Études Scripturaires:L’appel de Dieu ou considérations sur le caractère d’Abraham et celui de Lot

De mipe
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traduit de l’anglais sur la troisième édition par C.F. Recordon
Genèse 12-22
C.H. Mackintosh 1853

Par la foi, Abraham, étant appelé… sortit ne sachant où il allait.

De nos jours où la profession de christianisme est si générale, il importe tout particulièrement que les chrétiens soient bien pénétrés de la nécessité de réaliser individuellement l’appel de Dieu, sans lequel il ne peut y avoir ni fermeté ni persévérance dans la marche chrétienne.

Il est assez facile de faire profession quand la profession est en honneur ; mais il n’est jamais facile de marcher par la foi ; — il n’est jamais facile d’abandonner les choses présentes, dans l’espérance des « biens à venir ».

Une seule chose peut donner à l’homme la force de poursuivre jusqu’au bout une carrière qui, dans un monde où tout est mauvais — où tout est désordre — est toujours semée d’épreuves et de difficultés — c’est le principe énergique que l’apôtre appelle « la substance des choses qu’on espère, la démonstration de celles qu’on ne voit point » (Héb. 11, 1). Il faut que nous soyons bien persuadés de la réalité d’une gloire encore à venir — d’une gloire qui est digne de notre attente — d’une gloire qui fera plus que compenser toutes les peines et les fatigues d’un long pèlerinage — avant que nous puissions nous lever du milieu de nos circonstances naturelles et du milieu du monde, « pour poursuivre avec patience notre course dans le combat qui est devant nous » (Héb. 12, 1).

L’histoire d’Abraham nous donne un bel exemple de ces principes en action, exemple que fait encore ressortir, par le contraste, le caractère de Lot et celui d’autres personnages qui figurent dans le cours de la narration.

Au chapitre 7 des Actes des apôtres nous lisons les paroles suivantes, qui ont un rapport direct avec notre sujet : « Le Dieu de la gloire apparut à notre père Abraham, lorsqu’il était en Mésopotamie, avant qu’il habitât à Charran ; et il lui dit : Sors de ton pays et de ta parenté, et viens au pays que je te montrerai » (v. 2 et 3). Ici, nous voyons poindre les premiers rayons de cette lumière qui attira Abraham hors des ténèbres d’Ur des Chaldéens et qui, resplendissant de temps en temps sur son pénible sentier, donnaient chaque fois une nouvelle vigueur à son âme, alors qu’il cheminait à la recherche de « la cité qui a des fondements, dont Dieu est l’architecte et l’ouvrier ». « Le Dieu de la gloire », en révélant Son caractère à Abraham, lui fit voir, dans cette lumière, le véritable état des choses à Ur ; ensuite, Il lui donna de recevoir Son témoignage relatif à la gloire et à l’héritage à venir : aussi Abram n’hésite pas, mais sur-le-champ il se ceint pour se mettre en route.

Cependant en comparant avec soin le commencement du septième chapitre des Actes, avec le premier verset de notre douzième chapitre de la Genèse, nous découvrons un principe fort important. Depuis le moment où Dieu apparut à Abram jusqu’à celui où il arrive enfin dans la terre de Canaan, il se passa un événement qui nous présente une sérieuse instruction. Je veux parler de la mort du père d’Abram ; il est dit en Actes 7, après les paroles que nous en avons déjà citées : « Alors, étant sorti du pays des Chaldéens, il habita à Charran ; et de là, après la mort de son père, Dieu le fit émigrer dans cette terre où vous habitez maintenant » (v. 4). Cela nous aide à comprendre la force de l’expression employée en Genèse 12, 1 : « L’Éternel avait dit à Abram » etc. De ces deux passages, on peut conclure que, si Taré et sa famille s’étaient mis en chemin, comme cela nous est rapporté en Genèse 11, 31, c’était en conséquence d’une révélation faite par « le Dieu de gloire » à Abram ; mais il ne paraît pas que Taré en eût reçu une semblable de la part de Dieu ; car il nous est présenté comme un obstacle plutôt que rien autre pour son fils ; en effet ce ne fut qu’après sa mort, qu’Abram put entrer dans le pays de Canaan, c’est-à-dire parvenir à la destination que Dieu Lui-même avait fixée à son voyage.

Eh bien ! cette circonstance, quelque peu importante qu’elle puisse paraître à un lecteur superficiel, confirme avec beaucoup de force ce que déjà nous avons avancé, savoir que, à moins que l’appel de Dieu — ou la révélation procédant « du Dieu de la gloire » — ne soit personnellement réalisé, il ne peut y avoir ni persévérance ni fermeté dans la marche chrétienne. Si Taré eût réalisé cette vocation, d’un côté, il n’aurait pas été une entrave pour Abram dans le sentier de la foi, et d’un autre côté, il ne serait pas mort, comme un homme simplement naturel, avant d’atteindre le pays de la promesse. — Plus tard (en Gen. 24), Laban nous offre un exemple tout-à-fait analogue : il savait parfaitement apprécier la valeur de l’or, de l’argent et des joyaux que le serviteur d’Abraham avait apportés, mais il n’avait plus ni sens ni cœur, dès qu’il s’agissait d’apprécier le témoignage d’Éliézer, relativement aux choses à venir. En d’autres mots, il n’avait point reçu de révélation du « Dieu de la gloire », et en conséquence il fut et demeura un véritable enfant du monde.

La même vérité nous apparaît encore dans le récit de la conversion de Saul de Tarse. Il n’était pas seul, quand il fut renversé par l’éclat de la lumière qui resplendit du ciel ; or ceux qui étaient avec lui « virent bien la lumière » — ils furent témoins de plusieurs des circonstances extérieures qui contribuèrent à calmer et à convertir le furieux persécuteur ; mais, comme il le raconte lui-même, « ils n’entendirent pas la voix de Celui qui me parlait » (Actes 22, 9). Et c’est là la grande affaire. Il faut que la voix me parle — il faut que « le Dieu de la gloire » m’apparaisse, à moi, avant que je puisse prendre la position d’étranger et de voyageur dans le monde, et poursuivre avec persévérance la course qui m’est proposée. Ce n’est pas une foi nationale, ce n’est point une foi de famille, mais une foi personnelle qui fait de nous de vrais témoins de Dieu dans le monde.

Mais quand Abram fut délivré de l’obstacle qui l’arrêtait dans sa marche, ou en d’autres termes quand son père fut mort, il put entrer avec vigueur et décision dans le sentier de la foi — sentier que « la chair et le sang » n’ont jamais foulé, ne fouleront jamais — sentier qui, du commencement à la fin, est difficile, pénible, fatigant, et dans lequel Dieu seul peut soutenir l’âme. « Et Abram passa au travers de ce pays jusqu’au lieu de Sichem, jusqu’en la plaine de Moré ; et les Cananéens étaient alors dans ce pays-là. Et l’Éternel apparut à Abram et dit : Je donnerai ce pays à ta postérité. Et Abram bâtit là un autel à l’Éternel qui lui était apparu » (Gen. 12, 6, 7). Ici, nous voyons soudain Abram prendre position comme adorateur, en présence des Cananéens. L’autel le signale comme un homme qui, ayant été délivré des idoles d’Ur des Chaldéens, avait appris à se prosterner devant le seul vrai Dieu, « qui a fait les cieux et la terre ». Le verset suivant nous donne un autre grand trait du caractère de ce fidèle, savoir la tente, dénotant sa qualité d’étranger dans le monde. « Par la foi, il alla habiter dans la terre de la promesse, comme dans une terre étrangère, logeant dans des tentes avec Isaac et Jacob, les cohéritiers de la même promesse » (Héb. 11, 9).

Nous aurons plus tard occasion de revenir plus amplement sur ces deux traits importants de la vie d’Abraham ; nous nous contenterons donc, pour le moment, de constater le fait, que la tente et l’autel nous le présentent, de la manière la plus claire, comme un étranger et un adorateur, qui, par cela même, était entièrement séparé du train de ce siècle mauvais.

À peine Abram était-il entré dans la carrière, qu’il eut à rencontrer une de ces difficultés qui servent spécialement à éprouver la valeur de la foi, soit quant à sa nature, soit quant à son objet. « La famine était grande au pays ». La famine… dans le pays même où le Seigneur l’avait appelé et conduit ! Or, quand nous voyons l’épreuve et la douleur, des privations et des difficultés nous attendant sur « le chemin étroit et resserré », ce n’est certes pas chose facile d’y persévérer — d’y marcher en avant, et tout particulièrement lorsque nous découvrons, comme le fit Abram, qu’en sortant tant soit peu de ce chemin, nous serions entièrement exempts de l’épreuve spéciale qui nous apporte bien des angoisses. Les hommes de ce monde « ne sont point en travail avec les autres hommes, et ils ne sont point battus avec les autres hommes ». Ce qui contribue encore à accroître ce sentiment de trouble et d’anxiété, c’est l’absence totale, pour autant qu’il s’agisse de la vue, de tout ce qui pourrait contribuer à confirmer notre espérance. Abram ne possédait pas en Canaan même de quoi poser le pied — autour de lui la famine sévissait de tous côtés, excepté en Égypte : si seulement il pouvait y aller, il serait à son aise et dans l’abondance.

Et cependant l’homme de foi doit demeurer dans le chemin de la simple obéissance. Dieu avait dit : « Sors de ton pays… et viens au pays que je te montrerai ». Abram peut, il est vrai, découvrir plus tard que l’obéissance à ce commandement exige qu’il habite un pays, où la seule chose qui l’attende, ce semble, c’est la disette. Mais alors même qu’il en serait ainsi, Dieu n’avait nullement modifié le commandement. Non — la parole était simple et précise : « Viens au pays que je te montrerai ». Elle devait être aussi vraie et aussi obligatoire pour Abram, quand la famine se faisait sentir autour de lui que quand la paix et l’abondance y régnaient. La disette n’aurait donc pas dû l’engager à quitter le pays, non plus que l’abondance à y demeurer. Les termes qui devaient seuls influer sur lui étaient : « Je te montrerai ».

Mais Abram s’éloigne de cette terre de Canaan — il succombe, pour un moment, à la pénible tentation ; ses pas dévient vers l’Égypte ; il laisse derrière lui sa tente et son autel. En Égypte il trouva le soulagement qu’il cherchait et le luxe — il y échappa, sans doute, à la redoutable épreuve dont il avait souffert « au pays de la promesse » ; mais, pendant tout le temps qu’il y fut, il perdit son culte et sa position d’étranger, c’est-à-dire précisément ce que le cœur d’un pèlerin devrait toujours estimer au-dessus de tout le reste ici-bas.

En Égypte, Abram ne trouvait absolument aucune nourriture pour l’homme spirituel ; en tant qu’homme naturel, il pouvait y trouver et il y trouva, en effet, l’abondance, mais c’est là tout ce qu’elle pouvait procurer. L’Égypte ne donnait rien à Abram, à moins qu’il ne renonçât à son caractère soit d’étranger soit d’adorateur du vrai Dieu. Il est presque superflu de faire observer qu’il en est toujours absolument de même à l’heure qu’il est. Il y a, dans le monde, une abondance dont notre vieil homme pourrait se repaître à discrétion. Il y a de nombreuses délices « de la chair et de l’entendement », et de nombreux moyens de satisfaire les désirs du cœur ; mais à quoi servent toutes ces choses, dont la jouissance a nécessairement pour effet de nous faire sortir du sentier de la foi — du sentier de la simple obéissance ?

La question se pose donc ainsi pour le chrétien : Qu’est-ce que je dois préférer : l’or, l’argent et les troupeaux — le luxe actuel et l’opulence de l’Égypte, ou la tente et l’autel de la terre promise ? Que voudrais-je posséder : les aises charnelles et les voluptés du monde, ou une paisible et sainte marche avec Dieu ici-bas, et le bonheur et la gloire dans l’éternité ? Nous ne pouvons avoir l’un et l’autre ; il faut choisir ; car « si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui ».

Et si quelqu’un demande : mais pourquoi Abram dut-il rencontrer la famine et l’épreuve dans le pays de la promesse ? Pourquoi n’y trouva-t-il pas une patrie et l’abondance ? La réponse à ces questions se trouve au chapitre 13, 7 : c’est parce que « les Cananéens et les Phéréziens demeuraient au pays ». Ce pays n’était pas encore préparé à devenir la demeure des rachetés de Jéhovah. La foi d’Abram avait pu le rendre capable de pénétrer à travers la longue et terrible période qui le séparait de l’accomplissement de la promesse ; mais c’était ce principe même de foi qui faisait de lui « un étranger et un voyageur ». Il pouvait attendre le temps de Dieu et jusque-là demeurer sans avoir « même de quoi poser le pied » (Act. 7, 5). Il en doit encore être ainsi maintenant. Le véritable homme de foi ne peut trouver un chez-lui dans le monde, parce que « les Cananéens » y sont. Bientôt il n’en ira plus de même, car « toutes les occasions de chute » seront recueillies et mises hors du royaume, et « les royaumes du monde deviendront les royaumes de notre Seigneur et de son Christ » (Apoc. 11, 15) ; alors la justice prévaudra d’une « mer jusqu’à l’autre mer, et du fleuve aux extrémités de la terre ».

Chapitre 13

Ce beau chapitre nous montre l’homme de foi restauré, ramené et relevé par la fidélité et la gratuité de Dieu, qui ne laisse jamais ses pauvres enfants s’égarer trop loin à travers champ, ni demeurer trop longtemps dans le chemin de l’infidélité. L’or et l’argent, les troupeaux et les esclaves de l’Égypte ne pouvaient pas longtemps satisfaire Abram ni compenser dans son cœur la privation de sa tente et de son autel. S’il est chassé de l’Égypte, à cause de son mensonge et de son infidélité, c’est ensuite le réveil de la foi dans son cœur, qui lui fait rebrousser chemin vers la terre de la promesse. Heureux réveil ! Réjouissant relèvement ! Preuve évidente d’une résolution ferme et sincère de servir le Seigneur. Le navire a beau être ballotté par les vagues et la tempête, l’aiguille aimantée pointe toujours au nord.

Quelques expressions du commencement de ce chapitre confirment pleinement ce que nous avons déjà dit, savoir que, « devant Dieu », Abram ne gagna rien par son voyage en Égypte. Ainsi, par exemple : « Abram s’en retourna en suivant la route qu’il avait tenue du midi à Béthel, jusqu’au lieu où il avait dressé ses tentes au commencement… au même lieu où était l’autel qu’il avait bâti au commencement » (v. 3 et 4). Les mots au commencement, deux fois répétés, me semblent prouver qu’Abram n’avait fait ni profit véritable ni progrès pendant qu’il était en Égypte, et que tout le temps qu’il y avait passé avait été, en quelque sorte, un temps perdu pour lui. Il y reçut, il est vrai, une salutaire leçon, et il est toujours bon pour nous d’apprendre, même par nos chutes, à nous défier de notre cœur et à redouter les funestes influences du monde. Abram apprit qu’il ne pouvait y avoir ni tente ni autel en Égypte. Ce n’est que la foi qui peut rendre un homme capable d’élever un autel ou de dresser une tente ; mais en Égypte tout est vue, la foi n’y a que faire : aussi dès l’instant qu’Abram y mit le pied, il cessa de manifester les véritables fruits de la foi — et ce sont précisément les mêmes motifs qui l’amenèrent, d’un côté, à quitter le pays de la promesse, et d’un autre, à abandonner son caractère d’étranger et d’adorateur.

Avec quelle force cela nous rappelle une proposition faite, longtemps après, par un roi d’Égypte à la postérité d’Abraham. « Pharaon appela Aaron et Moïse et leur dit : Allez sacrifier à votre Dieu dans ce pays » (Ex. 8, 25). Et voilà, ce semble, comment l’adversaire a toujours cherché à engager les enfants de Dieu — la sainte semence — à se souiller en sacrifiant à Dieu ou en L’adorant dans le monde ; c’est-à-dire, en s’efforçant de concilier leur caractère d’adorateurs de Dieu avec le caractère d’hommes du monde — d’hommes occupant une place dans la société où Christ a été méprisé et rejeté, et par là même, en professant, autant qu’il est en eux, qu’il n’y a point de différence entre la religion du monde et la religion de Dieu : effrayante illusion, capable de fourvoyer bien des âmes hors du chemin de la vérité et de la sainteté !

Il est bien triste d’entendre parfois des personnes qui devraient mieux connaître la vérité, mais qui prétendent manifester un esprit large et libéral, il est bien triste de les entendre parler de la religion du monde dans toutes ses formes variées, comme si tout cela était bon et légitime ; ou comme s’il était complètement indifférent de demeurer en communion avec l’erreur ou non. Oh ! ne nous laissons pas séduire. Le principe de Dieu quant à la séparation est aussi strict, aussi obligatoire de nos jours, qu’il l’était au temps d’Abram ou de Moïse. « Sortez du milieu d’eux, et vous séparez, dit le Seigneur, et ne touchez pas à ce qui est impur », voilà un ordre qui doit subsister aussi longtemps que « ce qui est impur » subsiste ; et aucune forme extérieure ne pourra jamais changer le caractère — le vrai, l’essentiel caractère de « ce qui est impur », de manière à le rendre pur.

Moïse n’était pas large et libéral dans le sens que l’on donne à ces mots, car il refusa sans hésiter de paraître approuver la religion du monde. « Il n’est pas à propos de faire ainsi », telle fut sa réponse. Réponse bien remarquable ! Plût à Dieu qu’il y eût parmi nous beaucoup plus de chrétiens qui, quand on les engage à soutenir ou à justifier la religion du monde, sussent aussi répondre : « Il n’est pas à propos de faire ainsi » ! Abram ne pouvait pas adorer Dieu en Égypte ; ses descendants ne le purent pas davantage.

Mais Abram avait, plus que d’autres, des difficultés à rencontrer. Le sentier, que tout homme de foi est appelé à suivre, passe entre deux dangereux extrêmes. L’un est la tentation de retourner au monde ; l’autre, d’avoir des querelles avec des frères en chemin. Abram venait d’échapper aux effets du premier de ces extrêmes ; nous allons le voir triompher de l’autre.

Dès l’instant qu’Abram est sorti d’Égypte, il nous apparaît d’une façon toute particulière, comme placé sous une nouvelle responsabilité, celle de marcher en bonne harmonie avec son frère. Quand il était en Égypte, cette responsabilité demeurait entièrement dans l’ombre. Les institutions de l’Égypte, ses lois, ses mœurs, son luxe et son bien-être devaient grandement contribuer à effacer de son esprit tout sentiment de ce genre. Toutes ces choses devaient avoir pour effet d’élever autour de chacun des barrières qui tendaient à l’empêcher de se souvenir qu’il était « le gardien de son frère ». Et il n’en va pas autrement aujourd’hui. — Aussi longtemps que nous demeurons dans le monde — le monde religieux, comme on l’appelle — nous nous trouvons et croyons complètement affranchis de la tâche difficile d’être « les gardiens de nos frères ». Ceux qui s’efforcent de justifier cette position dans le monde peuvent nier ce fait, mais ils le nient en vain, car l’Écriture et l’expérience le démontrent également. Abram et Lot ne se querellaient pas en Égypte, et un établissement religieux a, au moins, cela pour attirer des sectateurs — et ce n’est pas peu de chose ; je veux dire qu’il prévient en effet des frottements entre frères ; et naturellement, là où il n’y a pas de frottements, il ne peut pas y avoir de querelle ni de dispute ; et d’un autre côté, là où des frottements ont lieu, il faut qu’il y ait ou bien assez de grâce pour nous rendre capables de marcher néanmoins dans l’unité de l’Esprit, ou bien des querelles et des divisions. Mais l’Égypte détruit les ressorts de la grâce en nous sortant de la position de simple dépendance du Seigneur (car la dépendance produit toujours la grâce et le support) — et par là même, elle nous apprend ou du moins elle tâche de nous faire croire que nous n’avons pas besoin de grâce, en nous introduisant dans une sphère où la responsabilité envers les frères n’est jamais réalisée : ainsi nul besoin à ce sujet ne se fait sentir ; la faiblesse est prise pour de la force, la folie pour de la sagesse.

Quand le chrétien commence sa carrière, il ne rêve que perfection chez ses frères en Christ ; mais il ne tarde pas à s’apercevoir qu’il s’est trompé, car nous avons tous nos infirmités, et, comme un apôtre le dit, « nous bronchons tous en beaucoup de choses ». Mais comment, demandera peut-être quelqu’un, comment expliquer en Abram et Lot un aussi rapide développement de misères après leur sortie d’Égypte ? À cela nous répondons qu’ils étaient maintenant appelés à marcher à la seule lumière et par la seule force d’un principe, sans aucun des étais, aucune des barrières de l’Égypte. Ils devaient marcher par la foi, et « la foi déploie son efficace par le moyen de l’amour ».

« Or en ce temps-là, les Cananéens et les Phéréziens demeuraient au pays ». Ce fait seul aurait dû prévenir toute querelle entre des « frères », parce que les Cananéens ne peuvent rien comprendre aux infirmités des fidèles, et par conséquent ils mettent toutes les chutes de ceux-ci sur le compte de quelque imperfection dans les principes qu’ils professent.

Cependant, dans toute dispute entre frères, il y a faute quelque part. Dans la contestation entre Paul et Barnabas, l’un ou l’autre était en faute ; et il n’est pas très difficile de décider lequel avait tort. Barnabas était d’avis de prendre son cousin (comp. Act. 15, 37 et Col. 4, 10) avec eux, mais ce cousin s’était précédemment montré peu propre ou au moins peu disposé à « endurer les travaux, comme un bon soldat de Jésus Christ » ; aussi ce ne pouvait pas être avec un œil simple, regardant uniquement à l’œuvre du Seigneur, que Barnabas désirait s’associer Marc pour compagnon. Le Seigneur Lui-même décide la question en faveur de Paul, en lui procurant bientôt après un bien-aimé fils et un compagnon d’œuvre, en Timothée, dont il disait qu’il n’avait « personne d’un tel cœur » que lui.

Eh bien ! il en est exactement de même dans le cas d’Abram et de Lot. Nous n’hésitons pas un instant à affirmer que la faute était du côté de Lot, qui nous apparaît comme n’étant pas entièrement affranchi de l’esprit du monde ; or quiconque se laisse encore dominer par cet esprit trouvera toujours le chemin de la foi trop étroit pour lui ; il en fut ainsi dans ce cas : « ils ne pouvaient demeurer l’un avec l’autre ».

Et si quelqu’un nous demandait quels sont nos motifs pour prononcer que les torts étaient du côté de Lot — nous répondrions : 1° la conduite subséquente de Lot, et 2° les voies de Dieu avec Abram, « après que Lot se fut séparé de lui ».

Que fit donc Lot ? « Il éleva ses yeux ». C’est toujours ainsi que nous agissons quand nous ne sommes pas sous l’efficacité immédiate de la foi. Or toutes les fois que nous élevons nos yeux sans une direction du Seigneur, nous sommes sûrs de nous égarer. Je dis : « sans une direction du Seigneur », parce que nous voyons bientôt après l’Éternel ordonnant à Abram de lever ses yeux ; mais c’était là une toute autre chose que dans le cas de Lot, qui ne procédait que d’une sagesse et d’une prévoyance purement humaines. La sagesse et la prévoyance humaines ne nous aideront jamais à faire des progrès comme hommes de foi ; mais tout au contraire, la sagesse humaine nous suggérera toujours des expédients qui, si nous les adoptons, nous conduiront à l’opposite du sentier de l’homme de foi. Car Lot, en élevant ses yeux, ne pouvait rien voir au-delà des « choses visibles qui ne sont que pour un temps ». C’était là l’extrême limite de la portée de sa vision. Et les choses sur lesquelles ses regards s’arrêtèrent étaient précisément celles avec lesquelles il s’était familiarisé, pendant son séjour en Égypte ; en effet, il est dit verset 10 : « Il vit toute la plaine du Jourdain qui… était arrosée partout… comme le pays d’Égypte ». C’est là ce qui détermina son choix et c’est ce qui nous donne lieu de penser que, dans son cœur et dans ses affections, Lot n’avait jamais été réellement détaché de l’Égypte ; que jamais encore, à la lumière de choses plus excellentes, il n’avait appris à connaître l’insuffisance et la vanité des trésors de l’Égypte ; que jamais encore il n’avait su opposer à ce pays « la ville qui a des fondements, dont Dieu est l’architecte et l’ouvrier ». En un mot, Lot « ayant mis la main à la charrue », commençait maintenant « à regarder en arrière », et il montrait par là même qu’il n’était pas « propre pour le royaume de Dieu ».

Quelques mots, dans ce chapitre, sont comme une explication frappante de ce caractère de Lot. On les trouve aux versets 1 et 5 et déjà au verset 4 du chapitre précédent : « Lot alla avec Abram ». « Abram monta d’Égypte… et Lot avec lui ». « Lot qui marchait avec Abram ». Ces expressions nous dévoilent les causes de l’instabilité subséquente de Lot. Il paraît qu’il marchait avec Abram plutôt que avec Dieu, et la conséquence en fut que, dès qu’il fut séparé d’Abram, il n’eut plus aucun appui pour le soutenir. Jusqu’alors il s’était comme abrité sous la garde et la direction d’Abram au lieu de se placer directement devant le Seigneur ; aussi quand il perdit Abram, il ne tarda pas à s’égarer.

Le moment est aussi venu pour Abram « de lever ses yeux », au commandement de l’Éternel — et combien est différente la scène qui s’offre à sa vue ! Tandis que Lot ne pouvait pas dépasser les étroites limites des choses actuelles et visibles, Abram peut promener ses regards sur la longueur et la largeur de l’héritage de Dieu. Il s’élève hardiment sur les ailes rapides de la foi et va, pour ainsi dire, se perdre dans la gratuité illimitée de Dieu ; tandis que Lot, l’homme qui marche par la vue, va risquer de se perdre dans le gouffre sans fond de la corruption de Sodome.

Avant de quitter ce chapitre, jetons encore un regard sur les circonstances diverses de ces deux hommes qui étaient partis ensemble du même lieu. « Lot éleva ses yeux », et la perspective sur laquelle ils s’arrêtent était, comme on pouvait s’y attendre, appropriée à ses désirs naturels : « des plaines bien arrosées » qui, quelque belles qu’elles fussent aux regards de l’homme, n’en étaient pas moins, aux yeux du Seigneur, remplies d’une horrible méchanceté (comparez les versets 10 et 13). Abram, au contraire, laisse errer ses yeux sur la longueur et la largeur de l’héritage promis — il ne voit rien autre, il se borne à contempler le bon pays que Dieu réservait à sa postérité, et il prend une position qui est en harmonie avec ce qu’il vient de voir.

Ainsi nous voyons Lot dans l’impie et profane contrée de Sodome ; et Abram — l’étranger et voyageur, avec sa tente et son autel — va demeurer « dans les plaines de Mamré, qui est en Hébron » (v. 18). Nous passons au

Chapitre 14

Ici, nous avons un récit fort détaillé d’une bataille livrée « par quatre rois contre cinq ». L’on se demande quel rapport peut avoir cette lutte entre des « pots de terre » d’ici-bas, avec l’histoire du peuple de Dieu. Avec Abram, sans doute, elle n’en avait point dans un sens, car il était en dehors de tout cela. Sa tente le signalait comme un étranger à toutes ces choses — elle le signalait comme un homme pour qui la bataille de « quatre rois contre cinq » n’avait, par elle-même, aucune espèce d’importance. Et d’un autre côté, son autel le désignait comme un homme dont les désirs et les recherches étaient d’un tout autre caractère, car ils étaient célestes. Sa tente le caractérisait comme étranger sur la terre ; son autel, comme étant citoyen du ciel. Heureux Abram ! Heureux pèlerin, qui pouvait ainsi, de la position élevée qu’il occupait, de la haute tour de la foi, contempler en paix et avec indifférence les champs de bataille d’un monde méchant. Peu importait à Abram que le laurier de la victoire ceignît le front du roi de Sodome ou celui de Kedor-Laomer, roi d’Élam : ses vrais biens ne couraient aucun risque de cette querelle, parce qu’il les possédait dans un lieu « où les larrons ne percent ni ne dérobent ».

Mais si c’était l’heureux lot d’Abram d’avoir son trésor et son cœur hors et au-dessus de la portée des guerres, il n’en était pas de même de son frère, hélas ! mondanisé. Celui-ci s’était, par son propre choix, placé de telle manière, qu’il se trouvait au milieu même du débat ; aussi l’issue de cette bataille était nécessairement pour lui d’une très grande importance. Si l’enfant de Dieu arrive, de chute en chute, jusqu’au point de se mêler avec le monde, il peut compter de participer aux convulsions du monde ; or, malheur à celui qui aura choisi sa part dans le monde, en ce jour (qui est à la porte) où toutes choses seront ébranlées par la puissante main de Dieu agissant en jugement !

Je voudrais encore faire remarquer ici que la seule chose qui attire l’attention du Saint Esprit sur l’histoire des nations, sur les actes des puissants de la terre et des conquérants, c’est la relation de ces événements avec l’histoire du peuple de Dieu. Hors de là, ils n’ont aucune importance pour l’Esprit Saint, qui ne saurait se plaire à s’arrêter sur l’histoire abstraite de l’homme. Les débats agités et le tumulte des peuples — les sanglants démêlés d’impies tyrans se disputant le pouvoir suprême — les évolutions des armées — sont, par eux-mêmes, sans intérêt pour l’Esprit de paix. Néanmoins, quand ces événements se rattachent, en quelque mesure, à l’histoire d’une « âme juste », le Saint Esprit peut s’arrêter sur les moindres circonstances d’une bataille, comme on peut le remarquer dans le cas dont nous nous occupons maintenant.

Eh bien ! quels furent pour Lot les résultats de cette guerre ? La ruine et celle de sa famille. Il fut fait prisonnier et tous ses biens furent pris (v. 12). Il avait amassé pour lui-même un trésor sur la terre et les larrons l’avaient dérobé. Ainsi — tandis qu’Abram était au-dessus de tout cela par la puissance qu’il puisait dans sa séparation du mal et dans sa communion avec Dieu, Lot se voyait prisonnier et ruiné. Il avait semé à la chair, et de la chair il doit maintenant « moissonner la corruption ».

Quant à Abram, c’était précisément le moment de montrer l’énergie puissante de son amour. Jusqu’alors, comme nous l’avons dit, il avait pu contempler avec une calme indifférence ces mouvements des rois et de leurs armées ; mais la même foi, qui le rendait complètement neutre au milieu des débats des hommes, l’excitait à prendre un vif intérêt aux circonstances d’un frère dans la détresse. Si, d’un côté, la foi purifie le cœur des désirs mondains et charnels, d’un autre côté, « elle déploie son efficace par le moyen de l’amour », comme on le voit d’une manière si frappante en Abram : car « quand Abram eut appris que son frère avait été emmené prisonnier, il arma trois cent dix-huit de ses serviteurs » etc. (v. 14).

Cela nous fait voir encore que c’est dans l’heure de l’angoisse et de la tribulation que la relation de frère occupe la première place. Dans les jours sereins d’une paix que rien ne venait altérer, Lot pouvait bien être considéré par Abram comme « le fils de son frère » ; mais maintenant il est dans la peine, et ce sont les droits de la fraternité qui reviennent au cœur du patriarche, et qui agissent avec une puissante efficace sur lui. Lot, il est vrai, avait occasionné des querelles — il s’était séparé de son vénérable compagnon, il était allé se fixer à Sodome ; mais qu’importe tout cela ? Aujourd’hui il est dans le trouble, c’est pourquoi tout est oublié à la seule exception de ce fait, c’est qu’Abram et Lot sont frères.

Vient ensuite une scène d’un profond intérêt. Abram est sur le point de rencontrer une tentation — tentation soudain repoussée, il est vrai, par la puissance de Dieu qui agit en lui, mais qui n’en est pas moins une tentation. Le roi de Sodome allait arriver et étaler ses trésors devant les yeux d’Abram, qui, par nature, avait un cœur aussi susceptible qu’un autre de se laisser éblouir et captiver par ces trésors.

Il ne connaît pas son propre cœur, celui qui peut dire que le monde ne présente pas beaucoup d’attraits au cœur naturel. Il est une sorte de misanthropie qui peut paraître une élévation au-dessus du monde, mais qui, après tout, n’est rien moins que cela. Quand le cynique Diogène disait à Alexandre de se retirer de son soleil, il était tout aussi mondain et tout aussi orgueilleux qu’Alexandre lui-même. Il n’y a que la connaissance des choses célestes qui puisse réellement nous séparer du monde et nous élever au-dessus de lui, et, par la grâce de Dieu, Abram avait été amené à cette connaissance.

Mais ce n’est pas à quelque force qui fût en lui, qu’Abram fut redevable de la victoire qu’il remporta dans cette occasion. Je le répète, il avait un cœur très capable d’apprécier et d’aimer les choses que l’ennemi voulait lui donner ; si donc il triompha, ce dut être par l’efficace d’une force en dehors de lui. Dans toute cette conjoncture, Celui qui avait veillé sur Son bien-aimé serviteur durant la sombre période de son séjour en Égypte, et qui de plus, par ce séjour même, lui avait appris à discerner le vrai caractère du monde, veillait encore maintenant avec sollicitude sur toutes les voies de ce juste et préparait d’avance tout ce qu’il fallait pour le fortifier. Il connaissait, du commencement à la fin, tous les mouvements et les desseins de l’adversaire, c’est pourquoi Il prend soin de tenir prêt un céleste antidote qui neutralisera les effets du poison de l’ennemi.

Il est bien remarquable de voir que c’est dans l’intervalle qui sépare le moment où le roi de Sodome vient au-devant d’Abram, et celui où il lui fait une proposition relativement « aux personnes et aux biens », qu’un personnage éminent est introduit sur la scène, savoir Melchisédec. Cet étranger, délégué de Dieu pour cela, se met en chemin pour fortifier le cœur d’Abram, au moment même où l’adversaire s’était aussi mis en route pour l’attaquer (comparez les versets 17, 18 et 21). Or, pourquoi le « sacrificateur du Dieu souverain » ne vint-il pas plus tôt à la rencontre d’Abram ? Parce que c’était maintenant le moment où Abram avait surtout besoin de la force que Melchisédec devait lui apporter. L’adversaire allait déployer ses appâts dorés sous les yeux de l’homme de Dieu, et en conséquence Melchisédec est là pour présenter à ses regards les divines réalités du royaume. Il allait nourrir et fortifier l’âme du patriarche avec le « pain » et la réjouir avec le « vin » du royaume, en sorte que, « avec la force que lui donnait ce repas », il pût s’élever au-dessus de l’influence de toutes les séductions du monde. Cela nous apprend encore que c’est dans la communion avec les joies et les gloires du royaume, que nos cœurs trouvent la force de rejeter les souillures du monde.

Lecteur, de quoi vous nourrissez-vous ? Quels sont les objets qui constituent la nourriture habituelle de vos esprits et de vos cœurs ? Est-ce le pain et le vin que donne le Seigneur, ou sont-ce les biens de Sodome ? Vos oreilles sont-elles ouvertes aux funestes suggestions du roi de Sodome, ou aux célestes communications du roi de Salem ? Fasse le Seigneur que vos cœurs choisissent toujours les choses auxquelles Il prend Lui-même plaisir !

Mais, en outre, Melchisédec met l’âme d’Abram en communion avec le Dieu souverain, possesseur des cieux et de la terre, ce qui est un dernier trait du prodigieux contraste entre « le roi de Sodome » et « le Dieu Très-haut », entre « les biens de Sodome » et les possessions infinies des cieux et de la terre. Contraste béni, que la foi saura toujours discerner ! Il va sans dire que maintenant Abram repoussera sans hésitation les offres du roi de Sodome. Le pain, le vin, et la bénédiction du sacrificateur du Dieu souverain ont élevé Abram à une telle hauteur que, d’un seul et vaste regard, il pouvait embrasser les immenses possessions de la terre et des cieux, puis apprécier, de cette hauteur, les misérables propositions du roi de Sodome et les rejeter. Melchisédec venait de dire : « le Dieu souverain, possesseur des cieux et de la terre », et Abram s’empare de ces paroles et en fait usage dans sa réponse à l’adversaire ! « J’ai levé ma main à l’Éternel, le Dieu souverain, possesseur des cieux et de la terre, que je ne prendrai rien du tout de ce qui est à toi, depuis un fil jusqu’à une courroie de soulier, afin que tu ne dises point : J’ai enrichi Abram » (v. 22 et 23).

Abram semble ici respirer dans l’atmosphère même de la présence de Celui, « qui a mesuré les eaux avec le creux de sa main, et qui a compassé les cieux avec la paume ; qui a rassemblé la poussière de la terre dans un boisseau, et qui a pesé les montagnes au crochet et les coteaux à la balance ; aux yeux duquel les nations sont comme une goutte qui tombe d’un seau et sont réputées comme la menue poussière d’une balance. Voilà, il a jeté çà et là les îles comme de la poudre. Et le Liban ne suffirait pas pour faire le feu, et les bêtes qui y sont ne seraient pas suffisantes pour l’holocauste. Toutes les nations sont devant lui comme un rien, et il ne les considère que comme de la poussière et une chose de néant ».

Et nous pouvons bien le dire, ce n’est que dans cette position qu’Abram put et pouvait triompher. Ah ! que celui qui ne se meut pas, en quelque mesure, dans la même sphère, n’affecte pas de mépriser le monde ! — rien ne serait plus vain que cette prétention. Il faut que nous connaissions par expérience « la meilleure chose » ; il faut que nous sachions ce qu’est la précieuse et bienheureuse espérance « des biens à venir », pour que nous puissions remporter la victoire sur les choses visibles, actuelles, et sur nos convoitises mondaines. « Vous avez accepté avec joie l’enlèvement de vos biens, sachant en vous-mêmes que vous avez dans les cieux des biens meilleurs et permanents » (Héb. 10, 34). Si nous attendons véritablement la manifestation de la gloire, nous serons trouvés à part de tout ce qui sera jugé en ce jour-là, dont il est écrit : « Encore une fois, je remuerai, non seulement la terre, mais aussi le ciel. Or ce mot « encore une fois » indique le déplacement des choses ébranlées, en tant que choses qui ont été faites, afin que celles qui ne sont pas ébranlées demeurassent » (Héb. 12, 26, 27).

Le dernier verset de ce chapitre nous présente encore un trait intéressant du caractère d’Abram, ce véritable homme de foi. Il ne voulait pas forcer les autres à marcher selon la règle morale, si élevée, de sa conduite. Quoiqu’il fût à même de rejeter, de la manière la plus décidée, les offres du roi de Sodome, d’autres pouvaient ne pas être en état d’en faire autant ; c’est pourquoi il dit relativement à « Aner, Eshcol et Mamré : qu’ils prennent leur part ». De même, nous devrions toujours marcher « selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun » (Rom. 12, 3). On voit quelquefois des personnes qui, après avoir renoncé à bien des choses mondaines, se replongent ensuite plus profondément que jamais dans ces choses. — Pourquoi cela ? Parce qu’elles ont agi uniquement par imitation, par entraînement, par influence humaine, sans pouvoir dire avec Abram : « J’ai levé ma main à l’Éternel ».

Chapitre 15

Le premier verset de ce chapitre renferme un principe tout rempli de consolation et d’encouragement pour nous, principe éminemment propre à faire naître, à développer, à mettre en exercice un esprit de vrai dévouement au Seigneur. Nous pouvons admirer ici la grâce du Seigneur qui reconnaît et accepte le sacrifice offert sur son autel, l’offrande volontaire du cœur dévoué de son serviteur. Notre Dieu ne tarde jamais à reconnaître les actes de dévouement et à les rémunérer au centuple. Abram venait de manifester un esprit de renoncement en refusant les offres séduisantes du roi de Sodome. Il n’avait pas voulu être enrichi par un tel homme, et avait pris « le Dieu souverain » pour son lot et sa récompense : aussi l’Éternel vient fortifier l’âme de son serviteur par ces paroles : « Abram, ne crains point, je suis ton bouclier, et ta grande récompense ». « Dieu n’est pas injuste pour oublier l’œuvre et le travail de l’amour » (Héb. 6, 10). Nous avons déjà pu remarquer un principe analogue dans le chapitre 13, où l’on voit Abram céder ses droits à Lot, au sujet du choix du pays. L’unique sollicitude d’Abram dans cette circonstance, c’était la gloire de Dieu, qu’il désirait maintenir par l’accord et l’union de « frères », en présence « des Cananéens et des Phéréziens ». « Je te prie », dit-il, « qu’il n’y ait point de dispute entre moi et toi… car nous sommes frères ». Et ce n’est pas en exigeant des concessions de la part de Lot, qu’Abram veut empêcher les querelles ou y mettre fin. Non, il est, au contraire, tout disposé à faire, lui-même, toutes les concessions possibles, à se prêter à toutes les prétentions, à sacrifier toute espèce d’avantage, pourvu qu’il n’y ait plus d’occasion de dispute. « Tout le pays n’est-il pas à ta disposition ? ». Prends ce que tu voudras, choisis la plus belle contrée qui soit autour de nous. — Voilà, vraiment, de la libéralité, le désintéressement de la foi. Qu’était le pays pour Abram en comparaison de la gloire du Seigneur ? Rien. Il pouvait tout abandonner, renoncer à tout pour cette gloire. Or comment le Seigneur considère-t-Il et traite-t-Il cette abnégation de la part de Son serviteur ? Précisément comme Il le fait dans ce quinzième chapitre, en intervenant, dans la plénitude de Sa bonté, pour lui accorder cent fois plus qu’il n’a laissé. « Lève maintenant tes yeux… car je te donnerai, et à ta postérité pour jamais, tout le pays que tu vois » (13, 14, 15). Oh ! comme Il est bon, le Seigneur qui donne à Son serviteur la volonté et la force de Lui faire un sacrifice, et qui ensuite récompense ce sacrifice par un surcroît de bénédictions ! Telles sont Ses voies — Ses voies à jamais adorables !

Nous devons maintenant nous arrêter sur un autre trait du caractère d’Abram, qui manifeste, d’une manière toute spéciale, le haut degré de sa communion avec Dieu. Après toutes les révélations qu’il avait reçues de son Dieu, après toutes les promesses que l’Éternel lui avait faites, son âme aspire encore à la possession d’un objet, sans lequel tout le reste était imparfait pour lui. Sans doute, il avait parcouru, des yeux de la foi, l’héritage promis — le don magnifique de la divine bienveillance ; néanmoins, malgré tout cela, un grand désir de son cœur demeurait non satisfait ; il y avait encore, dans sa vie, une immense lacune. Il soupirait après un fils. Au jugement d’Abram, un fils seul pouvait compléter tous les privilèges précédents. « Et Abram répondit : Seigneur Éternel, que me donneras-tu ? Je m’en vais sans enfants, et celui qui a le maniement de ma maison, c’est cet Éliézer de Damas. Abram dit aussi : Voici, tu ne m’as point donné d’enfants ; et voilà, le serviteur né dans ma maison sera mon héritier » (v. 2 et 3). En suivant jusqu’ici la carrière de cet homme remarquable, nous l’avons vu déployer, parfois, un vraiment noble caractère. Sa générosité, la grande élévation de son esprit, ses mœurs d’étranger et pèlerin — tout dénote en lui un homme des plus éminents ; cependant je n’hésite pas à dire que, plus encore que tout ce que nous avons découvert en lui jusqu’à présent, le passage que je viens de citer nous montre en Abram une âme toute pénétrée d’affections célestes. Abram désirait de voir sa maison animée par les cris d’un enfant. Assez longtemps il avait expérimenté l’esprit de servitude, respiré par « l’intendant de sa maison » ; mais les titres de seigneur et maître, tout excellents qu’ils soient à leur place, ne pouvaient pas satisfaire le cœur d’Abram, car Abram avait été enseigné de Dieu ; or Dieu enseigne toujours à Ses enfants les choses qu’Il aime et qu’Il manifeste dans Ses voies à leur égard. Et ici, je voudrais faire observer, que dans le cas du fils prodigue, en Luc 15, nous voyons le développement d’un principe qui a beaucoup de rapport avec ce que nous venons de dire. Au milieu de sa profonde misère, le prodigue dit : « Je me lèverai, et j’irai vers mon père, et je lui dirai : Mon père ». C’est là un trait bien intéressant du caractère de ce pauvre égaré. Il avait un tel sentiment de la grâce de celui contre lequel il avait péché, qu’il pouvait encore dire : « Mon père », malgré sa longue carrière de folie et de rébellion.

Observons, de plus, avec quelle exactitude Abram saisit le grand principe, exposé plus tard par l’Esprit en Romains 8 : « Si enfants, aussi héritiers ». Abram sentait que la qualité de fils et celle d’héritier étaient inséparablement unies, et cela à tel point que, sans la première, la dernière ne pouvait pas exister. C’est là le sens et la portée de cette question : « Seigneur Éternel, que me donneras-tu, vu que je m’en vais sans enfants, et que l’intendant de ma maison est cet Éliézer de Damas ? ». Abram jugeait avec raison que ne point avoir de postérité, était équivalent à ne point avoir d’héritage, car la Parole dit, non pas : Si intendants ou serviteurs, donc héritiers ; mais : « Si enfants, donc héritiers » (Rom. 8, 17).

Combien n’est-il pas important que nous soyons toujours bien convaincus, que tous nos privilèges actuels et toutes nos perspectives d’avenir se rattachent intimement à notre caractère de fils. Sans doute, il est bon et même très précieux, à sa place, que nous réalisions la possibilité où nous sommes d’agir comme « des serviteurs fidèles et prudents », durant l’absence de notre Maître ; néanmoins les plus amples privilèges, les plus sublimes jouissances, les gloires les plus éclatantes qui nous appartiennent, par la grâce et la miséricorde de notre Dieu, sont étroitement liées à notre caractère et à notre position de fils (comparez Jean 1, 12 ; Rom. 8, 14, 19 ; 1 Jean 3, 1, 2 ; Éph. 1, 5 ; 5, 1 ; Héb. 12, 5).

Nous avons encore une sorte d’explication des doctrines de Romains 8, dans la vision qui termine ce chapitre, et qui fut accordée à Abram en réponse à cette question : « Seigneur Éternel, à quoi connaîtrai-je que je le posséderai ? ». Cette vision a pour but d’apprendre à Abram, que l’héritage ne peut être atteint qu’à travers la souffrance — que les héritiers doivent passer par la fournaise, avant de pouvoir entrer dans la jouissance des biens que leur réserve le Seigneur. Je suis persuadé que si nos expériences de la vie divine étaient plus habituelles et plus profondes, nous comprendrions infiniment mieux la convenance morale de ce mode d’éducation. Ici donc, la souffrance est liée, non à la qualité de fils, mais à celle d’héritier ; et la même instruction nous est présentée en Romains 8 : « Si enfants, aussi héritiers ; héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ ; si du moins nous souffrons avec lui, afin que nous soyons aussi glorifiés avec lui ». De même, dans Actes 14, 22 : « C’est à travers beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu ». Le Seigneur Jésus Lui-même n’a-t-Il pas aussi réalisé le principe dont nous parlons ? Avant que les mondes existassent, Il occupait la place et jouissait des privilèges de Fils (Prov. 8) ; cependant, avant de pouvoir mettre la main sur l’héritage, il faut qu’Il passe par la souffrance. Il devait être baptisé d’un baptême, et Il était pressé jusqu’à ce qu’il fût accompli. De même, quand Il se rappelle « que le grain de blé » doit tomber dans la terre et mourir, sinon il demeure seul », son âme est troublée. Eh bien ! nous devons Le connaître dans « la communion de ses souffrances », avant que nous puissions Le connaître dans la participation à Sa gloire. C’est à quoi sont appelés tous les rachetés dans tous les temps ; ainsi la grande foule, mentionnée en Apocalypse 7, de ceux qui portent des palmes dans leurs mains devront, eux aussi, passer par « la grande tribulation », avant d’arriver dans leur paisible demeure, dans leur patrie céleste. À l’appui de cette vérité, je pourrais citer une multitude de passages des Écritures, mais je me contenterai de renvoyer mes lecteurs aux suivants : Phil. 1, 29 ; 1 Thess. 3, 4 ; 2 Thess. 1, 5 ; 1 Tim. 4, 10 ; 2 Tim. 2, 12 ; 1 Pierre 5, 10.

Mais dans cette remarquable vision, deux choses méritent une attention toute particulière, parce qu’elles jouent un grand rôle dans toute l’histoire subséquente d’Israël : je veux parler du « four fumant et du brandon de feu » ou de la fournaise et de la lampe, du verset 17. Toute l’histoire d’Israël peut se résumer dans ces deux mots : « la fournaise et la lampe ». L’Égypte fut une fournaise d’épreuve pour la postérité d’Abraham, fournaise excessivement ardente, mais qui fut bientôt suivie du « brandon de feu » de la délivrance de Dieu. Le cri de cette postérité affligée était monté jusqu’aux oreilles de Jéhovah. Il avait entendu leurs gémissements et vu leur affliction et Il était descendu pour faire briller au-dessus de leurs têtes « la lampe » du salut. « Je suis descendu pour les délivrer », dit-il à Moïse. Satan peut prendre plaisir à allumer la fournaise et à en alimenter l’ardeur ; mais, d’une autre part, le Dieu tout bon prend toujours plaisir à projeter les rayons de Sa lampe sur le sombre sentier de Ses héritiers souffrants. Ainsi encore, quand Jéhovah, dans la fidélité de Son amour, les eût introduits dans le pays de Canaan, ils ne cessèrent d’allumer une fournaise par leurs péchés et leurs transgressions ; et de son côté, Dieu ne cessait de leur susciter des libérateurs dans la personne des juges, qui étaient pour eux comme autant de lampes de délivrance. Et puis, quand, à force de rébellions de leur part, ils furent plongés dans la fournaise allumée à Babylone, là aussi nous apercevons les lueurs du « brandon de feu », qui brille à la fin de tout son éclat pour leur complète délivrance, dans l’édit de Cyrus.

Or le Seigneur a pris soin de rappeler constamment cette vérité aux enfants d’Israël. Il leur dit : « Et l’Éternel vous a pris, et vous a tirés hors… du fourneau de fer » (Deut. 4, 20 ; 1 Rois 8, 51). Et ailleurs : « Maudit soit l’homme qui n’écoutera point les paroles de cette alliance, laquelle j’ai ordonnée à vos pères, le jour que je les ai retirés du pays d’Égypte, du fourneau de fer » (Jér. 11, 3, 4).

Enfin si l’on demande : Est-ce que les enfants d’Abraham, selon la chair, sont actuellement dans la fournaise de l’épreuve, ou sous les rayons réjouissants de la lampe de Dieu ? — car il faut qu’ils fassent l’expérience de l’une ou de l’autre — nous n’hésitons pas à répondre que c’est maintenant pour eux le tour de la fournaise. En effet ils sont dispersés sur la face de la terre pour être en opprobre, en proverbe, en raillerie et en malédiction parmi toutes les nations de la terre. Ils sont donc encore dans le fourneau de fer. Mais, comme cela a toujours eu lieu, « le brandon de feu » suivra certainement « le four fumant », car « tout Israël sera sauvé, selon qu’il est écrit : Le Libérateur viendra de Sion, et détournera de Jacob les impiétés » (És. 59, 20 ; Rom. 11, 26).

Ainsi nous voyons cette histoire si dramatique des enfants d’Israël, liée, d’un bout à l’autre, au four fumant et au brandon de feu, qu’Abram voit ici dans une vision. Les Israélites nous sont toujours présentés soit dans la fournaise de l’affliction à cause de leurs péchés, soit dans la jouissance des effets du salut de Dieu ; et même dans le moment actuel, où, comme nous l’avons dit, ils sont évidemment dans la fournaise, nous pouvons néanmoins entrevoir l’accomplissement de cette promesse de Dieu si souvent répétée : « Et j’en donnerai une tribu à son fils, afin que David, mon serviteur, ait une lampe à jamais devant moi dans Jérusalem, qui est la ville que j’ai choisie pour y mettre mon nom » (1 Rois 11, 36 ; 15, 4 ; 2 Rois 8, 19 ; 2 Chron. 21, 7 ; Ps. 132, 17). Mais où luit maintenant cette lampe ? Ce n’est certes pas sur cette terre, car Jérusalem, lieu de sa manifestation terrestre, est « foulée aux pieds par les Gentils » ; mais l’œil de la foi peut la voir briller d’un vif éclat dans le vrai tabernacle, où elle continuera à briller « jusqu’à ce que la plénitude des Gentils soit entrée ». Alors, quand la fournaise, aperçue dans notre chapitre par l’illustre père des Israélites, sera chauffée au plus haut degré d’intensité, quand le sang des tribus d’Israël coulera comme de l’eau autour des murailles de Jérusalem, oui, alors même, la lampe de bénédiction sortira du lieu où elle resplendit maintenant, et jettera sa réjouissante lumière sur le sombre chemin du résidu opprimé et affligé, en rappelant à son esprit ces paroles d’une application si fréquente : « Tu t’es perdu toi-même, ô Israël ! Mais en moi réside ton secours »[1].

Chapitres 16-17

Ces deux chapitres nous racontent l’expédient employé par Abram, à la sollicitation de sa femme, dans le but de se procurer par lui-même la postérité promise ; ainsi que la manière dont Dieu s’y prend pour lui faire comprendre l’inutile vanité d’un pareil recours aux seules forces naturelles.

Dès l’origine de la carrière d’Abram, nous avons vu sa foi mise à l’épreuve à l’occasion de la famine ; mais ici nous le voyons éprouvé d’une toute autre manière, qui impliquait un exercice de foi et d’énergie spirituelle beaucoup plus élevé. « Son corps déjà amorti et l’état de stérilité de Sara », quoique en général « il n’y regardât pas », doivent avoir agi avec beaucoup de force sur son esprit dans cette circonstance.

Or comme, dans le cas de la famine, l’Égypte se trouvait à la portée d’Abram, auquel elle offrait un moyen de sortir de détresse, et une abondance de vivres ; de même, dans le cas actuel, « une servante égyptienne » — probablement une de « ces servantes » qu’Abram avait reçues de Pharaon (12, 16) pendant son séjour dans ce pays si funeste à son âme — lui fut offerte comme un moyen de délivrance, lorsqu’il était dans l’anxiété au sujet de la postérité qui lui avait été promise, « et Abram acquiesça à la parole de Saraï ».

Mais pourquoi introduire chez lui l’élément de la servitude ? Pourquoi l’esprit d’Abram ne repoussa-t-il pas la pensée de la « servante et de son fils », de même qu’il avait repoussé la pensée d’avoir pour héritier « l’intendant de sa maison » ? La question : « Seigneur, que me donneras-tu ? » n’aurait-elle pas dû être faite relativement à ce dernier cas, tout comme elle l’avait été relativement au premier ? Assurément il était tout aussi contraire à l’économie divine d’accorder l’héritage à la postérité « de la servante », que de l’accorder « au serviteur ». Dans l’un et l’autre cas, c’eût été une reconnaissance ou une approbation des prétentions de la nature, qui ne peut jamais avoir lieu.

Les principes impliqués dans cet acte d’Abram nous sont pleinement exposés dans le commentaire inspiré que nous en donne l’épître aux Galates. Là nous lisons : « Abraham eut deux fils, l’un de la servante, et l’autre de la femme libre. Mais celui qu’il eut de la servante fut engendré selon la chair, et celui qu’il eut de la femme libre, le fut par la promesse. Ces choses sont dites allégoriquement, car ce sont les deux alliances : l’une, de la montagne de Sina, qui engendre pour l’esclavage, c’est Agar (car Agar est la montagne de Sina en Arabie, et correspond à la Jérusalem de maintenant, or elle est asservie avec ses enfants) ; et l’autre, la Jérusalem d’en haut, est la femme libre ; c’est la mère de nous tous » (chap. 4, 22-26).

Les églises de Galatie s’étaient laissé détourner de la simplicité et de la liberté en Christ, et elles en revenaient à « la chair ». On y commençait à mettre des cérémonies religieuses à la place de l’efficace énergique de l’Esprit de Christ. De là vient que l’apôtre, dans le cours de son argumentation avec eux au sujet de leur déplorable égarement, rappelle le fait raconté dans notre chapitre ; la manière dont il l’explique nous dispense de nous y arrêter davantage. Par cette démarche Abram ne fit que « engendrer pour l’esclavage » ; il introduisit dans sa maison un élément malsain et funeste ; et plus tard, comme nous le verrons, il dut le chasser avant qu’il acquit tout son développement.

Au chapitre 17, nous avons le remède de Dieu à un si grand mal. Il est bien consolant de voir comment le seul Bon intervient pour ramener Son serviteur à la simple mais difficile position de foi en Lui — simple, parce qu’elle ne présente qu’un seul objet à nos pensées — difficile, parce que nous y avons à lutter contre les effets d’un « méchant cœur d’incrédulité » qui nous porte « à nous retirer du Dieu vivant ».

« Puis Abram étant âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, l’Éternel lui apparut et lui dit : Je suis le Dieu Tout-puissant ; marche devant ma face, et sois intègre ». C’était là un remède efficace pour l’inquiétude et l’impatience : « Je suis le Tout-puissant » — Je puis ressusciter les morts — Je puis appeler les choses qui ne sont point comme si elles étaient — Je puis, s’il le faut, des pierres mêmes, te susciter des enfantsNulle chair ne se glorifiera en ma présence. « Je suis le Dieu Tout-puissant ; marche devant ma face, et sois intègre ».

Une des plus précieuses pensées dont nos esprits puissent être occupés, c’est peut-être le sublime principe qui nous est encore ici manifesté, savoir que notre Dieu désire se faire toujours mieux connaître, dans la variété de Ses perfections, à l’occasion des besoins de Son peuple. Nous avons vu déjà un exemple remarquable de cet important principe dans le cas de la rencontre d’Abram avec le roi de Sodome, au chapitre 14. Là, quand Abram était tenté par les offres de l’ennemi, il trouve de la force en apprenant à connaître Dieu comme « le Dieu souverain, possesseur des cieux et de la terre ». Le caractère de la communion, dans laquelle Melchisédec introduisit l’âme d’Abram, était bien approprié aux circonstances du patriarche. Il en est exactement de même dans ce chapitre 17. La communion avec le « Dieu Tout-puissant » était le seul moyen de dissiper l’impatiente anxiété quant à l’accomplissement de la promesse.

En effet, lorsque le Seigneur se révèle Lui-même dans Son caractère de « Tout-puissant », il n’est absolument rien qui puisse s’opposer au déploiement de Sa grâce ; car quand un pouvoir tout-puissant s’unit à une grâce toute-puissante en faveur du pécheur, la foi peut compter sur une riche et abondante moisson.

Aussi les promesses dont ce chapitre abonde sont précisément telles que nous pouvions les attendre : « Je te ferai croître très abondamment, et je te ferai devenir des nations ; même des rois sortiront de toi. Et j’établirai mon alliance entre moi et toi, et ta postérité après toi en leurs âges, pour être une alliance perpétuelle, afin que je te sois Dieu, et à ta postérité après toi. Et je te donnerai, et à ta postérité après toi, le pays où tu demeures comme étranger, tout le pays de Canaan, en possession perpétuelle, et je leur serai Dieu » (17, 6-8). Assurément ce sont là des promesses que la toute-puissante grâce pouvait seule faire entendre, que la force toute-puissante pouvait seule accomplir.

Ces promesses sont liées à l’alliance de la circoncision, qui est particulièrement importante, si on la considère comme se rattachant aux efforts propres d’Abram pour se procurer une postérité autrement que par les opérations de la puissance même de Dieu. Il serait utile de nous arrêter un peu sur la doctrine de cette alliance de la circoncision ; mais mon but, en étudiant cette histoire, n’est nullement de la traiter sous le point de vue des doctrines qu’elle renferme, mais plutôt d’en tirer quelques-uns de ces grands principes d’une tendance positivement pratique, dont elle est si riche. C’est pourquoi je passe rapidement sur les chapitres 16 et 17, qui contiennent une mine abondante de vérités précieuses sous le rapport des doctrines, qui suffirait amplement pour faire le sujet d’un traité spécial[2].

Avant de clore mes considérations sur cette partie de notre récit, je voudrais dire encore que c’est la foi seule, qui peut rendre capable, comme Abram le fait ici, de prêter l’oreille aux promesses du Dieu Tout-puissant ; or tant que la foi écoute, Dieu continue de parler. Abram obtient le changement de son nom en celui d’Abraham, et le Seigneur lui dévoile la future grandeur et la multiplication de sa postérité, tandis qu’Abraham écoute dans le respectueux silence de la foi. Mais lorsque « le Dieu Tout-puissant » en vient à Saraï et dit : « Quant à Saraï ta femme, tu n’appelleras plus son nom Saraï, mais son nom sera Sara. Et je la bénirai, et même je te donnerai un fils d’elle. Je la bénirai, et elle deviendra des nations ; des rois chefs de peuples sortiront d’elle » (v. 15 et 16), Abraham est comme accablé par ces assurances d’une puissance et d’une grâce qui doivent opérer de tels prodiges en sa faveur. Cela dépasse tout ce qu’il a entendu jusqu’ici et « Abraham se prosterne la face en terre ». Comme il est beau de voir Abraham ainsi prosterné dans la poussière, surmonté par la plénitude du pouvoir et de la grâce du Tout-puissant ! Ah ! nous pouvons bien dire, en méditant un passage tel que celui-ci, qu’il n’y a que la foi qui puisse vraiment accueillir « le Dieu Tout-puissant » ; seule, elle peut Lui donner la place dont Il est digne et qui Lui appartient ; seule, elle peut L’honorer, comme Il doit être honoré. Quand le Tout-puissant se manifeste, le moi doit être exclu : aussi, dans tout ceci, nous voyons Abram mis de côté — Saraï est perdue de vue — la servante et son fils disparaissent pour le moment — l’on ne voit plus que le Dieu Tout-puissant dans la souveraineté et la plénitude de Sa grâce et de Son pouvoir, et la foi qui se tient prosternée en terre, dans une silencieuse adoration d’un pareil déploiement des divines gloires.

Quelle différence entre ce chapitre et le précédent ! Là, nous voyons Abram prêtant l’oreille aux suggestions de Saraï sa femme relativement à la servante. Ici, nous le voyons prêtant l’oreille à la voix de Jéhovah, le Tout-puissant, qui va vivifier le corps amorti de Sara, appeler les choses qui ne sont point comme si elles étaient, afin que nulle chair ne se glorifie devant Lui. Là, c’est Abram et Saraï sans Dieu ; — ici, c’est Dieu sans Abram et Saraï. En un mot, là, c’est la chair ; ici, c’est l’Esprit — là, c’est la vue — ici, c’est la foi. Prodigieux contraste ! Exactement analogue à celui que l’apôtre exposait plus tard aux églises de Galatie, quand il s’efforçait de les arracher aux funestes influences des « pauvres éléments » de la chair et du monde, et de les ramener à la pleine liberté par laquelle Christ les avait rendus libres.

Chapitres 18-19

Je réunis ces deux chapitres, parce que, de même que ceux que nous venons d’examiner, ils nous présentent un contraste — contraste des plus marqués, des plus frappants, entre la position d’Abraham au chapitre 18 et la position de Lot au chapitre 19.

Quand Jude, non pas l’Iscariote, demanda à Jésus : « Seigneur, d’où vient que tu te feras connaître à nous et non pas au monde ? » le Seigneur lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui » (Jean 14, 22, 23). Ailleurs : « Voici, je me tiens à la porte, et je heurte ; si quelqu’un entend ma voix, et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, et je souperai avec lui, et lui avec moi » (Apoc. 3, 20). Eh bien ! Abraham nous fournit un commentaire des plus intéressants de la vérité présentée dans ces déclarations du Seigneur. « L’Éternel lui apparut dans les plaines de Mamré, comme il était assis à la porte de sa tente pendant la chaleur du jour » (18, 1). Ici, nous retrouvons Abraham dans la franche profession de son caractère d’étranger. Mamré et la tente sont associés dans notre esprit avec le jour de son triomphe sur le roi de Sodome. Abraham est toujours un étranger et un voyageur « demeurant dans des tentes ». La révélation qu’il a reçue du Dieu Tout-puissant n’a rien changé à son caractère sous ce rapport, mais lui a plutôt donné une nouvelle vigueur et une plus grande énergie. Une simple confiance aux promesses du Dieu Tout-puissant était le plus efficace moyen de lui faire conserver sa position d’étranger.

Or il est extrêmement instructif de voir quel honneur est ici accordé au caractère et à la condition d’étranger. Dans toute la vaste étendue de ce monde, il n’y avait absolument qu’un seul endroit où l’Éternel pût accepter l’hospitalité et se regarder comme chez lui : c’était sous la tente d’un étranger et voyageur. Le Seigneur n’eût pas voulu honorer de Sa présence les somptueux palais de l’Égypte. Non : toutes Ses sympathies et toutes Ses affections étaient concentrées sur l’étranger de Mamré, le seul homme qui, au milieu d’un monde mauvais, avait vraiment à cœur de prendre Dieu pour sa portion.

Quel moment de bonheur ce dût être pour Abraham, lorsqu’il vit ces étrangers célestes assis à sa table prendre part aux offrandes de son généreux cœur ! Remarquez avec quelle activité il met en mouvement toute sa maison afin de faire honneur à ses hôtes. Il court de la tente au troupeau, et du troupeau à la tente, et semble s’oublier lui-même dans ses efforts pour faire plaisir aux autres.

Et ce n’est pas seulement en participant à l’hospitalité d’Abraham que le Seigneur manifeste la haute estime qu’Il a pour lui ; mais aussi en lui renouvelant sa promesse relativement à un fils — et en lui dévoilant Ses décrets relativement à Sodome. « Cacherai-je, dit-il, à Abraham ce que je m’en vais faire ; puisque Abraham doit certainement devenir une nation grande et puissante, et que toutes les nations de la terre seront bénies en lui ? Car je le connais, et je sais qu’il commandera à ses enfants, et à sa maison après lui, de garder la voie de l’Éternel, pour faire ce qui est juste et droit, afin que l’Éternel fasse venir sur Abraham tout ce qu’il lui a dit » (v. 17-19).

Ici, Abraham nous apparaît comme « l’ami de Dieu » : « le serviteur ne sait pas ce que son maître fait » ; mais Abraham est informé de ce que le Seigneur allait faire à Sodome, tandis que Lot — lui qui était si directement et si fort intéressé à ce solennel événement — fut jusqu’au dernier instant laissé dans une complète ignorance à cet égard.

Et quel usage fait Abraham du privilège qui lui est conféré ? S’en sert-il pour assurer toujours plus solidement, pour garantir ou pour accroître les futurs intérêts de sa maison ? Sans doute le cœur naturel l’eût immédiatement poussé à tirer ce parti de l’avantage dont il jouissait dans sa proximité de Jéhovah. Mais écoute-t-il son cœur naturel ? Se prévaut-il pour lui-même de sa position bénie ? Recherche-t-il ses propres intérêts ? Non, Abraham avait assez été initié dans la connaissance des voies de Dieu pour savoir éviter cette voie d’égoïsme d’un monde sans cœur. Mais eût-il même eu la pensée d’une telle chose, il n’avait pas besoin de dire un seul mot sur ce sujet, car le « Dieu Tout-puissant » avait amplement satisfait tous les désirs de son cœur relativement aux intérêts éternels de sa maison ; Il avait établi cette maison sur un tel fondement qu’une pensée d’inquiétude ou d’anxiété en Abraham eût témoigné d’un complet désordre moral dans l’âme de celui-ci. Aussi il ne pense nullement à lui-même ou à sa maison, mais comme un véritable homme de foi, il profite de sa position devant Dieu pour intercéder en faveur d’un frère, que sa mondanité avait plongé au milieu même de la contrée qui allait être livrée à une destruction éternelle. « Et Abraham s’approcha, et dit : Feras-tu périr le juste même avec le méchant ? ». Le juste ! À qui peut-il faire allusion par cette expression ? Est-ce à l’homme qui avait si délibérément tourné le dos au sentier de la foi pour aller fixer sa demeure à Sodome ? Oui — c’est de Lot qu’il parle — c’est Lot qu’il appelle juste — il en parle précisément dans les mêmes termes qu’un apôtre en parlait plus tard par le Saint Esprit, quand il l’appelle « le juste Lot » et une « âme juste » (2 Pier. 2, 7, 8).

Abraham, lui aussi, était enseigné de Dieu ; c’est pourquoi il pouvait reconnaître « un juste, une âme juste » dans l’homme entouré de toute la corruption de Sodome[3].

Tout homme enseigné de Dieu reconnaîtra, sans doute, que la conduite d’Abraham dans ce chapitre met sous nos yeux l’un des plus importants résultats d’une marche sainte et séparée du mal. Nous y voyons un homme plaidant avec Dieu de la manière la plus instante en faveur de celui qui s’était détourné de lui et qui avait choisi Sodome pour son domicile. Comme l’âme d’Abraham devait être élevée au-dessus des « choses visibles », quand il pouvait ainsi oublier la « querelle » et le départ, la mondanité et le péché de Lot, et intercéder encore pour lui comme pour « un juste » ! Si, dans d’autres circonstances et dans d’autres scènes, Abraham nous apparaît comme « l’ami de Dieu », ici il se présente plutôt à nous comme l’enfant de Dieu, mettant admirablement en pratique les principes qu’il avait appris dans la communion avec son céleste Père.

Laissons maintenant, pour un moment, Abraham jouir de son heureuse position devant le Seigneur, pour contempler une dernière et déplorable scène de la carrière de celui qui semble avoir estimé les choses de cette vie beaucoup plus qu’il ne convenait à « un étranger et voyageur » ou à « une âme juste ».

Depuis la séparation d’Abraham et de Lot, le premier semble avoir marché « de force en force » ; tandis que l’autre, au contraire, semble avoir toujours reculé ou descendu d’infirmité en infirmité ou de chute en chute, jusqu’à ce que, finalement, nous le trouvons faisant naufrage et perdant tout, à la seule exception de sa vie qu’il emporte pour tout butin. La perte de tous ses biens lors de la bataille de « quatre rois contre cinq », n’eut, ce semble, aucune influence sur l’esprit de Lot, pour lui faire comprendre le mal et le danger d’être mêlé avec le monde ; au contraire, il paraît même beaucoup plus enfoncé dans la mondanité après cet événement ; auparavant il n’avait fait que « dresser ses tentes jusqu’à Sodome » (chap. 13, 12), tandis que, actuellement, nous le trouvons « assis à la porte de Sodome » (19, 1), ce qui, nous le savons, était alors la place d’honneur. Quand un homme a mis une fois la main à la charrue, s’il commence à regarder en arrière, « il n’est point propre pour le royaume de Dieu », nous dit Celui qui ne peut errer. Ah ! il n’est pas possible de calculer l’effroyable degré d’éloignement de Dieu où peut arriver un homme, dès l’instant qu’il a laissé le monde, sous une quelconque de ses faces variées, prendre possession de son cœur, ou qu’il a commencé à s’éloigner du peuple de Dieu. La terrible dégradation dont il est parlé en Hébreux 10, qui va jusqu’au point de « fouler aux pieds le Fils de Dieu », a pour origine l’acte, en apparence, bien peu grave « d’abandonner le rassemblement de nous-mêmes ». Combien il importe donc que nous prenions garde à nos voies, et que nous veillions sur les avenues de nos cœurs et de nos esprits, pour que nous ne nous laissions pas dominer par quelque péché qui, quoique pouvant d’abord paraître bien peu de chose, pourrait nous conduire aux plus effrayants résultats.

En examinant les détails qui nous sont donnés au commencement de ce chapitre 19, on y voit, de la manière la plus évidente, la preuve de l’état de chute de Lot. L’Éternel Lui-même n’y apparaît pas du tout. Il demeure à distance de la plaine souillée ; Il se borne à envoyer Ses anges exécuter Ses ordres à l’égard de la ville maudite de Sodome. Les anges, de leur côté, manifestent de toute façon leur éloignement, leur répugnance, leur position d’étrangers dans ces abominables lieux. Quand Lot les invite à entrer dans sa maison pour y loger, ils refusent en disant : « Non, mais nous passerons cette nuit dans la rue ». Et si ensuite ils cèdent aux instances de Lot et entrent dans sa maison, c’est bien moins pour y chercher du repos que pour y combattre les déplorables conséquences de la fâcheuse position de Lot. Quelle différence entre la scène actuelle et celle qu’ils avaient contemplée naguère près de la tente de l’étranger de Mamré. Le tumulte des hommes de Sodome — auxquels, malgré tous leurs actes et toutes leurs paroles impies, Lot donne le titre de « frères » — le visible embarras que Lot éprouve d’être trouvé par ses hôtes dans de telles circonstances — la détestable proposition qu’il est forcé de faire, dans le but de garantir les étrangers célestes de la violence des hommes impies de Sodome — le débat, le bruit affreux à la porte, le danger de Lot : toutes ces choses devaient être bien choquantes pour ces étrangers, et elles formaient un contraste des plus marqués avec la sainte paix, la tranquille retraite de la tente d’Abraham, ainsi qu’avec les procédés calmes et dignes de cet ami de Dieu, pendant tout le temps que les habitants du ciel avaient passé chez lui. Ces anges avaient donc bien sujet d’être étonnés de trouver, dans un semblable lieu, « un juste » qui eût pu, dans la compagnie de son frère séparé du mal, goûter les joies paisibles et saintes de sa marche ferme, conséquente et fidèle.

Mais l’heure était venue où la coupe de la colère de Dieu devait être répandue sur Sodome. « Ces hommes dirent à Lot : Qui as-tu encore ici qui t’appartienne ?… Fais-les sortir de ce lieu ; car nous allons détruire ce lieu, parce que leur cri est devenu grand devant l’Éternel, et il nous a envoyés pour le détruire » (v. 12 et 13). Le moment critique, désigné fréquemment dans les Écritures par le mot extrêmement solennel jusqu’à ce que, était arrivé pour les insouciants habitants de Sodome qui ne songeaient qu’à continuer « de manger, de boire, d’acheter, de vendre, de planter, de bâtir, de se marier et de donner en mariage ». Un répit d’un instant est accordé pour que Lot puisse porter à ses gendres un avertissement, un témoignage sur l’approche rapide du jugement ; mais, hélas ! quelle influence le témoignage d’un homme, qui était volontairement venu s’établir parmi eux, pouvait-il exercer sur ceux qui, dès leur enfance, avaient vécu sur ce théâtre d’impiété ! Comment Lot pouvait-il espérer que ses paroles auraient quelque poids, après que ses actes en avaient été si longtemps la flagrante contradiction ? Il avait beau maintenant, avec des traits bouleversés par la terreur et avec les supplications les plus vives, les presser de quitter un lieu qu’il savait être condamné à une éternelle destruction ; hélas ! ses gendres pouvaient se souvenir de quelle manière libre et délibérée il était venu, d’abord « dresser ses tentes jusqu’à Sodome », et finalement fixer sa demeure « à la porte » ; aussi, comme il était aisé de le présumer, « il semblait à ses gendres qu’il se moquait » (v. 14). Et si l’on ne considère que Lot, comment pouvait-il en être autrement ? Sans doute ses gendres devaient être, sans doute ils étaient responsables devant Dieu du rejet de ce témoignage, mais Lot ne pouvait, en aucune façon, espérer qu’ils feraient grande attention à ses paroles ; en effet, nous voyons que lui-même était lent à partir de la ville, car, « comme il tardait » — parce que son cœur était encore arrêté par tel ou tel objet qui lui était cher, « ces hommes le prirent par la main ; et ils prirent aussi par la main sa femme et ses deux filles, parce que l’Éternel l’épargnait ; et ils l’emmenèrent, et le mirent hors de la ville » (v. 16). D’après cela il est évident que, si ces hommes ne l’eussent pas « pris et emmené », Lot aurait sans doute « tardé » jusqu’à ce que le feu du jugement de Dieu fût tombé sur lui et l’eût empêché même de « sauver sa vie ». Mais ils « l’arrachèrent hors du feu », parce que « l’Éternel l’épargnait ».

C’est Abraham qui recueillit une nouvelle louange à l’occasion de cette délivrance de Lot ; en effet, nous lisons que, « lorsque Dieu détruisit les villes de la plaine, il s’était souvenu d’Abraham, et avait envoyé Lot hors de la subversion » (v. 29). Ainsi, de même que l’épée d’Abraham avait délivré Lot après la défaite du roi de Sodome, de même sa prière le délivra lors de la finale destruction de cette ville, car « elle peut beaucoup, la supplication d’un juste faite avec énergie ». Et le contraste entre ces deux hommes ne s’arrête pas ici. Il est une autre scène encore, dans laquelle ils se trouvent à une grande distance l’un de l’autre quant à l’état moral de leurs âmes. Abraham, se levant de bon matin, « vint au lieu où il s’était tenu devant l’Éternel » (v. 27). L’homme de foi, le saint pèlerin lève une fois encore les yeux sur cette immense scène de désolation. Sodome et ses coupables habitants avaient disparu pour toujours ; « il montait de la terre une fumée comme la fumée d’une fournaise ». Affreux spectacle ! Le mouvement, le bruit, le fracas de cette ville, la veille encore si agitée, avait cessé — partout régnait un silence de mort — il n’était plus question d’acheter et de vendre, de manger et de boire, de se marier et de donner en mariage — toutes ces relations de la vie sociale avaient été soudainement interrompues de la manière la plus effrayante. Le solennel jusqu’à ce que était finalement arrivé — le seul homme qui, au milieu de toute cette race méchante, pouvait, malgré sa chute et son misérable état, en être regardé comme « le sel », avait été éloigné — la mesure de l’iniquité de Sodome avait été comblée — le jour du long support de Dieu était arrivé à son terme, et maintenant les regards d’Abraham ne rencontraient plus que ruine et désolation dans toute l’étendue de la plaine. Quel triste aspect ! Et cependant ce n’était là qu’un type d’une désolation infiniment plus terrible qui fondra comme l’éclair sur ce monde coupable — lorsque le Fils de l’homme apparaîtra — lorsque tout œil le verra, et que toutes les tribus de la terre se lamenteront à cause de lui.

Ainsi, « Abraham se tenait devant l’Éternel », complètement exempt, quant à lui, de toutes les affreuses conséquences de la récente visitation de Dieu. Sa position d’étranger qui, dans les jours de Kedor-Laomer, l’avait tenu éloigné de Sodome et de toutes ses circonstances, le sauvegarde encore maintenant et le fait échapper à l’inexprimable malheur de Sodome. Si Abraham avait cédé aux sollicitations du roi de Sodome et participé aux choses de Sodome il eût été, en quelque mesure, comme son frère Lot, enveloppé dans la destruction de cette ville. Quant à lui, il eût été sauvé, mais son œuvre aurait été consumée. Or Abraham attendait « une cité qui a des fondements », et il savait bien que cette cité n’était pas Sodome ; aussi ne voulait-il avoir absolument rien à faire avec elle. Il eût « haï même la tunique souillée par la chair » — il n’eût pas voulu « toucher à ce qui était impur » ; maintenant il pouvait moissonner les résultats béni de sa conduite : car tandis que Lot, pénétré de confusion et de douleur, cherchait une retraite dans une caverne de la montagne, après avoir perdu sa femme et tous ses biens, Abraham, dans toute la sérénité et la dignité qui le caractérisaient, conserve sa position bénie en présence de Jéhovah, et c’est de là qu’il parcourt des yeux ce lamentable spectacle.

Cependant que devient Lot ? Comment se termine sa carrière ? Oh ! « n’allez point le dire dans Gath, et n’en portez point les nouvelles dans les places d’Askalon ! ». Nous pouvons bien désirer de jeter un voile sur la scène finale de la vie de celui, qui paraît n’avoir jamais réalisé, comme il l’aurait dû, la puissance de l’appel de Dieu. Il avait toujours montré une secrète inclination pour les choses d’Égypte ou pour celles de Sodome. Son cœur, semble-t-il, n’avait jamais été complètement détaché du monde ; c’est pourquoi sa marche fut toujours chancelante et inconstante. Dès le moment où il se sépara d’Abraham, il alla toujours en empirant — jusqu’à ce qu’à la fin sa carrière se termine par les abominations dont la caverne fut témoin, et dont les résultats furent Moab et Ammon, les ennemis du peuple de Dieu.

Ainsi finit la course de Lot, dont l’histoire devrait servir de sérieux avertissement à tous les chrétiens qui se sentent enclins à se laisser entraîner par le monde. Cette histoire ne nous a pas été transmise sans but. « Toutes les choses qui ont été écrites auparavant, l’ont été pour notre enseignement ». Puissions-nous donc apprendre de ce récit, « à ne point être désireux de choses mauvaises », car quoique « le Seigneur sache délivrer de la tentation les hommes pieux », nous n’en devons pas moins, autant qu’il est en nous, nous tenir éloignés de la tentation, veiller et prier continuellement « afin que nous n’entrions pas en tentation ». « Le monde s’en va, ainsi que sa convoitise ; mais celui qui pratique la volonté de Dieu demeure éternellement » (1 Jean 2, 17).

Chapitres 20-21

Lot a maintenant disparu de la scène[4] — son soleil s’est couché au milieu d’épais nuages et d’une sombre atmosphère. Il nous reste à poursuivre, quelques moments encore, le récit de la vie d’Abraham et des voies de Dieu à son égard.

J’ai complètement passé sous silence un détail qui se trouvait au chapitre 12, vu qu’il devait se présenter de nouveau à nous dans le chapitre 20.

Quand Abraham descendit en Égypte, il fit avec Sara sa femme un accord dans le but de cacher une partie de la vérité. « Dis, je te prie », lui demanda-t-il, « que tu es ma sœur » (12, 13). Un mal conduit toujours à un autre mal. Abraham suivait une mauvaise direction, quand il descendit en Égypte pour y chercher du secours ; c’est pourquoi il n’y fit pas voir cette délicatesse de conscience qui lui aurait fait sentir la haute inconvenance morale de cette réserve mentale. « Parlez vrai chacun à son prochain » ; c’est là un principe de Dieu, qui devrait toujours exercer son influence sur celui qui marche dans la communion avec Dieu ; mais précisément le désir d’Abraham de sortir de l’épreuve actuelle, en suivant ses propres pensées et son propre chemin, était la preuve d’une lacune dans cette communion, et par là même son sens moral n’était ni aussi sensible ni aussi élevé qu’il eût dû l’être. Et même, bien que le Seigneur eût frappé Pharaon et sa maison de grandes plaies, parce qu’il avait enlevé Saraï ; bien que, de plus, Pharaon eût reproché à Abraham sa conduite en cette affaire, cependant ce dernier ne dit absolument rien sur l’accord qu’il avait positivement fait avec sa femme de celer une partie de la vérité : il reçoit en silence les reproches du roi d’Égypte, et s’en va, conservant dans son cœur la racine du mal, tout prêt à se manifester de nouveau dès que les circonstances en provoqueront l’essor.

Après cela, n’est-il pas étonnant de voir Abraham remonter d’Égypte, bâtir un autel et dresser une tente, montrer la noble générosité de la foi, vaincre Kedor-Laomer, et repousser la tentation du roi de Sodome, demander instamment un fils et un héritier, et recevoir de Dieu la plus miséricordieuse réponse, se prosterner la face en terre devant l’Éternel dans le sentiment de Sa grâce et de Son pouvoir tout-puissants, accueillir les étrangers célestes et intercéder pour son frère Lot ? N’est-il pas, dis-je, étonnant de voir Abraham traverser, d’une manière si honorable, toutes ces phases de bénédiction, qui embrassent une longue série d’années, et conserver pourtant dans son cœur, durant toute cette période, sans l’avoir jugée, cette grave chute qui avait signalé ses premiers pas dans la carrière ? Elle ne reparut plus, il est vrai, pendant tout ce temps, mais pourquoi ? Parce qu’Abraham ne se trouva pas dans des circonstances qui la provoquassent, mais le principe n’en demeurait pas moins toujours là. Le mal n’était pas entièrement sorti — il n’était pas confessé — Abraham n’en était pas délivré ; la preuve en est que, dès l’instant où il se trouve de nouveau dans des circonstances qui pouvaient agir sur son côté faible, ce côté faible se remontre soudain de la manière la plus manifeste. La tentation qui lui fut présentée par le roi de Sodome n’était nullement en rapport avec son infirmité particulière ; l’on peut en dire autant de tout ce qui lui arriva, depuis le jour où il remonta d’Égypte jusqu’à celui où il descendit à Guérar ; car si cette infirmité eût été excitée par quelqu’un de ces événements, elle se serait indubitablement produite au-dehors.

Nous ne pouvons connaître expérimentalement ce qui est dans nos cœurs qu’autant que des circonstances surgissent pour le mettre au-dehors. Pierre n’aurait jamais imaginé qu’il pût renier son Maître ; mais quand il se fut jeté lui-même dans des circonstances, qui devaient agir avec force sur son côté faible, il manifesta aussitôt l’existence de cette infirmité.

Il fallut une longue période de quarante ans passés dans le désert, pour faire connaître aux enfants d’Israël « ce qui était dans leur cœur » (Deut. 8, 2) ; et l’un des grands résultats de la discipline de Dieu envers tous Ses enfants, c’est de les amener à une plus profonde connaissance de leur propre faiblesse et de leur néant. « Nous nous sommes vus comme ayant en nous-mêmes la sentence de mort, afin que nous n’eussions point de confiance en nous-mêmes, mais en Dieu qui ressuscite les morts » (2 Cor. 1, 9). Plus nous aurons le sentiment de nos infirmités, et plus aussi nous éprouverons le besoin de nous tenir étroitement collés à Christ — de puiser plus abondamment dans le trésor de Sa grâce, et de réaliser plus complètement l’efficace sanctifiante et la valeur de Son sang expiatoire. Au commencement de sa carrière, le chrétien ne connaît jamais son propre cœur ; et à la vérité, il ne pourrait pas en supporter alors la complète connaissance ; il en serait accablé. « Dieu ne nous conduit pas par le chemin des Philistins, de peur que nous ne voyions la guerre », et que nous ne tombions dans le découragement et le désespoir ; mais, dans Sa miséricorde, il nous fait faire un circuit, parfois bien long, afin que notre intelligence de Sa grâce puisse toujours être au niveau des progrès que nous faisons dans la connaissance de nous-mêmes.

Dans ce chapitre 20, nous voyons donc Abraham, après un laps de plusieurs années, retomber dans son ancien péché, supprimer la vérité, et recevoir pour cela les reproches mérités d’un homme du monde. Celui-ci, dans cette occurrence, semble, pour le moment, posséder un sens moral plus scrupuleux que l’homme de Dieu. Qu’on en juge par sa réponse au Seigneur : « Ne m’a-t-il pas dit : c’est ma sœur ? et elle-même aussi n’a-t-elle pas dit : c’est mon frère ? J’ai fait ceci dans l’intégrité de mon cœur et dans la pureté de mes mains ». Mais remarquez de quelle manière Dieu entre en scène dans le but de justifier son serviteur. Il dit à Abimélec : « Voici, tu es mort ». Oui, avec toute « l’intégrité de son cœur et la pureté de ses mains » — avec tout son sentiment moral du juste et de l’injuste, il n’était « qu’un homme mort », dès l’instant qu’il s’agissait de le mettre en parallèle avec un enfant de Dieu, même égaré. Dieu, dans Sa grâce, considérait Son bien-aimé serviteur d’un tout autre point de vue que ne le faisait Abimélec. Tout ce que ce dernier pouvait apercevoir en Abraham, c’était un homme coupable d’un acte manifeste de tromperie, mais Dieu voyait plus que cela ; c’est pourquoi il dit à Abimélec : « Maintenant donc rends à cet homme-là sa femme ; car il est prophète, et il priera pour toi, et tu vivras ». Quelle gloire pour Abraham ! Dieu Lui-même prend sa défense devant le monde ! Pas un mot de reproche ! — Pas une apparence de désapprobation ! Non, mais : « il est prophète, et il priera pour toi, et tu vivras ». Quelle puissante consolation pour le pauvre fidèle, souvent faible et lassé, dans la pensée que son Père le voit toujours comme au travers du Seigneur Jésus Christ ; et qu’ainsi Il ne voit absolument rien autre en Son enfant sinon l’excellence et la perfection de Jésus ! Aussi, bien qu’un homme du monde puisse avoir sujet de reprendre un enfant de Dieu, comme dans le cas qui nous occupe, Dieu déclare qu’Il estime le caractère, que le croyant a reçu de Lui, infiniment plus que toute l’amabilité, l’intégrité et l’innocence dont l’homme naturel peut se glorifier[5].

Cela nous rappelle la manière dont le Seigneur fait l’apologie du Baptiseur devant la multitude, quoiqu’Il lui eût envoyé un message qui devait profondément l’affecter. « Je vous le dis : entre ceux qui sont nés de femme, il n’y a nul prophète plus grand que Jean-Baptiste » (Luc 7, 28). Ainsi, quelque défavorable apparence que puisse avoir un enfant de Dieu aux yeux du monde, Dieu s’en montre toujours le défenseur. « Il n’a pas souffert qu’aucun les outrageât ; même il a châtié les rois pour l’amour d’eux, en disant : Ne touchez point à mes oints, et ne faites point de mal à mes prophètes » (1 Chron. 16, 21, 22).

Cependant, ainsi que nous l’avons dit, le message envoyé par le Seigneur à Son serviteur Jean le baptiseur, devait avoir bien vivement touché le cœur de celui-ci dans son isolement ; eh bien ! il en est de même dans le cas d’Abraham, qui, lui aussi, doit avoir éprouvé une bien profonde humiliation à la pensée de ce qui s’était passé, humiliation que devait encore augmenter la conscience de la bonté de Dieu qui ne voulait pas entrer en jugement avec lui au sujet de son péché. Quand Abraham fit la même chute en Égypte, nous ne voyons pas que les reproches de Pharaon aient produit sur lui aucun effet sensible. Il n’en fut du moins pas humilié au point de faire une confession de toute la chose. Il part de l’Égypte, mais la racine du mal demeure dans son cœur, toute prête à bourgeonner de nouveau. Il n’en est pas ainsi dans ce vingtième chapitre qui nous découvre, au contraire, la racine même du mal : Abraham y ouvre tout son cœur ; il confesse que, dès les premiers pas de ses pèlerinages, il avait entretenu en lui ce mal qui, deux fois déjà, l’avait entraîné à une œuvre de ténèbres, pour n’en rien dire de plus. Et comme il y a de sa part l’entière confession de ce mal, il y en a aussi le complet abandon ; il en est entièrement délivré ; il n’en reste en lui ni racines ni rameaux. Le levain est banni de tous les recoins de son cœur ; il écoute les censures d’Abimélec et il en profite : c’était l’instrument dont Dieu se servait pour faire sortir cette lèpre et pour en délivrer l’âme de son serviteur.

Mais il restait une autre question à régler, avant qu’Abraham pût atteindre le point le plus élevé de sa marche d’homme de foi ; la servante et son fils étaient encore chez lui. Il faut qu’il les chasse de sa maison, comme il a chassé le mal de son cœur. Ainsi que le cœur, la maison doit être purifiée. Or le vingt-et-unième chapitre nous fait voir les choses arrivant à une crise, relativement à la servante et à son fils, dont jusqu’ici nous n’avions guère été entretenus. L’élément de servitude était jusqu’alors demeuré inerte dans la maison d’Abraham, parce qu’il n’avait pas été réveillé et mis en action par un autre élément d’une nature et d’une tendance opposées. Mais cet autre élément, nous le voyons introduit par la naissance d’Isaac, le fils de la femme libre, l’enfant de la promesse. L’esprit de liberté et l’esprit d’esclavage sont alors mis en contact et le conflit entre les deux ne peut avoir d’autre issue que l’expulsion de l’un ou de l’autre. Impossible qu’ils demeurent rapprochés et en harmonie, car « comment deux marcheront-ils ensemble, s’ils ne sont pas d’accord ? ».

Eh bien ! l’apôtre Paul, dans son épître aux Galates, nous fait voir, dans ces deux enfants, « les deux alliances » : l’une engendrant pour l’esclavage ; l’autre, pour la liberté. De plus, il nous montre en eux des types de la postérité charnelle et de la postérité spirituelle d’Abraham ; la première, « née selon la chair » ; la seconde « née selon l’Esprit ». Et rien ne peut être plus prononcé que la ligne de démarcation qui sépare, non seulement les deux alliances, mais aussi les deux postérités. Elles sont entièrement distinctes l’une de l’autre, et ne peuvent jamais, par aucun moyen quelconque, être amenées à s’unir en un seul corps l’une avec l’autre. Abraham devait faire l’expérience, bien pénible pour lui, de cette vérité : « Chasse cette servante et son fils ; car le fils de cette servante n’héritera point avec mon fils, avec Isaac » (21, 10). Ici, le résultat naturel se manifeste. Les deux éléments ne peuvent pas coexister simultanément, pas plus que le vent du nord et celui du midi ne pourraient être déchaînés en même temps sans exciter un bouleversement dans la nature.

Mais c’était pour Abraham une obligation bien pénible que celle de repousser loin de lui son fils. « Cela déplut fort à Abraham au sujet de son fils ». Mais n’importe ; cet enfant doit être chassé ; car le fils de la servante ne pouvait pas hériter des promesses qui n’étaient faites qu’à la postérité spirituelle. Si Ismaël eut été conservé dans la tente d’Abraham, c’eût été une vraie reconnaissance des prétentions de la chair. Abraham aurait trouvé quelque chose « selon la chair » et ainsi il aurait eu « un sujet de se glorifier ». Mais non — toutes les promesses de Dieu doivent se réaliser pour ceux-là seulement qui, de même qu’Isaac, sont les enfants de la promesse, nés selon l’Esprit « non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu » (Jean 1, 13). Ismaël était évidemment « né de la volonté de la chair et de la volonté de l’homme » ; or « la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu ». C’est pourquoi la chair doit être brisée et réduite en servitude, quelque pénible que cela puisse être pour nos cœurs. Le chrétien trouvera souvent bien rude et difficile la tâche de tenir en bride le vieil homme qui convoite toujours contre le nouveau ; mais le Seigneur nous fortifie pour cette lutte, en sorte que « nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés ».

Mais je dois encore une fois rappeler au lecteur, qu’il n’entre pas dans mon cadre actuel de poursuivre ce sujet sous le rapport des doctrines mêlées à cette instructive histoire ou qui en découlent. Cela m’entraînerait fort au-delà des limites que je me suis prescrites dans cet écrit, dont l’unique dessein, je le répète, est de diriger l’attention du lecteur sur quelques grand principes qui ressortent de la narration.

Chapitre 22

Les circonstances, par lesquelles Abraham a passé dans les chapitres 20 et 21, étaient assurément d’une grande importance. Un péché, longtemps recelé dans son cœur, en avait été banni ; la servante et son fils, qui si longtemps avaient fait paisiblement leur séjour dans sa maison, en avaient été chassés, et maintenant il se présente à nous comme « un vase sanctifié et bien utile au Maître, ayant été préparé pour toute bonne œuvre ».

« Or il arriva après ces choses, que Dieu éprouva Abraham » ; ce qui le place dans une position particulière de gloire et de dignité. Quand Dieu éprouve un individu, cela démontre qu’il a confiance en lui. Nous ne voyons pas que Dieu ait jamais éprouvé Lot. Ah ! c’est que les biens de Sodome présentaient à Lot une tentation plus que suffisante. L’ennemi lui avait tendu, dans les plaines bien arrosées de Sodome, un piège dans lequel il ne semblait que trop enclin à tomber. Il n’en était pas ainsi d’Abraham. Il vivait bien plus en la présence de Dieu, et il était, par conséquent, bien moins susceptible de se laisser influencer par ce qui avait enlacé et égaré son frère.

L’épreuve à laquelle Dieu soumet Abraham, le creuset dans lequel il l’éprouve indique d’abord un métal pur et précieux ; si la foi d’Abraham n’eût pas été aussi réelle que pure, il aurait certainement regimbé contre la fournaise ardente, en laquelle nous le voyons entrer dans ce beau chapitre. Quand Dieu promit un fils à Abraham, celui-ci crut la promesse « et cela lui fut imputé à justice ». — « Il n’eut point d’hésitation sur la promesse de Dieu par incrédulité, mais il fut fortifié dans la foi, donnant gloire à Dieu ». Mais ensuite, ayant obtenu ce fils, ayant réalisé la vérité de la promesse, n’était-il pas maintenant exposé au danger de se confier dans le don plutôt que dans le donateur ? Ne risquait-il pas de s’appuyer sur Isaac en comptant sur la future postérité et le futur héritage, plutôt que sur Dieu lui-même qui lui avait promis l’un et l’autre ? Évidemment, c’était bien là le cas, et Dieu le savait ; c’est pourquoi il éprouve son serviteur d’une manière plus propre qu’aucune autre à mettre en évidence quel était au fond le véritable objet de la confiance de son âme. La grande question posée à Abraham et adressée à son cœur, dans cette étonnante transaction, c’est celle-ci : « Marches-tu toujours devant le Dieu tout-puissant — le résurrecteur des morts ? ». Dieu voulait qu’Abraham montrât s’il connaissait l’Éternel, comme Celui qui était tout aussi capable de susciter des enfants du milieu des cendres de son fils sacrifié, que du corps amorti de Sara. En d’autres termes, Dieu voulait démontrer que la foi d’Abraham s’élevait jusqu’à la résurrection, car si elle fût demeurée en deçà, elle n’aurait jamais pu répondre et se soumettre à ce redoutable commandement : « Prends maintenant ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, et t’en vas au pays de Morija, et l’offre là en holocauste sur l’une des montagnes que je te dirai ». Mais Abraham n’hésite pas. Il répond aussitôt à l’appel qui lui est adressé. Dieu lui demandait Isaac ; il est tout prêt à donner Isaac, et cela sans l’apparence d’un murmure. Tant que ses regards demeurent fixés sur « le Dieu Tout-puissant », il peut tout donner, quoi que ce soit ou qui que ce soit. Et remarquez comment Abraham parle de son ascension au mont Morija : « Moi et l’enfant marcherons jusque-là et adorerons ». Ah ! c’est que c’était bien là un acte d’adoration, car il allait placer, sur l’autel de Celui qui ressuscite les morts, le jeune homme sur la tête duquel toutes les promesses de Dieu étaient concentrées. C’était un acte d’adoration — dans le sens le plus élevé, car il allait prouver à la vue des cieux et du monde, que le Dieu Tout-puissant seul remplissait mon âme. Aussi quel calme ! Quelle possession de lui-même ! Quel pur dévouement ! Quelle élévation d’esprit ! Quelle parfaite abnégation ! Il ne chancelle pas un instant. Il se lève de bon matin, il met le bât sur son âne, prépare le bois, et se met en route pour le mont Morija, sans laisser apercevoir aucune pensée d’inquiétude, quoique, selon toute apparence, il fût sur le point de perdre l’objet des plus tendres affections de son cœur, celui à la vie duquel étaient liés les futurs intérêts de sa maison.

Abraham montre donc ici, d’une manière admirable, que, quelque cher que lui fût Isaac, son cœur avait trouvé un autre objet qui lui était plus cher encore ; il montre aussi que, relativement aux futurs intérêts de sa race, sa foi s’appuyait sur un autre objet que son fils, et que, après comme avant la naissance d’Isaac, il se confiait simplement et uniquement en la promesse du Dieu Tout-puissant.

Contemplez cet homme de foi, montant la colline de Morija, dans la compagnie de son bien-aimé. Quelle étonnante scène[6] ! Avec quelle sollicitude et quel intérêt les armées célestes devaient suivre tous les pas de cet illustre patriarche dans ce merveilleux voyage, jusqu’à ce qu’enfin elles le virent avancer sa main et saisir le couteau pour égorger son fils — ce fils après lequel il avait si longtemps et si ardemment soupiré ; et pour lequel son assurance en l’Éternel avait été si ferme ! Et d’un autre côté, quelle occasion pour Satan de lancer ses dards enflammés ! Avec quelle abondance et quelle force ne pouvait-il pas suggérer à Abraham des pensées du genre de celles-ci : « Qu’adviendra-t-il de la promesse de Dieu relative à la postérité et à l’héritage, si tu sacrifies ainsi ton fils unique ? Prends garde de ne pas te laisser égarer par quelque fausse révélation — ou, s’il est bien vrai que Dieu t’ai donné un pareil ordre, est-ce que Dieu ne sait pas que, dès le moment où tu sacrifieras ton fils, toutes tes espérances seront anéanties ? — et puis, songe à Sara ; que deviendra-t-elle si elle perd Isaac, après t’avoir engagé à chasser Ismaël de ta maison ? ». Toutes ces suggestions et bien d’autres encore, l’ennemi pouvait les employer pour tourmenter le cœur d’Abraham. Et celui-ci, par lui-même, n’était nullement hors de la portée de ces pensées et de ces raisonnements qui, dans une pareille conjoncture, devaient tout naturellement s’élever dans son intérieur. Quelle était donc sa réponse à tous ces doutes, à toutes ces sombres suggestions ? La résurrection ! « Par la foi, Abraham, étant tenté, offrit Isaac ; et celui qui avait reçu les promesses offrit son unique, à l’égard duquel il avait été dit : « C’est en Isaac que te sera appelée une postérité » ; ayant estimé que Dieu est puissant, même pour ressusciter d’entre les morts ; c’est pourquoi aussi il le reçut en figure » (Héb. 11, 17-19).

La résurrection est le puissant remède de Dieu à toutes les misères et à toutes les ruines amenées par Satan. Quand une fois nous sommes arrivés au même point qu’Abraham, nous en avons fini avec la puissance de Satan, dont le dernier exercice a lieu dans la mort. Satan ne peut pas toucher à la vie, qui a été reçue par une résurrection ; l’efficace de son pouvoir finit dans le sépulcre de Christ, au-delà duquel il ne peut rien faire. De là vient la sécurité de l’Église, dont « la vie est cachée avec Christ en Dieu ». Précieuse et sûre retraite pour elle ! Puissions-nous en jouir et nous en réjouir chaque jour davantage !

Il est temps de terminer cet écrit. Nous avons suivi Abraham depuis Ur des Chaldéens jusqu’à la montagne de Morija. Nous l’avons vu, à l’appel de Dieu, renoncer à sa famille et à sa parenté, à ses terres et à ses biens, à ses aises et à sa prospérité mondaines ; enfin, nous l’avons vu, dans la puissance de la foi, au même appel de Dieu, monter la colline solitaire, dans le but de mettre « son fils unique » sur l’autel de Dieu, et de manifester ainsi qu’il pouvait tout abandonner à l’exception de Dieu seul ; — et que, connaissant la signification des mots de Tout-puissant et de résurrection, il n’avait aucune inquiétude, dût-il se trouver dans le cas d’attendre que, des pierres mêmes, une postérité lui fût suscitée.

D’un autre côté, nous avons suivi Lot depuis Ur des Chaldéens aussi ; mais, hélas ! son sentier était bien différent de celui de son frère. Il ne paraît pas avoir réalisé, dans son âme, la puissance de l’appel de Dieu ; il se mouvait sous l’influence d’Abraham plutôt que sous celle de Jéhovah ; aussi voyons-nous que, tandis qu’Abraham, à chaque pas qu’il faisait en avant, laissait le monde de côté, Lot faisait précisément le contraire : il s’attachait au monde sous toutes ses formes, et il obtint à la fin ce qu’il avait tant recherché, mais ensuite… ! Quel fut le terme de ce chemin ? Ah ! c’est là la grande affaire ; quelle fut la fin de Lot ? Au lieu d’être un noble spectacle aux anges, et pour toutes les futures générations des croyants, un modèle de ce que la foi peut donner à un homme « de faire et de souffrir » pour Dieu, il fut précisément le contraire : il se laissa entraîner par l’ennemi de son âme qui le séduisit au moyen des choses du monde ; il passa ses jours au milieu des abominations de Sodome, et son histoire se termina par les lamentables circonstances de la caverne. Tout ce qu’il fit pour Dieu ou pour son peuple, ce fut d’engendrer l’Ammonite et le Moabite, ennemis de l’un et de l’autre.

Qu’elle est donc merveilleuse cette grâce qui, en parlant de l’histoire d’un tel homme, a pu dire : « Et il délivra le juste Lot qu’affligeait profondément la conduite infâme des abominables ; car ce juste, habitant parmi eux, tourmentait de jour en jour son âme juste, par ce qu’il voyait et ce qu’il entendait de leurs actions impies » (2 Pier. 2, 7, 8).



  1. À l’appui de ce que j’ai dit sur la lampe, je renvoie encore le lecteur aux passages suivants : Ex. 27, 20 ; 2 Sam. 22, 29 ; Ps. 119, 105 ; Prov. 6, 23 ; 13, 9 ; És. 62, 1. — Le traducteur croit pourtant devoir ajouter que, dans ces passages, comme dans ceux cités dans le texte, les mots (Nir et Nèr), traduits par lampe, sont tout autres que celui qui se trouve dans Genèse 15, 17, rendu par lampe aussi, dans la Bible anglaise, et par brandon dans notre version de Martin. Ce dernier mot (Lappid) n’est, dans Martin, traduit par lampe que trois fois, soit en És. 62, 1 ; Éz. 1, 13 ; Dan. 10, 6 (comparaisons figurées) ; il l’est par éclairs dans Ex. 20, 18 ; par flambeau, partout ailleurs, soit dans Jug. 7, 16, 20 ; 15, 4, 5 ; Job 12, 5 ; 41, 10 ; Nahum 2, 4 ; Zach. 12, 6.
    Le mot Thannour, du même verset, rendu par furnace ou fournaise dans la Bible anglaise, signifie littéralement un four. C’est ainsi que Martin le traduit toujours, excepté dans Ésaïe 31, 9, où il dit « le fourneau ». Voyez Ex. 8, 3 ; Lév. 2, 4 ; 7, 9 ; 11, 35 ; 26, 26 ; Néh. 3, 11 ; 12, 38 ; Ps. 21, 9 ; Lam. 5, 10 ; Os. 7, 4, 6, 7 ; Mal. 4, 1. — Quand il est question de la fournaise ou du fourneau de fer de l’affliction, ou du creuset de l’épreuve, ce n’est plus le mot Thannour, mais Kour qui est employé. Voir outre les passages cités dans le texte : Prov. 17, 3 ; 27, 21 ; És. 48, 10 ; Éz. 22, 18, 20, 22.
  2. Je voudrais faire observer ici que la doctrine de l’épître aux Galates se rattache d’une manière intime aux chapitres 16 et 17 — ainsi que, du reste, l’importante doctrine du rétablissement futur d’Israël. Nous avons aussi la doctrine de la justification par la foi clairement établie dans le chapitre 15.
  3. Tout en croyant que Lot était le principal objet des pensées d’Abraham, quand il intercédait auprès de l’Éternel, je n’oublie pas cependant, qu’il est fait mention de « cinquante justes, etc. ».
  4. Le nom de Lot ne se retrouve, dans l’Ancien Testament, qu’en Deutéronome 2, 9, 19 et Psaume 83, 8, seulement pour désigner les fils de son péché ; et dans le Nouveau, en Luc 17, 28, 29, 32 et 2 Pierre 2, 7.
  5. Si nous regardons à travers un verre coloré, tous les objets s’offrent à nous avec la couleur particulière de ce verre ; quelque grande que puisse être la variété de leurs couleurs propres, nous les apercevons toujours avec le reflet du milieu à travers lequel nous les observons. Il en est ainsi de Dieu : le milieu à travers lequel Il regarde Son peuple, c’est Christ ; aussi ne voit-Il pas les diverses ombres, les nombreuses imperfections des rachetés, parce que tous présentent à Ses yeux la perfection du Seigneur Jésus. « Tel qu’il est, tels nous sommes ».
  6. Je suis frappé de l’idée, que le voyage d’Abraham au mont Morija nous offre un type remarquable de la scène mystérieuse qui se passa plus tard sur le mont Calvaire (voisin de Morija), lorsque Dieu se pourvoyait réellement d’un agneau pour l’holocauste. Il ne nous est pas difficile de faire abstraction d’Hérode et de Pilate, des souverains sacrificateurs et des scribes, des pharisiens et de la multitude ; après quoi il ne nous reste plus que le Père et le Fils qui montent, « tous deux ensemble », la colline, où ils accomplissent, dans la solitude, l’œuvre mystérieuse de la rédemption (comparez aussi Gen. 22, 6 et Jean 19, 17. Le Trad.).