (2 Tim. 2, 9). Si étroite et reculée était sa prison, si dispersés, sans doute, ses amis, qu’Onésiphore d’Éphèse avait dû le chercher soigneusement pour le trouver. Ce n’était plus le temps où ses liens étaient connus dans tout le prétoire.

L’apôtre n’était plus comme autrefois entouré de ses amis, de ses compagnons d’œuvre et de captivité, qui adoucissaient ses liens en coopérant avec lui dans l’évangile. Éraste était demeuré à Corinthe, il avait laissé Trophime malade à Milet, il avait envoyé Tychique à Éphèse, Crescens était allé en Galatie, et Tite en Dalmatie ; et Démas, autrefois son compagnon d’œuvre, hélas ! l’avait abandonné, « ayant aimé le présent siècle ». Le vide s’était fait autour de lui. Luc, le médecin bien-aimé, seul était avec lui. Aussi l’apôtre éprouvait-il le désir ardent d’avoir auprès de lui Timothée, son enfant bien-aimé. « Empresse-toi de venir bientôt auprès de moi, lui écrivait-il. Empresse-toi de venir avant l’hiver ». Il savait que sa carrière terrestre touchait à sa fin, et il désirait revoir celui qui lui était si cher, qui s’employait à l’œuvre du Seigneur comme lui-même. Il lui recommande en même temps de lui rapporter ce manteau et ces livres qu’il avait laissés chez Carpus, en Troade, à un moment où il croyait, sans doute, revoir ce disciple. L’hiver approchait, et Paul, au lieu de le passer à Nicopolis, avait à en supporter les rigueurs dans sa prison. Il avait besoin de son manteau. Ce n’était plus le temps où il disait : « J’ai amplement de tout, je suis comblé ». Non, maintenant il était vieux, pauvre, isolé et dénué. Un dernier trait touchant de sa requête à Timothée est celui-ci : « Prends Marc, et amène-le avec toi, car il m’est utile dans le service ». Il y avait eu un moment où Marc avait abandonné le service, et où Paul ensuite n’avait pas jugé à propos de le prendre avec lui ; mais le Seigneur avait enseigné et fortifié Marc pour le rendre propre à servir, et Paul le reconnaît sans arrière-pensée. Quel bel exemple de grâce chez le Maître et chez Son apôtre (2 Tim. 4, 9-13, 20 ; 1 Cor. 16, 10 ; Act. 13, 13 ; 15, 37, 38) !

Toutefois, au milieu de cette solitude et dans ces jours sombres, le Seigneur avait fait briller un rayon de lumière qui était venu réjouir Son serviteur. Onésiphore d’Éphèse, chrétien au cœur dévoué, qui avait déjà rendu bien des services dans l’assemblée de cette ville, était venu à Rome et avait cherché Paul pour le voir. À cette époque de persécution, c’était s’exposer singulièrement que de témoigner de l’intérêt à un prisonnier chrétien. Mais Onésiphore ne s’était laissé ni décourager par la difficulté de trouver l’apôtre, ni effrayer par le danger. « Il m’a cherché très soigneusement, dit l’apôtre reconnaissant, et il m’a trouvé… Il m’a souvent consolé et n’a point eu honte de ma chaîne » (2 Tim. 1, 16-17). Son dévouement pouvait lui coûter la vie ; aussi combien le témoignage de Paul à son égard est beau ! Dans nos jours de tiédeur, il serait bien à désirer que le dévouement et l’amour pour le Seigneur et les saints fussent ranimés. Onésiphore est un de ceux à qui le Seigneur peut dire : « J’étais en prison, et vous êtes venus auprès de moi ». Paul pensait à ce jour des rémunérations, lorsqu’il dit : « Le Seigneur lui fasse trouver miséricorde de la part du Seigneur dans ce jour-là » (2 Tim. 1, 16-18 ; Matt. 25, 36).

Des chrétiens de Rome, autant qu’ils le pouvaient, venaient sans doute aussi le consoler : « Eubulus et Pudens, et Linus et Claudia, et tous les frères, te saluent », dit-il (2 Tim. 4, 21). Mais combien en restait-il de ceux qu’il saluait à la fin de son épître aux Romains ; combien n’y en avait-il pas qui avaient laissé leur vie pour Christ dans les cruelles tortures des jardins de Néron ?

Comme nous l’avons dit, Paul avait rapporté dans sa prison des souvenirs douloureux de l’état de l’Église. Elle était devenue comme une grande maison, où des vases à déshonneur se trouvaient à côté des vases à honneur. Il fallait se purifier des premiers. Tous ceux d’Asie s’étaient détournés de l’apôtre et de ses enseignements. De faux docteurs renversaient la foi de quelques-uns. On avait la forme de la piété, en en reniant la puissance. Il fallait se détourner « de telles gens ». Quelle douloureuse épreuve pour le cœur de l’apôtre de voir cette ruine ! À cela s’ajoutaient les attaques de ses ennemis : « Alexandre, l’ouvrier en cuivre, dit-il, a montré envers moi beaucoup de méchanceté ». Était-ce le même Alexandre que nous voyons mis en avant à Éphèse par les Juifs, sans doute pour s’opposer à Paul et justifier ceux-ci ? De quelle manière Alexandre avait-il montré sa méchanceté envers lui, nous l’ignorons. Mais ces quelques mots nous font entrevoir une des souffrances de l’apôtre pour Christ (2 Tim. 2, 17-21 ; 3, 5 ; 4, 14 ; Act. 19, 33). À la fin de sa carrière, pauvre, en prison et avancé en âge, il se voyait en butte à l’abandon de la part des uns, et à la haine de la part des autres.

Et comment supportait-il toutes ces souffrances ? Était-il abattu, découragé, après sa longue vie de combats et en voyant cette Assemblée qui lui était si chère être la proie des loups ravissants et des hommes qui annonçaient des doctrines de perdition ? Ne lui semblait-il pas que son travail était vain ? Non ; il regardait en haut, à Celui en qui se trouve toute ressource, et dans son cœur il remontait jusqu’aux desseins éternels de Dieu qui ne peuvent manquer. Il était ainsi en état non seulement de supporter l’épreuve avec patience, mais aussi d’encourager les autres. « Dieu ne nous a pas donné un esprit de crainte, écrit-il à Timothée, mais de puissance, et d’amour et de conseil. N’aie donc pas honte du témoignage de notre Seigneur, ni de moi son prisonnier, mais prends part aux souffrances de l’évangile, selon la puissance de Dieu, qui nous a sauvés et nous a appelés d’un saint appel, non selon nos œuvres, mais selon son propre dessein, et sa propre grâce qui nous a été donnée dans le Christ Jésus avant les temps des siècles, mais qui a été manifestée maintenant par l’apparition de notre Sauveur Jésus Christ, qui a annulé la mort et a fait luire la vie et l’incorruptibilité par l’évangile… Je souffre ces choses ; mais je n’ai pas de honte, car je sais qui j’ai cru, et je suis persuadé qu’il a la puissance de garder ce que je lui ai confié jusqu’à ce jour-là » (2 Tim. 1, 7-12). Voilà ce qui soutenait Paul au milieu des souffrances de toutes sortes : il avait confiance en Celui qui l’avait aimé et sauvé, et par-delà les tribulations du moment, il voyait resplendir la gloire du jour à venir. « J’endure tout pour l’amour des élus, disait-il, afin qu’eux aussi obtiennent le salut qui est dans le christ Jésus, avec la gloire éternelle. Cette parole est certaine ; car si nous sommes morts avec lui, nous vivrons aussi avec lui ; si nous souffrons, nous régnerons aussi avec lui » (2 Tim. 2, 10-12).

Enfin l’apôtre comparut devant César. Il pouvait se rappeler le jour où il avait présenté son apologie devant Festus, Agrippa et Bérénice, et avait dit : « Plût à Dieu que vous devinssiez de toutes manières tels que je suis, hormis ces liens ». L’esprit de courage et d’amour qui l’animait alors, brûlait sans doute toujours le même dans son cœur. Mais combien la scène était maintenant plus solennelle et plus propre à émouvoir son cœur. Il n’avait plus devant lui des hommes plus ou moins bienveillants pour lui ; c’était l’empereur, le cruel Néron, qui avait déjà infligé tant de souffrances aux chrétiens détestés ; c’étaient les grands de sa cour, aussi habitués que lui à voir verser le sang ; c’était, sans doute, une foule de Juifs et de païens venus pour assister au procès de celui qu’on accusait d’être « une peste, un meneur de la secte des nazaréens, excitant partout des séditions », et qui tous étaient avides d’entendre prononcer sa sentence de mort. Et qui était avec Paul ? Quels amis étaient venus pour encourager par leur présence et leur sympathie le vieux chrétien, le combattant éprouvé, le prisonnier pour le Seigneur ? Personne. La crainte de l’opprobre et de la colère des hommes les avait tous retenus. « Dans ma première défense, dit Paul, personne n’a été avec moi, mais tous m’ont abandonné ». Il était seul ; oui, seul aux yeux des hommes, mais un ami fidèle, Celui qui ne manque jamais, Celui qu’autrefois Étienne voyait par l’Esprit et qui le soutenait devant le sanhédrin, était aussi là, invisible à tous, mais présent au cœur de l’apôtre. « Tous m’ont abandonné, mais », ajoute-t-il avec une indicible expression d’amour, « le Seigneur s’est tenu près de moi et m’a fortifié ». Cela lui suffisait.

« Il m’a fortifié », continue Paul, « afin que par moi la prédication fût pleinement accomplie et que toutes les nations l’entendissent ». Quelle prédication ? Celle qu’il avait fait entendre à Félix, à Festus et à Agrippa ; l’évangile qui annonce un Christ ressuscité et dans la gloire ; un Christ qui ouvre les yeux à la lumière céleste et fait passer de la puissance de Satan à Dieu ; un Christ qui doit un jour apparaître en gloire et juger tous les hommes. Oui, le puissant et redouté empereur Néron, l’homme souillé de tant de crimes, entendit en ce jour-là le solennel appel de Dieu et, avec lui, tous ses nobles et la foule qui entourait le tribunal. Jamais semblable accusé ne s’était vu, jamais de telles paroles ne s’étaient entendues dans ce lieu. Paul accomplissait ainsi pleinement son service ; c’en était le couronnement. Le Seigneur l’avait mis à part pour porter Son nom « devant les nations et les rois », et il venait de le proclamer devant le plus puissant monarque d’alors (2 Tim. 4, 16, 17 ; Act. 26, 18 ; 9, 15).

Quel fut le résultat de cette première défense ? Paul écrivait à Timothée : « J’ai été délivré de la gueule du lion » (2 Tim. 4, 17). Néron fut-il saisi, comme Félix, par la puissance de la vérité et troublé dans sa conscience ? Dit-il à l’apôtre : « Pour le moment, va-t’en, je te ferai appeler une autre fois » ? Nous l’ignorons. Paul, cette fois, échappa à la gueule du lion.

Mais ce n’était qu’un répit, et le cher serviteur du Seigneur le savait bien. « Pour moi », écrivait-il encore à son disciple bien-aimé, après l’avoir exhorté à accomplir pleinement son service, « pour moi, je sers déjà de libation, et le temps de mon départ est arrivé ; j’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi : désormais m’est réservée la couronne de justice, que le Seigneur juste juge me donnera dans ce jour-là, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui aiment son apparition » (2 Tim. 4, 6-8). Il attendait la mort ; son sang allait être répandu comme le vin dont on faisait des libations après les sacrifices. Mais que lui importait ? Pour lui, mourir était un gain ; c’était aller auprès du Seigneur, ce qui était bien meilleur. Que Christ fût magnifié dans son corps, soit par la vie, soit par la mort, c’était ce qu’il désirait. Et Christ venait d’être magnifié devant tous dans le témoignage qu’il avait rendu en accomplissant pleinement la prédication. Que pouvait maintenant l’empereur, que pouvait le bourreau, sur celui qui se considérait toujours comme livré à la mort pour l’amour de Jésus, qui comptait sa vie pour néant, pourvu que son Maître fût glorifié ? Rien.

Et quelles perspectives glorieuses s’ouvraient devant les yeux du saint apôtre ? Les splendeurs du jour de Christ, la gloire de Son apparition, la couronne de justice que le Sauveur poserait sur la tête du fidèle combattant, et, au-dessus de tout, le bonheur d’être pour toujours avec le Fils de Dieu qui l’avait aimé et s’était donné pour lui ! C’était assez pour voiler aux yeux de Paul sa triste prison, l’abandon de tous, les souffrances, l’opprobre et la hache du bourreau, et pour le faire s’écrier en triomphe : « Qui est-ce qui nous séparera de l’amour du Christ ? Tribulation, ou détresse, ou persécution, ou famine, ou nudité, ou péril, ou épée ?… Au contraire, dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. Car je suis assuré que ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni choses présentes, ni choses à venir, ni puissance, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus, notre Seigneur » (Rom. 8, 35-39).

Nous ne savons rien d’une autre comparution de Paul devant Néron, rien de sa sentence, rien de sa mort. Le témoignage des anciens historiens ecclésiastiques est que, comme citoyen romain, il fut décapité vers l’an 67. « Absent du corps, il est présent avec le Seigneur », et il attend avec tous les autres martyrs, et aussi avec tous les croyants, le moment où Jésus reviendra en gloire.

Qu’il nous soit donné d’imiter sa foi, considérant l’issue de sa conduite !



  1. Publié dans le Messager Évangélique de 1890.
  2. On donnait aussi ce nom à la résidence des gouverneurs de province (Jean 18, 28).