Traité:Le christianisme selon l’évangile et le christianisme social
A. Ladrierre
On est heureux de posséder dans la Parole de Dieu — et par là, nous entendons toute la Bible — une lumière qui nous fait connaître les choses dans leur réalité ; car, par elle, nous les connaissons comme Dieu les voit et les apprécie, et non comme notre intelligence plus ou moins bornée, plus ou moins obscurcie, nous les présente. Mais encore faut-il d’abord que nous la reconnaissions, cette Parole, pour ce qu’elle est, « la vivante et permanente parole de Dieu », l’autorité suprême qui décide en dernier ressort, et ensuite, que nous la laissions parler sans en troubler la pureté, « par les raisonnements d’une science faussement ainsi nommée afin de ne pas être emportés çà et là par tout vent de doctrine ».
Si l’on prétend s’appuyer sur elle pour établir telle ou telle doctrine, et qu’ensuite on infirme son autorité, d’une manière quelconque, jetant ainsi le doute dans les âmes, à quoi aboutira-t-on ? La vérité pourra-t-elle être mise en relief d’une manière claire et précise ? Si l’on raisonne sur elle comme sur un livre humain, si l’on y introduit ses propres pensées, ou si l’on veut la plier à un système théologique, n’obscurcira-t-on pas le conseil de Dieu ? Il faut que, faisant taire notre orgueilleuse raison, nous nous mettions, comme de petits enfants, à l’école de la Parole de Dieu — la Bible — et que ce soit elle qui seule, à l’égard des choses divines et des pensées de Dieu, nous instruise et forme nos entendements.
Cela posé, j’entrerai dans le sujet que j’ai en vue en écrivant ces lignes.
Nous ne pouvons fermer les yeux à la grande activité qui se déploie autour de nous, dans le domaine religieux et qui, trop souvent, se confond avec une philanthropie purement humaine. Je parle surtout de ce qui a lieu dans les diverses dénominations protestantes. Chose étrange ! À côté du rationalisme plus ou moins accentué qui s’y développe, et qui porte la main sur les Écritures et même sur la personne du Sauveur, quantité d’œuvres surgissent : prédications populaires, missions intérieures, sociétés de tempérance et d’abstinence, sociétés de bienfaisance, etc. Nous les voyons abonder et agir ; des œuvres, des œuvres, dit-on de toutes parts. En même temps les pensées se portent sur l’état social, sur les injustices et les iniquités que présente cet état, sur les souffrances qui désolent la terre, et l’on veut y trouver un remède. À Dieu ne plaise que nous niions qu’il n’y ait parmi ceux qui s’occupent de ces œuvres, des cœurs vraiment dévoués, désireux de faire le bien, et d’apporter du soulagement à ceux qui souffrent, et que quelque fruit n’en résulte. Nous ne voudrions pas dire non plus que par les prédications, alors même que Christ et Son œuvre n’y seraient présentés que d’une manière imparfaite, il ne puisse y avoir des âmes amenées au salut : Dieu est souverain dans l’exercice de Sa grâce. Il agit par tel instrument qu’Il veut. Mais nous avons à juger tout d’après Sa Parole. Nous avons à examiner si la ligne que l’on suit lui est conforme, si les grandes vérités qui constituent le christianisme sont maintenues, et si les propres pensées de l’homme ne jouent pas un rôle prépondérant dans l’activité dont nous avons parlé.
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Une de ces vérités qui semble trop oubliée ou dont l’on atténue la portée, est celle de la ruine totale et irrémédiable de l’homme. On reconnaît bien la misère, les souffrances, les injustices, les iniquités, qui remplissent le monde ; on voudrait y porter remède, mais on ne remonte pas à la source, à l’origine du mal. La Parole de Dieu qui nous le fait connaître dans son étendue et sa profondeur, nous le montre dans l’homme même. Créé droit et innocent, il a péché ; il s’est révolté contre son Créateur en transgressant Son commandement ; il a ainsi rompu le lien qui l’unissait à Dieu, le souverain bien ; la misère, les souffrances et la mort sont devenues son partage. Quant à son être moral, il est devenu étranger à Dieu et finalement Son ennemi. Les ténèbres ont envahi son entendement relativement aux choses divines ; sa volonté a été pervertie ; il a perdu le sens moral, et les convoitises se sont emparées de son cœur. La conscience — la connaissance du bien et du mal, qu’il a acquise par la chute — subsiste, mais sans une règle divine, elle ignore le vrai bien et le vrai mal, et fait souvent considérer comme bien ce qui est mal devant Dieu.
Ce que nous venons de dire est sans doute admis par tout chrétien soumis à la Parole de Dieu, mais il en est qui pensent que cet état de l’homme est susceptible d’amélioration. L’Écriture, en dépeignant en termes énergiques ce qu’est la chair, la nature corrompue de l’homme, nous fait voir en même temps combien cette pensée d’amélioration du fond de l’être moral de l’homme est erronée. Citons quelques passages. « L’imagination des pensées du cœur de l’homme n’est que méchanceté en tout temps… elle est mauvaise dès sa jeunesse » (Gen. 6, 5 ; 8, 21). « Du dedans, du cœur des hommes, sortent les mauvaises pensées, les adultères, etc. », dit le Seigneur (Marc 7, 21-23). Voilà la source : le cœur mauvais, corrompu dès le commencement de l’existence d’un homme. « Je sais qu’en moi », dit l’apôtre, parlant par expérience, « c’est-à-dire en ma chair, il n’habite point de bien… De la chair, je sers la loi du péché » (Rom. 7, 18, 25). Ici, nous voyons l’étendue du mal et l’asservissement de l’homme au péché. Paul énumère les œuvres de la chair, et entre elles, à côté des péchés grossiers, il mentionne « les inimitiés, les querelles, les jalousies, les colères, les intrigues, les divisions, les sectes, les envies » (Gal. 5, 19-21). Tels sont les fruits de l’arbre mauvais. À cela vient s’ajouter cette déclaration solennelle qui montre ce qu’est devenu l’homme pécheur et son incapacité comme tel de sortir par lui-même de cet état : « La pensée de la chair est inimitié contre Dieu, car elle ne se soumet pas à la loi de Dieu, car aussi elle ne le peut pas » (Rom. 8, 7).
Toute réelle amélioration, tout changement radical du fond de l’être moral de l’homme, est donc impossible par quelque effort que ce soit, puisqu’il faudrait pour cela que la chair, sa nature, se soumît à la loi de Dieu, ce que Dieu déclare impossible. Nous ne voulons pas dire qu’il ne puisse y avoir en l’homme certaines qualités naturelles, ni qu’extérieurement un homme ne puisse renoncer à certains vices, qu’il ne puisse, par des efforts, arriver à corriger certains défauts de son caractère. Il y a une éducation morale possible, et tout homme est responsable d’y travailler, comme aussi les parents sont responsables d’y soumettre leurs enfants. Mais le fond demeure et ne peut être changé. « Ce qui est né de la chair est chair », déclare Christ, et reste chair, puisque le Seigneur ajoute : « Il vous faut être nés de nouveau », c’est-à-dire avoir une nouvelle nature que nous ne pouvons pas nous donner, et que l’Esprit Saint seul peut produire en nous. « Ce qui est né de la chair est chair ; et ce qui est né de l’Esprit est esprit… Si quelqu’un n’est né d’eau et de l’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jean 3, 3, 5, 6). Il reste dans sa condition naturelle, la chair, en dépit de toutes les améliorations possibles de caractère et de conduite. « Nous étions, dit l’apôtre, insensés, désobéissants, égarés, asservis à diverses convoitises et voluptés, vivant dans la malice et dans l’envie, haïssables et nous haïssant l’un l’autre ». Et quel remède propose-t-il ? Est-ce les efforts de l’homme pour sortir d’un tel état ? Non, c’est « le lavage de la régénération et le renouvellement de l’Esprit Saint » (Tite 3, 3-5). L’activité philanthropique peut amener quelque amélioration dans les conditions extérieures, mais devant Dieu, il faut une nouvelle naissance, une nouvelle création.
Remarquons encore que cet état de ruine morale complète de l’homme a été, est, et reste le même, quels que soient les phases et les degrés de la civilisation. Le tableau que présente l’apôtre Paul en décrivant la condition morale au temps du paganisme, et celui qu’il trace comme représentant l’état de choses aux derniers jours, alors que le christianisme est introduit dans le monde, offrent les mêmes traits (comp. Rom. 1, 29-31 et 2 Tim. 3, 1-5), en ajoutant à ce dernier ce qui le rend plus condamnable : « Ayant la forme de la piété, mais en ayant renié la puissance ».
La condition morale de l’homme étant de tout temps la même devant Dieu, c’est-à-dire une nature foncièrement corrompue, et absolument incapable de se changer, dire que chaque époque apporte avec elle des besoins nouveaux auxquels il faut que le christianisme s’adapte et satisfasse, est une chose inexacte à ce point de vue. Les besoins nouveaux qu’une civilisation toujours plus raffinée fait naître et dont de plus en plus toutes les classes, et surtout celles que l’on nomme les prolétaires, réclament la satisfaction, sont pour la plupart de l’ordre purement matériel, et naissent trop souvent de l’éveil des convoitises et du désir des jouissances. Le socialisme — le meilleur, j’entends — se propose pour but, par une modification profonde de l’état social, de répondre aux besoins matériels et intellectuels de l’homme, de répartir également entre tous, les fruits du travail, le repos et les jouissances légitimes, de soulager toutes les souffrances, d’établir pour tous un régime de justice, qui fasse taire et supprime les injustices et les iniquités, et tout cela, ajoutons-le, sans Dieu. Alors l’homme sera heureux, disent-ils. Supposons tout cela réalisé à un moment et à un endroit donné. Le cœur de l’homme sera-t-il changé ? Une loi, des règlements quels qu’ils soient, pourront-ils empêcher ce cœur « trompeur par-dessus tout, et incurable » (Jér. 17, 9), dont la méchanceté est si grande que Dieu seul peut la sonder, de produire ses fruits détestables ? Et ce nouvel état social assouvira-t-il la soif de bonheur qui, en dépit de sa corruption, est au fond de toute âme d’homme ? Non. Quelques modifications que l’on apporte à l’état social, quelques inégalités qu’on cherche à faire disparaître, quelque soulagement que l’on se vante d’apporter aux misères et aux souffrances dans une société soi-disant mieux constituée, le fond moral de l’homme restera le même, et il ne sera pas heureux. Car le vrai besoin de l’homme en tout temps et en tous lieux, besoin inconscient chez la plupart et qu’un grand nombre ne voudraient pas admettre si on le leur disait, besoin qui fait soupirer l’homme et la création entière, c’est d’être réconcilié avec Dieu. Au sein de cette ruine, au fond de ce cœur corrompu, une chose subsiste, c’est le désir du bonheur. Tous le cherchent, ce bonheur, et l’on croit le trouver dans les choses de la terre : science, richesses, plaisirs, honneurs, ou même dévouement à quelque cause bonne et utile. Mais tout cela n’est qu’un mirage trompeur, une citerne crevassée qui ne retient pas l’eau et où la soif ne peut être étanchée. Le cœur de l’homme a été fait trop grand pour que les choses qui passent le satisfassent. En Dieu seul se trouve pour lui la source du bonheur, mais pour y puiser, il faut que l’obstacle qui sépare l’homme de Dieu, c’est-à-dire le péché, soit enlevé. C’est pourquoi nous disions que le vrai besoin de l’homme, c’est d’être réconcilié avec Dieu, et c’est par Christ seul, par Son sacrifice, que s’opère la réconciliation. Alors aussi l’Esprit Saint crée en nous une nature sainte, qui peut jouir de Dieu. Le vrai bonheur est trouvé, et l’âme s’abreuve au fleuve des délices divines (Ps. 36, 8). Voilà ce que nul effort de la chair, nulle amélioration de l’état social, ne peuvent donner.
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Une autre chose, qui se lie intimement à l’état de ruine de l’homme et sur laquelle les pensées sont souvent erronées au point de vue de la Parole de Dieu, est ce qui concerne le monde.
Qu’est-ce que le monde ? Nous savons que ce mot a bien des acceptions diverses ; nous ne le prendrons ici que dans celle que l’Écriture lui donne lorsqu’elle le caractérise moralement. Le monde, d’un côté, c’est la scène où l’homme déploie son activité, met en œuvre les facultés qu’il possède, et qu’il a arrangée pour y vivre ; d’un autre côté, c’est l’ensemble de ceux qui se trouvent sur cette scène et y agissent. Les hommes, faisant usage de leurs facultés, ont inventé l’industrie, le commerce, l’agriculture, les arts, pour satisfaire à leurs besoins et se procurer des jouissances. Ils se sont formés en sociétés régies par des lois, et la civilisation s’est développée. Le monde s’est ainsi formé. Mais remarquons que cela a eu lieu après que l’homme eut péché, qu’il eut été chassé de l’Éden et se fut éloigné et séparé de Dieu, et l’homme pécheur a marqué le monde de son sceau ; il porte l’empreinte du péché. Il n’en pouvait être autrement. Le monde a été arrangé par l’homme pécheur, afin qu’il pût être heureux sur la terre, loin de Dieu. Il y a mis tout ce qui peut satisfaire les convoitises qui se sont emparées de son cœur, car « ce qui est dans le monde », dit l’Écriture, c’est « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie » (1 Jean 2, 16). Ainsi tout dans le monde qu’il a arrangé pour lui-même en dehors de Dieu pour être sa demeure, vient au-devant de ce que le cœur mauvais de l’homme désire. Mais en même temps, se manifestent dans le monde les conséquences des convoitises : les souillures, les injustices, les meurtres, les guerres, etc. Et comme cependant, il y a chez l’homme loin de Dieu un besoin religieux, il a trouvé place dans le monde en dehors de tout le brillant dont il peut se parer, de quoi le satisfaire.
Pour mieux apprécier ce qu’est le monde, voyons comment il nous apparaît dès son origine. Il commence bientôt après que nos premiers parents ont été exclus du paradis, et c’est un meurtre, celui d’un juste, qui l’inaugure : Abel est tué par Caïn. Le meurtrier fuit loin de la présence de Dieu. Il bâtit une ville ; il s’établit sur la terre ; il devient ainsi l’ancêtre de ceux que l’Écriture caractérise par ces mots : « ceux qui habitent sur la terre », qui font leur objet et leur fin des choses de la terre ; il donne à sa ville le nom de son fils pour perpétuer sa mémoire ; c’est l’orgueil de la vie qui se montre. La civilisation a commencé ; les descendants de Caïn sont ingénieux pour la développer. Comme nous l’avons dit, l’agriculture et le commerce prennent naissance en même temps que l’industrie, et c’est parmi eux. Ce n’est pas un état sauvage qui précède la civilisation ; ce n’est pas l’âge de la pierre avant celui de l’airain et du fer ; le contraire est vrai. Les hommes sont une race nouvelle, non encore dégénérée. Ils ont toute l’énergie de corps et d’esprit nécessaire pour trouver, inventer et réaliser. À leurs travaux, ils ajoutent les beaux-arts, la musique pour charmer leurs oreilles et être un délassement dans leur labeur. En elles-mêmes ces choses ne sauraient être mauvaises ; mais on s’en occupe loin de Dieu, et en même temps, se montrent l’audacieux mépris de l’ordre établi de Dieu, la propre volonté et l’esprit de vengeance bravant Dieu Lui-même. C’est Lémec, le père des inventeurs, en qui se manifeste l’impiété, qui se moque de Dieu. Nous avons là en germe ce qu’est le monde. Ce germe se développe, et le monde est bientôt rempli de corruption et de violence. La connaissance de Dieu et Son culte, d’abord conservés chez des descendants de Seth, finissent par disparaître à la suite de l’association de ces derniers avec les Caïnites, et le dernier fidèle, Methushélah, grand-père de Noé, meurt l’année même où le jugement longtemps différé frappe un monde impie resté sourd aux avertissements du prédicateur de justice. Tel fut le premier monde et telle fut sa fin.
Sera-ce un monde différent qui surgira des eaux du déluge ? Le péché, la souillure dont il est entaché, ont-ils été lavés ? La réponse est claire. Noé s’enivre, Cham méprise son père, Nimrod, son petit-fils, le rebelle, comme l’indique son nom, est le premier conquérant, ce qui implique l’orgueil, l’injustice, les guerres, le sang versé, l’asservissement à un pouvoir despotique. Les grandes villes et les grands empires sont fondés ; Ninive, Babylone, Sidon, surgissent, l’Égypte paraît avec sa haute et antique civilisation qu’attestent ses monuments restés debout. On y voit l’industrie et les arts poussés à un degré étonnant. Les nations se forment à mesure que les hommes se dispersent sur la terre ; mais l’homme a montré son orgueil et son mépris de Dieu en tentant de se faire, contrairement à la volonté divine, un centre de rassemblement et d’unité, un nom afin de n’être pas dispersés. Les restes de Babel attestent cette vaine prétention. À cela s’ajoute l’idolâtrie, car l’homme a des besoins religieux ; mais l’idolâtrie lui fournit en même temps un moyen de satisfaire ses convoitises impures. On en connaît les abominations. Les nations une fois formées s’élèvent les unes contre les autres, poussées par l’ambition, l’orgueil, l’avidité de leurs chefs. Les guerres, les massacres, l’esclavage, des souffrances de toutes sortes, le mal sous toutes ses formes, voilà ce que nous présentent les historiens, cherchant à le voiler souvent sous de brillants dehors. Les monuments de l’Égypte, de Babylone et de Ninive, n’ont-ils pas aussi une voix pour nous dire ce qu’était le monde d’alors ? Comment nous apparaîtra-t-il, si nous passons à la Grèce et à Rome ? La Grèce a son génie qu’on admire ; ses poètes, ses artistes, ses législateurs, ses philosophes, ses héros. Mais qu’y a-t-il sous ce vernis brillant, sous ces dehors attrayants ? Et Rome avec sa grandeur, qu’est-elle ? Orgueil, souillure, cruauté, ignorance de Dieu, passions honteuses auxquelles on se livre, voilà ce qui apparaît partout.
Tel était le monde moralement, couvert de ténèbres, au milieu desquelles vint briller la lumière divine, le Fils de Dieu, le Christ. Mais le monde Le rejette et Le crucifie, puis poursuit Ses disciples de sa haine, montrant ainsi ce qu’il est — inimitié contre Dieu.
Croyons-nous peut-être que le monde d’aujourd’hui diffère de ce qu’il était avant comme après le déluge ? Le monde actuel est-il autre que celui de Caïn, de Lémec, de Nimrod, de l’Égypte, de la Grèce et de Rome ? Le christianisme, il est vrai, y est apparu, chose entièrement nouvelle envoyée de Dieu, proclamant ce qu’est Dieu — amour et lumière. Mais le monde l’a-t-il reçu ? Le paganisme a pu être abandonné, le baptême d’eau être administré à des foules ignorantes, le monde être christianisé et les nations former ce vaste corps nommé la chrétienté, mais le monde est resté le monde. Que le christianisme ait exercé une certaine action en plusieurs domaines, on ne saurait le nier ; il est le sel de la terre ; mais les guerres ont-elles cessé, les haines sont-elles éteintes, les crimes ont-ils disparu, l’amour effréné des plaisirs, la recherche ardente des richesses, la poursuite des honneurs, ont-ils été abandonnés ? L’envie, le mensonge, l’orgueil, l’ambition, l’égoïsme, ne dominent-ils plus ? Le matérialisme est-il vaincu ? Honore-t-on le Christ et se soumet-on à Ses préceptes ? Dieu occupe-t-Il Sa place dans les cœurs ? Y a-t-il moins d’oppressions, d’injustices, d’iniquités ? Écoutons les revendications du socialisme, quels que puissent être les mobiles qui font agir ses adeptes.
Le monde a-t-il changé ? Non, il est ce qu’il a été depuis Caïn, et il restera tel jusqu’au jugement. Caïn l’a inauguré, avons-nous dit, par le meurtre d’Abel, et le monde actuel a mis à mort le Fils de Dieu. Ne nous étonnons donc pas des termes énergiques par lesquels l’Écriture qualifie le monde. C’est, dit-elle, « le présent siècle mauvais » ; il gît « dans le mal » ; il est « mû par les convoitises » ; il est conduit par Satan qui en est le prince ; il a haï Christ et il hait Ses disciples ; celui qui veut être ami du monde se constitue ennemi de Dieu ; ce qui est du monde n’est pas du Père. Aussi Jésus déclare-t-Il qu’Il n’est pas du monde et que les siens n’en sont pas. Ils appartiennent à une autre sphère, et l’exhortation de l’apôtre est : « N’aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde ».
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Quelle conclusion tirerons-nous de ce qui précède ? Faut-il tout condamner dans le monde qui nous entoure ? N’y a-t-il aucune amélioration à apporter à cet état de choses ? Le christianisme est-il impuissant pour cela ?
Bien que n’étant pas du monde, le chrétien est appelé à vivre dans le monde, et à être en relation avec ce qui l’entoure. L’apôtre nous le dit, car sans cela, « il nous faudrait sortir du monde » (1 Cor. 5, 10). Et Christ a dit à Son Père en parlant des siens : « Je ne fais pas la demande que tu les ôtes du monde » — de la sphère du monde — « mais que tu les gardes du mal » (Jean 17, 15), des convoitises mondaines et charnelles excitées par tout ce que le monde présente à nos yeux, fait entendre à nos oreilles, offre au cœur naturel pour en jouir loin de Dieu. Tout ce qui n’est pas de Lui est condamné ; le monde est jugé. L’apôtre nous dit ce que doit être le chrétien dans le milieu où il doit vivre quelque temps : « Soyez sans reproche et purs, des enfants de Dieu irréprochables, au milieu d’une génération tortue et perverse, parmi laquelle vous reluisez comme des luminaires dans le monde, présentant la parole de vie » (Phil. 2, 15). Mais quant à une amélioration de l’état du monde par le moyen des chrétiens, il n’en est pas question. On peut créer des œuvres philanthropiques, dans le but de secourir les nécessiteux, des sociétés d’abstinence et de tempérance pour combattre l’alcoolisme, d’autres pour le relèvement de ceux ou de celles qui sont tombés, on peut former des ligues de la paix, etc. ; là où il y a quelque dévouement, quelque bien produit, on est heureux de le reconnaître, mais améliorer le monde, introduire un état de choses différent de celui qui existe, et d’où la corruption, l’injustice, la haine, l’égoïsme, les souffrances auront disparu, c’est un rêve que tous les efforts de l’homme ne peuvent réaliser, parce que pour cela il faudrait changer le fond moral du cœur, de ce cœur irrémédiablement mauvais, selon l’Écriture.
Le christianisme est-il donc impuissant pour cela ? Il est évident que si Christ était reçu par tous, non pas nominalement, mais de telle sorte que tous fussent « transformés par le renouvellement de leur entendement » (Rom. 12, 2), un immense changement aurait lieu. Mais j’ai dit « tous », or, il n’y en a qu’un petit nombre qui Le reçoivent ; le cœur naturel Le repousse, parce qu’Il exige le renoncement à tout ce que le cœur aime. On reproche au christianisme de n’avoir pas tenu ce qu’il promettait, et l’on a été jusqu’à l’appeler « le mensonge de la croix », et l’on veut y suppléer par un bouleversement de l’état social, par une refonte totale des institutions existantes, par le socialisme, en un mot. D’autres voudraient, en gardant un certain christianisme, le faire servir à ces réformes. Les uns et les autres n’ont pas compris ou ont peu saisi ce qu’il est, ainsi que le but de la venue de Christ et de Son œuvre. L’Écriture n’enseigne nulle part que le christianisme, l’œuvre de Christ, ait pour objet de transformer le monde, de produire une rénovation de l’humanité. Elle nous apprend que c’est une nouvelle création que Dieu a en vue, une chose entièrement nouvelle qu’Il opère dans l’individu actuellement, avant de l’établir sur une terre nouvelle et sous un ciel nouveau, ce qui aura lieu à la fin du temps, quand l’état éternel aura commencé. Le but de la rédemption n’est pas le relèvement de l’homme pour cette terre, mais son salut en dehors du monde par le pardon des péchés, la réconciliation avec Dieu, le don d’une nature et d’une vie nouvelles, afin de le rendre propre pour la présence de Dieu dans le ciel. L’œuvre s’opère ici-bas, elle a sa manifestation morale dans la vie, mais le but final est en dehors d’une création souillée par le péché.
Christ n’est absolument pas venu dans ce monde dans un but social, ni humanitaire, bien qu’Il ait été de lieu en lieu faisant du bien, manifestant Sa bonté divine, guérissant les malades, nourrissant les foules, consolant les affligés. Mais Il a refusé la royauté que les foules voulaient Lui conférer après le miracle des pains (Jean 6, 15), et sollicité par quelqu’un de régler un différend concernant les affaires temporelles Il répond : « Homme ! qui est-ce qui m’a établi sur vous pour être votre juge ? » (Luc 12, 13, 14). Il recommande l’obéissance à César, et quant à Lui-même Il dit à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde… Maintenant, mon royaume n’est pas d’ici » (Jean 18, 36). Jésus dit : « maintenant » dans la période actuelle, car un jour « le royaume du monde de notre Seigneur et de son Christ » sera établi (Apoc. 11, 15), mais ce ne sera pas avant que le monde coupable d’aujourd’hui n’ait été jugé. Et si Christ a refusé d’être roi et juge maintenant, s’Il n’a pas voulu s’associer au monde pour l’améliorer, Ses disciples ont-ils à suivre une autre marche, ou bien s’estimeraient-ils meilleurs, et plus sages que leur divin Maître ? « Le disciple n’est pas au-dessus de son maître, mais tout homme accompli sera comme son maître » (Luc 6, 40). Le but de Christ en venant dans le monde, Il nous le définit Lui-même clairement : « Le fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Luc 19, 10).
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Entrons dans quelques détails et examinons de plus près ce qu’est le christianisme selon l’Écriture. Dans un monde ruiné et coupable placé sous le juste jugement de Dieu, Dieu a envoyé Son Fils ; le Fils de Dieu est devenu un homme ; la Parole éternelle a été faite chair. « Dieu », déclare Jésus, « a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mai qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3, 16). Le mobile en Dieu, c’est l’amour ; le but, c’est d’arracher à la perdition et de donner la vie éternelle ; la condition de possession, c’est la foi. Résumé simple et complet du plan divin en faveur de l’homme perdu. Mais la justice et la sainteté de Dieu, quoi qu’en disent plusieurs qui ne veulent voir en Dieu que la miséricorde, réclamaient une satisfaction de la part de l’homme pécheur et par là assujetti à la condamnation. L’homme pouvait-il la donner ? Impossible. Comment l’aurait-il fait ? Ses œuvres étaient mauvaises ; de son cœur corrompu ne pouvait rien sortir qui plût à Dieu. Tirera-t-on le pur de l’impur ? Toutes ses justices sont un linge souillé, et ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu. Qui donc donnera satisfaction pour l’homme, si lui ne le peut ? Y a-t-il quelqu’un qui se présentera pour cela ? Et c’est ici que se place la rédemption, le dessein éternel de la grâce de Dieu, pour sauver le pécheur, sans porter atteinte à la justice et à la sainteté divines ; plus que cela, au contraire, pour les magnifier et leur donner une sanction éclatante. Selon Ses conseils éternels, Dieu a donné Son Fils, et Jésus, le second homme venu du ciel, s’est présenté, disant : « Je viens, ô Dieu, pour faire ta volonté ». Ainsi dès l’origine, il y a de la part du Fils l’obéissance, une soumission complète à la volonté de Dieu. En contraste avec le premier homme, caractérisé par la volonté propre et la désobéissance, Christ, le second homme, s’est montré, durant toute Sa vie, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort même de la croix. C’est ce qui a fait de Christ, mourant ainsi, le sacrifice parfait, celui d’une victime pure et sans tache, l’holocauste agréable à Dieu. Mais ce n’est pas l’obéissance de Christ qui sauve, ce sont les résultats de cette obéissance. Christ dans Sa vie d’obéissance est un modèle parfait pour le chrétien ; non pour l’inconverti ; dans Sa mort, Il a été un martyr pour la justice et la vérité, mais Il a été plus, car ce n’est pas ce qui sauve. Nul ne peut être obéissant pour moi, mais quelqu’un peut mourir à ma place en subissant la peine qui m’était justement due, et c’est ce que Christ a fait. Son obéissance l’a conduit jusqu’à la mort de la croix, et, en même temps qu’Il était là une victime pure agréée de Dieu, Il était une victime pour le péché. Il remplaçait toutes les victimes, tous les sacrifices de l’ancienne loi qui n’étaient que des types de Son grand et unique sacrifice. Il était fait péché pour nous, et comme tel, subissait tout ce que le péché méritait de la part d’un Dieu saint et juste. Il passait sous le jugement de Dieu, était abandonné de Lui, et descendait dans la mort. Il abolissait ainsi le péché par le sacrifice de Lui-même. Il était offert une fois pour toutes afin de porter les péchés de plusieurs — un substitut pour eux. Il était la sainte victime de propitiation pour le monde entier. Il avait glorifié Dieu que le péché de l’homme avait déshonoré.
La justice de Dieu était ainsi satisfaite et Sa sainteté magnifiée dans le sacrifice de Son Fils, comme elles n’auraient pu l’être d’aucune autre manière. En effet, quelle sanction plus grande pouvait leur être donnée que les souffrances et la mort du Fils unique de Dieu ? Combien elles apparaissent ainsi dans toute leur majesté ! Mais en cela aussi éclate l’amour merveilleux de Dieu qui a donné Son Fils, qui L’a livré pour nous tous, qui ne L’a pas épargné — l’amour, essence du Dieu suprême, qui maintenant que le péché est ôté, peut couler à pleins bords vers le pécheur, lequel, en croyant, est « justifié gratuitement par la grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus » (Rom. 3, 24). Dieu a mis sur ce sacrifice le sceau de Son approbation et de Son acceptation, en ressuscitant Christ et en Le plaçant à Sa droite dans le ciel.
Telle est la base inébranlable posée pour la rédemption de l’homme pécheur, tel est le fondement du salut. Par les souffrances et la mort de Christ, le péché a été expié, la puissance de la mort annulée et Satan vaincu. La base de la réconciliation avec Dieu a été établie, l’accès à Dieu est ouvert ; Dieu peut introduire le pécheur auprès de Lui, et sur le fondement de l’œuvre de Christ, Il peut édifier et édifiera une nouvelle création d’où le péché sera banni : Christ est « l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde », Il abolit le péché par le sacrifice de Lui-même ; le résultat final est un ciel nouveau et une terre nouvelle où la justice habite.
Notons en passant deux opinions erronées détruites par ce que nous venons d’exposer, selon les Écritures : la première est que Dieu peut pardonner au pécheur ses fautes par Sa pure miséricorde, sans exiger une satisfaction, sans qu’il soit besoin d’un substitut, et qu’ainsi la mort de Christ n’a d’un sacrifice que la forme, qu’elle n’est que le couronnement de Son obéissance et qu’Il nous trace par là le chemin pour Le suivre. La seconde idée fausse, qui d’ailleurs se rattache à celle-ci, est que Christ est venu s’unir à l’humanité tombée, pour la réhabiliter.
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En attendant le résultat final que nous avons mentionné plus haut, quel est pour l’homme ici-bas le bénéfice de l’œuvre de Christ ?
Nous l’avons dit : Le but de la venue du Fils de Dieu, c’est de chercher et de sauver ce qui était perdu ; le salut présent et éternel est le résultat de l’œuvre de Christ accomplie sur la croix. Mais bien que suffisante pour tous, selon la pensée de Dieu qui ne veut pas qu’aucun périsse, mais que tous soient sauvés, elle n’a son efficacité que pour ceux qui l’acceptent, qui croient. Le pécheur convaincu de sa culpabilité devant le Dieu juste et saint qu’il a offensé, se tourne vers la croix où Jésus, son substitut, a été cloué et a subi pour lui la condamnation qu’il méritait. Il croit, et il est justifié gratuitement devant Dieu, « par la foi en son sang », le sang de Christ. Ainsi se montre la justice de Dieu non en condamnant le pécheur repentant et croyant en Jésus, mais en le justifiant à cause de Jésus qui a glorifié Dieu et que la justice de Dieu a placé à Sa droite comme L’ayant pleinement satisfait. « Dieu est juste et justifiant celui qui est de la foi de Jésus » (Rom. 3, 21-26). Les conséquences pour le pécheur justifié et sauvé sont la réconciliation et la paix avec Dieu, la faveur de Dieu reposant sur lui, l’espérance assurée de la gloire de Dieu, la possession et la jouissance de l’amour de Dieu par l’Esprit Saint qui lui est donné. D’autres vérités non moins importantes se joignent à la justification et composent la rédemption dans le sens complet du mot. Nous ne parlons pas ici de la rédemption du corps.
En premier lieu, le croyant justifié a en Christ une position parfaite devant Dieu. Sans doute la justification fait partie de cette position ; mais, selon l’élection de la grâce, le croyant a été sanctifié, mis à part, par la Parole de Dieu qu’il a reçue, par l’Esprit qui opère en lui, et par l’aspersion du sang de Christ qui l’a lavé de ses péchés. Il est donc propre pour la présence de Dieu. Il n’est plus dans la chair — sa position comme descendant d’Adam — mais en Christ ressuscité. Étant en Christ, il est saint et irréprochable devant Dieu en amour, et rendu agréable dans le Bien-aimé. La sainteté qu’il a en Christ est une sainteté de position parfaite, inaltérable, car c’est en Christ qu’il la possède. C’est pourquoi il est dit : « Comme il est, Lui, nous sommes, nous aussi, dans le monde ». Ce n’est pas : « celui qui dit demeurer en Lui, doit lui-même aussi marcher comme Lui a marché ». Le premier passage se rapporte à la position et le second à la pratique. Or, nous ne devons pas plus confondre la sainteté de position avec la sainteté pratique, que nous ne devons confondre notre justice devant Dieu en Christ avec la justice pratique selon laquelle nous avons à marcher. Il est de la plus haute importance de ne pas mêler ces deux choses, notre position en Christ et la réalisation de cette position dans la vie pratique, cette dernière d’ailleurs étant la conséquence de la première.
« Notre vieil homme a été crucifié avec Christ », c’est un fait qui se rapporte à notre position. C’en est fait du vieil homme ; il a trouvé sa fin à la croix de Christ ; mais il n’est pas dit que nous devions le crucifier, puisqu’il l’est. Mais, dit l’Écriture, « tenez-vous donc pour morts au péché et pour vivants à Dieu dans le Christ Jésus », et quant à la pratique nous avons à « porter toujours, partout, dans le corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit manifestée dans notre corps ». « Vous êtes morts avec Christ » est aussi un fait dont la conséquence pratique est : « Mortifiez donc vos membres qui sont sur la terre ». De même encore : « Vous êtes ressuscités avec le Christ », par conséquent, « cherchez les choses qui sont en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ». « Vous avez dépouillé le vieil homme avec ses actions, et revêtu le nouvel homme », la conséquence est quant à la marche : « Revêtez-vous donc d’entrailles de miséricorde, etc. ».
En vertu de l’œuvre de Christ, le croyant a donc une position parfaite devant Dieu. Il n’est plus dans la chair, sujet à la condamnation, mais en Christ, et là il n’y a plus de condamnation. Il n’est plus sous la loi du péché et de la mort ; la loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus l’en a affranchi. Le péché dans la chair a été jugé et condamné en ce que le Fils de Dieu est venu en ressemblance de chair de péché pour être un sacrifice pour le péché ; ayant été fait péché pour nous.
Or c’est là pour l’âme l’affranchissement, chose toutefois à saisir par la foi et à réaliser dans la pratique, chose aussi d’expérience. Il ne faut pas confondre l’assurance du salut avec l’affranchissement. Notre justification en Christ assure notre position devant Dieu. Notre assurance est fondée sur l’acceptation de Christ comme sacrifice pour nos péchés, acceptation dont Sa résurrection et Sa glorification à la droite de Dieu sont le gage. L’affranchissement nous fait marcher en la présence de Dieu ; il se fonde sur notre mort et notre résurrection avec Christ, sur la vie de Christ ressuscité devenue notre vie, sur le fait que nous sommes en Lui et Lui en nous.
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Ici vient se placer la question de notre marche comme chrétiens. Il s’agit de marcher « d’une manière digne du Seigneur pour lui plaire à tous égards » ; « d’une manière digne de l’appel dont nous avons été appelés », appel céleste ; « d’une manière digne de Dieu, qui nous appelle à son propre royaume et à sa propre gloire ». Et Jean nous dit que « celui qui dit demeurer en lui (Christ), doit marcher comme lui-même a marché ». Voilà donc Christ qui nous est proposé pour modèle, et, comme dit un autre apôtre « afin que nous suivions ses traces ». Et pour que nous ne placions jamais trop bas la mesure de notre marche, il est dit : « Soyez donc imitateurs de Dieu, comme de bien-aimés enfants, et marchez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés ».
Mais comment marcher ainsi, « saints dans toute notre conduite » ? Ce n’est pas sur un principe de légalisme qui dirait : Il faut que tu marches de telle et telle manière ; ce n’est pas par des efforts humains que l’on y parviendra. Une des grandes et fatales erreurs de nos jours est de prêcher une sainteté pratique, d’adresser un appel à suivre et à imiter Christ, à des âmes irrégénérées, non converties, qui ignorent la repentance et la justification. On les invite à se donner à Dieu, à se consacrer à Lui ; mais cela suppose de la force en l’homme dans la chair, et il n’en a pas. C’est donc chose impossible dans son vrai sens. Il est vrai que l’apôtre dit : « Livrez-vous vous-mêmes à Dieu », mais qu’ajoute-t-il ? « Comme d’entre les morts étant faits vivants ». On peut montrer et admirer la beauté du caractère moral de Christ — un honnête homme du monde le verra — on peut dire : « Voilà celui qu’il faut imiter », mais l’homme dans la chair ne le peut pas, bien qu’il se fasse peut-être illusion. Pour pouvoir agir, il faut d’abord vivre ; d’entre les morts avoir été fait vivant. Or, on ne trouve pas la vie dans les efforts que l’on ferait pour marcher dans la sainteté, pour être en communion avec Christ mort et ressuscité. Une loi si sainte soit-elle, un modèle si élevé soit-il, ne communiquent pas la vie nécessaire pour obéir à cette loi, pour suivre ce modèle.
Que faut-il donc ? Il faut avant tout la vie et la puissance de la vie. Or, l’Écriture nous enseigne que s’il y a une œuvre objective opérée pour le salut du pécheur, œuvre qu’il s’approprie par la foi, il y a aussi une œuvre subjective, une œuvre opérée en lui, nécessaire pour s’approcher de Dieu, pour trouver son plaisir en Lui, pour être en communion avec Lui, pour être capable de réaliser pratiquement dans notre conduite la sainteté, la mise à part pour Dieu, la vraie consécration au Seigneur, et pour marcher avec Lui en suivant Ses traces. Cette œuvre en nous est la nouvelle naissance. Il faut naître de nouveau, naître d’eau et de l’Esprit, dit le Seigneur, pour voir le royaume de Dieu, pour y entrer. Il faut avoir une nature et posséder une vie propre à nous faire saisir les choses de Dieu et à en jouir ; une nature qui réponde à celle de Dieu, et c’est cette nouvelle nature, opposée à l’ancienne, la chair, qui est produite dans l’âme par le moyen de la Parole de Dieu (l’eau) appliquée par l’Esprit. L’Esprit Saint est l’agent, la Parole, l’instrument.
Mais on ne peut séparer la nouvelle naissance de la foi, de la foi en la Parole, de la foi en Christ. Ce sont ceux qui l’ont reçu, qui ont cru en Lui, qui sont nés de Dieu. Et c’est pourquoi, après avoir montré à Nicodème la nécessité de la nouvelle naissance (chose que le savant rabbin ne pouvait comprendre, bien que comme docteur d’Israël il eût dû la connaître, car Ézéchiel 11, 19 implique une chose nouvelle), le Seigneur lui parle des choses célestes, du dessein de Dieu, de l’œuvre par laquelle le pécheur pouvait être arraché à la perdition. C’était le Fils unique donné par l’amour de Dieu, Christ cloué et élevé sur la croix, et la foi Le saisissant comme tel, et ayant pour résultat la vie éternelle. Non pas seulement la vie éternelle plus tard, dans la gloire, mais déjà ici-bas une vie possédée par le croyant : vie qui a Christ pour objet, vie dans la connaissance et la jouissance de Son amour, dans la connaissance de l’amour du Père, vie qui fait saisir les choses célestes, en dehors de la chair et de ses convoitises, vie dans laquelle, par la puissance de l’Esprit Saint, se réalise la sainteté.
Cette vie est la vie de Christ. Elle ne saurait se séparer de Lui. C’est en vertu de cette vie que nous sommes en communion avec Lui, et c’est elle que nous avons à manifester dans nos corps mortels par la puissance de l’Esprit Saint. Ainsi nous marchons dans la sainteté pratique, Christ vivant en nous par l’Esprit, Christ habitant par la foi dans notre cœur, siège des affections, et pour le réaliser nous sommes fortifiés en puissance par l’Esprit. Par ce même Esprit le chrétien, contemplant Christ dans la gloire, est transformé à Son image. Ses pensées et ses affections ne sont plus de la terre, mais d’en haut où est Christ, sa vie. Ayant l’espérance d’être là un jour avec Lui, il se purifie comme Christ est pur.
La vie divine et céleste a été manifestée en Christ — Lui qui est la vie. Dans Sa personne et Sa marche ici-bas, Il a montré ce qu’elle est. Sa vie était une vie sainte, séparée absolument du monde et du mal, dans l’obéissance et l’amour, dans la dépendance constante de Dieu. Cette vie est celle du chrétien ; il a à la reproduire dans sa marche, « portant toujours, partout, dans le corps, la mort de Jésus, afin que la vie aussi de Jésus soit manifestée dans notre corps ». Elle peut être obscurcie, en nous et dans la jouissance que nous en avons, mais notre vie est celle de Christ ressuscité, dans la gloire. Sans elle, la communion avec le Père et avec le Fils est impossible. C’est en elle et en elle seule, que le chrétien peut marcher comme Christ, le divin modèle. Pour cela, la puissance est celle de l’Esprit qui est en lui. Car n’oublions pas que la caractéristique du christianisme est la venue et la présence permanente de l’Esprit Saint envoyé à la Pentecôte, et habitant dans le croyant, sceau de son adoption comme enfant de Dieu. Voilà donc ce qui seul peut faire réaliser la vraie sainteté pratique ; la vie de Christ en nous, et l’Esprit Saint comme puissance. « Si vous vivez par l’Esprit, marchez aussi par l’Esprit », dit l’apôtre. Une erreur dont il faut se garder, c’est de confondre la position parfaite de sainteté, que le croyant possède en Christ devant Dieu, et la sainteté pratique selon laquelle il doit marcher, dans laquelle il peut manquer et dans laquelle il a à faire des progrès.
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Résumons ce que nous avons dit. Dans le vrai chrétien, il y a deux choses, qui ne peuvent se séparer. Sa culpabilité nécessite la justification, mais avec une position parfaite devant Dieu en Christ, la conséquence est une marche nouvelle dans le monde, qui réponde à la sainteté et à la gloire du Dieu qui l’a justifié. Cette marche ne peut être que le résultat d’une nouvelle vie et de la communion avec Dieu. Par la foi — la réception de la Parole et de Christ — il est né de Dieu ; par la foi il est justifié, par la foi il a la vie éternelle. Comprenons bien sa position. Son vieil homme a été crucifié avec Christ ; il est mort avec Christ au péché, à la loi, et au monde, mais vivant à Dieu ; il est ressuscité avec Christ et possède la vie de Christ ressuscité et glorifié ; il est uni à Christ et ainsi assis en Lui dans les lieux célestes. Christ est sa vie ; il a crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises, de sorte qu’il ne vit plus selon la chair, mais selon l’Esprit et par l’Esprit. Quant au monde, il lui est crucifié, et le monde est crucifié pour lui ; il ne vit plus pour le monde et le monde n’est plus rien pour lui. Il vit dans la foi au Fils de Dieu qui s’est livré pour lui.
On voit donc qu’il ne s’agit pas d’une amélioration de la nature, d’un relèvement de l’homme dans la chair, ni d’une rénovation du monde, mais d’une création toute nouvelle : « Si quelqu’un est en Christ, c’est une nouvelle création », dit l’apôtre. « Nous sommes son ouvrage », dit-il encore, « ayant été créés dans le Christ Jésus pour les bonnes œuvres ». Remarquons aussi que rien n’autorise la pensée que le christianisme introduise une meilleure condition terrestre. « Vous aurez toujours des pauvres avec vous », est-il dit. Il donne une espérance céleste. Il y a sans doute la promesse que Dieu pourvoira aux besoins de Ses enfants, mais c’est tout.
Est-ce à dire que le christianisme n’a exercé aucune action sur la société ? Ce serait nier les faits. Faut-il, parce que nous ne sommes pas du monde, rester indifférents au mal et aux souffrances qui nous entourent ? À Dieu ne plaise ! La création tout entière soupire à cause du mal auquel elle est assujettie, et nous aussi nous soupirons et nous prions. Et quand, dans notre infirmité, nous ne savons que demander au milieu de tant de souffrances, l’Esprit Saint nous vient en aide et intercède par des soupirs inexprimables. Comme disciples de Christ aussi, nous avons à faire briller la lumière de nos bonnes œuvres, celles que Dieu a préparées pour que nous les accomplissions, et non celles que nous inventerions. Et cela non pour notre gloire, mais afin que le Père céleste soit glorifié. La vie chrétienne est active en amour, en bonté, en dévouement ; l’apôtre exhorte le peuple acquis par Christ, à être zélé pour les bonnes œuvres. À l’exemple de son divin Maître, le chrétien peut consoler et soulager. Le Seigneur a dit : « Vous aurez toujours les pauvres avec vous, et quand vous voudrez, vous pourrez leur faire du bien » ; et Paul adresse cette exhortation aux Galates : « Comme nous en avons l’occasion, faisons du bien à tous ». À Timothée, il écrit : « Ordonne aux riches… qu’ils fassent du bien ; qu’ils soient riches en bonnes œuvres, prompts à donner, libéraux ». Celui qui nous a dit d’aimer notre prochain comme nous-mêmes veut assurément que nous lui fassions du bien.
Mais nous ne voyons nulle part dans l’Écriture que les chrétiens — les vrais croyants — soient appelés à s’occuper des questions sociales, à y prendre part d’aucune manière, ni au gouvernement du monde pour en améliorer l’état matériel. Le chrétien traverse le monde en étranger ; il se soumet aux puissances établies de Dieu quelles qu’elles soient ; il annonce Christ par ses paroles et par sa vie dans le but de sauver des âmes. Le socialisme chrétien ou le christianisme social est une chose étrangère à l’Écriture.
On dira que vivre ainsi dans le monde, c’est être égoïste. Non, car nous avons dit que le chrétien est appelé à se dévouer comme Christ qui a laissé Sa vie pour nous. On affirmera encore que c’était bon au temps du paganisme de se tenir ainsi à part des questions sociales, qu’alors les chrétiens n’avaient pas à exercer ni à chercher à exercer une action sur le monde païen qui les entourait, qu’elle s’exerçait toute seule en ce que le christianisme pénétrait peu à peu dans les masses. Oui, le monde a été christianisé, le levain s’est répandu dans la masse. Le monde n’est plus païen extérieurement. Mais que voyons-nous dans la chrétienté qui au point de vue moral diffère du monde païen ? Nous avons montré que le monde, en lui-même, n’a pas changé. Le monde a été christianisé, disions-nous, et le christianisme s’est mondanisé. Quant aux misères et aux souffrances d’âme et de corps, individuelles, ou collectives et sociales, elles subsistent. Est-ce la faute du vrai christianisme ?
C’est vrai, dira-t-on encore, mais c’est que le christianisme n’a pas été compris dans son principe fondamental, dans son réel caractère et son vrai but. Voilà pourquoi il n’a pas eu sur la société l’action et les résultats qu’il devait produire, c’est-à-dire d’abolir l’égoïsme, l’hostilité des classes et d’établir la fraternité universelle. On en a fait, dit-on, une affaire de dogmes, une chose intellectuelle, et l’on veut, en en élaguant le dogmatisme, le ramener à son vrai caractère, l’amour et la vie, la vie pratique, se manifestant dans le dévouement des uns pour les autres. C’est au fond le tolstoïsme. Nous répondons : C’est bien, mais qui produira la vie, d’où l’amour naîtra-t-il, où trouvera-t-on le mobile puissant du dévouement ? La volonté de l’homme est pervertie, le monde gît dans le mal, et ce n’est pas par des efforts sur soi-même et sur le monde qu’on changera le cœur et qu’on transformera le monde. La loi dit : « Fais cela et tu vivras », et celui à qui elle s’adresse est sans force, et même il est mort. Que peut-il faire ? Mais le christianisme selon l’Écriture est, nous l’avons dit, « une nouvelle création », où l’on entre par la foi au Sauveur, où l’Esprit Saint produit en l’homme croyant une nature nouvelle, une vie nouvelle, dont les caractères sont ceux que manifestait Jésus, savoir la justice et l’amour. Que le monde reçoive le Christ de Dieu, et ces fruits se montreront. Mais le monde a haï et hait Christ, comment produirait-il quelque chose de bon ? L’arbre se connaît à son fruit. Il peut y avoir dans le monde chez certaines personnes, de la philanthropie ; mais si elle peut montrer quelques effets, elle ne réformera pas le monde. La vraie philanthropie (amour des hommes) est celle de Dieu qui a donné Son Fils, non pour rendre le monde meilleur, et y établir un ordre de choses parfait, mais pour sauver les pécheurs perdus et les introduire dans le ciel. On voit par là quelle opposition existe entre le dessein de Dieu et les aspirations du socialisme, fût-il appelé chrétien !
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Mais on parle du royaume de Dieu, d’établir le royaume de Dieu, d’avancer le règne de Dieu. On l’envisage comme devant amener par la prédication de l’évangile une ère de prospérité et de bonheur sur la terre. Quelques-uns, il est vrai, le placent dans le ciel. Examinons donc ce qu’est le royaume de Dieu au point de vue scripturaire. L’Ancien Testament annonce un temps où l’Éternel régnera sur la terre. Les prophètes en parlent ; les Psaumes le proclament. Ésaïe assigne le royaume au descendant d’Isaï, au fils de David, ainsi que l’Éternel l’avait dit au roi selon Son cœur. Jérémie parle de Lui (chap. 33, 15, 16), ainsi qu’Ézéchiel (chap. 37, 24). Daniel prédit un royaume succédant aux grands empires de la terre et qui ne sera jamais détruit (chap. 2, 44). Au chapitre 7, il nous montre le Roi de ce royaume. C’est le Fils de l’homme à qui l’Ancien des jours, le Dieu souverain, confère la domination universelle et les saints Lui sont associés. Il régnera avec justice, non seulement sur Israël, mais sur toutes les nations, et la paix sera établie sur la terre, en même temps qu’une prospérité sans égale sera la part de tous.
Or le Roi a paru dans la personne de l’humble fils de Marie, selon ce que l’ange avait annoncé à celle-ci : « Tu enfanteras un fils, et tu appelleras son nom Jésus. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-haut ; et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; et il régnera sur la maison de Jacob à toujours, et il n’y aura pas de fin à son royaume » (Luc 1, 31-33). Le Roi étant là, Jean le baptiseur, le Seigneur Lui-même et les apôtres, avant Sa mort, pouvaient donc annoncer que le royaume des cieux, ou de Dieu, s’était approché. De fait, le royaume était là, mais non pas établi avec éclat, de manière à attirer l’attention (Luc 17, 20, 21). Il était au milieu d’eux, les Juifs, dans la personne de Celui qui entra comme roi débonnaire, Roi de paix et de justice, dans Jérusalem, la capitale de Son royaume. Mais le Roi a été rejeté ; le royaume n’en subsiste pas moins, seulement il prend un autre aspect que celui qu’il aurait eu si Christ avait été reçu, et que celui qu’il aura quand Il l’établira avec éclat et puissance, par le jugement de Ses ennemis, quand Il le purifiera de tous les scandales et de ceux qui pratiquent l’iniquité, de ceux qui ont dit et qui disent : « Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous » (Luc 19, 14).
En attendant le Roi rejeté, Jésus expose à Ses disciples les mystères du royaume des cieux, l’aspect qu’il prend par suite de Son rejet. Nous le trouvons dans les paraboles de Matthieu 13 ; mais d’abord remarquons la différence qui existe entre les expressions « royaume des cieux » et « royaume de Dieu » ! La première indique où est le siège de la royauté, la seconde dit qui est la personne qui règne, et a une portée morale ; mais dans les deux cas, c’est le même royaume. Notons encore que pour les Juifs, le royaume de Dieu était l’heureuse époque où, selon les prophètes, le Messie régnerait sur la terre.
Que nous disent donc les paraboles auxquelles nous avons fait allusion ? L’aspect extérieur du royaume c’est un champ — le monde — où se trouvent mélangés le blé — les fils du royaume — et l’ivraie — les fils du méchant ; c’est un grand arbre — quelque chose d’élevé, d’apparent sur la terre — mais qui abrite toute espèce de choses mauvaises ; c’est une partie déterminée de pâte et du levain qui y est caché et qui y opère — une influence qui se répand dans toute la pâte — influence plutôt mauvaise qui finit par tout corrompre. L’aspect intérieur est ensuite présenté par le Seigneur. Dans le champ — le monde — se trouve caché un trésor ; Christ, qui l’y a trouvé, achète le monde au prix de tout pour avoir le trésor. Puis il y a pour le marchand une perle de très grand prix, l’Église, inconnue du monde dans sa vraie valeur, et que Christ acquiert ; et enfin, pour les pêcheurs, il y a de bons poissons qu’ils mettent à part. Remarquons que ces trois choses dans le royaume sont cachées à l’œil charnel, visibles à l’œil spirituel, et ensuite que ce qui est mauvais dans le royaume — le royaume lui-même ne l’est pas — sera détruit par le jugement ; l’ivraie est jetée au feu, les mauvais poissons sont rejetés ; les méchants périront. Au temps que le Père a réservé à Sa propre autorité (Act. 1, 7), le royaume des cieux, royaume du Fils de l’homme, sera établi sur la terre, non par l’action paisible de l’évangile, mais par la puissance divine se manifestant dans les jugements terribles qui frapperont le monde : les Juifs apostats et les nations rebelles, soulevés contre l’Éternel, et contre Son Oint (Ps. 2) et conduits par la Bête et le faux prophète (Apoc. 19, 19, etc.). Alors « le royaume du monde de notre Seigneur et de son Christ » sera venu ; royaume de paix et de justice où la terre heureuse jouira du repos, Satan étant lié pour mille ans. Alors seront réalisés les plus beaux rêves des ligues de la paix et du socialisme, mais ce sera par la puissance triomphante du Christ maintenant méprisé. Actuellement c’est pour le chrétien le royaume avec la tribulation et la patience de Jésus (Apoc. 1, 9), et où l’on entre par beaucoup d’afflictions (Act. 14, 22). On voit, si nous nous appuyons sur l’Écriture, combien les théories du socialisme chrétien, comme on l’appelle, sont erronées.
Le royaume, envisagé comme royaume de Dieu, a un caractère moral. C’est la sphère où l’autorité de Dieu est reconnue, et où la soumission à cette autorité est réclamée. C’est aussi une sphère de promesses et de bénédictions pour ceux qui y entrent. Que ce soit un caractère moral qui le distingue, c’est ce que nous fait connaître le mode d’introduction d’une âme dans ce royaume. On ne peut le voir — l’apprécier — on ne peut y entrer que par la nouvelle naissance, la participation à une nature et à une vie qui correspond à la nature et à la vie de Celui dont c’est le royaume, et qui rendent capable d’en apprécier et d’en goûter les bénédictions, la présence de Dieu et la joie de cette présence. Mais le royaume existe et dans ce sens il est établi. Il ne s’agit donc pas de l’avancer, mais d’y introduire les âmes. C’est pourquoi Paul prêchait le royaume de Dieu qu’il caractérise comme étant justice, paix et joie dans l’Esprit Saint ; et les croyants, quels qu’ils soient, sont les fils du royaume. L’évangile est annoncé, mais ce n’est plus, comme au temps du Seigneur, l’évangile du royaume. Dans les Actes et les épîtres, il n’en est jamais parlé. Ce qui est annoncé, c’est l’évangile de Dieu, de la grâce de Dieu, l’évangile de Son Fils, de la gloire de Christ, l’évangile du salut. Nous lisons bien que l’évangile du royaume sera prêché à toutes les nations (Matt. 24, 14), mais il ne s’agit pas du temps actuel, c’est quand viendra la fin et que les messagers d’entre le résidu d’Israël iront l’annoncer aux nations, avant que Christ vienne établir le royaume par Sa puissance. Retenons donc bien ceci, c’est que la prédication actuelle de l’évangile n’a point pour but d’établir le royaume de Dieu, encore moins le royaume des cieux ; il existe, bien que sous une forme mystérieuse, et par conséquent l’expression « avancer » ou « faire progresser » le royaume de Dieu, n’a point de sens, à moins que l’on ne veuille dire improprement par là : répandre la connaissance de Dieu et de Christ par la prédication de l’évangile.
En effet, quel est le but de la prédication de l’évangile ? Répétons-le, ce n’est pas de réformer l’homme, chose impossible, ni de rénover et de transformer le monde en s’y associant, ni d’établir le royaume, mais c’est de sauver les âmes et d’en former l’Église, ce qui, nous le répétons encore, ne laisse pas le chrétien indifférent aux misères et aux souffrances qui l’entourent.
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Mais ici vient se placer encore une question importante. Qu’est-ce que l’Église ? Nous avons à y répondre, non d’après les conceptions de l’esprit humain, mais selon l’enseignement des Écritures. L’Église n’est pas le royaume, bien qu’elle soit dans le royaume. Celui-ci a une acceptation plus étendue ; il dure, sur la terre, jusqu’à ce que le Fils le remette au Père (1 Cor. 15, 24). L’Église, après son passage sur la terre, demeure éternellement dans le ciel auprès de son Époux. Dans sa forme actuelle aussi, le royaume renferme un mélange de bon grain et d’ivraie, et cela dure jusqu’à la fin, où les moissonneurs, les anges, ôteront du royaume l’ivraie pour la jeter au feu. Ni l’une, ni l’autre de ces choses, ne peut se dire de l’Église, Épouse de Christ. L’Église, à un moment donné, se compose, sur la terre, de tous les vrais croyants, unis par le Saint Esprit à Christ dans le ciel, comme les membres d’un corps le sont à sa tête ; ils constituent ainsi le corps de Christ. L’Église sera complète dans le ciel, quand Christ à Sa venue aura ressuscité les fidèles délogés et transformé les fidèles vivants à ce moment, et les aura emmenés avec Lui, en haut dans la gloire. Elle a commencé le jour de la Pentecôte lors de la descente de l’Esprit Saint. Comparée à un édifice, c’est Christ qui la bâtit sur le roc, c’est-à-dire Lui-même, le Fils du Dieu vivant, et les puissances infernales ne peuvent rien contre elle. Elle est ainsi un temple saint qui s’élève, un tabernacle où Dieu habite par Son Esprit. Il est évident que, dans cette construction divine, il ne peut entrer que de bons matériaux, des pierres vivantes animées de la vie de Christ ; et de même, dans le corps de Christ, il ne peut y avoir des membres morts. Les autres traits qui la caractérisent sont qu’elle est une et qu’elle est céleste. Au point de vue des affections de Christ, elle est Son Épouse.
Mais l’Église devait avoir sa manifestation sur la terre, y être le vase de la lumière et du témoignage de Dieu dans le monde, et y montrer une vie céleste en suivant les traces de son divin Époux. C’était sa responsabilité de marcher ainsi. Elle a failli à sa vocation. Il suffit d’un coup d’œil jeté sur l’histoire de l’Église pour voir, dès les temps apostoliques, la ruine commencer par l’abandon des grandes doctrines du salut, par l’introduction d’erreurs et de pratiques superstitieuses et idolâtres, et l’Église devenir ce grand corps dont une partie prend le nom d’église catholique, apostolique, désignations auxquelles on peut ajouter celles de romaine et papale — un homme mis à sa tête et s’y arrogeant le titre de vicaire de Christ sur la terre. L’histoire nous dit sa corruption. L’autre partie, l’église grecque, séparée de Rome à une certaine époque, ne présente pas un tableau moins affligeant. Cet ensemble qui, avec les sectes protestantes, constitue la chrétienté, ressemble-t-il à l’Église telle que la Parole de Dieu la présente ? Dieu a eu, sans doute, dans tous les temps, de fidèles témoins plus ou moins éclairés, qui ne se sont soumis ni au joug romain, ni à l’église grecque, et qui ont donné leur vie plutôt que de renier Christ et Sa Parole ; mais l’Église, comme témoignage pour Dieu au milieu du monde, a complètement failli.
Mais la Réformation, dira-t-on, n’a-t-elle pas été un rétablissement de ce qui avait failli ? La Réformation a été une grande grâce de Dieu pour remettre en lumière Sa Parole, et faire briller de nouveau, par cette Parole, ce qui est le fondement du salut, la foi qui justifie le pécheur sans les œuvres. Du moment que la Parole de Dieu — la Bible — fut répandue, la lumière brilla au sein des ténèbres, et chacun put apprendre par elle la voie du salut et les saintes vérités qui s’y rattachent, et surtout ce qui concerne Christ, le Fils de Dieu, la Parole faite chair. Mais rétablir ce qui était ruiné était impossible. Loin de là, la ruine de l’Église, comme corps responsable, s’est d’autant plus accentuée. En effet, que voyons-nous actuellement ? Les églises romaine et grecque subsistent, et, à côté, le protestantisme, issu de la Réformation, avec ses innombrables sectes. Il y a plus ; c’est dans le protestantisme que s’est développé le rationalisme, ou, ce qui est plus exact, l’incrédulité plus ou moins avancée à l’égard des Écritures dont on sape toujours plus l’autorité, et à l’égard de la personne de Christ attaquée dans Sa divinité, et jusque dans Sa sainteté comme homme. Où donc est l’Église ? Extérieurement rien que ruine. Comme telle Christ la supporte encore, mais elle sera finalement rejetée. Toutefois n’oublions pas que ce que Christ bâtit, subsiste ; que l’évangile de la grâce étant prêché, des âmes sont sauvées, des pierres vivantes ajoutées à l’édifice spirituel qui s’élève selon les pensées de Dieu ; le corps existe, les membres, ici-bas, et la Tête, Christ, dans le ciel. Et bientôt enfin, Christ se présentera à Lui-même, dans le ciel, l’Assemblée pure, sans tache, ni ride, et glorieuse.
Si les réformateurs s’étaient bornés à annoncer le salut par la foi, à donner au peuple la Parole de Dieu, et à combattre par les Écritures les erreurs et les énormités de Rome, puis s’étaient attendus à Dieu en rassemblant les âmes sauvées autour de Christ, selon l’Écriture, il y aurait eu une grande bénédiction, non sans doute en rétablissant l’Église dans son état primitif, chose impossible, mais en s’attachant à suivre les principes de la Parole de Dieu, qui sont de tout temps. Au contraire, les réformateurs ont cru devoir former et organiser des églises, et leur exemple a été suivi. On les a établies selon certaines règles, on leur a donné des confessions de foi, des constitutions, tout un ordre humain, dont nous ne voyons pas trace dans l’Écriture, non plus que de la dépendance de l’état dans laquelle sont placées les églises dites nationales.
Très bien, dira-t-on ; mais les églises libres ou indépendantes ? Libres ou indépendantes, de quoi ? Ne point être salariées par l’état, voilà donc leur liberté ! Oui, mais avec cela, elles peuvent s’organiser elles-mêmes. Et c’est là le mal. Libres de l’état, libres d’agir selon la volonté de l’homme, mais hélas ! indépendantes aussi de Dieu et de Sa Parole. Non, les hommes n’ont pas le droit d’établir des églises et de leur donner un nom — un seul convient : l’Église de Dieu et de Christ. Nul ne peut dire mon église, l’église d’un tel, l’église de tel endroit ou de telle contrée. Cependant, objectera-t-on, nous trouvons dans le Nouveau Testament, les églises de la Galatie, celle de Corinthe, de Colosses, etc. D’accord ; là où des âmes étaient sauvées et s’attachaient à Christ, elles se réunissaient et formaient une assemblée dans le lieu où elles étaient. Mais était-ce une assemblée indépendante des autres déjà existantes ? Non ; chacune était une assemblée de Dieu, représentant dans sa localité l’Assemblée universelle, l’Assemblée une de Christ. Se donnaient-elles chacune une constitution et des règlements ? Le nom même en est ignoré. Leur constitution, la même pour toutes, était les ordres des apôtres. « Ainsi j’ordonne dans toutes les assemblées », dit Paul ; et leurs règlements étaient les principes de la Parole de Dieu. Établir des églises est chose inconnue dans l’Écriture. Autre chose est, au milieu de la ruine irréparable et toujours plus grande de l’église professante, de se rassembler comme membres du corps de Christ dans une dépendance entière de Lui comme Chef, autour de Lui, à Sa table, expression de l’unité de ce corps, sans règlements humains, dans la faiblesse sans doute, mais sous la direction de l’Esprit et l’enseignement de la Parole de Dieu, en communion avec tous ceux qui se rassemblent ainsi en dehors du mal et de l’erreur. Ces rassemblements ne sont pas des églises, au sens où on l’entend des églises nationales et autres qui ne sont, à proprement parler, que des systèmes humains, formés peut-être à bonne intention, mais qui n’ont pas la sanction des Écritures.
En même temps que l’on a prétendu établir des églises, on a voulu aussi, par des moyens humains, former, puis établir ceux qui auront à diriger ces églises, à instruire et à édifier ceux qui les composent. Il faut une préparation au ministère qu’ils auront à remplir. Pour cela, il a été nécessaire d’avoir des écoles de théologie. Qu’y enseigne-t-on ? Sont-ce les saintes lettres comme Timothée les avait apprises ? Sont-ce les vérités contenues dans cette Écriture divinement inspirée et propre à rendre l’homme de Dieu accompli ? Ne sont-ce pas bien plutôt des écoles de doute, de rationalisme, et hélas ! d’incrédulité, où des jeunes gens, peut-être pas même convertis, iront s’asseoir aux pieds de savants docteurs, et y apprendront à contester l’inspiration des Écritures et à rabaisser la glorieuse personne du Fils de Dieu, Le dépouillant de Sa gloire divine ? Puis, après des examens ayant pour but de constater leurs connaissances philosophiques et dogmatiques, plutôt que la réalité de leur vie spirituelle et de leur piété, on les consacrera, et ils seront placés par les hommes dans tels endroits désignés par des hommes. Où est l’appel divin ? Où sont les directions de l’Esprit ? Une fois occupant un poste, qu’enseigneront-ils, quelle édification apporteront-ils, que prêcheront-ils aux âmes altérées de salut et de paix, s’ils ne connaissent pas la vérité telle qu’elle est en Jésus, s’ils n’ont pas bu eux-mêmes à la source du salut, de la vie et de la paix, s’ils n’ont pas dans l’Écriture un guide et une autorité infaillibles, s’ils ne reconnaissent pas en Jésus le Fils unique, la Parole éternelle, Celui en qui est la vie, parce qu’Il est Dieu, et qui, comme tel, peut seul communiquer la vie ? Il en est sans doute qui ont cru, qui sont dévoués, désireux de faire du bien, qui prennent au sérieux leur ministère, mais ceux-là il faut les « orienter », dit-on, en vue des besoins de l’heure présente, comme si les besoins de l’homme pécheur et perdu n’étaient pas toujours et partout les mêmes ! Et c’est pourquoi on les voit, en grande partie, vouer leur temps et leurs forces à des œuvres philanthropiques, en vue de quoi ? Bien plutôt pour améliorer la condition matérielle des hommes que pour les diriger vers le ciel. L’évangile n’est-il pas la première chose à annoncer ? N’est-ce pas ainsi que faisaient le Seigneur et les apôtres ? N’est-il pas la vraie philanthropie, et, reçu dans le cœur, n’apprendra-t-il pas à renoncer à l’impiété et aux convoitises mondaines et à vivre dans le présent siècle, sobrement, justement et pieusement (Tite 2, 12) ? Tel est l’enseignement de la grâce.
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Reprenons le sujet dont nous avons parlé plus haut. Il faut dans l’Église un ministère évangélique, cela est évident. Mais quelle en est la source ? L’apôtre Paul répond : « C’est Christ qui est monté en haut ». C’est de ce moment que date le ministère chrétien. « Il a donné les uns comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres comme évangélistes, les autres comme pasteurs et docteurs ». Apôtres et prophètes ont passé ; ils étaient le fondement ; les évangélistes, pasteurs et docteurs, restent jusqu’à la fin (Éph. 4, 8-16), mais c’est Christ qui les donne. Ils ne se donnent pas eux-mêmes. Et ceux qu’Il donne ne peuvent pas être des inconvertis. D’où vient leur appel ? Est-ce le choix d’une vocation, comme on embrasserait celle de médecin ou telle autre, ou bien le désir de parents qui aimeraient que leur fils fût pasteur, et qui, en conséquence, lui font faire des études de théologie ? Non ; c’est Dieu qui appelle. Christ choisit et appelle les douze apôtres et plus tard les soixante-dix disciples. Paul est apôtre par appel, et en plusieurs endroits il fait mention de cet appel (Act. 22 ; 26). Ceux que Christ donne, l’Esprit les doue pour le ministère qui leur est confié, et ceux-là Dieu les place dans l’Église selon Sa volonté (1 Cor. 12, 28).
Qui les envoie, qui les dirige, qui les enseigne ? Sont-ce des hommes qui les consacrent, qui leur assignent des postes, après examen fait de leur aptitude à être pasteurs, comme l’on dit ? Non, c’est Dieu et Son Esprit qui les envoie et les conduit. Paul est apôtre, « non de la part des hommes, ni par l’homme, mais par Jésus Christ et Dieu le Père ». L’Esprit Saint dit aux prophètes et docteurs d’Antioche : « Mettez-moi à part Barnabas et Saul, pour l’œuvre à laquelle je les ai appelés… Et eux étant envoyés par l’Esprit Saint », partent pour accomplir la mission qui leur est confiée. Et l’Esprit Saint les dirige, les conduit, et Dieu collabore avec eux (Act. 13, 1-4 ; 14, 26, 27 ; 16, 6, 7). À quelle école était allé Paul pour s’instruire ? Pas même à Jérusalem auprès des douze (Gal. 1, 17 ; 2, 6). Christ et l’Esprit l’enseignent. Quels savants docteurs ont instruit l’éloquent Apollos ? Il était versé dans les Écritures, c’est vrai, mais c’est un pauvre ouvrier et sa femme qui lui expliquent plus exactement la voie de Dieu.
On dira : « C’était bon alors, mais les temps ont changé, et il faut s’accommoder aux temps où l’on vit ». Mais je demande : Christ a-t-Il changé ? N’avons-nous pas la Parole de Dieu, et l’Esprit Saint n’a-t-Il pas été promis pour demeurer avec nous éternellement ? Le Seigneur n’est-Il pas libre de donner un pauvre artisan ou un simple paysan même comme évangéliste, pasteur ou docteur ? Et l’Esprit Saint, par le moyen de la Parole, ne peut-Il pas les douer, les former et les instruire pour le ministère auquel Dieu les appelle ? Ont-ils besoin pour cela de la philosophie, de l’histoire des dogmes, de l’éloquence, de l’exégèse, etc. ? Toutes ces études furent-elles nécessaires aux douze pauvres pêcheurs, et péagers qui annoncèrent l’évangile au monde ? Non ; Christ leur ouvrit l’esprit pour comprendre les Écritures (Luc 24, 45), et l’Esprit Saint les conduisit dans toute la vérité. Mais le fait est que de nos jours on veut que l’homme paraisse, soit mis en avant pour aider Dieu et même Le suppléer. Au fond, n’est-ce pas la foi qui manque ?
J’accorde que Dieu peut appeler, et qu’Il a appelé à un ministère des hommes possédant des connaissances diverses et une certaine science. Ils ont été préparés d’avance, et à leur insu, par Celui qui connaît toutes choses, dès le commencement, puis Dieu les appelle, les emploie, et fait servir la science qu’ils ont acquise au bien de Son Église. Paul a étudié aux pieds de Gamaliel. Il a appris les traditions et les subtilités rabbiniques. Une fois converti, il saura comment combattre les docteurs juifs et les judaïsants. Luther, dans sa vie monacale, dans les études qu’il a faites des théologiens du moyen-âge, a vu ce qu’est le papisme, ses doctrines et ses œuvres. Dieu lui en a montré la fausseté par Sa Parole, les Écritures, qu’il a lues et reçues dans son cœur, et qui l’ont délivré. Il peut alors combattre ce système antiscripturaire. On pourrait en citer d’autres. Mais ni Paul, ni Luther, ni ces autres, n’avaient étudié en vue de se préparer au ministère auquel Dieu les appela. De nos jours Dieu envoie, comme autrefois, ceux qu’Il veut employer ; Il les choisit où et comme Il veut, et ceux-là seuls sont vrais ministres de la Parole, Christ les ayant donnés, qui sont instruits par l’Écriture et l’Esprit Saint, et marchent sous Sa direction pour annoncer l’évangile.
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Cela nous conduit à examiner quel est le but du ministère, quel que soit le don de celui qui l’exerce. L’apôtre nous le dit : « En vue de la perfection des saints, pour l’œuvre du service, pour l’édification du corps de Christ, etc. », et cela en appelant les pécheurs à croire en Jésus pour être sauvés, en instruisant les saints pour les faire croître dans la vérité, la grâce et la connaissance de Jésus Christ, en les exhortant, les consolant, et les reprenant au besoin, en les rassemblant autour du seul et vrai centre, Christ. Que l’on étudie les Actes et les épîtres, et l’on verra que c’est bien là, en effet, le but que se proposent les ouvriers du Seigneur.
Mais on dit qu’il faut « être de son temps », que l’on ne peut « se soustraire à l’influence des idées courantes », qu’il faut « s’adapter aux besoins d’aujourd’hui ». Au risque de nous répéter et de passer pour arriéré, nous dirons encore : Nous avons affaire avec l’homme pécheur, corrompu, éloigné de Dieu et perdu. Son seul vrai, son profond besoin, celui qui domine tout, c’est aujourd’hui comme autrefois d’être sauvé, réconcilié avec Dieu, préparé pour le ciel, seule vraie condition de bonheur ici-bas même. La vie n’est qu’un court passage, la grande réalité c’est la vie de l’au-delà, l’éternité vers laquelle nous sommes entraînés par le courant rapide du temps. Ce n’est pas plus ou moins de bien-être ici-bas qui importe. Or, pour répondre à ce besoin suprême, inconscient chez la multitude, mais qui se trahit par le désir chez tous d’être heureux, il n’y a que Christ. Le monde qui nous entoure est « le présent siècle mauvais ». Les influences qui s’y exercent sont délétères ; nous n’avons pas à nous y conformer, mais au contraire à les fuir (Rom. 12, 2). Christ s’est donné afin de nous en retirer (Gal. 1, 4), nous n’avons donc pas à nous « adapter au monde », sous prétexte de le transformer, y exerçant une action salutaire. « Ce qui était dès le commencement », voilà en quoi le chrétien est appelé à demeurer, et ce commencement c’est Christ, la personne adorable du Fils de Dieu, la Parole éternelle, la Parole de vie, la lumière qui est venue briller dans le monde, et que le monde n’a pas reçue. C’est Lui qui était le thème de la prédication apostolique : « Nous prêchons Christ crucifié, scandale aux Juifs, folie aux Grecs, mais Christ la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu à ceux qui sont appelés » (1 Cor. 1, 23, 24). Le christianisme ne varie pas ; il n’y a pas pour le temps actuel un christianisme nouveau. On ne peut prêcher un autre Christ, ni un autre évangile, dit Paul. « Christ est le même hier, aujourd’hui et éternellement ».
Il est vrai que Sa personne est voilée à l’incrédulité. Pour s’accommoder aux besoins du temps, aux idées courantes, on l’amoindrit, on la rabaisse, on veut la rendre pour ainsi dire plus humaine ; on Lui prête des idées et un but que l’Écriture ignore ; on fait de Lui un Christ humanitaire, socialiste, dirai-je. On ne veut voir que les souffrances inhérentes à notre condition actuelle, que les misères matérielles, ou si l’on pense aux misères morales, c’est surtout en vue des conséquences physiques et terrestres, et l’on veut appliquer le christianisme à leur soulagement, en perdant plus ou moins de vue le but autrement élevé qu’il place devant nous. De là l’activité fiévreuse que l’on voit se traduire en sociétés de toute espèce pour le relèvement, pour l’abstinence, etc. Des œuvres, des œuvres, dit-on. On ne veut plus voir en Christ que Celui qui soulage l’humanité souffrante ; et le vrai Christ, Celui qui est mort pour nos péchés afin de nous ouvrir la porte du bonheur éternel, le Christ céleste que nous présente l’Écriture, est délaissé et méconnu ; puis l’on accuse de ne rien faire ceux qui s’attachant à Lui, et qui — sans oublier de faire du bien aux pauvres, aux malades et aux affligés — ont pourtant plus souci des âmes que du corps, du ciel que de la terre, de l’éternité que des choses transitoires. Oui, Christ a passé de lieu en lieu faisant du bien, nourrissant les foules, consolant les affligés, pleurant avec ceux qui pleuraient, et nous avons à suivre Son exemple, mais Il a dit à ceux qui Le cherchaient et Le suivaient pour avoir du pain : « Travaillez, non point pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure jusque dans la vie éternelle et que le fils de l’homme vous donnera » (Jean 6, 27), mettant ainsi au-dessus de ce qui passe, ce qui est divin et permanent. Cette recherche presque exclusive d’améliorer les conditions matérielles de l’existence est l’effet d’une ruse de l’ennemi, qui, sous de beaux prétextes philanthropiques, pousse les chrétiens à s’associer au monde et détourne les âmes de « la seule chose nécessaire » — Christ et Sa Parole.
On a prétendu qu’il peut y avoir « différentes conceptions du christianisme » ; on a dit que l’un le voit sous un angle, un autre sous un autre. On a même invoqué pour cela ce que l’on nomme les divers points de vue des apôtres relativement à la vérité. Nous admettons pleinement qu’un chrétien puisse n’avoir d’abord qu’une vue restreinte des vérités divines, c’est pourquoi il est exhorté à « croître par la connaissance de Dieu », à croître « dans la grâce et dans la connaissance de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ ». Mais, quant aux apôtres, ils étaient conduits par l’Esprit Saint dans toute la vérité (Jean 14, 26 ; 16, 13) qu’ils devaient transmettre aux autres, et ils ne pouvaient avoir des vues particulières sur Christ. Il n’y a qu’un angle, le même pour tous, sous lequel on doit voir le Seigneur et la vérité révélée, c’est celui de la Parole divinement inspirée à laquelle nous avons à nous soumettre, et certes les apôtres voyaient tous Christ et la vérité dans leur plénitude, eux qui avaient reçu, « non l’esprit du monde, mais l’Esprit qui est de Dieu, afin », dit Paul de lui-même et des autres, « que nous connaissions les choses qui nous ont été librement données par Dieu ; desquelles aussi nous parlons, non point en paroles enseignées de sagesse humaine, mais en paroles enseignées de l’Esprit » (1 Cor. 2, 12, 13). Il est vrai qu’à chacun des écrivains sacrés il a été donné de présenter d’une manière spéciale telle ou telle partie de la vérité touchant Christ, Son œuvre et ce qui concerne la vie chrétienne. Matthieu, dans son évangile, présente le Seigneur comme le Messie, le Roi des Juifs promis et rejeté ; Marc nous montre en Lui le serviteur parfait ; dans Luc, c’est surtout le Fils de l’homme ; tandis que Jean place devant nous le Fils de Dieu. Mais pour chacun d’eux, c’est la même personne dans toute sa plénitude, la Parole éternelle devenue chair, Celui qu’ils ont vu, entendu, contemplé, touché de leurs mains, le Fils unique et bien-aimé de Dieu. Si à Paul a été donnée la révélation du mystère de l’Assemblée, si Jean a pénétré dans les profondeurs de l’amour divin révélé dans le Fils, si Pierre et Jacques ont été appelés à présenter plus spécialement la marche dans ce monde des pèlerins et étrangers se dirigeant vers leur patrie, est-ce à dire qu’ils n’avaient chacun que leur point de vue spécial qu’ils enseignaient et maintenaient ? Que faut-il penser d’une théologie paulinienne et d’une théologie johannite ? Ils avaient tous le même Christ dans Sa plénitude, ils possédaient tous la même vérité dans tout ce qu’elle renferme, tous le même christianisme que nous, à notre tour, nous devons avoir, car il ne varie point avec les temps : « Que ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous » ; c’est ce trésor que les apôtres possédaient et qu’ils nous ont légué.
Mais ceux qui voudraient que le christianisme aujourd’hui revête un autre aspect répondant mieux « aux aspirations du siècle », ne manquent pas d’arguments pour pousser les chrétiens à sortir de la sphère que Dieu leur assigne. Le christianisme, dit-on, n’a-t-il pas aboli l’esclavage ? Ne peut-il pas abolir le prolétariat, et n’avons-nous pas comme chrétiens à joindre nos efforts à ceux qui sont tentés pour arriver à une meilleure répartition des biens, à empêcher l’oppression des uns par les autres, etc. ? Dieu est souverain ; Il agit comme il Lui plaît et par les moyens qu’Il veut ; mais pour nous la question est celle-ci : « Est-ce que j’agis selon la volonté de Dieu exprimée dans Sa Parole ? ». Et ensuite : « Christ est-Il accepté par le monde plus qu’autrefois ? ». Que les faits répondent. L’évangile est prêché ; comme au temps de Noé, l’Esprit lutte pour que cet évangile soit reçu ; mais le monde résiste à l’Esprit Saint et ne veut pas de Christ. Unirai-je mes efforts à ceux qui, sans Christ et sans Dieu, pensent transformer le monde ? « Ne vous mettez pas sous un joug mal assorti avec les incrédules », dit l’Écriture. « Laisse les morts ensevelir leurs morts », dit le Seigneur, « mais toi, va et annonce le royaume de Dieu ». Voilà la vocation chrétienne : « annoncer les vertus de Celui qui nous a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière », afin que d’autres passent aussi « des ténèbres à la lumière, et du pouvoir de Satan à Dieu » (1 Pier. 2, 9 ; Act. 26, 18). C’était la mission de Paul ; c’est aujourd’hui celle des chrétiens : sauver les âmes en les amenant à Christ, et non s’occuper de questions sociales.
* *
Encore un mot. Comme au temps de Paul, les croyants sont « de Dieu dans le Christ Jésus, qui nous a été fait sagesse de la part de Dieu, et justice, et sainteté, et rédemption » (1 Cor. 1, 30). Quel trésor nous avons là déployé devant nos yeux et que nous possédons en Christ ! Ces paroles définissent brièvement mais complètement ce qu’est le chrétien. En Christ, il est de Dieu ; il tire de Lui sa vie, sa nature, sa position. Il est de Dieu, et non du monde. Christ lui a été fait sagesse, cette sagesse opposée à celle du monde et que le monde n’a pas connue, sans quoi les chefs de ce monde n’eussent pas crucifié le Seigneur de gloire ; cette sagesse qui est Christ Lui-même et qui fait apprécier les choses comme Dieu les apprécie. Et enfin, en Christ le chrétien a sa justice, sa sainteté et finalement la rédemption, non seulement de l’âme, mais aussi du corps. Cela met l’homme et ses prétentions complètement de côté, « afin », ajoute l’apôtre, « que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur » (1 Cor. 1, 30, 31). Ici encore, nous pouvons voir qu’il s’agit, non d’une amélioration de l’homme et du monde, mais d’une chose en dehors du monde, d’une nouvelle création en Christ, apanage de tout croyant. Et cependant on a voulu y trouver, non pas la position et les privilèges du chrétien en Christ, mais trois périodes de la sagesse dans le christianisme actuel, périodes successives caractérisées, la première par le besoin de justification — c’est celle du réveil ; la seconde par le besoin de sainteté, et la troisième par le besoin d’expansion par des œuvres, de rénovation du monde par le christianisme ; ce serait la rédemption, le royaume de Dieu établi sur la terre. Nous ne nions pas l’existence de ces trois périodes, mais nous nions que ce verset s’y applique ; il est, nous l’avons dit, et le contexte le prouve, l’expression de ce qu’est le croyant en Christ. Et bien loin que ces trois périodes marquent un progrès, nous ne pouvons y voir qu’un déclin accentué, un abandon des principes précieux de l’Écriture, mis en lumière dans le temps du réveil.
En effet, à cette époque, il y eut une action manifeste de l’Esprit de Dieu, et les grandes vérités relatives au salut et à la justification par la foi, à la personne et à l’œuvre de Christ, à la position du chrétien devant Dieu, à sa relation avec Lui, à l’Église, au rassemblement des saints, au retour de Christ, furent prêchées, en même temps que les conséquences pratiques résultant de la vie de Christ et de l’action de l’Esprit Saint dans le croyant, c’est-à-dire la séparation d’avec le monde, la sainteté et la justice pratiques dans la marche, l’amour et l’espérance céleste dans le cœur.
Qu’il y ait eu un déclin, c’est manifeste dans certains milieux. Mais à quoi l’attribuer ? Ne serait-ce pas surtout au rationalisme qui, s’appuyant sur la haute critique, a ébranlé les fondements mêmes de la foi ? Il est vrai qu’à un certain moment a surgi un mouvement qui a entraîné et entraîne encore beaucoup d’âmes et que l’on peut résumer sous le nom de perfectionnisme. Ce n’est au fond que le renouvellement de la doctrine wesleyenne de la sanctification parfaite, absolue, intérieure, où l’on n’a plus de péché, et à laquelle on arrive tout d’un coup, par un acte de foi, ou par la consécration de soi-même à Dieu. Sans doute la Parole de Dieu appelle le chrétien à la sainteté pratique. Mais il ne faut pas oublier que le chrétien et lui seul, que le croyant, a une sainteté parfaite devant Dieu en Christ, que la sainteté pratique dans laquelle il doit marcher est une conséquence de sa position, et qu’il peut la réaliser, parce qu’il possède la vie de Christ et l’Esprit Saint. Un inconverti ne peut pas être appelé à la sainteté. C’est une erreur des plus graves, proclamée et prônée par certains ouvrages, que celle de prétendre que l’on peut imiter et suivre Christ, avant de s’être repenti et d’avoir été converti, avant d’avoir été justifié par la foi au sang de Christ, avant d’avoir été sauvé. C’est au fond le salut par des œuvres, un résultat d’efforts humains, et par suite une sainteté charnelle. Voilà pourquoi ce mouvement, loin d’être un progrès, est un déclin car il rabaisse la valeur de l’œuvre de Christ et relève l’homme à ses propres yeux. Le chrétien, le croyant justifié, sanctifié, mis à part pour Dieu, est appelé à réaliser cette mise à part. Il doit être « saint dans toute sa conduite », mais remarquons que la Parole de Dieu nous présente cette sanctification pratique comme une œuvre progressive. Le croyant est exhorté à se purifier « de toute souillure de chair et d’esprit, achevant la sainteté dans la crainte de Dieu » (2 Cor. 7, 1). Il doit « poursuivre la sainteté », et ayant l’espérance d’être semblable à Christ dans la gloire, « il se purifie comme Lui aussi est pur » (Héb. 12, 14 ; 1 Jean 3, 3). Et s’il peut le faire, c’est qu’il a la vie de Christ. Quant à prétendre que l’on peut arriver à un état où le péché n’existe plus en nous, c’est absolument contraire à la déclaration divine : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous » (1 Jean 1, 8). La chair est en nous et « convoite contre l’Esprit », nous ne devons pas céder à la chair et nous pouvons lui résister, car nous avons l’Esprit ; mais elle est là (Gal. 5, 16, 17, 25). Nous n’hésitons pas à répéter que, pour nous, cet appel à la sainteté en dehors ou à côté, on peut dire, des vérités fondamentales du salut, loin d’être un progrès, est une grave altération du vrai christianisme.
Enfin on nous dit arrivés à une troisième période, et nous y sommes effectivement. Mais cela aussi est-il un progrès ? On y convie les chrétiens à s’associer à une œuvre de régénération sociale commencée par des philanthropes, en faveur des pauvres, des souffrants, des misérables, victimes des injustices et des iniquités. C’est le christianisme social qui, répudiant tout le dogmatisme du passé, veut se dévouer, agir sur la société, la transformer dans ses institutions, établir le royaume de Dieu sur la terre selon une conception qui certes n’est pas celle de l’Écriture. Mais nous l’avons montré, s’il est du devoir de tout chrétien de faire du bien là où il est appelé, la vocation de l’Église n’est pas de chercher à améliorer le monde, mais d’appeler les âmes au salut par la prédication de l’évangile. Améliorer le monde et transformer la société ! Or, que voyons-nous autour de nous ? Le mal croissant, et l’impuissance de ceux qui voudraient s’opposer au torrent d’incrédulité, d’athéisme, d’anarchisme, toujours plus impétueux, sont rendus manifestes. La révolte ouverte et générale contre Dieu et Son Christ se prépare. Dieu met encore un frein à l’audace de l’homme pendant que le temps de la grâce dure encore. Et déjà nous pouvons entendre les bruits précurseurs du terrible ébranlement de toutes choses qui aura lieu quand, l’Église retirée dans le ciel, rien ne retiendra plus la révolte du monde contre Dieu et que le mal sera personnifié dans l’homme de péché. Et c’est pourquoi, au lieu de nous occuper de vaines théories pour améliorer ce qui peut l’être, appliquons-nous à faire connaître Christ, le Sauveur de ceux qui croient en Lui, le vrai Consolateur, qui ne leur promet pas des choses terrestres, un monde régénéré, mais qui leur assure maintenant une place dans le ciel et Sa gloire, dans la maison du Père, dans le repos, en attendant qu’Il établisse Son royaume de paix et de justice sur la terre pour ceux qui auront échappé aux jugements. Et dans un avenir plus éloigné viendra l’accomplissement de tous les desseins de Dieu : un ciel nouveau et une terre nouvelle où la justice habitera. Car là, « l’habitation de Dieu sera avec les hommes, et il habitera avec eux ; et ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera avec eux, leur Dieu. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux ; et la mort ne sera plus ; et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni peine, car les premières choses sont passées ». Et ce sera pour toujours. Que sont auprès de ces réalités divines les rêves les plus brillants de l’homme, les théories, fussent-elles accomplies, du socialisme, même du socialisme chrétien ?